Chapitre 20

Notes de l’auteur : C'est l'un de mes chapitres préféré !

Ils y étaient. Raphaël avait garé sa voiture accidentée sur une place de parking et il attendait impatiemment que son petit frère sorte du véhicule. Seulement, au bout de cinq minutes, son seuil de tolérance était atteint.

 

- Tu veux que je t’accompagne jusqu’aux grilles ou tu vas réussir à y aller tout seul comme un grand ?

- C’est facile pour toi de dire ça… Marmonna Gabriel en observant les lycéens passer les portes de l’établissement.

- Hein ? Je ne t’ai pas entendu.

- Laisse tomber.

 

L’adolescent prit une forte inspiration, et le sac en main, descendit de la vieille golf de son frère. Derrière lui, il entendit l’aîné applaudir, comme s’il venait d’accomplir un exploit. Les joues rouges jusqu’aux oreilles, il ajusta les manches de son sac sur ses épaules avant de commencer sa folle lancée jusqu’au lycée. 

En chemin, il ne croisa aucun visage connu. Il n’avait vu ni Charlotte ni Jules, le jeune homme en fauteuil roulant. Il avait l’impression de revivre la rentrée. Il était seul. Seul contre tous.

Il entra dans la salle en gardant les yeux bien arrimés sur le sol. Gabriel pouvait déjà sentir le regard curieux de ses camarades. Ils ne s’attendaient certainement pas à ce qu’il revienne. Il s’installa à l’une des dernières places disponibles en début de rangées. De là où il était, il ne pouvait même pas vérifier si une certaine rouquine était présente.

Quand le professeur passa la porte, il s’obligea à retirer sa capuche. Le jeune homme ne voulait pas recevoir de remarque de sa part. Être le centre de l’attention, ce n’était clairement pas pour lui.

 

14h06. Gabriel regrettait d’être venu. Le professeur n’avait toujours pas commencé son cours. La tête reposant sur sa paume, il attendait que le temps passe. La philosophie était loin d’être la matière la plus intéressante au monde, surtout quand votre enseignant sortait des explications sans queue ni tête. Le jeune homme n’aimait vraiment pas cette matière. Il regrettait d’autant plus d’avoir cédé au chantage de Raphaël. Son frère allait probablement réutiliser les mêmes arguments pour l’obliger à aller en cours. Il se trouvait bête. Idiot. Idiot parce que malgré tout, il avait anticipé son retour au lycée. L’adolescent voulait faire de nouvelles rencontres. Il savait la chose possible depuis qu’il avait rencontré Charlotte.

D’ailleurs, il avait espéré revoir la rouquine pour s’excuser de son absence. Il avait été nul. Et il affrontait maintenant la dure réalité : il était seul. Personne n’avait osé s’asseoir à côté de lui. Comme s’il portait la peste ou le choléra. Il soupira discrètement.

 

Derrière lui, au fond de la classe, il était loin de se douter que le sujet de conversation principal de ses camarades le concernait. Et cette discussion était loin de tomber dans les oreilles d’une sourde. Charlotte suivait activement l’échange sans jamais participer. Elle s’amusait à écouter leurs théories plus sordides les unes que les autres. Elle s’imaginait déjà en parler avec le “nouveau”.

La rouquine avait oublié de lui répondre. Elle avait voulu attendre quelques minutes avant d’envoyer un texto puis elle s’était perdue dans les méandres d’Instagram. Le compte de Raphaël, grand frère de son ami, avait retenu toute son attention. Ce bel homme de 21 ans faisait des études de commerce. Et les nombreuses photos de lui torse-nu le mettaient plus qu’à son avantage. Avec ses yeux sombres et sa peau hâlée, il ferait chavirer n’importe qui, sa sœur la première. Clara raffolait de ce genre de garçon. Et Charlotte aussi.

Entre lui et son frère, il n’y avait pas de ressemblances notables. Ils n’avaient en commun qu’une carnation similaire, bien que le teint de Gabriel soit un peu plus terne que celui de son aîné. Rien de surprenant quand on connaissait son manque d’exposition au soleil. 

Bien sûr, la rouquine n’avait pas la moindre idée de ce pan-là de sa vie. Qui pourrait croire qu’un adolescent reste enfermé dans sa chambre chaque jour de la semaine ? Et ce, de son plein gré ! Certainement pas Charlotte qui, bien qu’elle remuait des idées noires en défiant la balance, ne pouvait envisager passer des journées entières chez elle. Elle avait un besoin systématique de bouger contrairement à son ami.

 

- Charlie. Commence la lecture.

 

La jeune fille souffla de soulagement. Ce n’était pas passé loin pour elle ! Elle suivit la progression du texte avec attention. Le professeur de philosophie pouvait se montrer particulièrement sévère quand il se trouvait de mauvaise humeur.

A la fin d’interminables explications, un autre nom tomba. Un nom qui venait de s’ajouter à cette nouvelle année scolaire. Gabriel Duquesnes. Le principal concerné était tellement perdu dans ses pensées qu’il ne s’en rendit compte qu’à la deuxième apostrophe. La voix du professeur avait cette fois-ci tonné aussi fort que la foudre.

 

Le jeune homme avait aussitôt relevé la tête, surpris que son nom soit épelé aussi froidement. Il interrogea l’homme du regard : qu’est-ce qu’il lui voulait ? Il avait retiré sa capuche pourtant… Comme ce dernier ne semblait pas prêt à lui répondre, il demanda d’une petite voix : 

 

- Oui ?

