Jour 1-2
Hélios, effectivement, ne porta aucune attention à sa tenue, concentré sur la carte de la ville, assis sur le bord de son lit alors que Thalion était en train d’enlever sa propre chemise. Anastae, malgré elle, se figea devant son torse musclé, le premier qu’elle voyait de sa vie entière et laissa son regard dériver sur ces lignes sculptées, qui témoignaient d’un entraînement quotidien. Elle observa ses bras tirer sur sa chemise pour la passer au-dessus de sa tête : il finit par rejeter cette dernière en arrière, les cheveux en bataille, quand il fut libéré du tissu.
Les joues rouges, elle s’empressa de détourner son regard : Thalion se ferait un plaisir de la taquiner sur son manque d’expérience ou à se venter sur son corps de rêve. Elle lissa donc sa robe de chambre et se dirigea vers Hélios en passant devant son frère.
Un petit rire retentit quand Anastae s’empressa de le dépasser mais, étonnement, il se retint de faire toutes remarques,ce qu’elle apprécia. La jeune fée prit place à côté du deuxième Prince qui lui jeta un bref coup d'œil. Elle remarqua alors la petite lueur d’amusement dans ce dernier. Elle s’empressa alors de dissimuler l’émoi qu’elle avait ressenti face au torse de Thalion et attendit quelques secondes que ce dernier ferme la porte de la salle de bain pour changer de sujet :
- As-tu une idée de l’endroit où pourrait se trouver cette certaine cachette ?
- Il s’agit d’une petite ville, lui expliqua-t-il en lui tendant la carte. Cependant, elle est constituée d’énormément de petites ruelles, de recoins, et plusieurs endroits sont propices à contenir ce talisman. Mais plus j’y réfléchis, et plus je pense que ce serait un bon moyen de détourner l’attention de ceux qui tenteraient de les trouver.
La jeune fée croisa ses jambes, tendit ses mains vers la cheminée, et résuma :
- Nous avons donc une semaine pour trouver cette cachette. Mais il faut également que nous trouvions le moyen d’y entrer sans se faire repérer. Une semaine… N’est-ce pas trop court? Ne devrions-nous pas commencer dès ce soir ?
- Pour un premier repérage, le jour est bien mieux que la nuit. Cette dernière nous sera utile lorsque nous aurons plus de renseignements et des idées sur où se trouve cette cachette. Je dois bien t’avouer qu’une semaine n’est pas suffisant mais avec Thalion, nous avons un événement auquel nous devons assister le jour même où nous rentrons.
Anastae remarqua son regard se ternir et sa main qui tenait le plan se crisper presque imperceptiblement. Stupéfaite de le voir réagir de cette façon, elle eut l’envie soudaine de lui saisir la main, de la serrer dans la sienne, comme elle l’avait fait avec son frère mais se reprit de justesse.
Si elle avait le sentiment qu’ils étaient semblables sur bien des points, elle… elle ne le connaissait pas. La jeune fée décida donc de ne pas insister davantage pour respecter son intimité et changea de sujet :
- Comment est la vie au Palais ?
Il tourna la tête vers elle et l’observa pendant quelques secondes qui lui hérissèrent les poils : avait-elle dit quelque chose d’indélicat ? Avec Hélios, elle avait du mal à agir comme elle le ferait avec Thalion. Par moments, il se comportait tellement comme elle qu’elle avait le sentiment de se retrouver face à un miroir.
Si elle ne s’était jamais comprise elle-même, une chose était certaine, elle ne pourrait certainement pas le faire avec Hélios :
- Monotone, finit-il par répondre. Quand on vit depuis l’enfance dans cet endroit, cela devient le quotidien, il n’y a plus rien d’excitant à vivre au Palais, du moins pour moi.
Un bref sourire chatouilla ses lèvres :
- Comme tu peux le voir, je ne suis pas vraiment le genre d’elfe à sortir, à me faire des amis, je suis plutôt… solitaire. En grande partie, à cause de mon don.
