Chapitre 20

Jour 1

 

Anastae regardait, d’un air amusé, Emma s’agiter tout autour d’eux, des sacs dans les mains, une écharpe dans l’autre, en déblatérant mille conseils que la jeune fée avait cessé d’écouter au bout du dixième. L’elfe élémentaire semblait pourtant déterminer à leur expliquer chaque petites choses, reposant et prenant les différents sac, et lorsqu’elle s’apprêta à en ouvrir un, Hélios lui expliqua calmement qu’ils n’avaient plus cinq ans. Thalion ,quant à lui, tapa du pied en estimant que la calèche était en retard : 

- Ce fut compliqué d’en trouver une en quelques jours, rétorqua Emma avec un petit sourire. Le troll a la réputation d’être compliqué mais d’être très souvent libre. 

- Génial, railla Thalion. Je sens qu’il va nous énerver passablement. 

- Ne commence pas à râler, contra Hélios. C’est probablement toi qui va finir par nous énerver. 

Emma, munie de son écharpe, donna un coup de cette dernière sur l’arrière du crâne de son ami, les sourcils froncés et une moue boudeuse. Ainsi, elle repartit sur un discours qui les sommait de bien s’entendre pendant cette semaine, que Anastae ne devait pas subir leurs disputes, qu’elle était sans doute au-dessus de ça. 

Thalion lui lança un cou d’oeil qu’elle contra en haussant un sourcil : 

- Tu parles. Je parie que c’est elle qui va commencer les querelles. 

- Hum, rétorqua-t-elle. Hélios a sans doute raison, tu commences déjà à me taper sur les nerfs. 

- J’ai souvent raison, répondit ce dernier. Surtout quand il s’agit de mon frère. 

Thalion se retenait visiblement de l’insulter mais prit tout de même le malin plaisir de le foudroyer du regard, ce qui n’eut aucun effet sur son jumeau. 

Emma reposa le sac de Anastae par terre, cette dernière s’empressa de le récupérer et savoura le fait d’avoir choisi une tunique avec son pantalon, bien plus pratique pour se défendre en toute circonstance qu’une robe. L’elfe élémentaire s’approcha d’elle, se pencha légèrement vers la jeune fée pour lui murmurer un dernier conseil, qu’elle prit la peine d’écouter : 

- Je t’en conjure, fais attention et ne commet surtout pas d’actes irréfléchis. S’il t’arrivait quelque chose… je m’en voudrais terriblement. 

- Je vais essayer, répondit Anastae avec un sourire pincé. 

- Regarde, se chamaillait Hélios avec son frère. La calèche arrive. 

Thalion s’empressa de prendre son sac et arracha ceux des Anastae de ses mains avec une grimace en direction de Hélios : 

- Toi tu te débrouilles. 

- Que de gentillesse, railla son frère. 

- Je pouvais le faire toute seule, répliqua Anastae en tentant de reprendre ses sacs des mains du Prince, priant pour qu’il ne casse pas son arc avec ses gestes. 

Ce dernier s’éloigna d’elle avec son sourire de chat, et se dirigea vers la calèche qui s’arrêta brusquement devant eux, les chevaux se cambrant dans un geste qui n’était absolument pas rassurant : Anastae constata le même air suspect sur le visage de Emma qui s’empressa de l’effacer avec un bref sourire.

Le troll ne prit pas la peine de sauter à terre pour les saluer, et se contenta de se pencher, ses cheveux fougères tombant sur son front, pour leur hurler : 

- Dépêchez-vous de mettre les sacs dans le coffre, j’ai pas toute la journée ! 

- Il sait qu’il prend en charge les deux Princes, chuchota la jeune fée à l’elfe élémentaire. 

- Oh non, tu penses bien. 

Thalion se contenta de secouer sa tête,amusé, et Anastae, sans aucune raison, se mit soudainement à penser à Leith : elle éprouva un pincement de remords en songeant qu’elle n’avait pas chercher à le contacter après leur nuit passée ensemble et qu’elle s’apprêtait désormais à partir pendant une semaine sans lui avoir laissé ne serait-ce qu’un mot. Elle se rassura pourtant en se promettant d’aller le voir à son retour, si tout se passait bien. 

