Chapitre 2 - Vacances

Parvis du lycée de Fairview – Vendredi 18 octobre 2002

 

Isabelle attendait aux côtés d’Hubert. Elle avait suivi son ami dehors, n’en revenant pas de sortir non accompagnée. Nul doute que monsieur Benet se trouvait non loin ou l’observait depuis une fenêtre, s’assurant de la passation de surveillance. Il n’empêchait qu’Isabelle se trouvait dehors sans adulte à ses côtés. Cela la rendit euphorique. Elle sautillait presque.

- Ça me fait plaisir de te voir sourire, lança Hubert.

Isabelle ne répondit rien. Elle conserva son visage rieur, buvant l’air frais comme si elle sortait de prison.

- Bonjour, Charles-Hubert, dit une voix masculine.

- Papa ! s’exclama le jeune homme en retour.

Isabelle vit une main adulte se poser sur l’épaule de l’adolescent. Un salut assez froid mais après tout, Hubert était un adolescent devant tous ses camarades. Les effusions pourraient ne pas être appréciées.

Isabelle garda les yeux baissés. Un guide de la lumière méritait du respect.

- Bonjour, Isabelle, dit le puissant magicien.

- Bonjour, monsieur, répondit-elle.

- Je te permets de lever les yeux sur moi, indiqua-t-il.

Isabelle découvrit son visage neutre, ni agressif, ni chaleureux. Brun aux yeux marrons, il était rasé de près. Il portait les vêtements blancs des guides de la lumière et arborait fièrement sur son épaule droite le tatouage au cinq cercles concentriques.

Elle constata qu’Hubert clignait des yeux, le visage ahuri. Il semblait ne pas comprendre. La foule de parents et d’élèves s’écartait respectueusement autour du guide. De Ranti tendit ses deux mains, l’une vers son fils et l’autre vers Isabelle. Hubert s’empara de la main tendue tandis qu’Isabelle se figea, ne comprenant pas.

- La téléportation ne fonctionne que par contact, rappela le guide.

Isabelle le savait fort bien. Elle allait vraiment toucher un guide de la lumière ? Il allait utiliser son énergie, gaspiller de sa magie pour lui permettre de s’éviter un long trajet en train, en voiture ou en avion ? Elle avait du mal à comprendre pourquoi il agissait de cette manière.

- Nous habitons vraiment très loin, précisa le guide.

- Pourquoi avoir mis votre fils dans une école aussi éloignée ? demanda Isabelle, abasourdie.

Des lycées magiques, il y en avait un peu partout.

- Celle-ci est la meilleure, précisa de Ranti. Je veux ce qu’il y a de mieux pour mon fils. J’ai moi-même été formé ici.

- Je comprends, dit Isabelle.

- Isabelle ! On peut y aller ? s’énerva Hubert.

Le guide tendit un peu plus sa main en souriant. Il encouragea Isabelle du regard si bien qu’elle finit par mettre sa main dans celle tendue et l’instant d’après, le paysage avait complètement changé, la température et l’humidité aussi. Il faisait froid ici et il neigeait.

Isabelle lâcha la main du guide en frissonnant. Hubert courut vers la maison et enlaça sa mère qui l’attendait devant la porte d’une immense demeure, plus proche d’une villa, entourée d’un jardin gigantesque extrêmement bien entretenu. L’endroit reflétait le parfait lieu de vie offert à un guide de la lumière. Cette demeure pourrait servir de publicité aux futurs guides. Tout le monde rêverait d’un tel confort.

Isabelle observa le câlin entre Hubert et sa mère. Jamais personne ne l’avait ainsi enlacée, ou alors ne s’en souvenait-elle pas. Monsieur Benet n’entrait jamais en contact physique avec elle. Aucun autre professeur ne lui accordait d’intérêt, ni ne lui adressait la parole.

Le jour de sa rentrée au lycée, elle avait ainsi découvert le son de la voix de la plupart des gens qu’elle croisait pourtant tous les jours depuis toujours. Cela n’avait cependant rien changé en dehors des cours. Aucun ne lui parlait jamais.

Isabelle suivit monsieur de Ranti jusqu’à l’entrée de la demeure.

- Bonjour, Charlotte, lança Charles-André.

- Bonjour, Charles-André, répondit la mère d’Hubert.

Isabelle tiqua. Quelle froideur entre ces deux-là !

- Bonjour, continua Charlotte vers la nouvelle venue. Tu dois être Isabelle ?

- Oui, madame de Ranti. Je vous remercie de m’avoir permis de venir passer les vacances chez vous.

- Je t’en prie, répondit Charlotte. Hubert semblait y tenir beaucoup.

- Viens, je vais te faire visiter !

Hubert partit en courant et Isabelle suivit en riant.

 

Résidence de Ranti – Vendredi 18 octobre 2002

 

- Tu ne retournes pas travailler ? s’étonna Charlotte.

- Je suis en train de travailler, indiqua Charles-André en penchant la tête pour suivre l’invitée du regard.

Charlotte se retourna puis, ayant constaté le centre de l’attention de son époux, demanda :

- La jeune Isabelle est du travail ?

Charles-André fixa sa femme dans les yeux et cingla :

- Tu n’as pas le dîner à préparer ? Du linge à plier ? Le ménage à faire ? Des vêtements à repasser ? Des haies à tailler ?

Charlotte frémit avant de s’éloigner pour remplir ses tâches ménagères. Elle nettoyait un tapis lorsqu’elle constata qu’Hubert menait Isabelle dehors.

- Hé les jeunes ! les interpella-t-elle. Si vous me rapportez des kakis, je vous ferai un gâteau.

Ils filèrent vers les arbres croulant sous les fruits orange.

