Chapitre 20

Rose et Tizian chevauchaient sur le dos de Palastin, Sklépios le léopard bondissait à leurs côtés. Derrière eux, Zilia caracolait sur Breva, Eostrix posé sur son épaule, et Zeman suivait sur Berthe. En face d’eux s’étendait à perte de vue un plateau couvert de végétation rase et totalement desséchée. Ils contournaient un massif de hautes montagnes rouges qu’ils n’avaient pas eu besoin de traverser. Bien qu’ils fussent en altitude, le soleil était écrasant, la température restait élevée et les montures souffraient de la chaleur persistante. Ils avaient l’impression de traverser une fournaise, l’excessive touffeur provenait peut être de la réverbération des rayons du soleil sur les montagnes écarlates, celles-ci paraissaient constituées de braises rougeoyantes.

 

Zeman émis soudain l’idée qu’il pouvait s’agir de forges géantes où se fabriquaient des armes pour Jahangir et ses armées.

 

  • Qui pourrait tenir sous une pareille chaleur ? répondit Tizian, c’est à peine respirable, il n’y a pas un souffle d’air.

 

Les bêtes se traînaient lamentablement, Rose avait été obligée de prendre Poil Noir dans ses bras car il n’avançait plus. Tizian avait rationné l’eau et la gardait précieusement pour les chevaux, eux-mêmes buvaient des potions que leur donnait Zeman pour se réhydrater. Quant à Sklépios, il ne semblait pas souffrir de la soif. 

 

  • Tu as peut-être raison, reprit Tizian en s’adressant à Zeman, on entend des bruits sourds qui proviennent des montagnes, mais quelles créatures infernales seraient capables de travailler à cette température ?
  • Je peux envoyer Eostrix, il peut aller voir ce qui se passe. Il saura me faire comprendre ce qu’il y a là bas, dit Zilia.
  • C’est beaucoup trop dangereux, il risque de se brûler, répondit Tizian.
  • Non, pas s’il vole largement au dessus, rétorqua Zilia.
  • Et si on lui donnait une graine de l’arbre de paix et qu’il la laisse tomber là bas ? suggéra Rose.
  • Ce serait gâcher une graine précieuse, grommela Zeman qui n’était jamais optimiste ni enthousiaste.
  • Essayons tout de même, dit Rose, je sens que ces graines sont toutes puissantes, elles peuvent résister à des températures extrêmes ! Regarde, elle ont bien survécu à la chaleur du volcan !
  • Alors fais comme il te plaira, répondit Zeman.
  • Oui c’est une bonne idée, reprit Tizian, nous devons tout tenter pour ralentir et contrecarrer Jahangir. Mais éloignons-nous suffisamment d’ici avant d’envoyer Eostrix, on ne sait jamais ce qui peut se produire.

 

Ils avancèrent encore péniblement pendant une ou deux lieues et s’écartèrent des montagnes cramoisies, puis s’arrêtèrent et descendirent de monture. Rose donna une graine de l’arbre de paix à Zilia qui l’accrocha à la patte de l’oiseau. Elle lui caressa le plumage en lui expliquant ce qu’elle attendait de lui, puis elle le lança et Eostrix comme à son habitude partit à tire d’aile. Il ne fut bientôt plus qu’un point noir au dessus des montagnes rouges, qui se détachait sur le bleu incandescent du ciel. Tous regardaient les sommets et brusquement la couleur des pics vira au noir, puis s’éclaircit progressivement et passa au gris foncé puis au gris clair, la teinte naturelle des roches. Et lentement, les montagnes se couvrirent d’une couche verte d’arbres qui, partie du sommet, se répandit le long des pentes en avançant inéluctablement. Plus le massif se revêtait de végétation, plus la température baissait, jusqu’à devenir fraîche. Le plateau où ils se trouvaient se mit à verdir lui aussi, les chevaux affamés broutèrent aussitôt l’herbe abondante à leurs pieds et quelques instants plus tard, un ruisseau coula à proximité.

 

Aboyant joyeusement, Poil Noir se précipita vers la source et se mit à boire à grands coups de langue. Ils firent provision d’eau avant de partir. Zeman s’excusa humblement auprès de Rose, il avait douté de son idée et promettait d’être moins négatif et de lui faire confiance désormais. Un tel mea culpa n’était pas fréquent pour Zeman, mais il venait de comprendre et d’accepter l’importance des pouvoirs de Rose, il réalisa en cet instant que leur combat contre Jahangir ne pourrait pas être gagné sans elle.