Elle n’avait aucune envie de se montrer condescendante envers lui. 

Hélios passa devant elle, adressa un bref hochement de tête à Emma, qui lui offrit son doux sourire avec un chuchotement inaudible pour les oreilles à moitié humaines de la jeune fée. Thalion prit le temps de lui adresser quelques paroles : 

- Ne t’en fais pas trop, se moqua-t-il. On est des grands garçons. Et pour ce qui est d’Anastae… 

Il fit une petite grimace : 

- On va essayer de la garder en vie, mais je ne peux rien te promettre. 

- Et je vais essayer de ne pas le tuer, contra Anastae avec une grimace. Mais je ne peux rien te promettre, il a tendance à m’agacer. 

Emma poussa un petit rire franc, et passa une main agile dans ses boucles : 

- Je vais vous laisser, on va remarquer mon absence si je reste trop longtemps ici. 

Et après un simple sourire, un dernier aurevoir, elle disparut dans la forêt adjacente. 

Anastae redressa ses épaules : c’était le moment, celui où elle allait remplir une mission alors qu’elle devait se trouver en vacances avec son amie. Une autre hantise grandit dans ses veines : elle allait passer une semaine avec les deux Princes, et elle craignait qu’il y ait une sorte de malaise continu. 

Elle se fit alors la promesse, même si elle n’était absolument pas le type de fée à aller vers les autres, de tout faire pour que le voyage se passe dans une ambiance correcte. 

De ce fait, elle accepta la main de Thalion pour monter dans la calèche, le remercia d’un hochement de la tête, et prit place à côté de ce dernier : 

- C’est bon nous pouvons enfin partir, cria le troll à l’extérieur. 

- Quel malpoli, railla Thalion à l’oreille de Anastae pendant que Hélios lui expliquait où ils se rendaient. Devrais-je lui avouer qu’il transporte dans sa calèche les deux Princes et la fille de l’Ancien Général ? 

- Si tu veux abréger le temps passé en ma compagnie, absolument. 

- Cela te déplairait-il ? 

La jeune fée se retint au rebord quand la calèche démarra dans un bruissement de branches avant de rouler des yeux. Elle avait presque oublié son côté narquois, moqueur, un tantinet manipulateur. Cependant, cela la rassura : Thalion était le genre d’elfe à mettre tout le monde à l’aise, il n’y aurait sans doute pas d’ambiance tendue durant la semaine qui débutait aujourd’hui. 

Thalion se pencha vers son oreille et souffla dans cette dernière : 

- Ce silence en dit plus que tu ne veux l’avouer… 

- A la vue de ses émotions, trancha Hélios d’une voix calme. Anastae ne semble  pas réellement se préoccuper de ce que tu as pu lui dire. 

- Hélios, que tu es rabat joie. 

Ce dernier haussa ses épaules, étendit ses jambes devant lui et posa son coude sur le rebord de la fenêtre pour y déposer son menton. Il observa un instant la lune qui commençait à disparaître pour laisser sa place au soleil, et ferma ses yeux. La jeune fée regretta un instant qu’il tombe aussi facilement dans le sommeil et qu’elle soit forcée de faire la conversation  à Thalion qui allait se délecter de ses tourments. 

Pour confirmer ses pensées, il lui coula un regard narquois avec son sourire de chat : 

- Es-tu inquiète au sujet de la semaine à venir ? 

- Qui ne le serait pas, rétorqua-t-elle sans le regarder. C’est la première fois que je me lance dans une mission de ce genre… Contrairement à vous, ajouta Anastae en lui lançant finalement un coup d'œil. 

Thalion souriait toujours, sa main soutenant son visage grâce au rebord, et haussa un sourcil. 

Il était beau…, pensa Anastae à la vue de ses yeux rubis qui brillaient dans la fin de nuit. 