 

Jardin des de Ranti – Vendredi 18 octobre 2002

 

- C’est magnifique chez toi, admira Isabelle alors que Hubert déployait une échelle. Combien de serviteurs avez-vous pour atteindre un tel résultat ?

- Des serviteurs ? répéta Hubert abasourdi. Aucun. Ma mère s’occupe de tout.

- Elle fait tout ? s’étrangla Isabelle. La tâche est incommensurable. Heureusement que la magie est là !

- Ma mère n’est pas magicienne, répliqua Hubert.

- Quoi ?

- Ma mère n’est pas magicienne, répéta Hubert.

Isabelle avait supposé que les deux parents de son ami étaient magiciens. Les magiciens aimaient rester entre eux. Bien sûr, ils côtoyaient le reste du monde tous les jours, lorsqu’ils faisaient leurs courses ou bronzaient sur une plage mais les relations intimes étaient rares.

Les humains normaux connaissaient l’existence de la magie et de la sorcellerie mais la non-interférence imposée par le roi – Vive le roi – permettait à tout le monde de vivre en paix. Un conflit chez les uns ne rejaillissait pas sur les autres.

La non interférence n’interdisait nullement à un humain classique de vivre avec un magicien ou un sorcier, ou un sorcier et un magicien ensemble, mais chaque caste repoussait naturellement les autres de part une façon de vivre très différente. Les uns ne comprenant pas les autres, les disputes éclataient, rendant la vie commune ardue.

- Tes parents s’entendent bien malgré ça ? s’étonna Isabelle.

- Je n’ai jamais entendu un mot plus haut que l’autre, annonça Hubert qui lançait les kakis à Isabelle qui les plaçait dans un panier au sol.

Dès que le contenant en osier fut plein, les jeunes retournèrent dans la maison et posèrent le panier sur le plan de travail immaculé de la cuisine. Pas un brin de poussière, pas une tache, un rangement impeccable. Cet endroit ressemblait vraiment à une maison témoin. Rien ne dépassait. Quelques photos indiquaient une vie mais en dehors de cela, on aurait pu croire la maison inhabitée.

Madame de Ranti entra dans la cuisine. Elle attrapa le panier et entreprit de nettoyer les fruits.

- Vous voulez que je vous aide, madame de Ranti ? proposa Isabelle.

- Laisse ! lança Hubert. Maman préfère être seule dans la cuisine.

- Si Isabelle veut aider, laisse-la, lança monsieur de Ranti depuis le salon. Viens plutôt par là. Pour une fois que je peux avoir des moments privilégiés avec mon fils !

Les yeux d’Hubert brillèrent.

- Vas-y, dit Isabelle en haussant les épaules.

- T’es sûre ? Je ne t’ai pas invitée pour que tu fasses la cuisine mais pour que tu te reposes. Ceci dit, tu as déjà l’air d’aller mieux.

- J’adore faire la cuisine, indiqua Isabelle. Ne me prive pas de mon plaisir. Va rejoindre ton père !

Hubert fila dans le salon.

- Je te remercie, Isabelle, dit madame de Ranti.

- De rien, madame de Ranti. J’aime vraiment faire la cuisine.

- Tu le fais souvent chez toi ?

- Tout le temps, répondit Isabelle.

- Aucun de tes parents ne prépare jamais de repas ?

Isabelle serra les dents. Elle n’avait guère envie de parler de ça. Elle commença à couper les kakis en morceau puis aida à la réalisation de la pâte.

- Tu es très douée, la félicita madame de Ranti.

- Je peux m’occuper du dîner, si vous voulez, madame de Ranti.

- Isabelle, tu es…

- Laisse-lui la cuisine puisqu’elle le demande, lança monsieur de Ranti depuis le salon. Va faire autre chose.

Charlotte tiqua et un sourire faux apparut sur son visage.

- Bien sûr, Isabelle. Fais, je t’en prie.

- Je ne voulais pas vous blesser, s’excusa Isabelle. Vous avez l’air fatiguée. Asseyez-vous et reposez-vous un peu. Je vous assure que je suis capable de faire le dîner.

- Merci, Isabelle, mais beaucoup d’autres taches m’attendent. Fais en sorte que le dîner soit prêt à vingt heures précises.

- Bien sûr, madame de Ranti, s’enthousiasma Isabelle.

La mère d’Hubert sortit de la cuisine les veines du cou saillantes. Isabelle observa le vide laissé par le départ de la mère d’Hubert puis la porte menant au salon. « Jamais un mot plus haut que l’autre », se souvint Isabelle. Pas étonnant. Charlotte se soumettait totalement à son époux. Il voulait, elle faisait. Isabelle ne ressentit pas beaucoup d’amour entre ces deux-là.

Elle secoua la tête et chassa ses mauvaises pensées. Elle venait à peine d’arriver. Nul ne pouvait juger sur si peu. Elle ouvrit le frigo, le congélateur et les placards, retenant les emplacements des ustensiles et la nourriture. Le gâteau fut cuit qu’elle avait déterminé le repas.

Dix minutes avant vingt heures, Isabelle entendit des bruits de vaisselle dans la salle à manger. Elle s’y rendit pour constater que madame de Ranti mettait la table. Isabelle lui vint en aide.

- Votre mari et votre fils ne réalisent jamais ce genre de tâches ? demanda Isabelle.

Était-ce un voile de frayeur qui venait de passer sur le visage de madame de Ranti ? Non. Isabelle était fatiguée, voilà tout. Elle avait mal saisi les mouvements de son interlocutrice.

- Non, répondit madame de Ranti. C’est une tâche féminine.

- Au siècle dernier, peut-être, répliqua Isabelle.

- Ton père met la table chez toi ? demanda Hubert en entrant dans la pièce, son père à ses côtés.

