Girolam regardait sans y croire la faille qui s’élargissait à ses pieds tandis que son frère et ses compagnons glissaient vers l’inconnu et le néant. Il vit avec horreur Borée emporté par la boue et Tizian roulé dans les buissons allant s’échouer au loin sur un rocher, lui-même entraîné par la violence du séisme.
Zilia lui adressait des signes désespérés mais la distance et le vacarme étaient si grands qu’il ne pouvait l’entendre. Le jeune homme se demandait s’ils survivraient à ce déchaînement apocalyptique de la nature, il n’était même pas certain que Tizian fut toujours vivant. Ombeline, Désie, Clotaire et Olidon s’approchèrent de lui avec précaution, mais Girolam les fit reculer car la terre était trop meuble et menaçait de s’effondrer sous leurs pieds pour les précipiter dans la faille.
Ne pouvant risquer d’être ensevelis ou emportés par le torrent de boue, la mort dans l’âme, ils prirent les rênes de leurs montures et s’éloignèrent du ravin meurtrier. Nul ne parlait, seul Amédée hurlait de rage en voyant son impuissance à rejoindre Tizian et ne bougeait pas. Il finit par les suivre à contre coeur quand la faille devint si large qu’il ne voyait plus rien de l’autre côté. Au fond de l’abysse montait le grondement de la boue en fusion qui ne voulait pas se calmer.
Ils remontèrent lentement le long de la gorge en restant suffisamment éloignés du bord pour ne pas glisser vers la rivière déchaînée. Petit à petit la pente s’éleva et au bout de quelques heures d’une marche pénible, le sol devint moins boueux, plus pierreux, le torrent avait regagné son lit et coulait au fond de la profonde ravine en roulant furieusement. Il n’y avait aucune possibilité de traverser pour passer sur l’autre rive, les pentes étaient trop escarpées et aucun pont n’existait. Ils finirent par dépasser la limite des arbres et arrivèrent sur un plateau rocheux où une végétation hirsute poussait ça et là. La pluie avait cessé et le soleil avait refait son apparition. Devant eux se dressaient de hautes montagnes rouges, et ils aperçurent enfin l’extrémité de la gorge devant eux. Une cascade jaillissait d’un amas de rochers et formait en tombant en bas du ravin profond une petite cuvette d’où partait le torrent. Ils approchèrent de la chute d’eau et remplirent les gourdes sous le jet clair et scintillant. Ils s’abreuvèrent, et firent boire les montures tandis que le loup vint lapper une flaque dans un creux de rocher.
- Il se peut qu’il y ait des ours par ici, dit Girolam, il nous faut trouver un abri pour la nuit et nous reposer. Hélas, Zilia n’est plus avec nous pour nous guider vers une grotte protectrice.
- Nos armes sont abîmées, je vais essayer de les réparer, répondit Clotaire qui avait besoin de frapper du métal pour se consoler d’avoir été impuissant à sauver ses compagnons. Mais je n’aurai pas le temps de fabriquer la cuirasse pour Désie, il y a trop à faire.
- Je cueille ce que je trouve, et je fabriquerai quelques potions pour nous soigner, murmurait Olidon qui n’était pas certain de réussir à fabriquer quoi que ce soit sans l’accompagnement de Zeman.
Ils découvrirent une anfractuosité dans la roche rouge de la montagne où ils pourraient se pelotonner les uns contre les autres une fois la nuit venue. Amédée bondit sur un rocher en hauteur qui surplombait leur campement et observa les alentours, les narines frémissantes et le regard acéré. Ombeline et Girolam étrillèrent les chevaux et l’âne tandis que Clotaire avait allumé un petit feu et réparait les armes tant bien que mal. Les rudes combats contre les araignées et les scarabées avaient émoussé les pointes et les fils des épées et des dagues. Olidon écrasait des herbes fraîches avec une grosse pierre ronde et faisait bouillir de l’eau sur le feu. Désie fit cuire quelques galettes qu’ils mangèrent avec des baies cueillies le long du chemin.
Lorsque l’obscurité s’installa, ils s’étendirent sous la protection de l’abri de rochers et firent chacun à leur tour le guet pendant la nuit. Aucun animal sauvage ne vint troubler leur sommeil.
Dès l’aube le lendemain matin, ils étaient repartis en sens inverse, tentant de regagner la forêt tropicale sur l’autre rive. La route n’était pas très différente de celle de la veille, mais en longeant une avancée rocheuse, Ombeline poussa un cri en regardant par dessus les pierres :
- Des pimpiostrelles ! fit-elle, abasourdie
- Quoi ? répondit Olidon en bondissant sur le parapet lestement.
- Regardez, c’est incroyable, il y en a partout ! s’écria Ombeline en se tournant vers ses compagnons qui s’avancèrent.
- Ces fleurs sont belles, constata Désie.
A leurs pieds s’étendait un champ de fleurs jaunes entouré de pics, qui poussaient là en plein courant d’air, leurs corolles délicates se balançaient au gré du vent. Sans même se concerter, ils se précipitèrent et se mirent à cueillir les fleurs et à les entasser dans toutes les poches et sacs dont ils disposaient. Les montures reçurent leur part du trésor jaune. Dans ce coin perdu, aucun oiseau dragon ne vint les attaquer pour protéger son territoire, ils purent ramasser leur récolte en toute liberté.
Lorsqu’ils repartirent, leurs poches étaient à peine alourdies par la cueillette des pimpiostrelles, mais leurs coeurs étaient plus légers, comme si la découverte du champ de fleurs était un signe que les choses allaient s’améliorer et qu’il ne fallait surtout pas perdre espoir. Ils n’osaient pas parler de leurs compagnons disparus, de peur de leur porter malheur si par miracle ils n’étaient pas déjà morts.