La jeune fée sentit une vieille émotion saisir son cœur entre ses griffes.
Elle avait le sentiment de se voir, en train de décrire sa vie monotone, où elle n’avait pas d’amis, où son don l’empêchait de s’entraîner librement, sous peine de dévoiler sa véritable nature. Ce qu’ils étaient les avaient tous les deux forcé à se retirer de la vie active, à subir les événements, plutôt qu’à les apprécier.
Troublée, elle fixa son regard sur ses mains pour ne pas le laisser deviner ses émotions. Mais Hélios plaqua sa paume sur son cœur, les sourcils froncés, et un halètement surgit de sa bouche. Désormais inquiète, elle releva sa tête vers lui et tendit sa main.
Il s’en éloigna immédiatement et sa prise sur sa chemise se desserra :
- Que se passe-t-il, demanda Anastae.
- Tes émotions sont très envahissantes.
- Je ne sais pas quoi faire pour arrêter ça, avoua-t-elle dans l’espoir de trouver une solution.
Hélios fixa un instant sa main qu’elle avait haussé vers lui et sembla pris d’un dilemme immense. Finalement, il secoua sa tête :
- Il n’y a rien que tu puisses faire. Je dois m’y accommoder.
Anastae pinça ses lèvres, contrariée que ce soit la seule solution, et inspira profondément en se focalisant sur la carte pour éviter une émotion violente. Ainsi, en parlant avec Hélios pendant quelques minutes, elle tenta de trouver un endroit spécifique. Mais ils durent se rendre rapidement à l’évidence, et encore plus quand Thalion les rejoignit, les cheveux trempés en s’asseyant de l’autre côté de Anastae, sans pour autant trouver un lieu anormal.
Ils eurent beau parler de toutes les possibilités quand Hélios partit finalement se laver, ils ne trouvèrent aucune information concrète, aucune ruelle qui se différenciait des autres :
- Il faut se rendre à l’évidence, souffla Thalion alors que Hélios sortait de la salle de bain. Cette carte ne nous est d’aucune utilité, il faudra se rendre sur le terrain dès l’aube.
- Espérons y trouver quelque chose de plus concret, déclara calmement son frère.
Thalion roula des yeux et tomba en arrière sur le lit, les mains au-dessus de sa tête. Anastae se demanda si elle ne devait pas faire la même chose mais se contenta de redresser les épaules quand Hélios lui prit la carte des mains pour s'asseoir par terre devant la cheminée.
L’elfe aux cheveux blonds poussa un grognement :
- Fais gaffe à tes cheveux, ce serait idiot de perdre la carte parce que de l’eau coule de tes mèches.
Hélios soupira, saisit ses mèches noires d’une main et les repoussa sur son front,ses yeux rubis étincelant devant le piètre feu qui luttait pour brûler.
Anastae croisa ses bras sur sa poitrine et demanda :
- Vous ne pensez pas que nous devrions commencer par le marché demain ? Il se passe toujours plein de choses là-bas.
- Il faudra s’y rendre dès l’aube, dans les petites villes, c’est là qu’il y a le plus de créatures, répondit Thalion. Inutile de nous munir d’une cape, nous ne ferions qu’attirer plus l’attention.
- Des créatures veulent ma tête, s’écria la jeune fée comme réponse.
- Ils te porteront encore plus attention si tu te distingues des autres. Tu n’as qu’à… attacher tes cheveux ?
Ne pouvant se retenir, elle donna un coup de poing dans la cuisse de cet elfe arrogant, ce qui eut le mérite de lui faire pousser un petit ricanement :
- Il faut vraiment que tu recommences les entraînements, tu as autant de force qu’une jeune fée. Si le pixie de l’entrée ne s’attendait pas à ce que tu ripostes, ils ne sont pas tous comme eux.