Isabelle se figea avant de reprendre la pose d’une fourchette. Son silence fut une réponse suffisante. Nul ne mettait jamais la table pour Isabelle. Elle le faisait elle-même depuis trop longtemps pour se souvenir ne pas l’avoir fait. Non pas parce que monsieur Benet considérait cela comme dégradant pour un homme mais simplement parce qu’il n’était pas là. Excellent magicien, il n’avait pas besoin de manger. Isabelle s’occupait de l’intégralité de ses repas seule, de A à Z.

- Tu as des frères et sœurs ? demanda gentiment madame de Ranti.

- Non, madame, répondit Isabelle. Excusez-moi. Je vais retourner en cuisine.

- Je vais finir, ne t’inquiète pas, assura la maîtresse de maison.

Quelques instants plus tard, Isabelle apporta le dîner. Madame de Ranti servit son époux, puis son fils, puis Isabelle et enfin elle-même, selon un rituel visiblement bien établi. Isabelle constata que madame de Ranti remplissait le verre de son mari et de son fils à peine ceux-ci vides tandis qu’elle laissait Isabelle se débrouiller seule et s’occupait du sien dont les hommes semblaient se ficher éperdument.

Monsieur de Ranti discutait avec son fils qui lui répondait volontiers. Ils parlaient de magie, de haute magie, de pratiques qui dépassaient et de très loin les compétences de la jeune femme. Le guide de la lumière faisait la leçon à son garçon. Voilà qui expliquait pourquoi Hubert était si doué. Il recevait des cours particuliers d’un cercle 5.

Madame de Ranti mangeait silencieusement, très attentive aux deux hommes à table, anticipant leurs besoins, les servant à la moindre demande. Isabelle en fut troublée. Cela ne lui sembla pas normal. Ceci dit, elle ne connaissait rien d’autre de la vie de famille que ce qu’elle en avait vu à la télévision sur les rares films que monsieur Benet l’avait laissée voir. Elle n’était pas la mieux placée pour juger.

- Le repas était délicieux, dit Hubert alors qu’il se levait à la suite de son père une fois son dessert terminé. Merci, Isabelle.

- Elle s’est proposée de le faire, rappela monsieur de Ranti, vantant ses compétences. Ce dîner confirme qu’elle en est capable. Rien à remarquer. C’est juste normal. Si cela avait été mauvais, là, tu aurais pu faire une remarque. Ton compliment et tes remerciements sont de trop, Charles-Hubert.

L’adolescent hocha la tête mais sembla tiquer tout de même. Il sourit à Isabelle avant de suivre son père vers le salon. Isabelle, elle, n’en revint pas. Il lui semblait qu’elle venait d’être méprisée de la pire façon. Madame de Ranti commença à débarrasser la table sans un mot. Elle arborait un visage crispé.

- Votre maison est magnifique, madame de Ranti, dit Isabelle. Vous réalisez un travail formidable.

La mère d’Hubert se tourna vers Isabelle et lui sourit avant de se remettre au travail. Cette pauvre femme ne devait jamais entendre le moindre remerciement, le moindre compliment de la part de son époux. Elle passait ses journées à briquer et à faire briller sans jamais rien recevoir en échange.

« Pas un mot plus haut que l’autre ». Hubert semblait trouver cela normal. Éduqué de cette façon, il ne se rendait même plus compte de l’ambiance malsaine régnant dans la maison. Isabelle aida madame de Ranti à faire la vaisselle puis à ranger.

- Merci, Isabelle, dit madame de Ranti. J’ai mis une serviette sur ton lit.

- J’ai vu tout à l’heure quand Hubert m’a fait visiter, indiqua Isabelle. Je vous remercie.

- Si tu as besoin d’autre chose, n’hésite surtout pas.

Isabelle monta prendre sa douche. Elle venait de fermer le robinet, espérant se savonner, lorsqu’elle se rendit compte qu’il n’y avait aucun produit de beauté dans la salle de bain. Or, elle n’en avait amené aucun. Se maudissant de sa stupidité, elle enroula sa serviette autour de son corps et sortit dans le couloir à la recherche de madame de Ranti.

Naturellement, utiliser la magie lui aurait permis de s’éviter de devoir arpenter les couloirs au hasard. Un simple sort d’appel et l’affaire aurait été réglée. Isabelle n’en fit rien. Elle ne voulait pas gâcher ses vacances. « Pas de magie » avait ordonné monsieur Benet. Elle comptait bien obéir.

- Monsieur de Ranti, s’exclama Isabelle en tombant par hasard sur le seigneur des lieux.

- Isabelle, tu as besoin de quelque chose ? demanda-t-il en la déshabillant des yeux.

Isabelle eut l’impression qu’il voyait sous la serviette. Il arborait un sourire amusé et appréciateur.

- Pourriez-vous me dire où je peux trouver votre épouse ?

- Elle fait son sport dans la salle de gym, indiqua monsieur de Ranti.

Au milieu de toutes ces corvées, elle trouvait le temps et l’énergie de prendre soin d’elle. Isabelle la trouva sacrément courageuse et déterminée. Ceci dit, Isabelle devait bien admettre que le résultat était là. Malgré la quarantaine passée, la mère d’Hubert arborait un corps magnifique, exempt de tout gras ou formes disgracieuses.

Isabelle eut l’occasion de constater à quel point cela était vrai en entrant dans la salle de gym. Madame de Ranti avait troqué sa robe longue contre une brassière de sport et un shorty moulant, deux habits qui ne cachaient pas grand-chose de sa magnifique plastique.

- Pardonnez-moi de vous déranger, madame de Ranti, s’excusa Isabelle. J’ai totalement oublié de prendre des produits de beauté. Je n’ai ni gel douche, ni savon, ni shampoing, ni brosse à dents, ni dentifrice.

Madame de Ranti sourit, amusée.

