Chapitre 21.

Notes de l’auteur : Bonne lecture :)

Chapitre 21

« On est pas bien plus avancé, marmonna Murdock debout devant la kitchenette. Tout ça pour s'taper une énième version de cette malédiction de merde... »

Anak et Yakta à côté d'elle, Sibéal parcourait la traduction photocopiée par la capitaine. Il n'y avait en effet aucune nouveauté si ce n'est plus de détails sur les origines de la malédiction. Le récit décodé dans la pièce secrète du temple relatait l'histoire d'une citée riche et prospère de ses comptoirs, où venaient commercer des bateaux de toutes les archipels. Une cité qui rendait un culte au dieu des marées et vivaient en harmonie avec l'océan et les créatures qui le peuplaient. Jusqu'au jour où ils avaient voulu plus, trop, et avait proposé aux cours du monde entier la possession de créatures fascinantes pour leur venir enrichir leur zoo et assouvir leurs fantasmes. Sirènes et tritons avaient été pourchassés et, pour une partie, asservie ou exterminés. La cupidité de la cité, les chants de douleur de ses enfants avaient éveillé la fureur de la divinité marine. Une immense vague, aussi haute qu'une montagne s'était abattue sur la ville pour l'engloutir tout entière et noyer ses habitants. Et tous les êtres humains qui suivirent furent maudits de finir avalés par les abysses de l'océan et dévorés par les monstres qui les peuplaient.

Cette version donnait plus d'informations sur l'origine mythique de la malédiction, Yakta et Murdock n'y voyaient qu'une de ses premières occurrences dans l'histoire. Anak et Sibéal en avaient elles conclu que c'était peut-être le premier avertissement. Un avertissement que des survivants de la catastrophe avait voulu protéger pour que les générations futures n'oublient pas l'épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Un avertissement auquel le Jormungand donnait réalité.

« On a perdu notre temps quoi, s'agaça Oriag.

- On en a appris un peu plus sur les origines, temporisa Yakta.

- Super, tout part d'un massacre de créatures qui existent pas... là on tient du concret, ironisa Murdock.

- Peut-être qu'on a quand même quelque chose, fit Sibéal.

- T'as une idée ? Demanda Murdock.

- Le temple est très ancien, peut-être que ce n'est qu'une énième mention de la malédiction mais son ancienneté lui donne du crédit, non ?

- Ça nous avance pas plus sur où aller. »

Il s'assit sur la banquette, croisa les bras pour l'écouter avec attention. Sibéal tendit les photos de Moh sur la tablette, et mit en avant celle panoramique. Elle désigna le temple figé face à la vague qui l'engloutissait.

« C'est la première chose qu'on a vu en entrant, toute la pièce était orientée vers lui. 

- C'était le truc le plus important à leur yeux, en conclut Murdock.

- Oui, et c'est peut-être ça en fait, l'indice... Anak et moi on pense que si il n'y a pas de direction écrite mais.... cette mise en scène peut être une piste.

- C'est pas con, se gratta-t-il la barbe, faudrait chercher cette ville engloutie ?

- On a pas d'autre idée ni d'autre piste alors pourquoi pas ? fit Anak.

- Et vous avez commencé à regarder ? demanda Oriag. Ça fait combien de sites ? 

- Trop, grimaça la Sioux. Ça pourrait prendre des mois. »

Elle se rappelait le flot continu de pages qu'avait craché l'imprimante, Anak et elle les avaient triés par datation sans réellement savoir par où commencer. Des dizaines, disséminées un peu partout dans les archipels. Anak était optimiste.

« Faudrait trouver le moyen de réduire le champ des recherches, un point commun entre le dessin et les ruines... les traces du temple doré peut-être ? proposa Oriag.

- On y a pensé, Anak secoua la tête, mais la plupart du temps il n'y a plus que des fondations et il y a eu des pillages... 

- Ouais donc c'est mort pour trouver de l'or, lâcha Murdock.

- Alors quoi on va faire de la plongée jusqu'à Noël ? s'amusa Oriag.

- Si on la date la clé, alors on saura quand la cité a été construite, avant ou après elle. Ça permettra d'en éliminer une partie, expliqua Sibéal.