Ils avançaient désormais d’un pas vif, alternant les périodes de monte avec celles de marche et accéléraient leur allure sans même s’en rendre compte sur le chemin qui descendait le long de la gorge. Ils atteignirent ainsi rapidement le faîte des arbres et replongèrent dans la forêt tropicale, laissant derrière eux sans regrets les montagnes rouges et les champs de pimpiostrelles. La rivière rugissait encore au fond de la ravine et les pentes conservaient les traces de la dévastation du torrent de boue. Bientôt ils quittèrent les rives abruptes pour s’enfoncer plus profondément sous la frondaison. Ils étaient au milieu d’une végétation dense et protectrice, mais dangereuse, aussi ils guettaient sans cesse les moindres bruits et particularités du sentier pour éviter un accident.
Bien qu’attentifs et prudents, ils n’imaginèrent pas que le péril pouvait venir d’en-haut et ils furent soudain encerclés d’une horde d’individus assez petits et vêtus sommairement qui descendirent des arbres avec agilité. Alors qu’ils étaient bloqués dans leur course par ces créatures visiblement hostiles, certaines s’écartèrent et laissèrent passer une silhouette féminine qui s’avança vers eux et se mit à leur parler. Elle s’exprimait dans une langue rauque et désagréable, et heureusement Girolam qui avait appris de nombreux langages en connaissait un proche qui lui permit de comprendre ce que disait la femme.
Elle était jeune et assez laide, petite, trapue et très brune. Elle avait de gros yeux globuleux et semblait très musclée, et sa mine était menaçante. Lorsqu’elle eut fini de parler, à la grande surprise des assaillants et de ses compagnons, Girolam lui répondit du tac au tac et la conversation s’engagea. Une autre créature masculine s’approcha et commença à échanger à son tour avec Girolam.
Malgré son appréhension, Ombeline ressentait une grande fierté d’être l’amie de Girolam, un prince si doué capable d’improviser en toute circonstance. Désie baissait les yeux et son visage n’exprimait rien comme à son habitude. Olidon, et Clotaire n’en croyait pas leurs oreilles, ils voyaient l’agressivité des attaquants diminuer au fur et à mesure que Girolam parlait. Celui-ci se tourna enfin vers eux pour leur expliquer ce qui se passait.
- Ce sont des résistants, ils n’ont pas accepté l’invasion de Jahangir et ont fui dans la forêt. Cela fait des années maintenant qu’ils se cachent pour échapper à la surveillance du magicien. Ils changent sans cesse de lieu d’habitation pour ne pas être repérés, vivent dans les arbres ou sous la terre, ou dans les grottes, partout où ils peuvent survivre et ne pas se faire attraper. Parfois certains se font piéger, en chassant par exemple, et ils sont obligés de les abandonner pour sauver tous les autres, dit Girolam.
- Eh bien ! murmura Désie.
- Et comment as-tu fait pour gagner leur confiance ? demanda Ombeline
- Ils nous suivent depuis un moment, ils ont assisté à notre déroute, et ils nous ont vu revenir. Ils se doutent que nous fuyons aussi leur ennemi, répondit Girolam. Je n’ai pas eu grand chose à dire pour convaincre la femme.
- Et que nous veulent-ils ? pourquoi nous ont-ils piégés ? interrogea Olidon, nous ne nous sommes aperçus de rien.
- Non, dit Ombeline, Rose ou Zeman ou même peut-être Zilia auraient remarqué que nous étions poursuivis.
- Nous les intéressons, ils veulent savoir pourquoi nous sommes là et ce que nous allons faire. Ils veulent nous aider, d’abord en nous guidant vers la sortie de la forêt qui mène là où vit Jahangir, peut-être en se joignant à nous. Je leur ai expliqué que nous étions venus pour mettre fin à la domination de ce sorcier sur le monde, reprit Girolam.
- Et ils t’ont cru ? questionna Clotaire
- On dirait, fit Girolam. Enfin il nous faudra faire nos preuves, c’est évident.
- Qui est cette femme, demanda Ombeline, c’est leur cheffe ?
- Je crois que oui, en quelque sorte, elle semble courageuse et déterminée. Elle s’appelle Jalla, et l’autre homme, son compagnon est Esparo. D’après ce que j’ai compris, elle est à l’origine de la communauté, elle a toujours refusé de se soumettre à qui que ce soit, Jahangir ou autre, poursuivit Girolam.
- Que t’a-t-elle raconté d’autre, dit Olidon, comment vivent-ils ?
- Nous allons les suivre dans une cachette secrète et ils vont nous raconter leur histoire. Ils voudraient que nous laissions les chevaux qui risquent de nous faire repérer, mais c’est impossible, je n’abandonnerai pas Joran, répondit Girolam en regardant son fidèle compagnon de route.
- Ni moi Fleur de Coton, affirma Olidon qui caressait l’encolure du petit âne avec tendresse.
- C’est bon, allons-y, dit Ombeline, il nous faut avancer, inutile de traîner ...
Girolam se tourna vers Jalla et Esparo et leur fit signe qu’ils étaient d’accord pour les suivre, et acceptaient leurs conditions mais gardaient les montures. Aussi tous se mirent en route sur l’étroit sentier et bientôt se glissèrent sous un rideau de lianes tombantes et disparurent au milieu des arbres géants. Amédée les suivait de loin en retroussant ses babines et en montrant ses crocs, il n’arrivait toujours pas à accepter la disparition de Tizian qu’il considérait comme son seul maître.
- La frondaison leur permet de ne pas être vus des oiseaux dragons qui ne cessent de faire des rondes au dessus de la forêt, traduisit Girolam qui conversait avec Jalla.