Mais il n’y avait pas que cela. Il avait de beaux traits fins et virils à la fois, une mâchoire parfaitement dessinée, des cheveux soyeux légèrement en bataille, des lèvres charnues, de longs cils noirs, et pour l’avoir côtoyé lors des entraînements, elle savait également qu’il avait un beau corps. 

Une nouvelle fois elle pensa à Leith. Elle songea à ses mains qui glissaient sur ses hanches, à sa bouche contre la sienne, son souffle se mêlant au sien, à ses yeux brillant de désir, à son corps surplombant le sien. Lui aussi était beau, mais il était si différent de Thalion en tout point… L’énergie qu’ils dégageaient chacun était indéniablement opposée.

Anastae secoua sa tête pour reprendre ses esprits, et écouta la réponse de Thalion : 

- Le Palais est ennuyant, il ne s’y passe jamais rien. Hélios et moi, nous voulions de l’aventure, et Emma voulait vivre cette dernière à travers nous. Ce n’est pas rare que je parte avec mon frère quelques jours pour régler certains problèmes. 

- Quel genre de problème ? 

- Des missions qui ne peuvent pas être réglées par la garde royale. 

Il lui adressa un clin d’oeil :

- On se salit les mains. 

Elle poussa un soupir et contempla un instant son reflet dans la vitre. 

Comme à son habitude, elle avait pris le temps de peindre ses lèvres en rouge mais avait délaissé sa chevelure blanche qui tombait en vagues disgracieuses sur ses épaules. Anastae les rassembla, se saisit d’un ruban, et s’empressa d’attacher ses cheveux dans une coiffure simple mais qui lui permettrait de ne pas sentir ses mèches sur sa nuque.

Dans le reflet, la jeune fée surprit le regard de Thalion posé sur nuque, et elle se tourna vers lui, dans l’espoir de le prendre sur le vif.

Cependant, Thalion se contenta de planter ses yeux dans les siens, sans éprouver la moindre honte à la contempler. Ce fut donc à Anastae de s’empêcher de rougir : 

- Dis moi, reprit Thalion. Les fois où tu étais aux bals royaux, tu semblais réellement plus… froide.  

Elle pinça ses lèvres : 

- Je sais, avoua-t-elle. Et tu n’es pas le premier à me faire cette remarque. J’ai changé, j’ai trouvé des motivations et je transforme le cours de ma vie. 

Anastae se mordit aussitôt la lèvre inférieure : en avait-elle trop dit ? : 

- Pourquoi ? 

- Oh et bien, sourit-elle. Nous ne sommes pas assez proches pour que je te le dévoile. 

Il haussa un sourcil, poussa un petit soupir amusé. 

Cependant, à sa plus grande surprise, il n'insista pas et se contenta de se tourner vers la fenêtre pour contempler, cette fois-ci, le paysage. Anastae suivit son exemple après avoir jeté un coup d'œil à Hélios qui dormait totalement, tel un enfant, la bouche légèrement entrouverte. 

Inconsciemment, elle retenu un petit sourire à cette vue fragile d’un des deux Princes : qui aurait un jour cru qu’elle aurait vu un tel spectacle ? 

Une heure sembla passer sans qu’aucun autre mot ne soit prononcé, mais cela ne la dérangea nullement. Il s’agissait seulement d’un silence confortable, où personne ne se sentait obligé de le briser. 

Thalion remua alors à sa droite, et s’étira, en retenant un bâillement : 

- Cette calèche est très inconfortable 

- Cela ne convient pas à ton luxe de Prince ? 

- Tu peux parler, tu vis dans le même. 

Elle approuva la remarque d’un bref hochement de tête quand elle remarqua que son air moqueur s’était transformé dans un sérieux étonnant de sa part : 

- Nous n’allons pas te brider dans cette mission, déclara Thalion. J’espère que tu as conscience que tu t’apprêtes à risquer ta vie et que nous n’allons pas pouvoir te protéger en permanence des dangers incessants que nous allons rencontrer. Cette mission n’est pas à prendre à la légère. 

- Me prends-tu pour une idiote, demanda-t-elle en haussant un sourcil. 

Il poussa un soupir : 

- Je te préviens juste. 