- Qui te dit que je n'ai simplement pas mis toute ma force, rétorqua-t-elle.
Pourtant elle savait qu’elle manquait cruellement de force. Elle était chétive de nature, et si elle avait subi les entraînements de son père, ces derniers se résumaient à des chutes et à savoir manier une épée. Elle savait cependant qu’elle était agile, débrouillarde et utilisait l’environnement où elle se trouvait comme un avantage.
Elle était également douée à l’arc, mais sans son arme, elle ne valait presque rien.
Hélios releva la tête de la carte, leur adressa un bref regard et demanda :
- Je n’ai jamais su quel était ton don.
Elle baissa la tête en rougissant, sans même avoir à mentir :
- J’ai une belle voix.
Hélios la fixa un instant, interdit. Thalion, lui, ne put retenir un petit rire :
- Quoi, s’étrangla-t-il presque devant les sourcils haussés de son frère. On ne peut pas le nier, elle a une très jolie voix.
L’elfe aux cheveux de jais ne fit aucun commentaire, mais à la vue de son léger pincement de lèvres, elle comprit qu’il pensait, à l’instar des autres, que son don était inutile. Si Anastae n’avait pas eu l’habitude de ce genre de remarques, elle se serait sans doute vexée, mais elle se contenta de reprendre son calme et de se diriger vers son lit, la nuit étant déjà bien entamée.
Elle savoura le moment où elle arracha la couette de son lit pour s’enrouler dedans, bien qu’elle était aussi fine que de la soie sans pour autant échapper au fait d’être rugueuse. Quelques secondes plus tard, Hélios repoussa la carte vers le coin de la chambre, dépourvue de mobiliers autre que leur lit, et s’allongea sur ce dernier en poussant Thalion d’un coup d’épaule.
Anastae s’en voulut de les laisser partager ce lit conçu pour une personne alors qu’ils étaient tous les deux de grands elfes, assez développés pour être qualifiés de musclés. Thalion ne fit cependant aucune remarque, demanda si cela dérangeait s' il laissait le feu, et comme tout le monde répondit par la négative, il tenta tant bien que mal de se glisser dans le lit. Hélios poussa un bref ricanement, qui l’étonna, quand son frère jura.
Anastae sentit un sourire chatouiller la barrière de ses lèvres avant de plonger dans un sommeil agité.
- Nous ne sommes pas amies, hurla Luciana sur le seuil de sa maison.
Rageusement, elle essuya les larmes qui coulaient sur ses joues, la regardait comme si elle ne la reconnaissait pas, et de la haine commença lentement, mais sûrement dans ses yeux dorés. Anastae essaya de tendre sa main vers elle, mais ne rencontra qu’un immense froid.
Luciana se recula de quelques pas, du sang se mit à couler sur son menton, qu’elle essuya également d’un geste brusque :
- Tu es…
- Je suis, s’entendit demander Anastae d’une voix narquoise.
Elle tenta de réfréner la satisfaction qui grimpait dans son estomac, ses poumons, son cœur. Elle tenta d’interrompre le sourire carnassier qui se dessinait lentement, mais sûrement, sur ses lèvres rubis. Un rire jaillit de sa gorge, étranglé, car elle tentait en vain de l’arrêter :
- Je suis, répéta-t-elle en hurlant presque.
- Tu es HUMAINE.
Anastae se redressa dans son lit, la panique au ventre, sans pour autant clairement se rappeler de son rêve. Seuls les derniers mots de Luciana résonnaient dans sa tête et elle fut prise d’une terrible nausée. Agitée, haletante, ses yeux mirent un instant pour s’adapter à l’obscurité et elle se remémora, à la vue des deux frères dormant dans une position tout sauf confortable et au feu de la cheminée qui avait finit par mourir, qu’elle était dans cette minable auberge en compagnie des Princes.