Le petit peuple de la forêt se mouvait avec une grande aisance au milieu des arbres et des plantes exubérantes. Olidon admirait les magnifiques fleurs de couleur qui poussaient sur les arbustes et cueillait de temps en temps une corolle tentatrice qu’il glissait dans sa besace. Plusieurs indigènes le regardaient faire sans comprendre.
Après une petite marche, ils arrivèrent dans une minuscule clairière à peine éclairée par la lumière du jour tant les branches des hauts arbres formaient un filtre protecteur. D’autres habitants se trouvaient là, autour d’une sorte de brasero qui laissait échapper une fumée épaisse et odorante autour d’eux. A la grande surprise des compagnons, lorsqu’ils traversèrent le nuage et pénétrèrent au coeur du village improvisé, ils comprirent soudain le langage de leurs hôtes.
- Mais quelle est cette magie ? disait Clotaire qui ne cessait jamais de s’étonner de tout ce qu’il voyait depuis qu’il avait quitté ses montagnes. Comment est-il possible que nous parlions leur langue et eux la nôtre sans les avoir apprises ?
- C’est étonnant, fit Désie, comment font-ils ?
- Bienvenue, répondaient les villageois, bienvenue dans notre humble cachette.
- Merci pour votre accueil, reprenaient tour à tour Girolam et Ombeline qui regardaient autour d’eux et admiraient l’habileté de la tribu à adapter son habitat à l’environnement et la magie qui leur permettait de se comprendre avec les autochtones.
Des cabanes de branches étaient disséminées un peu partout, à terre, accrochées dans les branches des arbres et quelques trous creusés dans le sol devaient servir pour préparer les repas car ils contenaient des bols et des plats en terre cuite et en bois. Toutes les constructions étaient si bien intégrées à la végétation qu’elles se confondaient avec elle, et le village était parfaitement camouflé.
- Oh ! faisait Désie les yeux écarquillés et la bouche ouverte de surprise devant ce village si inattendu.
Elle ne se rendait pas compte que son physique de petite bonne femme rondelette, ses mains sur ses hanches, son visage aux joues rouges, ses tresses nouées au sommet de son crâne et ses grosses bottes intriguaient les villageois qui n’avaient jamais rien vu de pareil.
Certains habitants semblaient méfiants et se tenaient à l’écart, mais Jalla présenta les voyageurs pour les rassurer. Néanmoins, les femmes et les enfants restaient distants tandis que les hommes s’approchaient pour les examiner de plus près. Les compagnons de Jalla, qui étaient des guerriers, y compris Esparo, encadraient leur cheffe et gardaient un air menaçant pour impressionner les étrangers. Jalla expliquait que Girolam et ses amis étaient venus pour mettre fin à la domination de Jahangir.
- Nous résistons depuis longtemps, depuis que Jahangir a pris le pouvoir en destituant le prince Cosimo, qui régnait avant lui. Cosimo n’était pas un mauvais prince, nous vivions en liberté et en paix. Mais Cosimo ne voyait pas le mal, il ne s’est pas méfié, il a été enlevé, nul ne sait ce qu’il est devenu. Son armée était une armée d’apparat, il n’a rien pu faire contre la détermination de Jahangir qui l’a détrôné sans même se battre, disait-elle.
- C’est ce qui pourrait se produire à Phaïssans chez nous et dans bien d’autres royaumes quand Jahangir sera prêt, répondit Girolam. C’est pourquoi mon père nous a envoyé pour le combattre.
- Mais que pouvez-vous faire contre un magicien si puissant et qui possède une armée entraînée, des oiseaux dragons qui surveillent tout ce qui bouge ici, et des armes secrètes dont nous n’avons jamais entendu parler ? demanda Jalla.
- Nous étions plus nombreux, malheureusement la moitié d’entre nous a disparu dans le cataclysme de la rivière. Nous ne savons pas si nos compagnons sont toujours vivants ni où ils peuvent se trouver. Nous disposons d’armes et de pouvoirs, c’est ce qui fait notre force.
- C’est bien mince comme défense, constata Jalla. Quant à vos amis, personne ici ne les a vu et pourtant nous surveillons sans cesse la forêt.
- Nous n’avons pas encore établi de stratégie pour attaquer Jahangir car nous ne connaissons pas notre ennemi, dit Girolam qui ne voulait pas donner une trop mauvaise opinion de ses compagnons à leurs hôtes.
- Savez-vous qu’une armée a débarqué il y a quelques jours pas loin d’ici ? questionna Esparo.
- L’armée de Matabesh ? s’écria Girolam stupéfait par la bonne nouvelle.
- Vous les connaissez donc ? insista Esparo.
- Non pas vraiment, Matabesh est le roi de Vallindras, un pays de montagnes aux confins de notre univers. Lui aussi a des oiseaux dragons. Nous l’avons simplement rencontré lors d’une promenade. Mais je savais qu’il voulait traverser l’océan pour venir combattre Jahangir
- Je vais vous mener à un endroit où vous pourrez l’observer, dit Jalla. La bataille a commencé entre son armée et celle de Jahangir … il y a déjà beaucoup de cadavres des deux côtés…
- C’est loin d’ici ? demanda Girolam, pouvons-nous y aller maintenant ?
- Oui, nous pouvons y arriver avant la nuit.
- Allons-y, répondit Girolam, Clotaire viens avec moi.
- Et moi je reste ici avec Olidon et Désie, répondit Ombeline.
- Nous avons un loup avec nous, dit Girolam, il est apprivoisé et il s’appelle Amédée. Il n’y a rien à craindre même si parfois il est de mauvaise humeur.
- Nous l’avions repéré, fit Esparo, mais il sait parfaitement s’esquiver et nous n’avons pas réussi à l’attraper.
