"Dis Flora, j'y ai repensé entre-temps. T'es sortie qu'avec des nanas, c'est bien ça ?
- Tu bloques vraiment là-dessus," me dit-elle en me servant le petit déjeuner, avec ses assaisonnements étranges bien à elle.
- Non mais..." grincè-je entre mes dents. "Je me demandais simplement comment tu en es arrivée à cette conclusion.
- Pourquoi, ta danse endiablée avec Ke Liang t'as ouvert tes chakras ?"
Je faille m'étouffer avec mon œuf et tousse en tapant sur ma poitrine. Quelle sorcière ! Je la fixe, passablement agacé qu'elle m'ait encore fait avaler de travers.
"Wow, je pensais pas cogner si juste. Tu te demandes si t'es bi ?
- Réponds à la question ! C'était simple comme demande !
- Roh, c'est bon, monsieur j'ai passé une petite nuit et je suis grognon !"
Je pose doucement mon bol sur la table du salon. Qu'elle ne me lance pas sur ce terrain-là : il est miné. Elle rigole, encore et encore, sachant pertinemment qu'elle a tendu une perche. Je ne la prendrais pas.
"J'en suis arrivée à cette conclusion, que j'étais bi, depuis fort longtemps figure-toi.
Un jour, j'ai regardé une camarade de classe : je voyais ses manches de son chemisier redressé au-dessus de ses avants-bras. Elle avait les cheveux attachés en queue de cheval, le pantalon en taille haute. Je suis restée bloquée sur ça, la trouvant super belle. Super... attirante." Rajoute-t-elle après un moment, se remémorant l'instant, les yeux rivés vers le plafond. "Ça a tourné tourné tourné dans ma tête pendant des jours, voire des semaines. J'avais, quoi, quatorze ans ?
Peu de temps après, une serveuse de bagel m'a préparé ma commande. Je la regardais faire, avec ses piercings aux fossettes et son grand sourire. Je me suis imaginé sortir avec, vivre avec, finir mes jours après. Et là, je me suis dit "C'est pas très hétérosexuel de penser ça, ma p'tite Flora.". Je trainais déjà en ligne sur des tumblr queer et je me pensais simplement alliée. Turns out j'étais pas qu'alliée.
- Alliée ?" Réussis-je à demander entre deux bouchées de riz.
- Une personne hétérosexuelle et cisgenre mais qui soutient les droits LGBT.
- Cis... genre ?"
Elle rigole.
"Désolée. Allez, tu poses la question, je t'éduque un peu !" S'exclame-t-elle en se frottant les mains, passionnée par son sujet.
- Je t'écoute, Flora," opiné-je.
- Je sais, Ji-Hun. Je sais."
Un doux sourire me répond. Elle continue.
"Cis-genre, c'est quand tu es né avec la bonne tuyauterie. Je suis née "fille", je me sens "fille". Si je me sentais garçon avec un corps de "fille", je serai trans. Cis c'est juste un terme pour pas dire "trans", si je dois t'expliquer rapidement. Je suppose, mais peut-être je me trompe, que tu es cis."
Je prends le temps d'y réfléchir quelques instants. Je ne me suis jamais posé la question, honnêtement. Est-ce que je me suis déjà senti fille ? La réponse est rapide : non.
"Je suis... cis. Okay. Et ensuite ?
- Cool. Donc, comme je te disais, je me pensais simplement alliée, et à force d'avoir des... attirances, pour tout ce qui passait, je me suis dit que ce n'était pas un truc d'hétéro. J'en ai parlé, j'ai beaucoup médité dessus. Au départ j'étais là "Ouais les filles c'est cool, mais... est-ce que tu coucherais avec ?".
- Hm hm.
- Eh beh au départ j'étais là "Noooon, je peux pas, c'est juste romantique, je suis pas vraiment bisexuelle !". Et en seconde je suis sortie avec une nana de ma classe, j'ai couché avec, j'suis restée un an et demi avec, et beh j'ai eu mon verdict hein." Finit-elle en rigolant.
- Donc, faut coucher avec pour le savoir ?" Dis-je en lui souriant un peu.
- Mais non, patate !
- Je te charrie.
- J'espère bien!" S'exlame-t-elle. "Bon, ça c'est comment moi j'ai su. Sérieusement, tu te poses la question ? Promis je le dirais à personne, même pas à Dayoung."
