La maison avait été nettoyée. Les meubles avaient été déménagés afin de libérer un espace suffisamment grand pour y imaginer une piste de danse. Raphaël avait déplacé les objets de valeur, ou du moins, les objets fragiles dans la chambre parentale, la seule pièce de la maison qui détenait un coffre-fort. Les biscuits et autres apéritifs reposaient sagement sur une table poussée contre un mur. Le jeune homme activa les spots lumineux et la sono. Il était fin prêt !
Vers 19h30, les premiers invités se présentèrent au domicile. Des amis qu’il n’avait plus vu depuis ses “vacances” improvisées. Il les convia à se débarrasser de leur veste sur une chaise et à déposer leur bouteille d’alcool près des biscuits apéritifs.
- Alors, quoi de neuf ? Demanda t-il en leur servant des gobelets remplis de punch.
Maxime, qu’il avait rencontré en première année, se chargea de répondre :
- Emploi du temps chargé, mec. Tu le saurais si tu venais en cours.
- Comme si t’allais en cours, ricana l’un de leur compère.
- Cette soirée tombe bien, ça va faire relâcher la pression.
- En parlant de pression, ça en est où avec Manon ?
La question ne manqua pas : tous les regards se dirigèrent vers Raphaël qui ne savait plus où se mettre. Il ne s’était pas préparé à ce genre de question parce que, comme il venait de le dire, il voulait relâcher la pression.
- Nulle part. D’ailleurs, si elle pouvait arrêter de me harceler de message, ça serait vraiment cool de sa part.
- C’est pas cool de ta part, par contre, ce que tu lui as fait, le contra Alison, une amie de ladite Manon.
Et voilà, la pluie de reproches lui tombait sur la gueule. Il leva les yeux au ciel. Quelle idée il avait eu de sortir avec une fille de son groupe d’amis. Il en entendrait éternellement parler.
- Je n’allais pas rester avec elle juste pour lui faire plaisir.
- J’avoue. Tu lui as fait une fleur. T’es vraiment pas facile comme mec.
Les autres mecs prirent son parti. Enfin ! Comme pour couper court à la conversation, la sonnette d’entrée retentit. L’étudiant eut un sourire franc en voyant les deux sœurs. Elles portaient toutes les deux une robe qui mettaient leur forme plus ou moins en valeur. Noir pour celle qu’il avait renommé Rebelle et rouge pour le canon de beauté. Clara Duquesnes était bien plus jolie qu’en photo. Ses potes seront ravis de voir une telle sirène à sa soirée.
Comme un véritable gentleman, Raphaël les débarrassa de leur veste et les invita à se joindre au cercle d’amis. Il leur servit un petit cocktail fruité avant de s’absenter quelques instants pour aller chercher son frère.
Il toqua à la porte, comme Gabriel lui avait ordonné, et se permit d’entrer une fois qu’il en eut l’autorisation. Pikachu, qui avait rejoint son maître dans sa chambre pour cette nuit, remua mollement la queue en l’apercevant.
- Qu’est-ce que tu veux ? Et si tu pouvais baisser la musique, ça arrangerait mes affaires, commenta le gringalet lascivement.
Il jouait cette fois-ci à Mario Bros sur DS. Le plus jeune en avait marre de jouer aux mêmes jeux. Il avait donc dépoussiéré sa vieille console portable pour passer cette soirée qui s’avérerait être très longue.
- Prépare-toi.
- Pourquoi ?
- Charlotte et Clara sont là.
Plongé dans le mini-jeu, il ne réalisa pas tout de suite la teneur de ses mots. Quand ces derniers se firent un chemin jusqu’à son cerveau, il lâcha bruyamment :
- QUOI ?! Mais qu’est-ce que tu me racontes maintenant ?!
Gabriel se redressa sur son lit pour regarder son frère, horrifié. Il ne pouvait pas avoir fait ça.
- Je les ai invitées. Surprise ?
Le sourire de l'aîné s’était figé. Il s’était attendu à une réaction plus vive de sa part. S’il pouvait se dépêcher, ça l’arrangerait beaucoup ! Il avait des invités à divertir tout de même !
- Alors enfile quelque chose parce que ton pyjama, ajouta-t-il en inspectant ses vêtements d’un œil critique, ça ne va pas le faire.
- Je suis habillé, Raphaël. Et je ne bougerais pas d’ici, tu te débrouilles.
- Tu ne me laisses pas le choix.
Il referma la porte derrière lui. Le lycéen s’étonna de le voir partir sans plus d’arguments. Naïf comme il était, il se croyait sorti d’affaire. En tout cas, il ne s’attendait certainement pas à ce que son frère revienne accompagné d’une tête rousse quelques minutes plus tard.