- Et tu ne t’en es pas rendue compte avant ?

- Non, ricana Isabelle devant son oubli.

Madame de Ranti, sans perdre son sourire, lui proposa d’un geste de la suivre. Elle choisit plusieurs produits depuis un placard qu’elle déposa dans une bassine près d’elle.

- Ça t’arrive souvent d’oublier des choses quand tu pars en vacances ? demanda madame de Ranti en souriant.

- C’est la première fois que je sors de l’école, indiqua Isabelle avant de se mordre la langue.

Voilà, madame de Ranti avait réussi à lui faire dire ce qu’elle évitait depuis son arrivée. La sportive plissa les paupières.

- Tu vis à l’école ?

- Oui, madame.

- J’ignorais que Fairview disposait d’un internat.

- Ce n’est pas le cas, madame.

- Tes parents sont professeurs, crut comprendre madame de Ranti.

- Non, madame. Mes parents sont morts, annonça Isabelle de la manière la plus froide possible.

Elle désirait que cette conversation prenne fin. Elle n’appréciait pas que cette femme ait réussi à lui extirper cette information. Elle ne voulait pas en parler.

- J’ignorais que les écoles prenaient en charge les orphelins. Je pensais qu’il y avait des lieux dédiés pour cela.

- Je ne sais pas, madame, répondit Isabelle. J’ai été élevée à l’école, c’est tout ce que je sais.

- Et tu en sors pour la première fois à seize ans ? Ça ressemble davantage à une prison qu’à une maison, répliqua madame de Ranti.

- J’en suis déjà sortie, madame, pour aller au centre commercial.

- Quelques heures, en conclut la sportive. Je suis heureuse de te permettre de t’en éloigner plusieurs jours.

Isabelle prit la bassine et retourna dans sa chambre pour terminer sa douche, sans remercier madame de Ranti pour les produits. Elle n’avait pas apprécié du tout cet échange, froid, impersonnel et plein de critiques. La conversation avait beaucoup remué Isabelle. Elle se coucha pour s’endormir, l’esprit en vrac, le cœur battant à mille à l’heure. L’image apparut et Isabelle se calma d’un coup. Elle s’endormit, sereine et détendue.

 

Chambre parentale des de Ranti – Vendredi 18 octobre 2002

 

- Isabelle m’a indiqué qu’elle vivait au lycée de Fairview et n’en sortait réellement que pour la première fois, dit Charlotte alors que son mari se changeait devant elle.

Il ne répondit rien. Elle en conclut qu’il le savait déjà.

- Cela signifie qu’elle n’a jamais été au zoo, à la piscine ou dans un parc d’attraction de sa vie. J’aimerais le lui faire découvrir.

- C’est une bonne idée, lança Charles-André.

Charlotte n’en revenait pas. Son mari venait-il vraiment de l’encenser ?

- Je te laisse organiser ces sorties, précisa-t-il inutilement.

Elle ne s’attendait pas à ce qu’il fasse quoi que ce soit. Elle sourit. La gamine venait de lui donner un excellent prétexte pour sortir de la maison. Elle était aux anges. Les vacances seraient animées, à n’en pas douter.

- Déshabille-toi, ordonna Charles-André.

Charlotte frémit, baissa les yeux mais obéit.

- Viens me sucer.

Elle se mit à genoux devant son époux assis sur le bord de lit et agit comme demandé. Elle s’allongea ensuite dans la position requise et le laissa utiliser son corps selon son bon vouloir. Dans ces moments-là, elle flottait au-dessus d’elle-même. Elle n’était pas là. Ce n’était pas elle qu’il pénétrait, pas ses seins qu’il malaxait.

Satisfait, il se retira et s’allongea pour dormir. Charlotte remit sa chemise de nuit et se coucha près de lui. Il l’enlaça, plongeant son nez dans ses cheveux, les humant, se délectant de leur délicieuse odeur de pêche et de vanille. Elle détestait tellement ça ! Elle n’opposa aucune résistance, ni d’un geste, ni d’un son, ni d’un regard. Elle ne pouvait pas. Il avait tous les droits.

L’évidence la frappa soudain. Pendant deux semaines, il serait là tous les soirs. Pas de mission urgente à l’autre bout du monde l’obligeant à disparaître plusieurs jours. Certes, elle allait pouvoir manger des glaces et voir des animaux, nager et rire sous les éclaboussures d’eau, mais elle devrait aussi supporter sa présence permanente.

Charlotte dormit très difficilement cette nuit-là.

 

Cuisine de la résidence de Ranti – Samedi 19 octobre 2002

 

- Ça sent divinement bon ! s’exclama madame de Ranti en entrant dans la pièce. Des pancakes ?

- Aux pépites de chocolat, indiqua Isabelle. Je n’ai pas trouvé de confitures alors j’ai choisi ça pour agrémenter le petit-déjeuner.

- Ça fait longtemps que je n’ai pas pris le temps d’en faire, avoua madame de Ranti d’un ton contrit, comme si elle s’excusait. Tu es levée depuis longtemps pour avoir fait tout ça ?

- Les pancakes sont faciles et rapides à faire, rétorqua Isabelle. Mais pour répondre à votre question, depuis cinq heures du matin.

- Tu avais mal compris l’heure de lever annoncée hier ? J’avais dit sept heures !

- J’avais bien entendu, madame de Ranti. Je me lève juste tous les jours à cinq heures.

- Pourquoi ?

- Parce que je n’ai plus sommeil, répondit Isabelle comme si elle parlait à une demeurée. Je dors très bien, précisa-t-elle ensuite. Je m’endors vite et mon sommeil est profond.

Charlotte soupira. Visiblement, elle jalousait la jeune femme.

- Des pancakes ? s’exclama Hubert en courant jusqu’au plan de travail.