Je pense que si Dayoung était au courant, ça ne me dérangerait pas. Elle qui m'a tant parlé de féminisme, d'avancées sur ces causes-là... ça ne poserait pas de soucis.
Heureusement que je n'ai pas eu ce genre de pensées à l'armée... j'aurai eu des problèmes.
"Tu peux lui en parler, je m'en fiche. Elle m'aimerait pareil dans tous les cas.
- J'aime bien cet état d'esprit~ Bon, et, je veux vraiment savoir pourquoi tu te poses la question. Est-ce bien à cause de cette danse ? Ou de... son interprète ?
- Et pourquoi tu penserais ça ?
- T'as pas vu ta gueule sur l'enregistrement. Alors je veux bien comprendre que tu sais jouer désormais et que t'as de la bouteille avec les princes, mais là, t'étais... T'étais parfait. Parfaitement hypnotisé. Trop parfait."
Je ne sais pas pourquoi, je sais que je peux lui faire confiance. Que peut-être que je peux lui dire tout ce que j'ai en tête. Pour ça, en tout cas.
"Mais j'ai 25 ans. Comment ça peut se déclarer si tard ? Pourquoi alors que je passe si peu de temps avec lui, qu'on chante, qu'on danse je..."
Je cherche mes mots et soupire de frustration.
C'est si difficile de mettre un mot sur ce que je ressens. Pourquoi est-ce si évident que, s'il n'y avait pas Flora, s'il n'y avait pas ma carrière, je tenterai de me rapprocher davantage de lui ? Car il est comme un aimant : il m'attire, il me fascine, à me repousser si nous n'allons pas dans le même sens, dans la même dynamique. Et ce, comme un coup de tonnerre dans ma vie. Comme une évidence déroutante.
"Ji-Hun, y'a pas d'age pour se rendre compte de choses. Il y a des personnes qui se découvrent gay après 50 ans et trois enfants, tu sais. Ça évolue avec le temps, tu contrôles pas ces choses-là. Ce que tu contrôles, c'est tes actions." Conclue-t-elle avant de réfléchir, et de reprendre : "Et si tu as peur que ça se sache, que ça se voie... Ça ne se saura jamais si tu n'en parles pas. J'en ai vu des clips de k-pop par centaines et y'a rien de plus qu'à l'habitude.
Je crois te connaître un peu, c'est tout. Et même si je suis ravie de savoir que tu as tes premiers émois bisexuels, ne te ronge pas la tête car t'as l'impression que tout le monde lit dans tes pensées. Personne lit dans tes pensées. Même pas moi." Ricane-t-elle en tressant ses longs cheveux pour passer le temps.
J'opine, laissant les paroles couler. Je crois que je n'aime pas avoir d'étiquettes. Je crois que je n'aime pas que cela me prenne ainsi l'esprit. Que j'y pense autant, alors que je voudrais ne penser qu'à Flora. Pourquoi j'ai débloqué de nouveaux fantasmes ? Quelle tannée...
"J'aime pas me donner une... étiquette.
- Alors ne t'en donne pas. T'as le droit d'évoluer. Puis peut-être que demain t'auras un mec, peut-être que demain t'auras une meuf. Peut-être tu t'apercevras avec un garçon dans ton lit que tu kiffes pas du tout ça, aussi."
Je ne lui réponds pas, réfléchissant simplement. Je n'en sais rien.
Mais... S'il n'y avait pas tout ça...
Pourquoi pas ?
"Bienvenue dans la communauté LGBT, Petite lune."
-
Arrivés à Beyond the Stars Entertainement, je dois me poser à l'accueil pour faire le badge visiteur de Flora. Celle-ci reste derrière moi, calme, observant avec attention le haut bâtiment dans lequel nous nous trouvons. La dame de l'accueil n'est pas très contente que j'invite ainsi quelqu'un sans avoir prévenu auparavant mais me lui créé son badge tout de même. C'est bien aimable de votre part, Madame...
J'installe le badge autour du cou de Flora, lui souriant, bien qu'elle ne puisse le voir avec le masque : "C'est ton pass droit pour la journée. Tu peux passer dans toutes les pièces où moi je peux passer, sauf les derniers étages avant la cantine. Je vais te faire visiter rapidement."