- Ne lui faites pas de mal, dit Ombeline.
Girolam, Clotaire, Jalla et quelques guerriers se mirent en route aussitôt, Amédée sur leurs talons. Le jour baissait et les indigènes se dirigeaient sans hésitation dans la pénombre au milieu de la végétation. Leurs pieds étaient enveloppés dans des souliers de peau d’une grande souplesse qui leurs permettaient de se déplacer sans bruit, dont les semelles étaient couvertes de plaques végétales anti-dérapantes cousues qui facilitaient l’escalade de troncs d’arbres ou de rochers.
Girolam et Clotaire étaient moins à l’aise avec leurs grosses bottes de cuir usées pour avancer sans bruit, mais ils étaient si entraînés à la marche qu’ils suivaient sans problème leurs guides. Après quelques détours et contournements de zones dangereuses habilement évitées, ils débouchèrent à l’extrémité de la forêt au bord d’une falaise abrupte qui dominait une large plaine encaissée. Ils purent rester masqués au milieu des arbres et regarder en bas sans être vus. Au fond de la vallée ils apercevaient la mer et le campement de l’armée de Matabesh. La nuit n’était pas tout à fait tombée et dans le soleil couchant ils virent au lointain une horde de navires se détacher sur le feu du ciel. Sur la plaine qui commençait à se noyer dans la brume, ils apercevaient des ombres qui se battaient au corps à corps. Des éclats étincelaient dans la lumière du soir tandis que les épées tranchaient les têtes et les membres et des flèches enflammées volaient au dessus des formes informes qui jonchaient le sol. Des bruits sourds de chutes et des chocs métalliques parvenaient à leurs oreilles, au milieu de grognements de douleur et de cris de rage. Une âpre odeur de sang et de mort montait jusqu’à leurs narines et soudain Amédée jaillit à leurs côtés et se mit à hurler, campé sur ses pattes et déployant sa gorge pour donner plus de puissance à sa plainte.
Les indigènes surpris se replièrent sous la ramée et pointèrent leurs armes vers le loup, mais Amédée bondit aux pieds de Girolam qui lui caressa l’encolure.
- Cela fait plusieurs jours que cette bataille dure, aucun des deux camps n’arrive à vaincre l’autre. Quand il fait jour, le nombre de morts sur le sol fait peur à voir, murmura Esparo.
- C’est un véritable carnage, répondit Girolam qui observait chaque zone de la vallée avec attention.
Soudain il aperçut en haut d’une colline qui surplombait la plaine ensanglantée un cavalier qui regardait comme eux la scène de bataille. Girolam reconnut la silhouette de Matabesh. Il était entouré de quelques généraux qui assistaient impuissants au massacre de leurs troupes.
- Que faire, demanda Girolam dois-je le rencontrer ?
- Tu ne peux pas aller là-bas, tu te feras massacrer par les sentinelles de Jahangir qui rodent partout, répondit Jalla. Et nul parmi nous ne t’accompagnera c’est trop risqué.
- Je dois pourtant le tenter, dit Girolam, il faut unir nos forces et Matabesh doit savoir qu’il n’est pas seul et que nous poursuivons le même combat.
- Tu es fou Girolam, insista Esparo.
- Je suis un guerrier, je n’ai pas peur. Attendez-moi ici pendant une heure, et si je ne suis pas revenu, retournez au village et prévenez Ombeline et Olidon.
Clotaire sentait qu’une étape était franchie dans leur quête, le danger désormais était partout. Par chance ils avaient rencontré cette tribu amie qui les aidait, mais le reste du monde était hostile. Il regarda Girolam s’éloigner sous le couvert des arbres en direction de la colline et ne put s’empêcher d’admirer une fois de plus son courage.
Girolam n’avait jamais eu peur de sa vie, il avait un peu de pimpiostrelle dans ses poches au cas où il se blesserait, il avait son épée à la main et il sentait la puissance de l’aventure couler dans ses veines. Il lui semblait qu’ils approchaient enfin de leur but, Jahangir ne devait plus être très loin, les choses allaient se durcir et il faudrait être prêt à se battre à tout moment désormais. Il descendit lestement le long de la falaise en s’agrippant aux arbres et aux lianes qui poussaient sur les pentes escarpées. Parvenu au pied de la falaise, il se coula silencieusement le long des arbres en se fondant dans leur ombre protectrice. Il mettait en pratique tous les enseignements de Zilia pour tout voir sans être vu dans le noir. Et il atteignit le bas de la colline où se trouvait Matabesh sans encombre. Comme un animal nocturne qui cherche sa proie, il parvint au pied des soldats sans que nul ne l’ait remarqué, alors il bondit au milieu d’eux comme un félin et désarçonna Matabesh en bousculant son cheval.
- Que se passe-t-il ici, gronda le roi en se retrouvant à terre les quatre fers en l’air.
- Je suis Girolam, fils de Xénon, je viens en paix vous rendre visite, répondit Girolam alors que les généraux avaient dégainé leurs épées et pointaient leurs lames acérées vers lui.
- Baissez vos armes, dit Matabesh en se relevant, j’accepte de parler avec le fils de Xénon, ce vieil égoïste ! Je reconnais ce jouvenceau que j’ai déjà rencontré à Vallindras. Tu n’étais pas fier à l’époque jeune homme, tu voulais me faire croire que tu t’étais perdu ! Toi et ton idiot de frère ! où est-il passé celui-là ? Au début j’ai cru que vous étiez des espions à la solde de Jahangir, mais j’ai appris que Xénon vous avait envoyés en mission chez moi je ne sais pour quelle quête saugrenue, avant de vous faire partir chez Jahangir. Je n’ai jamais su ce qu’il était advenu de l’homme qui devait vous suivre et vous démasquer, mais j’avais d’autres informateurs zélés qui m’ont renseigné. Dommage que cet idiot de Rosban ait déserté, c’était l’un de mes meilleurs éléments, un soldat zélé hors du commun, je l’aurais bien emmené avec moi ici.