 

A cet instant, Eostrix surgit de nulle part et vint se poser en douceur sur l’épaule de Zilia. Elle lui caressa le bec en le félicitant. Ils repartirent.

 

La température continuait à baisser, bientôt il se mit à neiger et la nuit tomba. Zilia les guida dans le noir vers une grotte qu’elle avait détectée un peu plus loin et ils se réfugièrent à l’abri du vent et des flocons. Ils avaient ramassé de quoi faire un petit feu à l’entrée de la caverne, et Sklépios les protégerait des bêtes sauvages.

 

  • Nous ne saurons jamais ce qu’il y avait dans les montagnes ni ce qui s’y préparait, dit Tizian.
  • C’était probablement quelque chose de diabolique, répondit Rose.
  • Encore une fois nous avons pu déjouer Jahangir, poursuivit Zilia, Rose a été inspirée de faire jeter cette graine par Eostrix !
  • Il nous faut dormir maintenant, dit Tizian, nous ne sommes pas encore au bout du chemin et nous devons prendre des forces.

 

Le lendemain lorsqu’ils s’éveillèrent, tout était recouvert de blanc au dehors, le ciel était bleu azur et les rayons du soleil faisaient étinceler la légère couche de glace qui s’était formée pendant la nuit. Après avoir mangé quelques galettes, ils reprirent la route. Ils avançaient lentement, les pattes des chevaux s’enfonçaient dans l’épaisse couche de neige fraîche et les bêtes se fatiguaient plus vite. Le paysage de montagnes recouvertes de blanc, de vert et d’argent au milieu duquel ils marchaient était magnifique et leurs yeux ne se lassaient pas de regarder les forêts de résineux poudrés de neige et d’étoiles de glace, les pentes immaculées et les sommets pointus qui déchiraient le bleu du ciel et se couronnaient de nuages floconneux.

 

Assez rapidement, la pente s’accentua et ils amorcèrent la descente. Ils dépassèrent la zone enneigée et retrouvèrent des prairies riantes et des pentes verdoyantes au fur et à mesure qu’ils approchaient du fond de la vallée.

 

  • Nous ne devons plus être très loin du palais de Jahangir, dit Zilia.
  • Oui, nous approchons, répondit fébrilement Tizian qui se demandait depuis quelque temps si ce moment arriverait un jour. Cette fabrique dans les montagnes rouges devait permettre de ravitailler les armées en je ne sais quoi, elle ne devait pas être très éloignée des campements pour pouvoir fournir rapidement les unités.
  • Je penche pour des armes, c’était une forge que nous avons détruite, approuva Zeman.
  • Une forge pour les armes ou pour autre chose, ça avait l’air gigantesque, et nous avons aussi anéanti la fabrication des armures dans les cavernes, cela a dû affaiblir les approvisionnements des troupes de Jahangir, reprit Rose.
  • Il doit être furieux, il nous faut être encore plus prudents, conclut Tizian.
  • Il ne sait pas où nous sommes, dit Zilia, il nous a expédié dans sa gorge meurtrière, il doit imaginer que nous sommes restés là-bas, que nous y sommes morts. 
  • Vous croyez ? demanda Zeman, pour moi il sait parfaitement où nous sommes, il nous attend.
  • C’est lui prêter bien des pouvoirs, dit Rose doucement.
  • C’est le plus grand magicien de l’univers, il est très puissant, rétorqua Zeman.
  • Comment saurait-il ? insista Rose.
  • La divination, répliqua Zeman.