La visite de Beyond, entre les étages et les salles de travail, se fait en une quinzaine de minutes (avec l'ascenseur). Les étages inférieurs avec les salles pour les photos, les salles d'entrainement pour les trainees. Un peu au-dessus, des bureaux, beaucoup de bureaux. Ensuite, de nouveau des salles de répétitions, mêlés entre danse et musique. Ensuite, encore des bureaux, et au dernier, la cantine de Beyond. Pourquoi la cantine est-elle au dernier étage : aucune idée. Peut-être que les premiers PDG aimaient prendre leur déjeuner sur le toit de Séoul.
À la cantine, je lui offre une boisson chaude (elle prend un café au lait) et nous redescendons par les ascenseurs. 12ème étage, nous allons à une salle de réunion pour y rejoindre Ha-Rin, Ke Liang, sa manager ainsi que les réalisateurs du clip. Je me courbe poliment, Flora m'imite.
"J'ai une invitée pour la journée. Flora Dupuis. Elle va observer les préparatifs de la journée. J'ai son portable." Dis-je en montrant nos deux portables. "Donc pas de soucis."
La petite troupe se courbe en retour et nous prenons place. Nous sommes tous en avance (réunion à 10h30, il est 10h10) mais cela nous laisse le temps de discuter de tout et de rien. Ha-Rin est curieuse et s'adresse la première à Flora. Je les laisse discuter ensemble... j'écoute simplement.
Lorsque Ke Liang se joint à la discussion, aussi curieux qu'il peut l'être habituellement, je remarque que... que Flora... est timide.
Flora et timide. Flora est timide. Jamais je n'aurai cru lui attribuer cet adjectif.
Je tends l'oreille pour tenter de comprendre son comportement. Est-ce qu'il lui a parlé de quelque chose qui puisse la mettre mal à l'aise ?
Je suis attentif.
"Tu risques d'entendre le single en avant-première, aujourd'hui. À part si Ji-Hun te l'a déjà fait écouter ?"
Flora secoue de la tête et lui rend un doux, trop doux, sourire. Qu'est-ce qui me prend d'un coup ?
"Non, mais je ne doute pas qu'il va être bien. Est-ce que ça sera vous qui l'aurez composé, cette fois-ci ? En tant que Studio Universe ?"
Ke Liang a l'air honnêtement surpris, lui répondant en baissant le ton légèrement, mais le visage rayonnant de la nouvelle qu'il vient d'apprendre.
"Tu connais StudiU ? J'ai très très peu communiqué là-dessus pourtant. Et, ne me parle pas aussi formellement voyons, tu es une amie de Ji-Hun...
- Je..." Elle aquiesce et se rapproche de lui, pour faire des confidences. "Je te suis sur Weibo depuis les débuts de FAIR. J'ai eu l'info à ce moment-là. Je suis vraiment de p-près ça... Ça m'a toujours vraiment plu. Quel dommage que les majors ne vous aient... ne t'aient pas laissé de quoi t'exprimer !
- Pour ce duo-là, c'est toujours pas moi cela dit. Eh dis donc... Ça en fait des années. Je savais pas qu'il avait ramené une fan."
Et là, elle... rougit. Je suis fâché et je ne saurai pas expliquer pourquoi.
"À l'époque j'avais même envoyé une cover de dance sur weibo. C'était sur... Lán niǎo si je me rappelle bien... je faisais, et je fais toujours, de la danse traditionnelle chinoise."
Ke Liang se frotte le menton avec l'index, regardant le plafond. Puis, ça lui revient. Il prend la main de Flora et la serre : "Oui, je m'en souviens ! Avec une grande robe bleue qui t'arrivait aux genoux ! C'était une tenue d'homme, à la base, d'ailleurs.
- O-oui c'est ça ! Je pensais pas que vous l'aviez vu !
- Oh si, c'était l'une de mes chansons préférées. Beaucoup plus douce et mélancolique, je l'ai eu mauvaise lorsqu'ils ont décidé de jamais en faire un clip et la garder au fin fond du fond de l'album. Du coup, dès qu'un truc de fan était dessus, je le regardais." Soupire-t-il avant de vite reprendre sa contenance : "Tu danses aussi ? Il faudrait que l'on danse ensemble, un de ces quatre."
Flora cligne des yeux et rougit de plus belle. Elle acquiesce, rigolant timidement. Pourquoi est-il si friendly avec tout le monde... Pourquoi est-il si friendly avec cette fille-là en particulier ? Je ne pensais pas qu'il allait discuter si aisément avec elle. Pourquoi a-t-il été si froid avec moi et si chaleureux dès le début avec elle ?