Girolam se souvenait parfaitement de la scène de combat où ll’espion cruel avait été vaincu par la flèche de Zilia, mais il préféra taire la mort du soldat, ne voulant pas provoquer la colère du roi en ce moment de négociation.
- Tu as raison, Matabesh, Xénon nous avait ordonné de trouver de la pimpiostrelle, c’est pourquoi tu nous as croisés dans la forêt à Vallindras.
Matabesh éclata d’un rire tonitruant mais aussitôt il rugit de fureur. Il avait toujours un physique athlétique malgré son âge avancé, Girolam le soupçonna d’utiliser la pimpiostrelle pour rester jeune et vaillant.
- De quel droit Xénon a-t-il permis que vous vous introduisiez chez moi pour me voler cette plante rare ? Et avez-vous ramené de la pimpiostrelle ?
- Oui, nous avons pu en cueillir, répondit Girolam, convaincu qu’il fallait sur ce sujet dire toute la vérité à Matabesh, le temps n’était plus aux secrets.
- Comment avez-vous pu dérober des pimpiostrelles ? vous avez pénétré dans le champ de fleurs malgré les oiseaux dragons ?
- Il n’y en avait que deux, nous avons réussi à détourner leur attention, ils nous ont laissé en ramasser quelques bouquets, expliqua Girolam qui ne mentionna pas le berger pour ne pas le trahir.
- Non, c’est impossible, j’avais quatre oiseaux dragons, nul ne m’a dit qu’il n’en restait que deux. Mais que faisaient mes herboristes ? explosa Matabesh.
- Il n’y avait personne, poursuivit Girolam, je soupçonne que tes herboristes ont laissé Jahangir te dérober deux oiseaux dragons et des racines de pimpiostrelles. Et eux-mêmes semblent avoir disparu.
- Et dire que je faisais confiance à ces gredins, on ne m’y reprendra pas ! Décidément, entre eux et Rosban, je ne pouvais m’appuyer sur personne, reprit Matabesh pour qui toutes ces considérations n’avaient en cet instant plus grande importance. Allons bon, avez-vous réussi à approcher cette vermine de Jahangir ?
- Non, pas encore, répondit Girolam, notre groupe a été séparé par un cataclysme provoqué par Jahangir. Je ne sais pas où partis sont les autres, nous sommes quatre et nous continuons la mission en espérant retrouver Tizian, Zilia et nos autres compagnons sur notre route. Je venais aux nouvelles, car j’ai vu la bataille dans la plaine et vous semblez avoir perdu beaucoup d’hommes.
- Peut-être, grommela Matabesh, mais Jahangir en a perdu tout autant. Alors ce fou de Xénon a réellement sacrifié ses fils pour sauver son trône ? Sais-tu qu’il est le seul monarque resté là-bas, tous les autres rois sont ici avec moi, ils ont laissé leurs royaumes pour m’accompagner dans cette grande guerre contre notre ennemi commun.
- Tizian vous a vu à Astarax préparer la flotte et former vos armées, reprit Girolam, je savais que vous projetiez de venir défier Jahangir. Nous sommes partis depuis de nombreuses années maintenant, les choses ont probablement bien changé à Phaïssans, à Vallindras et ailleurs, mais nous avons beaucoup appris de nos aventures.
- Après avoir quitté Astarax, poursuivit Matabesh, nous avons traversé l’océan sous des vents favorables qui nous ont portés jusqu’ici. Je n’avais jamais fait un voyage aussi rapide ni dans d’aussi bonnes conditions, pas la moindre tempête, pas de vagues traîtresses, un voyage parfait si l’on peut dire quand on songe à l’enjeu.
- Lamar a aidé la flotte de Matabesh à arriver à bon port malgré les vents contraires et les tempêtes de Jahangir, pensa Girolam à l’écoute de ces paroles.
- Et puis une fois débarqués et notre campement installé, nous avons lancé notre armée contre celle de Jahangir qui venait à notre rencontre. Depuis nous n’avançons plus, mais jour après jour, grâce à des combats acharnés, nous réussissons à affaiblir ses troupes, expliqua Matabesh.
- Mais vous affaiblissez aussi les vôtres, répliqua Girolam.
- Ah çà ! voyez-vous cet insolent, s’écria Matabesh en se tournant vers ses généraux muets, il se permet de critiquer notre génie militaire alors que lui-même n’a mené aucune bataille !.
- Et avez-vous encore beaucoup de soldats en réserve ? reprit Girolam qui n’écoutait pas les vantardises de Matabesh.
- Oui, le campement regorge de guerriers prêts à se battre, mais ce damné Jahangir envoie lui aussi sans cesse des troupes fraîches et nous ne parvenons pas à briser ses lignes pour faire avancer nos unités.
- Avez-vous essayé d’utiliser des catapultes, des armes à distances pour briser le front de vos adversaires ? questionna encore Girolam
- Les trébuchets vont arriver, il faut les décharger des navires et les monter, cela prend du temps, et les troupes de Jahangir sont arrivées avant que nous ayons eu le temps de le faire. En attendant nous essayons de nous maintenir ici. Et toi jeune homme, quel combat mènes-tu ? Vas-tu te joindre à nous ? j’ai ouï dire que tu étais un fameux guerrier ! dit Matabesh d’une voix suave, pensant qu’un vaillant soldat de plus ne serait pas de trop.