- Je sais bien. Comme je savais que si je venais avec vous, je risquais ma vie. 

Elle lui offrit un sourire confit qui tira sur ses joues tant il était forcé : 

- Je vais faire de mon mieux. 

Thalion croisa ses jambes : 

- Espérons que ce soit suffisant.

 


Anastasia se boucha les oreilles, le souffle haletant, et pria pour que personne ne la trouve, recroquevillée sous son lit, avec comme seule vision le visage figé de terreur de sa mère. Sa main était tendue vers sa fille, comme pour lui venir en aide, mais elle avait succombé de ses blessures quelques minutes auparavant avec comme seule lueur de vie un regard suppliant. 

La petite fille serra contre elle sa peluche favorite, ferma les yeux un instant, ce qui ne fit qu’accentuer le bruit des pas qui montaient dans les escaliers. Ces derniers se figèrent devant la porte entrouverte de sa chambre et elle comprit, sans très grande peine, que l’individu pénétrait dans cette dernière. 

Anastasia serra les dents, implora quelqu’un, n’importe qui, de lui venir en aide mais la seule chose qui résonna en elle fut la solitude. Sa mère était morte sous ses yeux, elle n’avait désormais plus personne. Avec son piètre courage, elle entrouvrit les yeux, pour voir une main se tendre vers son bras. 

Avec un cri, elle fut tirée de sous le lit, et se dressa devant l’elfe aux cheveux rouges, au visage cependant flou où seul un sourire carnassier demeurait. 

La petite fille s’agita, tenta de se défaire de sa prise, mais ne fit que la renforcer. L’elfe la souleva d’une seule main, sa peluche tomba des siennes, et il ria, tellement fort, que ses oreilles se mirent à la brûler. Cependant, ce ne fut bientôt plus la seule partie qui brûla en elle. 

Un feu ardent agita sa poitrine, la fit sursauter, manqua de l’étouffer, et, sans aucun contrôle sur cet événement, le feu se propagea dans son bras, que l’elfe tenait. 

Bientôt tout ne fut plus que chaleur, douleur, cris, flammes qui dansaient devant ses yeux, qui engloutissaient le corps de sa mère défunte ainsi que l’elfe en face d’elle. 

Anastasia cria. 


- Anastae, déclara une voix dans ses oreilles. Nous sommes arrivés. 

Cette dernière ouvrit doucement ses yeux, se demanda pendant un instant pourquoi on l’appelait ainsi : le seul élément de son rêve qui demeurait encore dans sa mémoire était son véritable prénom. 

Anastasia.

Cependant, en voyant le visage de Hélios devant le sien, ses yeux rouges et sa chevelure de jais, elle se souvint que la petite fille qui portait ce nom n’était plus présente depuis bien longtemps. Anastae ne put réfréner un bâillement et s’agita pour retrouver des sensations dans ses jambes engourdies.

Elle accepta la main de Hélios pour descendre de la calèche, son dos la faisant souffrir, et à la vue du coucher de soleil, elle comprit qu’elle avait dormi la plus grande partie du trajet après avoir discuté les premières heures avec Thalion. Ces paroles échangées ne s'étaient pas avérées désagréables et ce serait mentir de dire qu’elle n’avait pas apprécié leurs conversations diversifiées. 

Enfin, elle posa un pied à terre, retenu de sa main libre sa tunique qui s’envolait face au vent violent qui semblait agiter cette région. Ce ne fut que quelques secondes plus tard qu’elle se rendit compte qu’elle tenait toujours la main de Hélios. Après un bref regard reconnaissant, Anastae se délivra de sa prise, et s’avança vers le troll qui était en train d’indiquer à Thalion comment enlever les bagages. 

Le Prince avait un sourire amusé sur les lèvres, se délectant sûrement du fait d’être traité comme un simple elfe, et non comme l’un des héritiers de la couronne. Anastae s’avança pour lui donner de l’aide et souleva son propre simple avant de faire de même avec un d’Hélios : 

- Je suis étonné, commença Thalion. Que tu ne te sois pas retournée. 