 

Rose ne répondit pas mais elle sentait que quelque chose avait changé. Depuis les deux événements qui avaient suivi la plantation des graines de l’arbre de paix, une sensation étrange s’était développée en elle, elle avait l’impression de communiquer avec les arbres. Lorsqu’elle passait à côté d’eux autrefois, elle ne ressentait rien, et désormais, il lui semblait que les arbres lui parlaient, qu’ils étaient comme une extension d’elle-même. Lorsqu’elle marchait dans la forêt, c’est comme si son corps grandissait et s’étendait partout, elle percevait le moindre souffle d’air, bougeait comme les feuilles au gré du vent, voyait au delà de l’horizon, mouillait ses pieds dans les ruisseaux et dans l’herbe humide, elle devenait universelle. Elle ne parla à personne de ce sentiment nouveau qu’elle apprenait à connaître et à maîtriser, elle devinait qu’une sorte de puissance inconnue naissait en elle et commençait à l’habiter, ce n’était peut-être pas une chose si incroyable dans ce pays où régnait la magie. Elle avait rapidement compris qu’il lui restait peu de jours pour en capter toutes les possibilités, car elle aurait certainement besoin d’utiliser ce pouvoir dans la lutte contre Jahangir. Elle n’avait dorénavant plus besoin de boussole puisqu’elle voyait au loin, tout le savoir que lui avait inculqué Generibus ne lui servait plus à rien, elle avait dépassé son maître sans même avoir cherché à le faire.

 

Aussi, alors que ses compagnons avançaient devant elle sans rien deviner, elle testait son nouveau pouvoir révélé et constatait ses progrès. Elle se mit à inspirer les arbres, elle commença par leur faire baisser les branches et agiter leur feuillage simplement par la pensée. Puis elle s’enhardit et devint la forêt qui peut gagner du terrain, envahir les terres et prendre le pouvoir, elle vainquit les vallées qu’ils venaient de traverser et les rendit infranchissables, coupant la route à des ennemis qui seraient arrivés par l’arrière. Par curiosité, elle fit voler son regard jusqu’au sommet des anciennes montagnes rouges où était tombée la graine de l’arbre de paix portée par Eostrix, désormais couronnée d’arbres. Au fond du cratère éteint, elle vit des squelettes mécaniques géants noircis couchés à terre comme des statues inachevées. C’était bien une forge, on n’y fabriquait pas d’armes mais des titans.

 

Poursuivant son exploration sur les plus hautes branches, elle se mit à faire pousser des bois et des forêts là où elle voyait des troupes avancer pour leur barrer irrémédiablement le passage.  

 

Inconscients du combat solitaire que menait Rose, ses compagnons et elle  marchèrent encore deux journées complètes avant d’arriver à l'extrémité de la région montagneuse, et débouchèrent à l’issue de la dernière vallée dans une plaine ondoyante. Le chemin envahi par les arbres se referma derrière eux.

 

Les toits d’une imposante ville scintillaient à l’horizon, et de nombreuses fermes et maisons émaillaient la campagne, parcourue de routes et de sentiers. Tout autour, des reliefs élevés encerclaient la vaste étendue comme un écrin protecteur. Ils apercevaient au delà de la cité sur les contreforts montagneux, un palais étincelant qui dominait majestueusement le paysage de ses dômes et coupoles d’or. A cette vision, Sklépios se mit à feuler à leur grand étonnement.

 

  • Nous y sommes, dit Tizian.
  • Crois-tu que nous allons retrouver Girolam et les autres ? questionna Zilia.
  • J’en suis certain, répondit Tizian, nous n’allons pas tarder à les revoir. Avançons vers la ville, mais restons à l’abri des routes, prenons les chemins de traverse, évitons aussi les auberges et les maisons.

 

Rose avait repéré Girolam et ses compagnons plus loin dans la plaine, qui avançaient eux aussi vers le palais du magicien. Pour les protéger, elle dressait sans cesse un rideau d’arbres et d’arbustes touffus autour d’eux.

 

Ils se remirent en route, le léopard les suivait toujours mais semblait fou de rage.

 

  • Je vais envoyer Eostrix en reconnaissance chercher Girolam et les autres, dit Zilia, s’ils sont ici, il les trouvera et les orientera vers nous.

 

A ces mots, l’oiseau s’envola aussitôt et disparut dans les airs. Il volait en très haute altitude à la recherche de Girolam, et ne tarda pas à apercevoir le groupe qui avançait avec précaution le long des chemins détournés. Il fondit vers eux et vint se poser sur la main de Girolam qui poussa un cri de joie.

 

  • Ils sont là ! Eostrix est venu nous chercher ! dit-il, suivons le et nous retrouverons Tizian et les autres ! s’écria-t-il.