- Et comment on la date ? Fronça des sourcils Yakta.

- Ya une technique, ça s'appelle la datation carbone 14, fit Anak en échangea un regard avec Sibéal. »

Elle entreprit de leur expliquer dans de grandes généralités le principe, elle n'était pas certaine de pouvoir détailler tout le procédé que lui avait décrit Mohvo. Néanmoins, il était formel. Tout laboratoire d'ethnographie et d'archéologie possédait les outils nécessaires à cette datation scientifique. Et il y en avait un à l'université de Ponta Delgada. 

« Boooon, lâcha Murdock, va falloir qu'on voit comme faire pour dégoter cette datation. 

- ça vous changera tiens, sourit Sibéal. »

Yakta restait silencieuse, le front plissé sur les photos du temple. Elle supposait que son cerveau tournait déjà à mille à l'heure pour trouver le moyen d'obtenir ce dont ils avaient besoin.

« C'est rien qu'un petit truc universitaire, il devrait pas y avoir de surveillance, songea Oriag. Pas comme sur Comor en tout cas. Ça va être facile.

- Raah mais où est le fun dans tout ça ? se désola Murdock. »

OoOoOo

La température avait brutalement chuté en fin de matinée et le vent avait forci en provenance du large. De brutales bourrasques faisaient cliqueter les anneaux en métal du bateau. Sibéal se frottait les yeux en regardant infuser son thé, du hublot elle voyait l'eau du port anormalement frémissante sous l'effet du vent. Apollo observait avec circonspection les données des instruments qui montaient dans les aigus. L'attente d'une tempête imminente les rendait un peu nerveux.

« Va y avoir du grabuge, fit Murdock en enfilant son bonnet. On va aller vérifier à la capitainerie pour plus d'info.

- C'était prévu ce changement ?

- Je crois que ces temps-ci on peut plus vraiment prévoir quoi que ça soit, grimaça Oriag sombrement. »

Elle les suivit des yeux jusqu'à ce qu'ils s'extraient du carré pour retrouver la pont. Les tresses d'Oriag s'envolèrent instantanément en tout sens, elle les enferma dans un chignon serré avant de descendre à quai. Elle s'empara de son téléphone, essayant de voir d'où venait l'intempérie et le degrés de sa violence prédit par les services météorologiques. Nialh débarqua alors, les cheveux en bataille et la mine inquiète.

« J'appelle les parents Sibby, lâcha-t-il, ça vient golfe de Muir Erieann.

- Eanna et Abaigh t'ont dit quelque chose ? blêmit-elle. 

- Elles ont envoyé un message, elles ont rejoint le bunker municipal. Je crois que le plus gros est passé, elles vont pouvoir sortir d'ici quelques heures. Ya l'air d'avoir pas mal de dégâts.»

La presqu'île où se trouvait Bleá Cliath étaient depuis une dizaine d'années soumise à de violentes intempéries, résultat de la dégradation globale des courants marins. Une tornade avait ravagé une partie de la ville cinq ans auparavant et depuis des bunkers avaient été construits sur les hauteurs de la ville où les habitants se rendaient en cas d'alerte. Sibéal fit défiler sa liste de contacts et appuya sur le prénom de Gauvain.

La sonnerie retentit dans le vide de longues secondes, elle jouait machinalement avec sa tasse lorsque soudain il décrocha.

« Gauvain ? Je viens de voir que Bleá Cliath a été touchée par la tempête, est-ce que tout va bien ?

- Allô ? Répondit une voix féminine, c'est qui ?

- Sibéal, fronça-t-elle des sourcils avec appréhension, est-ce qu'il est arrivé quelque chose à Gauvain ?

- Non, il va bien, on nous a fait sortir du bunker. Il est allé voir si Declan et Liv allaient bien. Vous voulez que je lui passe un message ? 

- Euh oui, vous pouvez lui demander de me rappeler ?

- Pas de problème, Sibéal c'est ça ?

- Oui c'est ça, sa petite amie. »

Il y eut alors un long silence, Sibéal crut que la ligne avait été coupée. 