Elle leva sa tête, tourna comme il lui avait indiqué et devant elle se dressa Alia. Si cette petite ville n’avait pas la grandeur de la capitale, elle était d’une beauté saisissante. 

De nombreux arbres fleuris se trouvaient aux abords de la ville, les maisonnettes rayonnaient dans le coucher de soleil, les dalles qui s’offraient à eux brillaient d’une lueur dorée et était d’une propreté saisissante. Ce qui attira cependant son regard fut une sorte de grand bâtiment où se trouvait des aiguilles qui ressemblaient étrangement aux horloges du monde humain. 

Thalion remarqua son regard et lui expliqua : 

- Il s’agit d’un clocher. L’on raconte qu’un elfe légèrement arrogant, aurait construit ce bâtiment humain pour provoquer le Roi de l’époque. 

Anastae s’étonna qu’il parle aussi librement des humains. 

En effet, leur peuple évitait en général d’aborder le sujet de cette espèce, comme si elle était considérée comme tellement inférieure qu’elle ne valait pas la peine d'être évoquée. Cependant, grâce aux leçons vagues et rapides des professeurs de l’Académie, la jeune fée savait qu’il existait un temps où elfes et humains connaissaient l’existence de chacun tout en vivant séparément. Selon une vieille légende, leur peuple, étant effrayé de la capacité à mentir des humains, avait finalement décidé de leur faire oublier leur existence, avec comme mantra qu’ils étaient des abominations. Mais Anastae, comme tous les autres, savaient qu’il s’agissait d’une autre raison qui fut noyée avec le temps. 

Impressionnée, elle fit un premier pas dans l’herbe et gonfla ses poumons d’air frais. Au loin, elle entendait les bruits sourds de la ville avec quelques cris, hurlements, qui caractérisait les marchands ainsi que leur marché. 

Après un bref regard, elle pinça ses lèvres : sa tenue était peut-être légèrement trop “ noble” contrairement aux jumeaux qui avaient revêtu une simple blouse, un pantalon et des bottes noires : 

- Ne t’inquiète pas, déclara alors Hélios. Si tout se passe bien, personne ne se rendra compte de qui nous sommes. 

Elle prit une grande inspiration pour camoufler son inquiétude par un calme apparent, en espérant également qu’il ne s’en rendrait pas compte. Pour se changer les idées, elle tendit son sac, qu’il saisit après un bref remerciement, et se dirigèrent vers Thalion qui était en train de payer généreusement le troll pour qu’il parte au plus vite : 

- Vous êtes bien généreux, gloussa ce dernier. 

Il se mit presque à sautiller sur place : 

- Messieurs, mademoiselle, si vous avez besoin de mes services, je tâcherai de me rendre disponible au plus vite.

- L’argent vous corrompt, remarqua Thalion avec son sourire de chat. 

- Comme la plupart des trolls. 

Sur cette dernière parole, il effectua un bref salut, et se dirigea vers sa calèche en pestant de nouveau. Quelques secondes plus tard, cette dernière s’effaçait dans l’horizon. 

Anastae referma sa prise sur ses sacs, redressa le menton : 

- Eh bien… Allons-y. 

Elle remarqua à peine les deux Princes se placer sur chacun de ses côtés. Ce fut à ce moment précis qu’elle prit totalement conscience de ce qu’elle s’apprêtait à faire avec qui. 

Hélios poussa un grognement : 

- Ce n’est pas le moment d’avoir peur. 

- Anastae avoir peur, rétorqua Thalion avec un éclat de rire. 

- Taisez-vous, grinça-t-elle. Avoir peur n’est pas une faiblesse.

Sur ces mots, elle débuta la marche qui les conduiraient vers une mission, bien plus profonde qu’ils ne le pensaient réellement.

 

 

 

Anastae regardait avec des gros yeux l’auberge qui se dessinait à eux. Pour être totalement honnête, la jeune fée n’avait jamais mis les pieds en dehors de la capitale, de ce fait, elle avait toujours vécu dans le luxe, et sa seule expérience de la "banalité" pouvait se réduire au marché. 