- Non, je vais rejoindre mes compagnons, répondit Girolam avec force. Nous ne faisons pas le même combat que toi, nous voulons anéantir Jahangir mais pas le peuple qu’il a soumis. Mais nous avons besoin de votre lutte en arrière garde pour affaiblir son armée, cela va nous permettre d’avancer jusqu’à son palais plus rapidement. Nous l’attaquerons là-bas.
- Tu parais avoir déjà une stratégie, que comptes-tu faire ? interrogea Matabesh qui était en réalité plus intéressé qu’il n’en avait l’air, car lui-même n’avait aucune idée de la tactique à suivre, si ce n’est d’avancer à tout prix.
- Eh bien contre un sorcier qui utilise ses sortilèges, nous allons utiliser nous aussi la magie, répondit Girolam, nous avons quelques pouvoirs.
Girolam ne voulait pas trop en dire dans le cas où un général espion ferait partie de l’état major de Matabesh, ou bien si une oreille cachée attentive écoutait leur conversation.
- Tu me semble bien présomptueux, tu n’es qu’un guerrier, de quelle magie parles-tu ? et sais-tu que Jahangir est le plus puissant des sorciers ? reprit Matabesh. Comment penses-tu le réduire à néant ?
- Et toi Matabesh, penses-tu que tu vaincras Jahangir sans magie ? rétorqua Girolam.
- Tu n’as pas tort, jeune homme, allons ! nous avons nous aussi quelques pouvoirs, répondit le roi avec un sourire ambigu.
- Tu parles de tes oiseau dragons ? questionna Girolam.
- Eh ! fit Matabesh avec étonnement, peut-être…
- Mais Jahangir en a aussi, ce sont ceux qu’il t’a volés.
- Oui, répondit le roi avec fureur, j’ai compris, c’est ce que tu m’as raconté tout à l’heure.
- Il a peut-être même trouvé le moyen de les reproduire, il y en a peut-être plus que deux, poursuivit Girolam.
- Je vais devenir fou à t’écouter, s’écria le roi.
- Ecoute Matabesh, je peux te proposer un début de stratégie. Si tu pouvais amener une partie des troupes de Jahangir sur la mer, il se pourrait que sa flotte soit anéantie par une violente tempête, murmura Girolam qui se souvenait des paroles de Lamar mais préférait rester discret et ne s’adresser qu’à l’oreille du roi.
- Comment ça ? interrogea Matabesh interloqué sur le même ton confidentiel, tu es capable de déclencher des ouragans ?
- Je t’ai parlé de magie, Matabesh, tu peux me croire, ça peut arriver. Mais toi peux-tu lancer les armées de Jahangir à ta poursuite sur les flots ? reprit Girolam.
- Je le puis bien sûr, répondit Matabesh, vexé qu’un jeune prince puisse mettre en doute son génie militaire, mais je perdrais aussi ma flotte.
- C’est ce qu’on appelle des dégâts collatéraux, répliqua Girolam, et il y a peut être moyen de protéger tes navires.
- Entendu Girolam, je vais organiser la fuite d’une partie de notre flotte qui sera sacrifiée pour réduire les troupes de Jahangir, et nous continuerons à avancer vers le palais de Jahangir, dit Matabesh.
En cet instant il n’avait pas la moindre idée de comment il allait s’y prendre, mais il ne voulait pas perdre la face devant Girolam ni devant ses propres hommes.
- Je te remercie pour ces informations, Matabesh, reprit Girolam à haute et intelligible voix, tes combats sont un grand renfort, nous ne pourrions pas lutter contre une armée puissante en étant si peu nombreux.
- En effet, acquiesça le roi.
- Nous nous retrouverons peut-être aux portes du palais, dit Girolam, en attendant peux-tu me donner des nouvelles de Xénon ?
- Ton père a épousé Roxelle, la reine des Ténèbres. Cette fieffée sorcière a réussi à devenir la maîtresse de Phaïssans en rendant Xénon complètement idiot. Et ton père fabrique des bijoux.
- Quoi ? s’exclama Girolam stupéfait par une pareille révélation, es-tu bien certain de ce que tu dis ?
- Absolument certain, répondit Matabesh, c’est Roxelle qui gouverne et plutôt bien, et Xénon est totalement envoûté par cette créature diabolique. Enfin si les choses n’ont pas changé depuis notre départ.
- Je te rappelle que tu parles de la mère de ma soeur Zilia, Roxelle n’est pas peut-être pas aussi mauvaise que tu le dis.
- Tu dis que sa fille s’appelle Zilia ? oui j’avais entendu parler d’elle par quelques conseillers bienveillants…
- Tu veux dire Moorcroft je suppose, le coupa Girolam, tu le trouves réellement bienveillant ?
- Pas vraiment, répondit Matabesh avec un sourire entendu, il avait mentionné l’existence de cette bâtarde lors d’une rencontre… il y a bien longtemps de ça, je l’avais oubliée.
- Matabesh, surveille tes paroles, Zilia est ma soeur, gronda Girolam qui trouvait que Matabesh critiquait trop sa famille mais comprenait que leur joute verbale donnait le change par rapport à leur conciliabule. Je te salue, toi et tes généraux, poursuivez la bataille pendant que nous nous approcherons du palais de Jahangir.
Il faisait maintenant nuit noire, seul un croissant de lune éclairait la scène de guerre au pied de la colline et les corps des hommes tombés, les combats avaient cessé et les soldats avaient regagné leurs campements respectifs. Girolam avait envie de partir sans que Matabesh et les rois ne le poursuivent, il guettait le moment propice lorsqu’un hurlement de loup tout proche se fit entendre. Aussitôt toutes les têtes se tournèrent en direction du rugissement sans plus regarder le jeune homme, sauf Matabesh qui, devenu son complice, lui fit un clin d’oeil. Girolam esquissa un sourire, comprenant qu’Amédée lui offrait sa porte de sortie et plongea vers la pente de la colline qu’il dévala à toute vitesse et aussi silencieusement qu’il le put, évitant la zone de combat. Tandis qu’il arrivait en bas de la côte et reprenait sa course vers la falaise, le loup le rejoignit, sa gueule grande ouverte et la langue pendante comme s’il riait de la bonne farce qu’il avait jouée à Matabesh.