La jeune fée sentit son corps trembler de froid, désormais que la seule source de chaleur s’était éteinte, et la fine couverture autour d’elle ne changea rien à cette sensation. Pendant un bref instant, elle se demanda si elle avait le mal du pays, mais elle se rendit compte que ce mal, elle l’avait toujours eu.
Car comme l’avait si bien dit Luciana de ses rêves, elle était humaine.
Anastae passa une main dans ses cheveux, se recroquevilla contre le cadre en bois et tenta de se calmer grâce aux respirations calmes des deux frères.
La dispute avec son amie, si elle pouvait toujours l’appeler ainsi, lui était sûrement monter à la tête, mais la façon dont elle avait prononcé ces paroles… Anastae était certaine qu’elle le ferait de la même façon si elle venait à apprendre son sang-mêlés.
N’y pense plus… Personne ne le saura. Jamais.
Sur ces dernières pensées, elle réussit tant bien que mal à s’endormir de nouveau.
Presque inconsciemment, elle poussa un soupir d’aise en sentant une soudaine chaleur sur ses bras et sa nuque. Elle se roula dans les draps, heureuse de trouver enfin un peu de chaleur après la nuit glacée qu’elle avait passée. Anastae, prête à se replonger dans le pays des songes, sentit alors un souffle contre son oreille.
Elle tourna sa tête pour s’y soustraire, cependant, un petit chant, chanté d’une voix narquoise, surgit :
- Anastae devrait se lever, sous peine de tomber.
Cette dernière ouvrit ses yeux, aveuglés par la lueur de l’aube, et poussa un grognement devant le sourire désabusé de Thalion, penché au-dessus d’elle. La jeune fée songea qu’il avait du culot pour un Prince, et le haïssait d’être sa première pensée du matin. Elle releva sa tête, les yeux gonflés, et poussa un bref bâillement.
Un bref regard dans la petite chambre lui montra que les deux frères étaient déjà habillés et que Hélios était en train de glisser une dague dans sa botte. Anastae pensa tout d’abord au fait qu’elle était en retard, puis à celui qu’ils l'avaient vu en train de dormir. Immédiatement, elle tendit sa main vers sa bouche, et fut soulagée de ne rencontrer aucun reste de salive de la nuit. Il avait sans doute fait trop froid :
- Suis-je en retard, demanda-t-elle avec une impression de déjà vu.
- Non, répondit Thalion en se redressant. Nous avons juste très mal dormi dans ce petit lit et nous nous sommes réveillés avant l’aube.
Elle tenta de ne pas se sentir coupable vis-à-vis d’eux et repoussa le drap avant de s’étirer. Heureusement, sa robe de chambre n’avait pas glissé sur ses épaules, comme à son habitude, et elle put se redresser sans aucun souci. Ses cheveux étaient tous emmêlés, mais son apparence n’était pas vraiment la première préoccupation de Anastae.
Pourtant, une fois seule, elle s’efforça de bien coiffer ses cheveux, de trouver une robe qui soulignait sa taille…
Par simple précaution.
- Vous ne trouvez pas que ça sent mauvais, demanda Anastae en humant l’air.
- Il y a du bétail non loin de là, expliqua Hélios. L’odeur doit sans doute provenir d’eux.
Elle hocha la tête distraitement en tirant sur les manches de sa robe : elle n’avait pas anticipé que le climat de cette ville était aussi froid et avait laissé sa lourde cape d’hiver dans sa chambre. Malgré elle, elle jeta un petit regard vers les deux frères qui marchaient à ses côtés, comme s’il s’agissait d’une routine.
Anastae secoua sa tête et reporta son attention sur le marché qui commençait tout doucement à se remplir de commerçants, de nombreuses créatures, certaines de ces dernières les fixant avec un mauvais œil comme si être des elfes ou des fées était un crime. Elle réfréna l’envie de baisser sa tête pour dissimuler son visage : elle avait le sentiment que tout le marché savait qui ils étaient.