Elle manqua de tomber en avant quand elle remarqua deux sirènes sur les genoux d’un pixie qui abordait un sourire légèrement éméché. De la musique, heureusement non féerique, résonnait dans la salle de réception bruyante, et des cris se mélangeaient à cette dernière, de souffrance ou de plaisir. Anasate déglutit : dans cette auberge, il n’y avait presque aucun elfe ou fée, si ce n’était le réceptionniste à l’air désintéressé. 

Thalion et Hélios prirent à peine le temps de contempler la salle et s’avança vers ce dernier : 

- Bien le bonjour voyageurs, déclara l’elfe. Il est rare de voir des elfes et de fées dans les environs, j’ose espérer que vous donnerez une certaine nouveauté à cet endroit. 

- Nous y réfléchirons, déclara Hélios. 

Il sortit alors un parchemin qu’il tendit à l’elfe. Ce dernier le parcourut rapidement, bailla bruyamment, et ses boucles dorées dansaient sur son front, beaucoup trop longues. Finalement, il se pencha pour chercher un objet dans le tiroir et en tira une boule bleue. 

Thalion se chargea de la récupérer alors que Anastae surveillait du coin de l'œil un pixie qui lui souriait d’une façon trop forcée pour qu’il soit animée de bonne attention. Elle pinça ses lèvres : un pixie, ou une créature autre que la race des elfes et des fées, n’auraient jamais osé ne lui adresser qu’un seul sourire. Ce lieu semblait animé d’autres lois : 

- Prend garde, lui susurra Thalion à l’oreille. Tu pourrais bien lui servir de dîner. 

Anastae le repoussa d’un mouvement de l’épaule et redressa le menton en défiant du regard le pixie. Ce dernier passa sa langue sur ses lèvres, la jeune fée s’empressa donc de froncer ses sourcils pour le dissuader, mais la créature s’avança vers elle d’un pas léger. 

Il était grand, sa peau était légèrement basanée et des boucles noires tombaient sur sa nuque. Tout du long de son ascension jusqu’à elle, il ne cessa de lui adresser un sourire immaculé : 

- Mademoiselle, déclara-t-il alors en se penchant en avant. Votre beauté m’en laisserait coi. 

- Je ne suis pas intéressée, répondit Anastae en s’apprêtant à le dépasser pour rejoindre les deux Princes qui l’attendaient avec un sourcil levé. 

- Mais je le suis. 

Il lui saisit le poignet d’une force étonnante pour un pixie. Ce fut à ce moment précis qu’elle se rendit compte qu’il était musclé, trop pour être un simple serviteur. Cela ne l’inquiéta pas pour autant, elle avait déjà repoussé les avances d’un elfe au bal où elle s’était rendue avec Luciana. Ce n’était pas un simple pixie qui allait l’effrayer. 

Elle contracta ses muscles, lui lança un dernier regard d’avertissement : 

- Lâchez-moi.

Au contraire, il la tira pour l’attirer contre lui. 

Anastae fronça encore plus ses sourcils, et d’un geste brusque qui manqua de la faire tomber en arrière, lui adressa un magistral coup de pied dans la cuisse. Le pixie, plus surpris que blessé, recula de quelques pas et sa poigne autour de son poignet se desserra. 

Sans plus attendre, elle se retourna, s’arrachant à sa prise de justesse, et se confronta au torse de Thalion qui avait surgi derrière elle. La jeune fée manqua de reproduire le même traitement sur lui quand il la saisit par le poignet : 

- Si j’étais toi, j’éviterai de recommencer, déclara le Prince. Je la soupçonne d’avoir un très bon crochet du droit. 

- T’es qui toi, siffla le pixie. 

Anastae lui donna un coup de coude pour qu’il la lâche et se détourna de celui qui avait tenté de la courtiser, d’une manière peut-être légèrement trop brutale : elle comprit alors que, ici, elle n’était rien d’autre qu’une fée, et que son statut qui avait dû en effrayer plus d’un, avait repoussé nombre d’elfes et de fées.