Il en prit un et voulut le mettre en bouche.

- Charles-Hubert ! gronda monsieur de Ranti en entrant à son tour dans la cuisine. On ne mange pas dans la cuisine. Nous avons une pièce dédiée à cela.

Le jeune homme reposa sa nourriture en grondant de dépit. Il attrapa le plat et fit mine de l’apporter dans la pièce voisine.

- Laisse ça, ordonna monsieur de Ranti. Charlotte va le faire.

Hubert reposa le plat dont sa mère se saisit avant de l’apporter dans la salle à manger où Isabelle avait mis la table. Les hommes étaient assis et se servaient lorsqu’Isabelle entra.

- Un café, Isabelle, noir, dans cette tasse, commanda monsieur de Ranti.

Madame de Ranti se leva précipitamment pour attraper la vaisselle désignée.

- Assise, ordonna monsieur de Ranti et sa femme se figea. C’est à Isabelle que je l’ai demandé, pas à toi.

Madame de Ranti reprit place sur sa chaise tandis qu’Isabelle prenait la tasse.

- Hubert ? Tu bois quoi ?

- Jus d’orange, merci. Tes pancakes sont délicieux !

- Je te remercie, répondit Isabelle alors que monsieur de Ranti serrait les dents, n’appréciant visiblement pas le compliment que son fils venait de proférer.

Isabelle espéra que son ami ne se ferait pas rabrouer à cause d’elle. Elle réalisa le café requis et l’apporta au seigneur des lieux.

- Tu peux t’asseoir et petit-déjeuner, indiqua monsieur de Ranti.

- Je me suis levée tôt, indiqua Isabelle. J’ai déjà mangé. Cela pose-t-il un problème ?

- Non, au contraire, répondit monsieur de Ranti. Tu as apporté le sucre mais pas la cuillère qui va avec. Elle se trouve…

Madame de Ranti se leva et tendit la main vers un tiroir. Fut-ce le silence soudain ou le regard noir de monsieur de Ranti posé sur elle qui lui fit comprendre qu’elle était en tort ? Isabelle l’ignorait mais la maîtresse de maison se figea avant de se rasseoir.

- Dans le deuxième tiroir du meuble à ta gauche, termina monsieur de Ranti.

Isabelle proposa une première cuillère que monsieur de Ranti refusa. La seconde fut la bonne. Elle la plaça à côté du sucrier. Monsieur de Ranti s’en saisit et rajouta un sucre dans son café, qu’il avait pourtant indiqué vouloir noir. Peut-être changeait-il d’avis chaque matin et préférait-il donc le faire lui-même. Isabelle constata qu’il ne la remerciait pas d’avoir corrigé le manque ni ne la félicitait d’avoir correctement obéi à ses directives.

- Il va falloir y aller si nous voulons éviter de faire la queue, annonça madame de Ranti.

- Mais il reste encore des pancakes ! s’exclama Hubert.

- Je vais les mettre dans une boîte et nous les emmènerons. Tu pourras les déguster sur place.

- Super !

Hubert se leva et fila hors de la salle à manger, sans nul doute pour se préparer. Monsieur de Ranti sortit de manière bien plus calme et sobre, toujours sans un mot pour Isabelle qui avait servi les deux hommes, remplissant leur verre de jus d’orange ou leur tasse de café à leur demande.

- Je vais débarrasser, annonça madame de Ranti. Tu peux aller te préparer.

- Je suis prête, précisa Isabelle.

Ce fut ensemble qu’elles rendirent à la salle à manger sa beauté précédente puis la cuisine. À deux, cela alla plus vite si bien qu’ils purent même partir en avance par rapport au planning de madame de Ranti.

 

Zoo de Thobaldy – Samedi 19 octobre 2002

 

Charles-André observa l’endroit. Il s’ennuyait déjà. Le sourire de son fils lui fit oublier toute réticence. Le voir heureux lui suffisait. Charlotte paya les places et ils purent entrer. Arrivés bien avant l’ouverture, ils étaient dans les premiers. Charlotte menait la troupe. Charles-André ne lui en tint pas rigueur. Il n’avait aucune envie de décider quoi que ce soit en ce lieu de divertissement. Il laissa volontiers la main à Charlotte là-dessus.

Ils découvrirent de nombreux animaux. Charles-Hubert lisait toutes les plaquettes informatives avec attention, enregistrant les savoirs, les comparant avec ceux qu’ils possédaient déjà, faisant de bons liens entre les choses. Charles-André était satisfait de son garçon.

Charlotte retourna au centre du zoo, où se trouvaient les restaurants et les panneaux d’affichage.

- Le spectacle des oiseaux commence à 13h. Nous pourrions manger maintenant afin d’y être en avance et s’assurer d’obtenir de bonnes places, proposa Charlotte.

- J’ai faim, répondit Charles-Hubert.

- Où est Isabelle ? demanda Charlotte.

- Où était… ?

Charles-André regarda autour de lui. Plus de gamine. Trop occupé à observer son fils briller, il en avait oublié son boulet. Il ne prit pas la peine de la chercher dans la foule. Il activa un simple sort de recherche. Elle était juste à côté, ce qui expliquait que ses senseurs ne s’étaient pas activés. En revanche, depuis l’emplacement des de Ranti, elle était invisible, cachée derrière le mur d’un marchand de jouets en plastique aussi inutiles qu’encombrants.

Charles-André contourna le mur pour trouver Isabelle, blottie contre la pierre, tremblante de la tête aux pieds.

- Isabelle ? Ça va ? demanda-t-il, soudainement inquiet.

Si elle devait retourner à l’école, il perdait la possibilité de passer du temps avec son fils. Elle était des vacances gratuites. Jusque-là, elle s’était montrée tranquille, polie et avenante, très discrète et impliquée. Elle aidait dès qu’elle pouvait. La prisonnière idéale, en sorte. Il ne voulait surtout pas la perdre.