Cependant, s’ils attiraient brièvement les regards, leurs marchandises étaient plus importantes pour les commerçants, et si quelques éclats de voix surgissaient, le bruit des bois des caisses qui se fracassaient contre le sol bourdonnait dans ses oreilles. Elle tenta bien de trouver une élément qui détonnait du décor, mais ce marché était ce qu’il y avait de plus banal. Anastae pencha sa tête vers le côté pour inspecter une ruelle, qui se terminait dans un cul de sac, comme les trois précédentes :
- Séparons-nous, déclara alors Thalion. Le marché est assez grand, que chacun prenne un côté et qu’on se retrouve à la grande place dans deux sons de cloches.
- Bonne idée, approuva Hélios. Prends seulement garde à ne pas t’éloigner des rues fréquentées, ajouta ce dernier à son égard.
- J’ai ma dague, rétorqua-t-elle.
Pour prouver ses paroles, elle repoussa légèrement le tissu de sa robe fendue pour dévoiler la ceinture qui soutenait sa dague. Thalion haussa un sourcil, ne put retenir son sourire de chat chatouiller ses lèvres :
- Quelle fougue…
- Il n’y a aucune fougue là dedans, rétorqua Anastae Je tiens seulement à avoir de quoi me défendre.
Après encore quelques remarques, mais étonnement quelques recommandations également, de la part de Thalion, ils finirent tout de même par se séparer.
Anastae tenta tout d’abord de parcourir les rues du marché, ne rencontra rien de suspect, et finit par s’enfoncer plus profondément dans la ville, dans le but de trouver une entrée cachée, seulement un petit indice. Cependant, elle eut beau passer ses doigts sur la pierre des murs, se balancer sur celles des rues, elle ne trouva, une nouvelle fois, rien.
Jusqu’à ce que, par un pur hasard qui se résumait à avancer dans les petites ruelles, l’odeur nauséabonde qu’elle avait déjà senti dans le marché principal ne s’accentue d’un seul coup. Anastae savait pourtant qu’aucun bétail n’aurait pu se faufiler dans ces rues minuscules.
La jeune fée se pencha, saisit la dague coincée dans sa ceinture, et la dégaina en se collant contre les murs. Alerte, elle avança à pas de loup, pour être certaine de ne pas se faire réparer comme une simple débutante. Elle avait conscience qu’elle agissait sans aucune preuve, après tout, il ne s’agissait que d’une odeur, mais elle avait, au plus profond d’elle, l’espoir qu’il s’agisse d’une piste. Elle savait également qu’elle n’était pas spécialement douée avec une dague, qui avait une courte portée, et qui la forcerait inévitablement à se battre au corps à corps. Seulement, Anastae n’avait pu prendre son arc, bien trop voyant.
Elle progressa lentement, surprise de constater que cette ruelle n’avait pas réellement de fin, et tendit l’oreille pour tenter d’entendre ne serait-ce qu’un bruit qui indiquerait qu’elle avait raison et qu’elle n’était pas toute seule dans cet endroit. Quelle fut sa surprise quand elle entendit le bruit d’un carillon et que devant ses yeux ébahis, se dessina une petite bâtisse qui semblait être surgie de nul part.
Anastae déglutit, contempla la façade qui était rongée par la poussière et le mur en pierres qui s'effritait doucement. Des plantes grimpaient sous les fenêtres qui devaient faire la taille de sa main. Aucun bruit n’émanait de la bâtisse, et la jeune fée songea pendant un bref instant à rebrousser chemin pour chercher les deux frères et leur faire part de sa découverte.
Mais, soudainement, ce fut comme si une force invisible poussait contre son dos, sans pour autant la forcer à avancer, mais suffisamment fort pour lui indiquer quelle était la direction à prendre.La jeune fée referma sa prise sur son arme, les cheveux au vent, et incapable de faire demi-tour, elle s’agenouilla. Encore légèrement dissimulée par le mur derrière lequel elle avait trouvé refuge, Anastae prit la décision de s’allonger par terre. En effet, si une personne venait à se pencher à la fenêtre, debout, elle serait rapidement repérée.