Hélios haussa ses épaules quand elle arriva à son niveau et lui fit signe de monter les escaliers : 

- Eh, tu fais quoi, demanda alors ce dernier à son frère. 

La jeune fée risqua un coup d’oeil derrière son épaule pour voir le pixie en train de se masser les tempes, la mine douloureuse : 

- Oh, presque rien.

Thalion lui adressa son sourire de chat et se dépêcha pour les rejoindre. 

Anasatae dût se forcer pour regarder en face d’elle et ne pas lui demander ce qu’il avait fait à ce pixie. Inconsciemment, elle porta une main à son poignet endolori et grimaça en se rendant compte que sa peau pâle était déjà en train de rougir. La jeune fée s’efforça à prendre une grande inspiration pour dissuader Hélios de lire en elle : si elle avait la certitude que son poignet lui importait peu, elle ne tenait pas à réveiller les souvenirs de sa cheville soit disant “foulée”. 

Au bout des marches, un long couloir se dessina, avec plusieurs portes qui portaient un trou de la taille d’une boule, plus précisément de la taille de celle que Thalion avait dans la main. Ce dernier s’avança vers une porte et Anastae, curieuse car elle n’avait jamais vu cela de sa vie, dépassa Hélios pour inspecter le processus : 

- Regardez cela, railla Thalion. La petite noble qui n’est jamais sortie de sa ville. 

- Tes remarques sont… 

Elle marqua un temps d’arrêt : 

- Puériles. 

- Mais j’adore voir ta bouille énervée, répliqua le Prince avec un clin d'œil.

Anastae songea à ce moment précis que si elle avait porté des chaussures à talons, elle les aurait balancé sur sa moue prétentieuse. Heureusement pour lui, elle portait de longues bottes, peu pratiques au lancer. 

Elle se contenta donc de le foudroyer du regard : 

- C’est bon, souffla Hélios. Vous avez fini ? Je commence à croire que Thalion a un véritable don pour énerver tout le monde. 

Pour appuyer le propos il fit un bref geste dans la direction de la fée, qui appuya ce dernier avec un hochement de tête. Thalion roula des yeux en même temps que la boule entre ses mains et, sans plus attendre, l’enfonça dans le renfoncement de la porte.  

La boule se mit à briller violemment, forçant Anastae à plisser des yeux, avant qu’un petit déclic ne se fasse entendre et ne résonne dans le couloir. La porte grinça quand elle s’entrouvrit. Thalion, devant le regard curieux de Anastae, retira rapidement la boule et la fourra dans sa poche de pantalon, sans plus de délicatesse. Il s’effaça alors de l’entrée pour se pencher en avant dans une référence : 

- Après vous, mademoiselle. 

La jeune fée se sentit frémir à la vue d’un des Princes qui s’inclinait devant elle et manqua de lui dire de se relever, tant cela la perturbait. Puis, elle songea à son sourire moqueur, suivi d’une raillerie sur le fait qu’elle était coincée, ou une chose du genre. 

Le regard que Hélios lui lança lui confirma sa pensée. Subitement, elle s’étonna de ce dernier : il était distant, beaucoup trop calme, et presque désintéressé. Cette même envie de lui demander ce qu’il avait vécu la saisit, comme à leur première rencontre, mais elle songea que ce serait déplacé, après tout, ils se connaissaient à peine. 

Anastae se contenta donc de passer devant Thalion et son assurance qu’elle avait tenté de se composer disparut subitement : dans cette chambre, si on pouvait l’appeler ainsi, ne comportait que deux lits, deux lits en piètre état, qui manquaient de se casser si on restait assis dessus trop longtemps. Un bref regard confirma cette impression : les murs avaient de légers trous, le plancher grinça sous ses pieds quand elle fit un pas, la piètre cheminée était couverte de poussière et seule une petite lucarne laissait passer les derniers rayons du soleil. 

Thalion s’avança derrière et poussa un sifflement : 

- Emma n’a vraiment pas fait dans le luxe, cette chambre s’assimile plus à un débarras. 