Car je suis moins agréable qu'elle ? Surement.
Je détourne le regard et les laisse discuter musique et danse tous les deux, sans écouter leur discussion et les présentations qui vont avec. Je ne suis pas le bienvenu, on dirait.
Flora ne pense plus à ses angoisses, c'est déjà ça.
La journée se déroule sans heurt. Nous mangeons le midi ensemble, à la cantine de Beyond. L'après-midi nous étudions les choix artistiques pour le clip, approuvons la garde-robe, révisons brièvement quelques pas de danse pour que nous soyons coordonnés avec les caméras. Dès qu'il y a un instant de libre, Ke Liang et Flora discutent ensemble. De trop, je lis les scripts et résumé complet de la série et des épisodes dans laquelle je vais auditionner. Au moins, comprendre pourquoi mon personnage est là et qui l'a tué.
Le staff prend congé et nous ne sommes plus que tous les cinq. Les managers travaillent silencieusement dans un coin de la salle de réunion, Ke liang et Flora discutent autour d'une boisson chaude. Je lis mon script.
Flora se penche vers moi, redresse une petite mèche de cheveux. Je ne peux pas m'empêcher de sursauter, me reculant. Elle est surprise.
"Pardon, je t'ai sorti de tes pensées. Que lis-tu ?
- Oh, je... C'est le synopsis complet de la série. Enfin la version abrégée sans dialogues, juste le gros résumé quoi." Lui réponds-je en tendant la petite masse de papier pliée.
- Tu vas faire un nouveau casting ?" S'enquit Ke Liang, se rapprochant, comme la jeune femme, de moi.
Je les regarde, côte à côte.
Si beaux et gentils. Curieux et patients. Extravertis et pleins de paroles. Intelligents et sensés. Comment puis-je avoir rencontré des personnes si... géniales ? En si peu de temps ? Suis-je aveuglé par de l'amour, de l'admiration ? Pourquoi est-ce qu'être en présence de ces deux étrangers me rend si incohérent dans mes pensées, mous et inconséquent ?
Ils iraient bien ensemble.
Mais c'est Flora que j'aime, moi.
Mon dieu, je suis jaloux. Elle a le droit de discuter avec quelqu'un d'autre ! Et, surtout, avec quelqu'un qu'elle admire ! Ce que je me sens idiot.
"Oui, le tournage sera entre deux de nos dates. Il n'y avait rien de prévu. Je suis désolé K-
- Oh, je pourrais venir regarder ?" Demande Ke Liang, le plus naturellement du monde.
- Ils recherchent des figurants, il parait. Tu es peut-être pas coréen, mais je pense qu'ils s'en ficheront tant que tu portes bien la perruque." Explique Flora.
- Oh. Ça me fera une bonne excuse pour être dans le coin. Nous serons ensemble, comme ça." Conclue Ke Liang en me souriant. Il se lève et s'en va vers les managers. C'était... une décision rapide. Je regarde Flora.
"Tu t'entends bien avec lui, dis-moi."
Elle se penche vers moi et chuchote à mon oreille : "Meilleure journée de ma vie. Il est super sympa, t'avais raison. Et pas froid du tout ! J'ai eu son compte WeChat anonyme, pour qu'on puisse discuter tranquille ensemble, même quand il quittera la Corée.
- En rapport avec... StudiU, c'est ça ? Je connaissais pas.
- Je t'enverrai ça ce soir, promis. Sur discord... Je pense que je peux dormir chez moi.
- C'est comme tu veux.
- Je veux pas t'embêter tous les soirs avec ça.
- Tu m'embêtes pas, Flora." Dis-je en tentant d'être le plus sérieux et ferme possible.
Elle fait une petite grimace, comme une enfant qu'on réprimande ou... Ou qui a fait une bêtise ? Je ne sais pas trop comment décrypter cette expression. Un baiser sur le front furtif et elle observe autour d'elle, pour se plonger dans mes yeux après son attention.
"Je veux bien squatter de nouveau, alors."
Bien.
Au moins elle sera avec moi et pas à rêvasser de Ke Liang ou je ne sais pas quoi encore.