   

L’oiseau voletait devant eux et se posait sur toutes les branches en les attendant. Petit à petit, il les guida vers leurs compagnons qui continuaient à avancer. Même si la distance était courte en ligne droite pour l’oiseau rapide, elle était tortueuse et dangereuse pour les voyageurs. Il fallut plusieurs jours de marche et d’esquives pour éviter les patrouilles et les sentinelles, habilement déjouées par Girolam et Eostrix, pour traverser la plaine et se rapprocher de l’autre équipage. Rose veillait de son côté à ce que Girolam et ses compagnons soient toujours au coeur d’un labyrinthe végétal protecteur.

 

Sans que nul ne se douta du rôle que la jeune femme avait joué dans leurs retrouvailles, ils se rejoignirent enfin un soir. Parce qu’ils étaient jumeaux, une connivence particulière unissait Tizian et Girolam malgré leurs différences, qui décuplait la perception qu’ils avaient l’un de l’autre, et longtemps avant leurs compagnons, ils surent qu’ils allaient se revoir promptement. Tizian était si certain que son frère était proche qu’il fit arrêter son groupe un soir dans une clairière pour l’attendre, lui et ses compagnons. Ils avaient allumé un petit feu et faisaient cuire de la viande et des galettes pour le repas. Girolam, précédé par l’oiseau et suivi par Clotaire, Ombeline, Désie et les montures surgirent soudain de l’ombre et s’approchèrent du foyer. Olidon était assis sur Fleur de Coton, hébété.

 

Les deux frères s’étreignirent, ils avaient pendant un temps pensé ne jamais se revoir après le drame de la gorge. Mais plus fort que le scepticisme, l’espoir avait pris le dessus et rapidement ils n’avaient plus douté de finir l’aventure ensemble. Girolam prit Zilia dans ses bras et la serra fort, sans avoir besoin de parler. Rose et Ombeline s’embrassèrent, puis Rose vit que Olidon ne se comportait pas comme à son habitude. Ombeline lui expliqua ce qui était arrivé, qu’elle avait planté une graine de l’arbre de paix là où Olidon avait été sauvé, et qu’une gigantesque forêt avait poussé derrière eux. Rose eut un battement de coeur lorsqu’elle comprit que le pouvoir de l’arbre de paix s’étendait même au delà de ce qu’elle avait imaginé. Mais Ombeline avoua qu’Olidon n’avait jamais recouvré ses esprits depuis l’enlèvement, il avait perdu la mémoire et ne reconnaissait plus personne. Désie restait à l’écart de ces retrouvailles, distante et comme étrangère à ce qui se passait.

 

Zeman s’approcha à son tour d’Olidon et diagnostiqua le mal, c’était bien une drogue qui avait provoqué cet état d’amnésie. Il avait dans ses sacs un antidote qu’il essaya aussitôt. Cependant, malgré tout l’art du guérisseur, le contrepoison n’agit pas, Olidon restait amorphe et ne se souvenait de rien.

 

  • Et si c’est moi qui le lui donne, est-ce que ça peut marcher ? demanda Rose, il me connait bien.    
  • Peu importe qui lui administre, répondit Zeman, tu peux tenter mais je n’ai pas ce qu’il faut pour annihiler une drogue aussi puissante, je ne sais pas ce qui peut le faire sortir de sa torpeur. Et même, plus ennuyeux, je me demande si Jahangir n’a pas moyen de communiquer avec lui dans cet état.
  • Aïe, dit Ombeline, c’est le pire qui puisse nous arriver.
  • Et si c’est le cas, il ne peut pas poursuivre avec nous, poursuivit Tizian, nous avons besoin de rester cachés le plus longtemps possible.
  • Nous ne pouvons pas le laisser tomber, répliqua Rose qui se rapprocha d’Olidon comme pour le protéger. Pas question de l’abandonner.

 

Tizian n’approuvait pas cette décision, mais il ne voulait pas contrarier Rose.

 

  • Nous trouverons un moyen, dit Rose. Il n’y a rien que la pimpiostrelle ne sache guérir, il doit bien nous en rester ?
  • Nous avons trouvé de la pimpiostrelle sur notre route, dit Ombeline en se levant, nous en avons ramassé autant que nous pouvions. Tu pourras fabriquer de nouvelles potions et de nouveaux onguents, Zeman.