Sa dague, bien trop encombrante à transporter pour ramper sur le sol, se retrouva coincée entre ses dents, et avec le bref sentiment qu’elle ne devrait pas foncer vers le danger ainsi, elle était munie d’une envie irrépressible d’aller explorer ce bâtiment. Une force l’obligeait à avancer, sans qu’elle ne ressente le besoin de chercher ses coéquipiers. Ainsi, elle se mit à ramper sur le sol, la poussière tachant sa robe et ses ongles s’incrustant de saleté. Sa mâchoire commença à tirer quand elle atteignit le porche.
Habilement, du moins elle l’aurait espéré, elle se releva en se plaquant contre le mur en pierre de la bâtisse, de façon à être dissimulée, et saisit sa dague. Anastae tenta de se rappeler ses leçons avec Thalion, celles avec son père, et se rappela qu’il ne fallait pas qu’elle hésite : au moindre danger, elle frapperait. Une façon de se rassurer alors qu’elle savait pertinemment que ce n’était pas normal qu’elle soit en train de tenter de pénétrer dans cette maison sans l’aide de personne, avec comme seule arme, une simple dague.
Doucement, elle se percha sur le sommet de ses pieds pour voir au-delà de la petite ouverture en verre de la porte : la vision était floue mais lui permit de voir une simple grande pièce vide, avec comme seul mobilier une chaise et une table. Toujours poussée par cette force, elle tendit sa main vers la poignée de la porte et, à sa plus grande surprise, cette dernière s’ouvrit dans un grincement.
Plus cliché si possible, songea Anastae en fronçant ses sourcils.
Elle bloqua son souffle pendant quelques instants, attendant qu’un quelconque bruit ne surgisse de la pièce vide, mais seul le silence résonna. Anastae entama donc quelques pas dans cette bâtisse. A peine franchit-elle le seuil de la porte que cette dernière se referma violemment derrière elle. Dans un sursaut, elle se retourna, sa main se crispant sur le manche de sa dague.
Puis elle songea que si la porte venait de se refermer, quelqu’un en était sûrement la cause.
Sans plus attendre, elle prit appui sur son pied droit et se retourna violemment en pointant la pointe de sa dague vers la gorge de la créature qui se trouvait devant elle.
Il s’agissait d’une fée, elle le devina grâce à ses oreilles et à sa beauté propre à celle de son espèce. Elle possédait de longs cheveux blancs, semblables aux siens, qui tombaient en ondulations sur ses hanches. Son visage était doux, ses lèvres rosées entrouvertes, mais ses yeux étaient si… pâles. D’un bleu éteint, si ce n’était presque gris, elle la fixait tout de même sans aucune surprise. Elle cligna des yeux, ses cils blancs effleurant ses pommettes tellement ils étaient longs et ne sembla pas se formuler de la pointe de sa dague qui appuyait légèrement sur la peau tendre de son cou.
La fée semblait tout simplement indifférente face à la menace
Anastae fronça ses sourcils et attendit qu’elle dise quelque chose, n’importe quoi. Finalement, ce fut elle qui dût se résoudre à parler :
- Qui êtes-vous ?
La fée cligna une nouvelle fois de ses yeux, trop peu naturellement :
- Je suis beaucoup de choses, répondit-elle.
- Est-ce vous qui m’avez forcé à venir ?
- Je ne t’ai forcé à rien, répliqua-t-elle d’une voix sans émotions. Si tu t’es sentie obligée de venir, c’était pour une bonne raison.
Elle s’avança légèrement et enfonça encore plus l’arme dans sa gorge :
- Tu veux des réponses.