Jusqu'à la fin de la journée, je reste à ses côtés, jusqu'à nos au revoir avec Ke Liang. Ils se saluent chaleureusement, heureux de s'être trouvés l'un à l'autre.
J'ai deux sons de cloches le soir-même.
Pendant que Flora se douche, j'écoute les musiques de Ke Liang. D'un pseudonyme d'artiste méconnaissable de son véritable nom, il publie depuis déjà des années des musiques instrumentales et quelques-unes où il chante. Je reconnais bien sa voix, mais personne ne semble faire le rapprochement. Il est totalement noyé dans la masse des autres compositeurs... Quel dommage, il est très doué. Vraiment très doué.
J'inspire, expire. Rien ne sert de se comparer.
Il faut que je lui en parle. J'apprécie tellement les musiques purement instrumentales que je trouve dommage de ne pas avoir été mis au courant qu'il en composait de son côté. Qu'il composait tout court ! Je ne sais pas composer, moi... juste interpréter.
Son de cloche numéro un, Kakaotalk ;
Zhang Ke Liang - 19:51 : Super idée d'avoir amené ta Française. Elle est rigolote comme tout. Ça m'étonne pas que tu l'aimes bien.
Han Ji-Hun - 20:04 : Elle t'appréciait beaucoup et était triste ces jours-ci.
Han Ji-Hun - 20:04 : Je ne savais pas que tu composais. C'est bien. Vraiment.
Zhang Ke Liang - 20:06 : Elle avait pas l'air triste ! Tant mieux si ça l'a requinqué.
Zhang Ke Liang - 20:07 : Oh, elle t'a montré du coup. Je le mets pas en avant, ma boite de prod' m'a fait comprendre que ce que je faisais ça ferait pas vendre.
Zhang Ke Liang - 20:07 : Alors j'ai préféré garder ça dans mon coin.
Han Ji-Hun -20:08 : C'est dommage, je suis certain que les gens aimeraient. Pourquoi tu publierais pas sur ton Weibo tes compos ?
Zhang Ke Liang - 20:08 : Et me faire incendier par ma boite ? Non merci.
Zhang Ke Liang - 20:08 : Puis parle pour toi, t'as aucune présence en ligne.
Han Ji-Hun - 20:10 : Je poste un peu sur twitter.
Zhang Ke Liang - 20:11 : Ça compte pas. Je t'assure, fais-toi un tiktok, poste dessus, poste ton chien, du chant, de la danse. Elle est calée la Française dessus, elle pourrait t'aider.
Après Dayoung, après Yu-Jun, après Ha-Rin, voici qu'il s'y met aussi à vouloir me pousser sur TikTok. Je soupire et réfléchis un long moment avant de lui répondre.
J'ai le temps de voir Flora passer, me sourire et se cacher en cuisine. Elle va faire des nouilles avec une sauce... ...je sais pas trop quoi comme sauce. Je préfère pas y réfléchir. Elle se débrouille entre mes ingrédients coréens et ses recettes françaises. Tant que c'est mangeable et que ce n'est pas du chou, tout me va.
Han Ji-Hun - 20:15 : Je veux bien m'y mettre à une condition.
Zhang Ke Liang - 20:15 : J'ai peur.
Je souris. Flora aurait dit un truc dans le genre aussi...
Je secoue la tête devant mon écran.
Han Ji-Hun - 20:16 : Je chante sur des compo à toi.
Han Ji-Hun - 20:16 : Et je chante avec toi, avant que tu ne repartes.
Zhang Ke Liang - 20:17 : Fair enough
Zhang Ke Liang - 20:17 : Après tu pourras plus le voir en peinture tellement je vais te coller.
Han Ji-Hun - 20:18 : Je suis patient
Zhang Ke Liang - 20:19 : Je te prépare ça. À plus.
Han Ji-Hun - 20:19 : Au revoir Ke Liang.
Depuis la cuisine, j'entends Flora me demander, alors que je répondais au dernier message :
"Ji-Hun, il est vraiment gentil Ke Liang."
Ah, deuxième son de cloche. Qui sonne presque pareil que le premier. Je viens me rapprocher d'elle et observe les légumes qu'elle découpe. Quelques-uns attendent aussi d'être découpé, des pommes de terre notamment. Je me lave les mains et viens l'aider :
"Tu as apprécié ta journée ?