- Amédée a une dent contre Matabesh, il attaquait son espion dans la gorge quand nous l’avons rencontré, pensa Girolam en caressant d’une main vive la fourrure du loup, et là il se moque de lui ! Heureusement Matabesh n’a pas su le rôle que nous avons joué dans la disparition de ce Rosban ! Et il va nous aider, il faut vraiment réduire l’armée de Jahangir et la rendre impuissante, ou au moins la ralentir tant que nous ne serons pas entrés dans son palais. Nous ne pourrions pas lutter contre des troupes en étant si peu nombreux.
Girolam avançait avec précaution en faisant attention de ne pas faire craquer de feuilles ou de branches sous ses pieds, quand surgirent devant lui deux soldats ennemis. Girolam avait déjà dégainé son épée et commencé à se battre contre l’un deux, Amédée sauta à la gorge de l’autre et le neutralisa. Le loup et le guerrier repartirent quelques instants plus tard, laissant deux cadavres derrière eux. Arrivés au pied de la falaise, Girolam chercha des aspérités pour grimper vers le sommet de la pente, tandis qu’Amédée comme à son habitude trouva sa propre voie. Ils remontèrent rapidement vers l’endroit où les attendait Jalla, Clotaire et les autres et tous reprirent le chemin du village.
Une mauvaise nouvelle les attendait. Olidon s’était éloigné du campement pendant leur absence pour aller cueillir des plantes et avait disparu. Les villageois l’avait cherché partout autour des habitations mais il était invisible, ils en concluaient qu’Olidon s’était trop éloigné du campement et avait dû être enlevé par l’ennemi. Girolam et Ombeline n’avaient pas l’intention de laisser tomber leur ami et Jalla ajouta qu’ils ne pouvaient plus rester dans cet endroit qui devenait trop dangereux, ils devaient partir aussitôt car ils avaient dû être repérés. En quelques instants, les cabanes furent démontées, empaquetées et toute la tribu se mit en route. Tandis que les indigènes s’éloignaient vers le coeur de la forêt, Jalla guida Girolam et ses compagnons vers la lisière en suivant les traces laissées par Olidon et ses ravisseurs, des bouts d’herbes sèches semées ici ou là, des empreintes de pas et des branches cassées. Ils marchèrent toute la nuit et Jalla les laissa à l’aube naissante à la limite des arbres avant de s’enfoncer à nouveau dans la frondaison protectrice. Girolam avait attaché Fleur de Coton à Joran et le petit âne suivait vaillamment, comme s’il était lui aussi inquiet du sort de son maître, la guiterne d’Olidon solidement accrochée sur ses flancs. Désie, bousculée par le rythme rapide de la poursuite ne cessait de se plaindre.
Encore sous l’abri des arbres, Girolam, Clotaire et Ombeline observaient l’horizon. Il faisait une chaleur accablante, le soleil dardait ses rayons d’or sur tout le paysage. Devant eux s’étendait une plaine d’herbes hautes qui pouvaient masquer n’importe quoi et n’importe qui, ils devaient la traverser car les traces de l’enlèvement d’Olidon y étaient toujours visibles.
- Heureusement la végétation va nous permettre d’avancer avec les chevaux sans être vus, mais c’est dangereux, dit Girolam.
Tous trois dégainèrent leurs armes et avancèrent rapidement en tenant les montures par les rênes, Désie suivait derrière en courant de toute la force de ses petites jambes. Une brise légère agitait les hautes tiges souples qui ondulaient en longues vagues au dessus desquelles l’air chaud et brassé formait une couche brillante et ondoyante. Ils marchaient en silence en cherchant sans cesse les preuves de la route suivie par Olidon. D’après les traces, il devait se trouver avec trois ennemis. Soudain, alors qu’ils ne percevaient rien de particulier, Amédée pointa ses oreilles et se mit à grogner doucement.
- Ils sont là, murmura Girolam.
Ombeline sentait son coeur battre à tout rompre et avait l’impression qu’il faisait trop de bruit. Elle se mit à respirer lentement et Girolam prit sa main et posa l’index de son autre main sur ses lèvres, puis il indiqua à Clotaire et à Ombeline de se déployer sur les deux côtés et à Désie de rester en arrière. Lentement et silencieusement ils approchèrent d’un rocher qui affleurait au dessus des grandes herbes, d’où provenaient des sons étouffés. Sans attendre, Amédée bondit sur la pierre et du haut du promontoire se jeta sur les assaillants tandis que Girolam, Clotaire et Ombeline les encerclèrent par surprise et les pourfendirent en quelques coups de lames. Lorsqu’ils eurent occis les ravisseurs, ils virent qu’Olidon était étendu par terre, inconscient. Ligoté, le visage et les mains en sang, il avait été roué de coups. Désie s’approcha à son tour et regarda Olidon sans dire un mot.
Ombeline s’agenouilla à côté de lui et détacha ses liens, tandis que Girolam calmait Fleur de Coton qui voulait braire. Ombeline essuya les joues et le front d’Olidon avec de la pimpiostrelle et écrasa entre ses doigts des pétales de la fleur jaune qu’elle fit glisser dans la bouche du jeune homme avec un peu de liquide. Après quelques instants, Olidon ouvrit les yeux et la regarda sans la voir, puis s’évanouit à nouveau. Girolam laissa le petit âne s’approcher, qui fit rouler un peu Olidon du bout de son museau. Puis Ombeline et Girolam soulevèrent leur ami et l’installèrent sur le dos de Fleur de Coton. La petite troupe se remit en route sous le soleil brûlant.