Anastae sentit sa gorge se serrer, une pierre tomba dans son estomac, et elle fixa la fée avec le sentiment qu’elle se tenait en face de quelqu’un de très, très différent. Malgré elle, la main qui tenait sa dague trembla et une envie pressante de baisser son arme et de l’écouter la saisit.
Sa mâchoire se crispa :
- Il s’agit de votre don, n’est-ce pas ?
Elle ne répondit rien :
- Votre don doit faire en sorte que je sois soumise à vous.
- Mon don consiste à voir.
Elle tendit sa main, sans doute pour effleurer son visage, mais Anastae se baissa et donna un coup de pied dans son genoux pour la faire reculer de quelques pas, ce qui eut l’effet escompté. La fée passa une main dans sa chevelure avant de la tendre vers le plafond, l’air d’observer.
Anastae fit tourner sa dague dans sa main :
- Qu’est cela signifie ?
- Écoute moi. Et tu sauras.
Elle plongea son regard dans le sien :
- Mes yeux ne voient pas, mais mon âme le fait.
- Vous êtes aveugles, souffla Anastae. Comment cela se fait-il que vous me fixiez du regard ?
- Mon don est de voir, répondit-elle simplement. Viens, Anastae.
Cette dernière tenta de retrouver son calme : elle venait tout juste de prononcer son prénom alors qu’elle ne la connaissait pas. Si elle savait qu’elle avait pu se renseigner sur elle, son instinct lui soufflait qu’il n’en n’était rien et que, comme elle venait de le dire, elle voyait.
Et, comme les fois précédentes, elle baissa sa lame et se posta devant la fée qui s’assit sur l’unique chaise de la pièce. Cette dernière releva ses cheveux d’un geste expert, des mèches blanches dansaient devant ses yeux et ses lèvres rosées formulaient des mots d’une façon silencieuse.
Anastae se sentait idiote, face à elle, sans même la menacer, et à la contempler comme si elle était une inoffensive créature. Finalement, la fée posa ses mains sur la table et parla :
- Tu es en quête d’un endroit.
Alors que la jeune fée ouvrait sa bouche pour répondre, sa congénère leva sa main pour l’arrêter :
- Contente toi de m’écouter.
Comme par magie, la bouche de Anastae se referma et elle se retrouva incapable de dire un seul mot :
- Ta différence est la clef. Pour beaucoup plus de choses que tu ne le penses. Il s’agit d’une faiblesse, qui t’empêche d’ouvrir les yeux sur certains éléments, mais il s’agit également d’une force. Sans elle, ton futur serait impossible et sans elle, le notre aussi.
Le silence régna :
- Méfie toi, méfie toi car rien n’est comme tu le penses. Observe autour de toi, méfie toi certes de l’eau qui dort mais prend garde à celle qui bout. Ecoute, rassemble les éléments, et le jour venu, souviens toi bien de ce que je vais te dire : ne suis pas ce chemin. Les fleurs vont dépérir et si tu ne peux pas empêcher le futur, prépare y toi. Ce jour venu, souviens-toi également d’une chose : tu verras. Une image tu verras. Et tu comprendras que ce qui est censé être mort, ne l’est pas toujours.
Elle frotta ses yeux un instant :
- Tu peux parler.
Anastae eut le sentiment qu’on venait de lui enlever des chaînes et qu’elle pouvait enfin agir comme elle le souhaitait. La peur face à ces paroles sembla surgir en elle d’un seul coup et elle se retrouva aveuglée par le besoin pressant de savoir qui cette fée était : ses paroles résonnaient en elle comme s’il s’agissait de la simple et pure vérité.
Elle avait besoin de connaître cette fée et de savoir d’où elle tenait de telles informations car, Anastae l’avait très bien compris, elle savait pour son sang-mêlé. La peur, mêlée à la colère, qu’elle soit au courant de cette information dangereuse pour sa vie, prit le dessus. D’un geste violent, elle saisit le bord de la table et la renversa vers la fée qui contemplait la scène, toujours sans aucune émotion.