- Franchement, ouais... Même la réunion, c'était super intéressant... Je n'avais jamais imaginé à quoi ressemblait le travail en amont. Bien-sûr j'avais vu des interviews mais... en vrai c'est... Mieux. Puis Ke Liang, ohlala..."
Elle rigole et penche la tête en arrière : "La moi d'il y a 7-8 ans aurait été trop heureuse. Et elle ne m'aurait jamais cru." Rigole-t-elle avant de se calmer... Pour me dire plus doucement : "Ni... ni pour toi, d'ailleurs.
- Pour moi ?" M'enquis-je.
- Que je rencontre quelqu'un comme toi."
Oh.
Oh, oh, c'est une perche ça.
C'est une perche il faut que je la prenne avant qu'elle enchaine. Mes membres sont paralysés par l'appréhension, je bégaye un vague : "Moi ? Pourquoi moi ?"
La jeune femme lève les yeux au ciel en gloussant, chuchote quelque chose en français. Ce n'est donc pas du flirt. Comment je suis censé faire...
Je les revois, eux deux, souriants et se parlant comme s'ils s'étaient toujours connus.
La jalousie le ronge l'estomac et crispe la mâchoire.
Non, cette fois-ci je ne laisserai pas la perche s'en aller.
Pommes de terres à moitié tranchées dans la paume de la main, j'arrête tout pour la regarde, bien en face de moi. C'est ce soir qu'elle va comprendre le sens du mot "aimer" et pas avant que Ke Liang le lui fasse découvrir.
"Flora. Je t'aime."
Elle pose doucement le couteau qu'elle a dans la main sur la planche à découper et croise mon regard. Un sourire met un petit temps à venir, elle détourne le regard. À quoi peut-elle bien penser ?
"Moi aussi Ji-Hun. Tu le sais.
- Non, je t'aime pas comme ça. Je t'aime comme un amoureux. Je veux pas être que ton ami je..."
J'ai d'un seul coup peur de ce que je suis en train de dire et de sa réaction. Elle glousse et ramène sa natte devant elle, tripotant ses cheveux.
"...Enfin. Si je veux rester ton ami mais... Mais je t'aime plus que ça. Je ne sais pas comment mieux te le dire."
Elle ne répond pas. Ses mains glissent sur son visage et elle ouvre ses doigts pour qu'elle puisse voir à travers ses mains. Ses joues pleines de fossettes rougissent, elle rigole :
"Oh mon dieu, Ji-Hun, t'es jaloux de Ke Liang ?"
J'en fais tomber les pommes de terre.
Pourquoi elle se moque de moi encore ! Pourquoi je suis tombé amoureux de ça ! Je rouspète un peu en me détournant d'elle, rougissant, gêné.
"Oh non non, boude pas. Je suis désolée..."
Elle encadre mes propres joues de ses mains, me remettant face à elle, caressant mes lèvres et le bout de mon nez avec ses pouces. Ses doigts sentent les légumes frais. J'hésite sur la signification de ces gestes un instant, avant qu'elle ne me demande :
"Je peux t'embrasser ?"
Mes jambes flageolent et je sens de la chaleur dans le bas de mon ventre. Elle l'a susurré, regardant par alternance mes lèvres et mes pupilles. Qu'est-ce qu'elle me fait de l'effet-
Je bégaye comme un idiot :
"V-vas-y."
Le soupire de mon approbation se meurt entre nos lèvres. Elle a le gout de la tisane et sent le shampoing. Elle est si grande que nous embrasser est si simple, si évident. Par des caresses, elle penche davantage ma tête pour m'embrasser, encore et encore, sans que nous ne nous entrechoquions. J'ai l'impression de découvrir pour la première fois de ma vie, ce que ça fait, d'aimer, d'embrasser celle que l'on aime. J'en ai le vertige. J'ai quinze ans à nouveau.
Rompant en première l'instant, elle chuchote : "J'ai besoin d'un peu de temps pour le reste, ok ? J'ai peur. Mais je t'aime aussi. Juste... on y va doucement, ok ?
- Je suis pas un bœuf." Réponds-je en fronçant des sourcils.
"Non, t'es un petit canard." Susurre-t-elle avant d'enchainer avec d'autres baisers.
Honnêtement, je ne sais pas si c'est un compliment ou une insulte.
Je m'en contrefiche.
Je suis ravie que tu sentes des choses et en attendent d'autre. Ça me booste à continuer.