- Il y a… tellement de monde, sanglota Isabelle.

Charles-André passa le nez de l’autre côté du mur. Dans la zone centrale, difficile d’avancer sans frôler quelqu’un. Dans le reste du parc, les grands espaces permettaient de respirer. Ici, la foule se pressait, avide de nourriture, de boisson et de jouets. Les enfants hurlaient de joie, laissaient sortir leurs envies capricieuses. Les parents cédaient ou refusaient bruyamment. Les poussettes côtoyaient les fauteuils roulants.

Charles-André reporta son attention à sa mission. L’adolescente n’avait jamais mis les pieds dehors. Une dizaine de sorties au centre commercial en dehors des heures de cohue ne lui avaient pas appris à appréhender une foule aussi dense. Il comprit que la gamine était terrorisée. Elle n’avait pas cherché à le fuir lui mais les autres gens.

Elle tremblait de partout et sanglotait misérablement. De l’autre côté du mur, il capta le regard inquiet de son fils. Il ne voulait pas que ce moment soit gâché, surtout pas par cette petite dinde. Il ne pouvait pas non plus ne pas prendre en compte ses besoins. Si elle craquait et demandait à retourner à l’école, il perdait ses congés payés.

Dégoûté, il comprit qu’il allait devoir l’aider à se sentir mieux. Il s’approcha de l’adolescente et la prit dans ses bras. Au début, elle resta figée de stupeur puis elle fondit en larmes sur son torse, trempant sa tunique de lin blanche.

- Tout va bien, murmura-t-il à son oreille. Tu ne risques rien. Je reste près de toi tout le temps. Je te protège. Il ne peut rien t’arriver. Mes pouvoirs t’englobent en permanence.

Elle gémit et continua à sangloter. Ses propos ne semblaient pas la rassurer du tout.

- Je comprends que ça soit difficile. C’est la première fois que tu te retrouves au milieu d’un tel rassemblement de gens. Regarde ! Je te prends la main et je ne la lâche plus, d’accord ?

Isabelle serra fort la main qu’il venait de lui offrir tout en hochant faiblement la tête.

- Allez, sèche tes larmes. On retourne auprès de Charlotte et Charles-Hubert.

La jeune femme utilisa le revers de sa main libre pour redonner contenance à son joli visage. Pleurer ne l’enlaidissait pas, bien au contraire, trouva Charles-André. Elle restait très consommable. Il la dévora des yeux avant d’admettre qu’en fait, il la préférait ainsi. Il aimait tellement baiser une femme en larmes ! Il chassa ses pensées pour se concentrer sur l’objectif actuel.

Isabelle le suivit jusqu’au centre du zoo. Elle serrait fort la main et se collait contre lui. Charlotte frémit en constatant cela mais se garda de tout commentaire. Hubert n’affichait qu’un regard inquiet.

- Trouve-nous un endroit un peu à l’écart du monde pour déjeuner, ordonna Charles-André à Charlotte.

- Bien sûr, répondit-elle.

Elle disparut dans la foule. Charles-André emmena les deux adolescents à l’écart.

- Isabelle, ça va ? demanda Hubert, le front plissé.

- Mieux maintenant, annonça la petite qui avait cessé de trembler.

- Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Je n’ai pas l’habitude de côtoyer autant de monde.

Hubert fronça les sourcils mais n’insista pas davantage. Ils attendirent une bonne demi-heure. Isabelle avait même fini par lâcher la main de Charles-André. Le guide observait les deux jeunes échanger sur la visite du matin, testant les connaissances retenues. Cela le fit sourire.

Charlotte revint les bras chargés de nourriture. Ils déjeunèrent sur l’herbe, loin du monde. Charles-André trouva l’idée bonne mais évidemment, se garda bien de complimenter son épouse. Il lui avait ordonné de trouver une solution. Elle l’avait fait. Quoi de plus normal ?

Le déjeuner terminé, ils se rendirent vers les gradins dédiés au spectacle des oiseaux. Charlotte se plaça au premier rang, puis suivaient Charles-Hubert, Isabelle et Charles-André. Ainsi, Isabelle était protégée. Pourtant, quand l’heure du début approcha, Isabelle reprit la main du guide. Les gradins se remplissaient vite. Charles-André sentit la jeune femme devenir fébrile.

- Tout va bien se passer, promit Charles-André alors qu’Isabelle se déplaçait légèrement pour venir se coller contre lui.

Il l’enlaça et caressa tendrement sa joue ou ses cheveux. Quelle jeunesse délicieuse ! Charlotte lui avait prêté ses produits de beauté si bien que sa chevelure sentait la pêche et la vanille, les odeurs préférées de Charles-André. Il huma les cheveux avec bonheur, effleurant la joue humide de larmes. Il n’empêcha pas son érection de venir. Isabelle, trop préoccupée par le monde, ne s’en rendrait de toute façon pas compte.

Du spectacle, Charles-André ne vit rien. Complètement centré sur la merveille entre ses bras, il n’avait pas prêté attention le moins du monde aux perroquets et aigles volant autour d’eux.

Ils partirent les derniers des gradins. Charlotte annonça :

- Si nous voulons pouvoir choisir nos places, nous devrions aller dès maintenant attendre le spectacle des animaux marins.

- Je préférerais ne pas y assister, s’il vous plaît, demanda Isabelle d’une voix timide, le regard suppliant tourné vers Charles-André.

Putain, elle faisait ça bien, cette gamine. Il avait plus qu’envie d’en manger.

- Je resterai près de toi, promit-il.

- S’il vous plaît, insista-t-elle en secouant la tête.