La nouvelle partie qu’il avait commencé se conclut par le célèbre Game Over du jeu. Charlotte le salua et Raphaël les laissa seul. Le jeune homme adressa un dernier clin d'œil à son frangin : "Maintenant, à toi de jouer” semblait-il dire avec espièglerie avant de refermer une dernière fois la porte derrière lui.
Face aux intentions peu louables de ce dernier, Gabriel rougit. Mais qu’est-ce qu’il allait s’imaginer enfin ?! A la place d’y accorder plus d’importance, il se concentra sur sa situation actuelle. D’abord, calmer sa jeune chienne : la présence de Charlotte était loin de la rendre heureuse. Il l’amadoua à l’aide de caresses et de mots doux. Pikachu avait peur des inconnus.
- Alors, t’es prêt ? Demanda-t-elle avec beaucoup de scepticisme.
Son ami portait un jogging et un sweat. Il était loin de ressembler à Raphaël qui portait une tenue de soirée, comme à peu près tous les garçons qu’elle avait vus en bas.
- Euh… Alors tu vois… Je n’avais pas prévu de descendre ce soir…
C’est ce qu’il s’apprêtait à répondre. Seulement, il repensait aux mots que la jeune fille lui avait adressés deux jours plus tôt. Il ne voulait pas le décevoir en tant qu’ami. S’il refusait, l’image qu’elle avait de lui serait affectée. Il ne pouvait pas faire ça.
- Je voulais ton avis pour une tenue.
Il se félicita de son improvisation. Le mensonge pouvait lui venir si facilement quand il y mettait du cœur.
- Tu as des chemises ?
Le mot lui fit cligner des yeux. La dernière fois qu’il avait mis des chemises, c’était pour assister au mariage de l’un de ses oncles. Les hommes portaient réellement ce genre de vêtements de nos jours ? Lui ne connaissait rien d’autre que des sweats. Il s’apprêtait à découvrir un nouveau monde s’il en croyait la rouquine.
- Je ne sais pas. Regarde.
Gabriel ouvrit ses placards qui regorgeaient d’habits : il n’avait pas porté la moitié d’entre eux. Sa mère lui achetait toutes sortes de fringues qu’il ne prenait même plus la peine d’analyser.
- Tu as beaucoup de vêtements de marque, dit-elle après un examen approfondi de sa penderie. Essaye ça.
Charlotte lui tendit une chemise sombre et un pantalon chino. Le noir était une valeur sûre. Au moins, elle ne s’essuyerait pas un refus catégorique de sa part. Le jeune homme, quant à lui, n’avait jamais vu ces vêtements jusqu’à présent. Le tissu était agréable au toucher. Il jeta néanmoins un regard circonspect à son amie : ces vêtements étaient bien trop classes pour ce genre de fête.
- Crois-moi : il n’y a rien de plus tendance en ce moment.
- Je ne cherche pas à être tendance. Je veux juste me fondre dans le décor.
- C’est du noir. Tu n’auras aucun mal à passer inaperçu.
Peu convaincu, Gabriel finit par prendre les vêtements. Il laissa la chienne en sa compagnie pour se changer dans la salle de bain. Il boutonna sa chemise puis enfila le pantalon. Ce dernier était un peu large pour son gabarit de brin d’herbes mais sa grande taille le sauvait du ridicule. D’ailleurs, son amie approuva totalement l’assemblage une fois qu’elle l’obligea à rentrer le bout de tissus dans le chino noir. Une ceinture en cuir complèta sa tenue.
Sous le regard de Charlotte, l’adolescent arrivait presque à se sentir normal. Seulement, le col de sa chemise lui donnait l’impression d’étouffer. Il tentait en vain d’agrandir l’étau qui lui enserrait la gorge à l’aide de ses doigts.
- Retire un bouton, gros bêta.
Gabriel baissa sa main. Il ne voulait pas montrer plus de peau que nécessaire. Il s’obligea donc à supporter cette sensation d’étranglement. Le jeune homme avala difficilement sa salive en croisant les yeux sombres de la rouquine. Elle examinait son visage. Et il était loin d’être à l’aise.
- Tu t’es coiffé les cheveux ?
- Mes cheveux ne se coiffent pas.
Ses boucles étaient bien trop indomptables pour obéir à un brushing. Son frère, Raphaël, avait lui aussi des cheveux ondulés qu’il était parvenu à discipliner à l’aide de soins. Un manège que son cadet avait refusé de poursuivre : il ne voulait pas perdre plus de temps sur son horrible physique.
- On s’occupera de leur cas plus tard. Mets tes chaussures. Je suis trop pressée de danser !
Le gringalet s’exécuta sans grand entrain. Il avait perdu la volonté de descendre. Si l’on en croyait la musique et les vibrations, son frère n’avait pas fait les choses à moitié. Penser à tous ces inconnus en bas lui donnait la nausée. Et pourtant, le regard surexcité de Charlotte le poussa à franchir la porte de sa chambre.