 

Elle vida ses poches et son sac devant le guérisseur qui s’en empara aussitôt avec avidité. Girolam, Désie et Clotaire ajoutèrent leurs cueillettes à celle d’Ombeline qui compléta avec le contenu des besaces d’Olidon. Les yeux de Zeman se mirent à étinceler devant la masse de fleurs jaunes étendue devant lui.

 

Tandis que Zeman commençait à travailler les pimpiostrelles, Ombeline vit s’avancer vers elle Sklépios qui émergea d’un buisson, et recula devant la taille impressionnante de l’animal. Le fauve baissa la tête et vint poser sa truffe humide sur la main de la jeune fille, cherchant une caresse, puis se tournant vers Désie, l’animal feula sourdement et s’éloigna.

 

  • C’est Sklépios, nous l’avons rencontré dans la montagne, et depuis il nous suit, expliqua Zilia. Il est amical, mais depuis que nous sommes dans la plaine, il est visiblement en colère.
  • Le comportement de Sklépios avec Désie est curieux, pensa Ombeline, il ne la connaît pas et pourtant elle ne lui plait pas, elle ne fait aucun effort pour se faire aimer. Peut-être Zeman a-t-il raison quand il dit qu’elle émet des ondes négatives.

 

Amédée était demeuré dans l’ombre des arbres lorsqu’il avait aperçu le léopard, il voyait devant lui Tizian, Rose et Zilia et son coeur d’animal était en paix. Quand il se fut assuré que le léopard n’était pas agressif, il sortit dans la clairière, s’approcha de Tizian et s’allongea à ses pieds. 

 

Cela faisait bien longtemps maintenant que leur groupe avait été séparé et la soirée autour du feu fut l’occasion de se raconter toutes leurs aventures. Ils parlèrent tard dans la nuit, protégés par les hauts arbres qui les entouraient, Rose veillant sur la clairière à distance depuis les cimes, Sklépios et Amédée toujours en alerte, Eostrix et Poil Noir profondément endormis. Désie s’était couchée tôt, n’aimant pas se mêler aux réjouissances avec les autres. Olidon était étendu sous une couverture, inconscient, sa guiterne muette posée à côté de lui.

 

Assis à l’écart, Zeman observait la forme endormie et restait silencieux, taiseux comme à son habitude. Vexé par son incapacité à guérir le jeune homme, il réfléchissait au moyen de réveiller Olidon tout en pilant de la pimpiostrelle et en la mélangeant avec ses préparations. Il détestait l’idée que Jahangir fut si puissant et lui-même si ignorant. Tandis que ses compagnons conversaient, il essaya plusieurs solutions pour tirer Olidon de son sommeil factice. Quelques gouttes de potions, un onguent sur le front et au bord des narines, rien n’y faisait. Il finit par essayer de l’hypnotiser. Il fixa les yeux fermés et tenta de percer le regard sous les paupières. Zeman mit toute son énergie et sa concentration à vaincre la volonté profonde d’Olidon. Petit à petit, la résistance du jeune homme faiblit, Zeman réussit par la force de la suggestion à lui faire relever ses cils et montrer ses prunelles, Olidon ouvrit enfin ses yeux.  

 

Sans qu’aucun des convives ne leur prête attention, les deux protagonistes se mirent à lutter l’un contre l’autre muettement par le regard. Zeman comprit que Jahangir avait pris le pouvoir sur Olidon, le garçon n’était pas de taille à lutter contre la volonté du sorcier. Jahangir pouvait écouter leurs conversations par le truchement des oreilles du jeune homme, et savoir à tout instant où ils se trouvaient grâce à ses yeux. Jahangir aurait pu même lui faire dire des pensées négatives s’il avait pu le faire parler, mais Olidon devait opposer une certaine résistance au pouvoir du magicien et s’était réfugié dans une semi-inconscience protectrice.

 

Zeman était satisfait de pouvoir communiquer avec Olidon, il essayait de trouver un moyen de contrecarrer le stratagème de Jahangir, en lui renvoyant des informations contradictoires et des messages trompeurs.