- Tu peux y aller avec ton fils, proposa Charlotte. Je resterai à l’écart avec Isabelle.

Charles-André ne dirait pas non à un moment en tête à tête avec son garçon.

- Soit, accepta-t-il. Pas de bêtises toutes les deux !

Isabelle sourit tandis que Charlotte s’inclinait respectueusement. Charles-André s’éloigna vers les gradins, son fils sur les talons. Il activa ses pouvoirs pour surveiller de près les deux femmes. Charlotte emmena Isabelle dans un coin tranquille, sous un arbre proche.

- La sortie te plaît ? demanda Charlotte et ses paroles trouvèrent leur chemin jusqu’à Charles-André via la magie.

- Beaucoup, je vous remercie, répondit Isabelle.

- Tu recherches beaucoup la présence de mon mari. Tu manques de présence masculine au lycée ?

- Au contraire, la contra Isabelle. Monsieur Benet s’occupe de moi.

- Il s’occupe de toi ? répliqua Charlotte. En ne faisant pas la cuisine et en ne mettant pas la table ?

- Il est cercle 4. Il ne mange pas. Il m’a envoyée vers les cuisines de l’école. Yann, le chef, m’ouvre volontiers ses portes. Il est adorable et très doué. À midi, je mange le même repas que les élèves et c’est un véritable régal.

- Charles-André et Hubert m’en parlent souvent, dit madame de Ranti en souriant.

- Pour les autres repas, j’ai le droit d’utiliser les cuisines de l’école et de fouiller les frigos, tant que la cuisine est nickel après mon passage.

Charlotte hocha la tête.

- Comme vous pouvez le constater, j’ai plusieurs références masculines à la maison, lança froidement Isabelle. Je ne recherche pas la présence de votre mari. Je lui sais gré de m’avoir aidée à surmonter ma terreur et de m’offrir son soutien. Je suis désolée si mon attitude a pu laisser croire le contraire. Ce n’était pas ma volonté.

Charlotte grinça des dents. Elle ne cachait pas son déplaisir.

- Il arrive à monsieur Benet d’entrer en contact physique avec toi ? demanda Charlotte. Comme mon mari le fait, je veux dire : te prendre la main, te faire un câlin ?

- Non, madame, répondit Isabelle d’un ton glacial.

- Au fait, pourrais-tu m’indiquer ta date d’anniversaire histoire que je puisse t’envoyer une gentille carte ?

- Je ne sais pas, madame, répondit Isabelle qui n’appréciait clairement pas cet interrogatoire en règle.

- Tu ne sais pas ? s’étrangla Charlotte. Comment peux-tu ne pas le savoir ? Tout le monde connaît sa date de naissance !

- Pas moi, gronda Isabelle.

- Tu ne fêtes pas ton anniversaire ? Jamais ?

Isabelle serra la mâchoire. Elle commençait à en avoir assez, cela se sentait.

- Isabelle, as-tu déjà reçu un seul cadeau dans ta vie ? Est-ce que tu fêtes Noël ?

- Non, madame, je ne suis pas chrétienne.

- Pas besoin d’être chrétien pour faire un bon repas et recevoir des cadeaux, répliqua Charlotte. Rassure-moi, monsieur Benet prend soin de toi ? Il te soigne quand tu es malade.

- Je ne suis jamais malade, madame. Monsieur Benet utilise une partie de ses pouvoirs pour s’assurer de ma bonne santé et je l’en remercie.

- Tu es déjà allée voir un médecin ?

- Je ne suis jamais malade, répéta Isabelle, exaspérée.

- Pas même un dentiste ou… un gynécologue ?

- Non, madame, siffla Isabelle maintenant carrément mal à l’aise.

- Est-ce que monsieur Benet t’écoute et te réconforte quand tu vas mal, psychologiquement je veux dire ? Tu dois bien avoir des hauts et des bas, comme tout le monde.

Isabelle baissa les yeux. Charles-André savait grâce au rapport complet d’Alexandre Benet que la jeune femme se faisait harceler par un élève de quatrième année, un futur guide de la lumière que le roi – Vive le roi – projetait de faire chanter en cas de réticence. Il n’ignorait pas que le précepteur d’Isabelle ne faisait rien, encourageant ainsi implicitement le harceleur dont l’emprise sur l’adolescente augmentait chaque jour.

Isabelle choisit de se taire et de tourner le dos à Charlotte, indiquant ainsi clairement la fin de la conversation. Charles-André put se concentrer sur le spectacle animalier avec son fils. Il passa un excellent moment puis les deux hommes retournèrent vers les femmes, totalement silencieuses.

Isabelle suivit volontiers Hubert vers la suite du zoo, vers les allées larges et peu encombrées.

- J’ai l’impression que cette gamine subit de la maltraitance au lycée de Fairview, lui dit Charlotte venue se placer à ses côtés.

Charles-André ne répondit rien.

- Je m’inquiète pour Hubert.

- Pourquoi ? ricana Charles-André.

- Si les professeurs peuvent traiter un enfant de cette manière, ils peuvent aussi le faire pour…

- Ils savent faire la différence entre mon fils et cette gamine, la coupa Charles-André.

- C’est une question de…

- Depuis quand la scolarité de mon fils te regarde-t-elle ? siffla-t-il d’un ton froid.

Charlotte baissa les yeux et serra la mâchoire, avant d’enfin cesser de parler. Charles-André apprécia énormément ce silence.

Charlotte et Hubert étant partis acheter des glaces, Charles-André profita de ce moment pour s’approcher d’Isabelle mais il sentit une réticence de sa part à son approche. Cela le surprit beaucoup.

- Isabelle, quelle est la vraie raison pour laquelle tu n’as pas voulu aller regarder le spectacle marin ?

- Comment ça ?