Olidon ne se réveillait toujours pas, il avait dû être drogué après avoir été brutalisé par ses tortionnaires. Ils finirent par repérer un arbre au loin, qui faisait un peu d’ombre sous lequel ils se réfugièrent pour se protéger de la chaleur torride du soleil. Girolam et Clotaire étendirent Olidon sur le sol et Ombeline le soigna à nouveau. Elle baigna son visage avec une petite bouteille de potion de soins et lui fit boire encore un peu de pimpiostrelle. Désie semblait indifférente à ce qui se passait autour d’elle, elle ne proposait jamais d’aider, Ombeline avait l’impression qu’elle ne ressentait rien et se demandait ce qu’une personne aussi inutile faisait encore avec eux.
La journée s’étira, monotone et immobile dans cette grande étendue plane et silencieuse, puis la nuit finit par tomber. La température chuta brusquement et ils enveloppèrent Olidon qui s’était mis à trembler de fièvre dans une couverture. Fleur de Coton s’étendit contre lui pour lui tenir chaud. Ombeline le veilla toute la nuit et au petit matin, Olidon s’éveilla frais et dispos, toutes traces de son enlèvement avaient disparu, même les cicatrices des coups s’étaient estompées grâce à la pimpiostrelle. Il regarda ses compagnons avec étonnement et leur demanda :
- Mais qui êtes-vous ? et où suis-je ?
Ombeline, Clotaire et Girolam se regardèrent, quelle drogue avaient employée les ravisseurs ? Olidon semblait avoir perdu la mémoire et ne reconnaissait plus ses amis. Les choses allaient devenir très compliquées désormais, Olidon pourrait les trahir sans le vouloir, ils devaient être encore plus vigilants. Désie s’approcha d’Olidon et l’examina comme une bête curieuse.
- Il a tout oublié ? demanda-t-elle.
- Nous sommes dans une zone dangereuse, il nous faut partir d’ici tout de suite, dit Girolam qui comme les autres ignorait toutes les remarques sans intérêt de Désie, il la trouvait stupide.
Olidon le dévisageait tout en fouillant dans ses poches distraitement. Il en sortit une petite graine qu’il examina avec attention.
- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en la tendant à Ombeline.
Ombeline et Girolam avaient aussitôt reconnu le fruit de l’arbre de paix, il était tout fripé et recroquevillé, mais il n’y avait aucun doute possible. Ombeline recueillit la petite graine dans sa main et la caressa du bout de son doigt.
Clotaire et Girolam aidèrent Olidon à se hisser sur le dos de Fleur de Coton. Après son bref réveil et quelques instants de conscience, Olidon retomba dans un état léthargique et sa tête ballottait de droite à gauche quand l’âne se mit à avancer. Tandis qu’ils repartaient dans la direction du nord est vers le palais de Jahangir, Ombeline creusa la terre près de l’arbre qui les avait protégés de son ombre et planta la graine de l’arbre de paix qu’elle arrosa d’un peu d’eau.
- C’est l’endroit où nous avons sauvé Olidon, il faut le marquer de notre empreinte, pensait-elle.
Elle attrapa les rênes de Bise et rejoignit ses compagnons. Devant elle ils avançaient avec précaution, Désie fermait la marche en se dandidant comme un canard. Ombeline se demandait ce que cette petite bonne femme pouvait penser, elle ne disait jamais rien d’intéressant et n’exprimait aucun sentiment. Ombeline s’en voulait, mais elle savait qu’elle ne l’aimait pas beaucoup. Avant de s’éloigner tout à fait elle se retourna et vit avec stupeur qu’un deuxième arbre se trouvait là où il n’y en avait qu’un auparavant. Lorsqu’elle regarda à nouveau quelques minutes plus tard, elle s’aperçut qu’une forêt dense avait poussé et recouvrait désormais la plaine derrière eux.
Je sais mes commentaires sont pas toujours sympa mais il faut avouer que tu as largement dépassé le quota de fois qu’on peut utiliser le mot anfractuosité dans un livre.
Quant à l’histoire de Luka, sa chute rend l’utilité de son aventure inexistante.
Et j’ai encore l’impression que tu ne suis pas tout le temps l’ordre chronologique de ton histoire.
Je n'avais pas réalisé que le mot anfractuosité avait été utilisé un nombre incalculable de fois ... désolée, ce doit être parce que de nombreuses scènes se déroulent sous la terre ou dans des grottes. C'est peut-être une recherche à faire en fin d'écriture pour corriger le nombre de mots employés trop souvent ... J'essaie d'y faire attention en local mais pas au niveau global c'est certain.
L'histoire de Luka a pour objectif de changer le rythme et le cours du temps dans l'histoire en faisant une boucle arrière sur la vie que mènent les parents de Tizian, Girolam et Zilia sans leurs enfants, et donc une pause sur l'avancée inéluctable du groupe vers le repaire de Jahangir.
Cela répond peut-être à ta remarque sur l'ordre chronologique qui ne serait pas toujours respecté. C'est tout à fait possible qu'il y ait des incohérences.
Xénon et Roxelle, même après des années d'absence, ne se soucient toujours pas de leurs enfants, ils continuent à mener une vie repliée sur eux-mêmes, cultivant leur égoïsme alors que le reste du monde se mobilise pour sauver l'univers de l'emprise de Jahangir. La mission de Luka était un caprice de Xénon et Roxelle, ils se moquent qu'il revienne ou pas, et sa fin tragique, privant sa famille de son retour ne leur importe pas.