 

Rose s’approcha de lui et Zeman lui fit signe de se taire et de s’éloigner du champ de vision d’Olidon. Sans véritable explication, Rose comprit immédiatement qu’Olidon devait être une sorte d’émetteur récepteur à la solde de Jahangir, malgré lui. Epuisés par l’effort, les yeux d’Olidon se révulsèrent et se refermèrent. Rose et Zeman le firent rouler sous la couverture afin qu’il leur tourne le dos. Puis par gestes, Zeman décrivit à Rose le probable rôle que Jahangir faisait jouer à Olidon. A cet instant Girolam s’approcha d’eux et Rose lui expliqua à voix basse ce que venait de lui dire Zeman.

 

  • Que pouvons-nous transmettre comme fausse information à Jahangir par le biais d’Olidon ? demanda Rose
  • Je pense à Matabesh et son armée, nous pourrions dire que nous nous dirigeons vers leur campement, dit Girolam.
  • Jahangir n’est pas stupide, le coupa Zeman, il ne croira jamais une stratégie aussi simpliste. Qu’est-ce qu’on irait faire avec Matabesh alors qu’on s’est toujours débrouillés tous seuls ?
  • Je crois alors qu’il est trop tard, dit Rose au bord des larmes, Jahangir doit savoir que nous sommes réunis et prêts à nous approcher de lui. Tizian a peut-être raison, si Olidon doit nous trahir, nous ne pouvons pas repartir avec lui.
  • J’ai peur qu’Olidon soit condamné, ajouta Zeman, la dose de drogue qui lui a été inoculée était trop forte, il ne semble pas réactif aux antidotes et je n’arrive pas à le réveiller.
  • Sauve mon ami, Zeman, le supplia Rose, il n’a pas fait tout ce chemin pour venir mourir dans cette forêt. 

 

Tandis que Zeman se levait et s’éloignait à la recherche d’une idée, Rose s’approcha d’Olidon et prit sa guiterne. Tout en pinçant les cordes, elle se mit à chanter des airs qu’Olidon et elle jouaient dans les campagnes, alors qu’ils cherchaient l’arbre de paix. Lorsqu’elle s’arrêtait, elle mettait la main dans sa poche et faisait rouler une graine de l’arbre extraordinaire. Il lui sembla que quelques particules de la graine se détachaient et restaient collées sur ses doigts. Sortant la main, elle regarda ses phalanges et vit de minuscules morceaux de graine éparpillés sur sa peau, qu’elle rassembla en une boulette. Subrepticement, alors que personne ne la voyait, elle fit glisser la pilule entre les lèvres d’Olidon et attendit, reprenant la guiterne et entamant une nouvelle chanson.

 

Comme à son habitude, l’arbre de paix réagit vite et quelques instants plus tard, Olidon eut un hoquet et se mit à tousser de plus en plus fort, ce qui le réveilla. Il s’assit alors sans effort et regarda Rose.

 

  • Hey ! dit-il, où suis-je ? Rose ? je croyais qu’on était séparés ?

 

Et soudain, alors que rien ne le laissait prévoir, Olidon se mit à vomir un liquide vert et gluant qui troua la couverture comme un acide. Zeman accourut aussitôt et vit qu’Olidon allait mieux. Rose exultait, elle regardait Olidon et pensait à l’arbre de paix et à tous ses bienfaits.

 

  • Comment as-tu fait Rose ? demanda Zeman stupéfait, ne me dis pas que c’est grâce à l’arbre de paix ?
  • Je crois que si, répondit Rose.
  • Olidon semble guéri, il est sorti de sa léthargie et il a évacué la drogue de Jahangir, il est bien revenu parmi nous.

 

Tous les compagnons arrivèrent sur ces entrefaites et se réjouirent de la guérison d’Olidon, sauf Désie qui dormait déjà depuis longtemps. Zeman expliqua à Tizian que Jahangir avait dû les espionner par l’intermédiaire des yeux et des oreilles de leur ami.

 

  • Il sait donc où nous sommes et ce que nous avons l’intention de faire, dit Tizian. Il a donc l’avantage sur nous, il nous faudra être plus malins que lui désormais.

 

Il était temps de dormir, dès le lendemain ils partiraient vers la demeure de Jahangir. Ils devaient se préparer à affronter le magicien, or celui-ci semblait toujours avoir quelques longueurs d’avance sur eux. Il leur fallait désormais inverser la tendance. 

 

 

 

 

 

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