« C'est une blague ? Sa petite amie ? »

Une émotion désagréable se mit à suinter du fin fond de son ventre, elle était incapable d’endiguer la bile amère qui montait dangereusement jusqu'à sa gorge.

« Non, ce n'est pas une blague.

- Mais quel enfoiré, grinça la voix, il m'a fait croire... écoute je suis désolée, je savais pas qu'il avait une copine, d'accord ?

- Comment ça ? souffla-t-elle sans vouloir comprendre.

- On a couché ensemble, lâcha-t-elle dans un soupir, il m'avait pas dit qu'il était en couple... je fais jamais ce genre de chose putain ! »

Sibéal s'assit lentement sur la banquette du carré, tout lui semblait cotonneux et lointain. La voix qui s'excusait sans relâche, la kitchenette, Apollo sur la tablette. La chevelure solaire de Gauvain, ses yeux bleus et son sourire jaillirent dans son esprit avec la violence d'une gifle. Elle s'entendit murmurer des paroles creuses à la jeune femme à l'autre bout du fil avant de raccrocher.

« ça va Sib ? fit Apollo.»

Une suffocante tristesse la saisissait, mêlée à un effroyable sentiment d'humiliation. Sa gorge était nouée, elle avait l'impression d'étouffer. Brusquement elle se leva, monta quatre à quatre jusqu'au pont. Le vent brutal fit se soulever sa chevelure. Elle s'accrocha au bastingage pour prendre de profondes inspirations et essayer de remettre de l'ordre dans ses pensées. Elle sentit tout à coup les larmes rouler sur ses joues de façon incontrôlable. Elle se repassait dans sa tête le fil des évènements pour comprendre où ça avait dérapé, ce qu'elle avait raté. Une main se posa sur son épaule, elle tourna son regard humide vers Apollo. Il avait la mine inquiète.

« Il est blessé ? Il s'est passé quelque chose ? »

Elle secoua la tête, baissa honteusement les yeux. L’inquiétude et la compassion qui se dégageaient d'Apollo finirent de faire céder le barrage.

« Gauvain... je crois qu'il m'a trompé, murmura-t-elle. 

- Hein ? Mais non... dis pas ça. Il est amoureux de toi !

- Non, c'est... c'est vraiment arrivé.

- Comment ça ? Fronça-t-il les sourcils, t'es sûre ?

- La fille... la fille au téléphone, bredouilla-t-elle derrière ses larmes, elle... elle n'avait pas l'air de mentir... et pourquoi elle mentirait... 

- Oh... Je suis désolé Sibéal. 

- Je... je comprends pas comment..., souffla-t-elle.

- C'était sûrement la première fois, consola-t-il, en tout cas c'est vraiment pas de ta faute. »

Elle hocha vaguement la tête. Les doigts d'Apollo serrèrent gentiment son épaule.

« Je croyais que..., commença-t-elle perdue. Mais... elle a dit qu'ils avaient couché ensemble hier soir.

- Il t'aime, assura-t-il, il y a... il y a sûrement une explication, d'accord ? Faut peut-être que tu le rappelles. »

Nialh apparut sur le pont. Il prit une mine interloquée devant les larmes de sa sœur.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? »

Apollo secoua la tête, comme pour lui demander de tempérer sa colère. Il jeta un petit regard à Sibéal, sembla lui laisser le choix de répondre. La voix de Nialh prit un accent énervé.

« Qu'est-ce qu'il a fait ? »

Sibéal fut saisie d'un malaise, soudainement le fait qu'absolument tout le monde sache que Gauvain l'avait trompé lui donnait le vertige. La brûlure de la blessure, de la trahison et de l'humiliation était de plus en plus cuisante sur son front. Nialh eut une grimace éloquente et, sans même savoir, cracha :

« Il a fait quoi ce connard ? »

OoOoOo

Étonnamment Niah tempéra sa colère. La vision du visage rouge et humide de sa sœur avait repoussé ses remarques pour quelques heures. Sibéal se sentait vidée et, comme un automate, était allée s'asseoir sur la banquette. Les yeux perdus dans la vapeur de son thé. C'était peine perdue, la nouvelle revenait la harceler comme un boomerang. 