- Ligne 15. Troisième paragraphe.

 

Le balafré prit la fiche distribuée un peu plus tôt. Son regard glissa sur les mots, cherchant un moyen de se délier la langue. Exercice difficile quand l'anxiété lui empêchait de sortir le moindre son intelligible.

 

- “Quand nous… Ex-Exerçons… notre… cri-critique...

 

Sa voix s’éteignit. Les lettres se confondaient les unes aux autres. Il avait mal à la tête.

 

- Lucas, continue, asséna finalement l’enseignant. Il n’avait pas de temps à perdre : il avait un programme à tenir.

 

Les poings serrés, Gabriel peinait à ralentir les battements de son cœur. Il était devenu la risée de la classe. Il pouvait sentir leurs regards brûler sa peau. Venir ici avait été une erreur… Il le savait et pourtant, il s’était laissé embarquer par son frère. Idiot.

L’adolescent attendit impatiemment la sonnerie qui signerait sa retraite. Il ne resterait ni pour la récréation, ni pour le prochain cours. Il en avait assez de se ridiculiser devant ces inconnus. Il en avait fini avec l’école. Cette fois-ci, il signait définitivement sa révérence.

 

16h50.  Sa trousse et ses fiches placées en vrac dans son sac, il se précipita dehors, capuche sur la tête. Il était sur le point de franchir une porte de sortie quand il entendit la voix de Charlotte. Celle-ci l’interpellait sans se soucier du monde autour d’eux. Le rouge lui monta aux joues en sentant l’attention de certains lycéens sur sa personne. Gabriel hésitait beaucoup sur la marche à suivre : l’éviter ou la rencontrer ? Il n’eut pas le loisir d’y penser plus longtemps qu’elle le rejoignit, visiblement heureuse de le revoir. 

La jeune fille avait vraiment un visage avenant. Il ne saurait dire si cela venait de son maquillage ou de sa naturelle bonté. A ses côtés, il se sentait en sécurité. 

 

- Ça va mieux ? On m’a dit que tu étais malade. 

 

Le balafré était si heureux qu’elle lance la conversation qu’il aurait pu lui faire la bise, lui qui ne pratique jamais ce genre de salutation. Son visage ne lui permettait pas de poser sa joue contre une autre joue. L’action le mettait mal à l’aise non seulement lui mais aussi son interlocuteur. Cela lui avait sauté aux yeux quand il avait salué une cousine de cette manière et qu’elle l’avait repoussé. Son âme d’enfant en peine avait été cherché du réconfort dans les bras de sa mère. Quelle époque....

Dans tous les cas, Gabriel remerciait la rouquine de lui fournir une excuse quant à son absence. Elle ne s’éloignait pas totalement de la vérité. Il avait bel et bien était “malade”. Malade de son mal-être. Malade de ce qu’il était et de ce qu’il serait toujours. Il était malade des pieds à la tête. Il souffrait depuis des années d’un syndrome invisible à l'œil nu qui lui pourrissait le visage, lui écrabouillait le cœur et lui bousillait la tête. Il survivait non pas pour lui mais pour ses proches qui se raccrochaient désespérément à ce qu’il n’était plus depuis longtemps. Il souffrait. Mais il survivait.

 

- Je vais mieux.

 

Il tenta un sourire qui devait avoir des airs de grimace. Charlotte ne sembla pas s’en formaliser puisqu’elle le lui rendit en beaucoup plus joli. Au moins, la vue de ses dents blanches le conforta dans cette idée : celle qu’elle n’était pas en colère contre lui. Cependant, il ne savait pas par où commencer. Devait-il lui demander les raisons de son silence ? Il se jeta à l’eau : 

 

- Tu as reçu mon message ? Comme tu ne m’as pas répondu… Demanda t-il avec un soupçon de reproche dans la voix.

 

Le balafré n’avait pas voulu dévoiler autant de ressentiments. Seulement, il lui était parfois difficile de cacher tous les parasites négatifs qui lui rongeaient l’esprit. Ces mêmes parasites qui lui gâchent la vie. Si Charlotte entendait le dixième de tout ce qui lui passait par la tête, il était sûr de la voir fuir à toute jambe. Le jeune homme ne voulait encombrer personne de son fardeau : il était destiné à le porter seul jusqu’à la fin de ses jours.

 

- Ha oui, désolée ! J’ai oublié d’y répondre… J’espère que tu ne m’en veux pas de trop.

 

Gabriel s’était inquiété pour rien. Elle ne lui en voulait pas. Il souffla, rassuré. Voilà une chose dont il n’avait plus besoin de s’inquiéter.

 

- Qu’est-ce que tu as fait de ton week-end ?

- Rien de spécial. J’ai juste regardé Netflix. J’ai commencé à regarder Vikings, c’est géant !

- Oh! Je l’ai déjà vu. Enfin, j’ai arrêté après la mort de--

- STOP ! Je ne veux pas savoir. Ce genre de révélations peut briser des amitiés, tu sais ?!

 

Un sourire timide fleurit sur ses lèvres. La rouquine le considérait comme un ami ! Le lien qui les liait, dès leur première rencontre, n’était pas dénoué le moins du monde. Il avait une amie ! Ces mots, il espérait sincèrement ne pas les avoir rêvés.

 

Il se dit qu’il allait peut-être mieux finalement...

 

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