Il poussa un petit rire : 

- Anastae… Avec qui préfères-tu dormir ?  

Cette dernière se retourna vers lui, dût relever son propre visage pour regarder le sien et tenta de trouver ne serait-ce qu’une once de moquerie seulement… il semblait terriblement sérieux. Cependant, elle ne pouvait dormir avec un des Princes, elle qui n’avait jamais partagé son lit… 

C’est faux, siffla sa petite voix intérieure. Leith et elle en train de s’embrasser dans son lit, lui s’endormant à ses côtés : 

- Il te taquine, déclara Hélios. Il est évident que c’est moi qui vais devoir dormir avec lui. 

Malgré elle, elle sentit un poids s'enlever de sa poitrine : 

- Mais…, hésita-t-elle cependant. Vous y arriverez ? Le lit est assez… petit. 

- Nous ne sommes pas en voyage de confort, rétorqua l’elfe aux cheveux de jais. Le sommeil passe après. 

A la vue de son ton implacable, Anastae n’insista pas davantage et choisit le lit le plus éloigné de la cheminée, décidant qu’elle pouvait au moins leur laisser la source de chaleur : cette chambre était d’une froideur mordante. Elle déposa ses deux sacs près du pied de son lit et en sortit son arc ainsi que ses flèches pour vérifier qu’ils étaient en bon état. 

Après une brève inspection, sous les bavardages des deux frères qui décidaient qu’ils allaient se reposer cette nuit pour aller repérer les alentours le lendemain matin, elle fut satisfaite qu’ils soient aussi parfaits qu’à leur départ. 

Elle jeta un petit regard à Thalion et Hélios, toujours en train de parler, et se demanda comment elle avait pu se retrouver dans cette situation, elle qui, deux mois plus tôt, avait simplement accepté l’invitation d’un inconnu pour s’entraîner. Elle songea également à Luciana, en voyage avec son fiancé et qui, malgré tous ses secrets, avait accepté de la couvrir au besoin. Son cœur se serra quand elle se remémora leur dernière conversation et elle se promit que quand elle rentrerait, elle allait lui présenter ses excuses : 

- As-tu faim, demanda alors Thalion en enlevant ses bottes. 

- Pas vraiment, s’étonna-t-elle en ne ressentant aucune gêne dans son estomac. 

Hélios répondit par la négative avec un hochement de tête : 

- Alors, allons nous laver et nous étudierons la carte de la ville, continua Thalion. Anastae, honneur aux dames. 

Pour une fois, cette dernière ne protesta pas, heureuse de pouvoir se laver après une journée de trajet et se dirigea vers la mince porte en bois, un sac dans sa main. La petite salle de bain était à l’instar de la chambre, prête à s’effondrer, minuscule, mais avait le mérite de ne pas être couverte de poussière.  

Elle enleva ses vêtements, gênée de savoir que les deux Princes se trouvaient de l’autre côté d’une simple porte et qu’elle pouvait encore entendre le son de leur voix. Anastae frissonna : n’y avait-il donc aucune autre source de chaleur que la cheminée ?

L’eau était également froide, et elle se mit à claquer des dents, heureuse de mettre sa robe de chambre qui était pourtant bien légère. Les cheveux dégoulinant sur le tissu précieux, elle se rendit compte alors qu’elle allait devoir sortir de la salle de bain avec cette robe de chambre et, comme l’avait si bien dit Leith, cette dernière laissait peu place à l’imagination. 

Anastae… Ils s’en fichent.

Se rassurant avec cette piètre pensée, elle sortit de la salle de bain.    

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Isahorah Torys
Posté le 09/10/2022
Je trouve que le souvenir d'anastae sous forme de rêve est exactement à sa place dans ton histoire. Voilà un moment que l'on attendait des bribes d'informations concernant sa jeunesse et nous voilà servis. Ce sont des éléments importants que tu n'as pas oubliés !
Marlee2212
Posté le 26/10/2022
Ravie que le rêve de Anastae t'ai plu, je trouvais important que des informations sur son enfance soit données bien qu'elle ne se trouve plus dans le monde des humains !
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