Elle avait toujours su que Gauvain aimait flirter, elle ne lui en avait jamais tenu rigueur. Elle savait que c'était dans sa nature, elle pensait qu'il n'y prêtait pas plus de crédit qu'à une blague. Elle pensait qu'il était fidèle derrière ses airs enjôleurs. Elle ne savait plus quoi penser maintenant. Elle n'arrivait pas à trouver un indice qui aurait dû l'alerter. Peut-être que c'était la première fois, Apollo avait peut-être raison. Elle n'avait qu'à lui demander, elle n'avait qu'à décrocher. Son téléphone vrombissait sur la table sans discontinuer. 

« T'es sûre de pas vouloir lui répondre ? demanda gentiment Apollo. »

Elle hocha vaguement la tête. Elle n'était pas sûre de vouloir entendre une litanie d'explications et d'excuses. Pas tout de suite. Abandonnant son téléphone, elle s'empara de son coupe-vent, et sortit retrouver la terre ferme. Les bourrasques rabattirent sa capuche sur ses épaules et sifflaient à ses oreilles dans un grondement sourd et un frémissement de branches des palmiers. Le ciel avait pris une teinte gris-noire menaçante. 

Peut-être que c'était de sa faute. Elle était souvent absente, et cette aventure improvisée à la poursuite de la malédiction avait retardé son éventuel retour. Elle n'était peut-être pas assez attentionnée. Elle...

« Sib ! »

Elle releva les yeux pour tomber sur Anak et Valérian, la Sioux agitait la main dans sa direction. Leurs bras se frôlaient alors qu'ils l'attendaient à l’embranchement de la promenade de la plage. Elle les rejoignit, afficha un faible sourire à ses lèvres qui fit froncer les sourcils d'Anak.

« Ça va ? T'as pas l'air dans ton assiette... »

Elle décocha un regard en biais à la la figure de Valérian froide et détachée, il la mettait un peu mal à l'aise. Elle n'avait pas envie de déballer ce qu'elle avait sur le cœur devant lui et préféra taire le flot de pensées qui tourbillonnait dans son esprit pour secouer la tête et lui demander ce qu'elle faisait.

« Ben on a quartier libre ! Répondit-elle avec ravissement, Yakta et Murdock sont allés faire un tour à l'université pour trouver quelqu'un et lui offrir un peu d'argent en échange de sa.... collaboration.

- Ils vont soudoyer un étudiant ? 

- C'est une autre façon de le dire, en effet, remarqua Valérian.

- Et avec quel argent ?

- Celui de la prime de départ, bon seulement une partie apparemment ! Ils veulent profiter de la tempête pour faire la datation, le labo va être désert, yaura aucun prof pour poser de questions.

- Ils ont annoncé l'évacuation de l'université, expliqua son compagnon. »

Sibéal hocha la tête vaguement. Anak posa gentiment sa main sur son avant-bras pour la ramener à l'instant présent.

« T'es sûre que tu te sens bien ? On va profiter du quartier libre pour aller boire un jus de fruit frais, tu veux venir ?

- La tempête va pas tarder à éclater... leva-t-elle les yeux sur le ciel nuageux.

- Raison de plus pour se dépêcher ! la pressa-t-elle. »

Valérian sembla peu enthousiaste à la perspective de supporter sa présence, et lui adressa un regard hostile. Anak serrait plus fort sa main sur son bras et Sibéal finit par acquiescer en se détournant du regard intimidant de l'autre. Elle lui emboita le pas non non sans avoir remarqué la soudaine proximité entre Valérian et Anak qui marchaient côte à côte. Ils semblaient bien plus intimes qu'auparavant, elle imaginait que leurs baisers lors du carnaval y étaient pour quelque chose. Peut-être espérait-il passer un moment en tête-à-tête avec elle et n'appréciait-il pas de voir échouer un rare moment d'intimité – vivre en groupe sur un bateau permettait peu de moment de tranquillité. 

« Tu vas voir, un peu de vitamine et c'est reparti pour un tour ! Assura Anak, c'est ce que me dit toujours mon père quand j'ai un coup de mou ! »

Elle se laissa entraîner à sa suite, tant pis pour Valérian, elle avait besoin de la légèreté d'Anak.