Anastae se précipita vers elle, tendit sa main pour l’attraper, mais cette dernière, ne rencontra que du vide. La jeune fée tomba tête la première vers la chaise et se frappa le crâne contre le dossier de celle-ci en tentant de freiner sa chute. En comprenant que la fée était puissante et rapide, la colère s’en alla et ne laissa place qu’à l’incompréhension et une angoisse enfouie sous des années d’indifférence.
Par terre, elle se retourna et croisa le regard de la jeune fée qui s’était agenouillée devant elle :
- Je ne souhaite que t’aider, déclara cette dernière d’un ton égal. Je ne suis pas ton ennemi.
- Peut-être, souffla la fée aux yeux noirs. Mais je ne fais pas confiance à ceux qui connaissent mon secret.
- Je vois, Anastae, répéta-t-elle. J’ai vu énormément de différences, de secrets, et mon objectif n’est pas de les dévoiler. Je ne prends généralement pas le temps d’expliquer mes visions.
- Alors pourquoi le faire avec moi ?
Pour la première fois, une émotion sembla passer sur son visage, seulement montrée par le bref regard qu’elle porta sur la droite, comme si elle observait quelque chose d’invisible. Ou quelqu’un que Anastae n’était pas en mesure de voir. Ses cheveux blancs flottèrent un instant, en accord avec les siens, avant qu’elle ne réponde d’une voix toujours aussi calme, qui lui rappela Emma :
- Le temps est arrivé.
- Par la Reine, soyez plus claire, se surprit Anastae en élevant la voix.
La fée secoua sa tête, comme si cela lui était impossible, et se releva. Elle posa son regard calme, sans aucune émotion, sur elle, toujours aussi vide, et tendit sa main vers elle. Anastae sentit le souffle lui manquer, elle eut l’impression d’étouffer et, souffrante, elle posa une paume sur le sol.
Cherchant son souffle, en vain, sa vision se troubla et la silhouette de la fée devant elle se transforma en des formes floues. Un nouvel instinct surgit alors en elle : sortir d’ici le plus rapidement possible pour être capable d’inspirer l’air à nouveau.
Les poumons en feu, Anastae trouva cependant le courage et l’énergie de se lever, tremblant sur ses jambes, et ce fut la bouche grande ouverte, dans l’espoir de pouvoir inspirer, qu’elle tenta tant bien que mal d’atteindre la porte de la bâtisse par laquelle elle était entrée. La jeune manque de s’effondrer quand sa tête bourdonna et que des tâches noires se mirent à salir sa vision floue mais elle trouva la détermination nécessaire pour que sa main se referme sur la poignée de la porte.
Pendant un instant, elle eut peur de ne pas être capable de reprendre son souffle, même à l’extérieur, mais dès que son pied franchit le seuil, elle se mit à haleter. Soulagée, mais tout de même effrayée par ce qui venait de se passer, elle prit une grande inspiration qui lui brûla les poumons et se mit à tousser douloureusement, son corps secoué de spasmes.
Anastae jeta tout de même un regard derrière elle, pour se rendre compte que la porte était refermée : avec colère, elle prit conscience qu’elle avait abandonné sa dague sur le sol de la bâtisse mais il était hors de question qu’elle y retourne. Inconsciemment, elle avait compris que son incapacité à respirer était liée au fait que la fée avait jugé que leur conversation était close et qu’elle n’était plus la bienvenue. Anastae se força donc à remonter légèrement sa robe, le souffle encore court, avant de se mettre à courir dans l’espoir de retrouver rapidement Thalion et Hélios.
Je me surprends à chaque chapitre à toujours vouloir en savoir plus!
Cette fée qui sort de nul part à quelque chose de particulier et j'ai hâte de voir où tout cela va mener Anastae et les Princes!