- Pourquoi n’as-tu pas voulu y aller ? insista-t-il.

Cette fois, il activa ses pouvoirs. Il voulait en avoir le cœur net.

- Parce qu’il y avait trop de monde, répondit Isabelle et c’était un mensonge.

- Isabelle ? souffla Charles-André d’une voix caressante et chaleureuse, se voulant rassurante.

Isabelle se tortilla de malaise puis admit :

- Votre femme n’apprécie pas que je m’approche de vous. Je ne veux pas créer de problème.

La jeune femme pencha la tête pour observer Charlotte et Hubert qui faisaient la queue devant le marchand de glaces.

- Ai-je fait quoi que ce soit de choquant ou de répréhensible ? demanda Charles-André.

- Non, bien sûr, assura Isabelle.

- Aurais-je dû te laisser pleurer et sangloter ? Est-ce mal de soutenir une personne en difficulté ?

Isabelle secoua négativement la tête.

- Ne t’occupe pas de Charlotte, indiqua Charles-André. Elle est jalouse sans la moindre raison.

Charles-André savait très bien qu’il mentait éhontément en disant cela. Charlotte n’était pas jalouse. Elle s’inquiétait pour la jeune femme. Faire passer cela pour de la jalousie mal placée faisait beaucoup rire le guide qui conserva un visage grave, masquant son hilarité à son interlocutrice.

Isabelle sembla y réfléchir intensément. Elle sourit à Hubert qui lui tendit sa glace. Les deux adolescents partirent devant en dégustant leur sucrerie.

- Isabelle a la sensation que tu n’apprécies pas ma proximité avec elle, annonça Charles-André de son ton le plus froid qu’il put prendre.

Charlotte frémit. Elle connaissait fort bien cette voix.

- Par ta faute, mon fils est triste de n’avoir pas pu partager ce spectacle marin avec son amie. De plus, tes questions personnelles dérangent Isabelle. Il faut être aveugle pour ne pas s’en rendre compte.

- Je ne cherche pas à la mettre mal à l’aise, se défendit Charlotte. Je…

- Tu vas arrêter immédiatement de me défier, gronda Charles-André. Déjà ce matin, j’ai dû te reprendre à deux reprises. Tu dépasses les bornes, Charlotte. Tu seras punie ce soir. Je te conseille de changer d’attitude d’ici-là si tu ne veux pas aggraver ton cas.

Charles-André s’éloigna pour rejoindre les adolescents, ravi de sentir la profonde détresse chez sa femme. Charlotte se montra adorable et avenante tout le reste de la journée. Elle en fit un peu trop envers Isabelle mais Charles-André ne pouvait pas le lui reprocher. Au moins, elle faisait des efforts, parfois maladroits mais cela allait dans le bon sens. Lorsqu’il fallut traverser une foule, Charlotte resta neutre face à la main d’Isabelle dans celle de son mari, de quoi ravir le guide. Il avait réussi à la remettre à sa place. Il sourit à cette agréable victoire.

De retour à la maison, tout le monde était rincé mais heureux. Le dîner fut léger. Les adolescents disparurent dans la chambre de Charles-Hubert où ils discutèrent de la journée et des suivantes.

Charlotte ne fit pas son sport ce jour-là. Probablement considérait-elle la marche au zoo comme suffisante. Charles-André n’en avait cure. Tant qu’elle restait fine, la méthode lui importait peu.

Il retrouva son épouse dans la chambre parentale dans la soirée. Charlotte avait prévu des sorties un jour sur deux, permettant un repos après chaque virée. Il admira sa prévoyance car vu ce qu’il allait lui mettre, elle aurait eu du mal à réaliser une autre sortie de ce genre.

Charlotte attendait nue, à genoux, les mains sur la tête. Il ne se pressa pas, l’observant avec attention, guettant le moindre geste déviant. Elle resta sage, fixe dans une position parfaite. Il l’avait bien dressée. Elle connaissait ses attentes et s’y pliait.

- Debout, les mains contre le mur, ordonna-t-il.

Elle se releva avec grâce. Il banda violemment. Savoir cette femme en son pouvoir le ravissait. Il s’approcha lentement et défit sa ceinture en maîtrisant chaque geste. Il savourait cet instant. Les écarts de sa femme n’existaient plus depuis longtemps. Elle avait appris à courber le dos. Le voir maltraiter une gamine innocente avait réveillé en elle un instinct protecteur, peut-être même maternel. Il comptait bien en profiter.

Charlotte, qui gardait la tête vers le mur mais avait perçu le glissement de la ceinture sur la tunique blanche, se mit à trembler.

- Charles-André, je t’en supplie. Sois clément !

Il ricana. Elle hurla sous le premier coup, puissant, brutal. La fesse se zébra instantanément de rouge. Il le savait : la blessure allait ranimer l’envie d’utiliser la magie chez sa femme. Difficile pour un magicien de supporter une blessure sans se soigner. Si seulement elle craquait, lui offrant ainsi la possibilité de la blesser encore plus.

Il fut déçu. Elle tint bon. Le corps en morceaux, couvert de bleus, elle ne tenta jamais d’activer ses pouvoirs. Il se coucha tout de même avec un immense sourire sur les lèvres. Sa femme resta au sol. Elle avait le droit de le rejoindre dans le lit. Elle ne le pouvait simplement pas. Il en rit de plaisir.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Honey41
Posté le 07/10/2023
on dirait que le père de Charles Hubert est intéressé par la jeune Isabelle, que va penser Alexandre des vacances de celle-ci ?
que ressentent Charlotte et son fils par rapport aux peurs d'Isabelle ?
Nathalie
Posté le 07/10/2023
Ravie de voir que là aussi, tu es sensible au suspens du scénario ! J'en suis ravie. Bonne lecture !
Vous lisez