OoOoOo

Le ciel était maintenant clairement menaçant. Les cafés et boutiques du centre-ville avaient toutes fermées, les chaises et tables rangées à l'intérieur et ordre avait été donné de se mettre à l'abri le plus vite possible. Le vent mugissait depuis le large et la mer au-delà du port était démontée par une violente houle. Le souvenir de la dernière qui avait blessé Nialh et manqué de couler le Mod lui revenaient. Elle n'était pas sûre de retrouver facilement confiance et sérénité sur un bateau dans ces conditions météo. 

« Est-ce que tu penses que le Jormungand peut provoquer la tempête ? Fit soudainement Anak.

- Peut-être, répondit-elle avec incertitude, ou peut-être que c'est la tempête qui l'attire... Je ne sais pas si on peut vraiment le savoir, tout ce qu'on a trouvé sur la malédiction est vraiment succinct sur les monstres. »

La Sioux hocha pensivement la tête. Ses longs cheveux noirs tressés battaient son dos. Valérian traînait les pieds derrière elles, et si Sibéal pensait réellement que sa présence le dérangerait autant, elle n'aurait pas osé accepter l'invitation d'Anak. Celle-ci ne semblait pas avoir remarqué son attitude glaciale. 

« En tout cas cette fois, on est tous bien à l'abri, se rassura Anak. 

- Oui, heureusement.

- T'inquiète pas, lui assura la Sioux, je suis sûre qu'il peut pas nous atteindre ici. »

Le visage ouvert et gentil d'Anak serra le cœur de Sibéal, elle secoua doucement la main avant d'avouer d'une petite voix.

« Ce n'est pas ça qui m'inquiète, en fait... en fait j'ai appris quelque chose. Et je m'y attendais pas.

- Comment ça ? Fronça-t-elle les sourcils. »

Il n'y avait probablement pas de manière de le dire qui ne lui pince pas le cœur et la fasse rougir de honte.

« Gauvain, mon copain... il me trompe, lâcha-t-elle douloureusement. »

La figure d'Anak se morcela de tristesse, elle entoura affectueusement son dos de son bras. Les larmes remontèrent aux yeux de Sibéal.

« Tu dois me prendre pour une idiote, bredouilla-t-elle. Une relation à distance ça peut que finir mal !

- N'importe quoi ! Secoua-t-elle énergétiquement, regarde Mohvo et Cherry, ils sont toujours aussi amoureux depuis des années et pourtant eux aussi ils sont souvent loin de l'autre, ça n'a rien à voir !

- Alors... alors je sais pas... »

Alors si ce n'était pas la distance, c'était elle. 

« Non, dis pas ça Siby. C'est pas toi qui l'a poussé dans les bras de quelqu'un d'autre, il a décidé de ça tout seul ! »

Elle hocha la tête sans grande conviction. Le Mod et le Yak étaient en vue sur le ponton est du port. Une rafale les propulsa un peu en avant et fit voler un panneau publicitaire. Sibéal arrêta Anak alors qu'il filait devant elles à trois mètres pour aller percuter un yacht avant de tomber dans l'eau. Elles pressèrent le pas, ce n'était pas prudent de rester à découvert. Alors qu'elles grimpèrent sur le ponton, en faisant attention à ne pas se faire propulser dans l'eau devenue froide du port, une jeune femme les percuta manquant de les faire glisser sur le bois. Sibéal s'agrippa à un bollard tandis que Valérian attrapait fermement le bras d'Anak.

« Que j'ai pas à aller te repêcher encore une fois, lui glissa-t-il.

- Oh ben ça me déplairait pas, sourit-elle malicieusement. »

Sibéal tourna le regard vers celle qui les avait bousculés, elle aperçut simplement une cascade de cheveux bouclés qui s'éloignait déjà sur le quai. S'arrêtant devant le Modsognir, Anak lui proposa de boire une boisson chaude le temps que ça passe, Sibéal y lut en sous-texte la proposition de lui changer les idées. Elle allait acquiescer lorsque Chad émerga sur le pont du Yakt, la mine furibonde et sombre.

« On a un problème avant le moteur, grinça-t-il agacé, Yakta est furieuse. »

Anak eut un petit air désolé, Sibéal secoua la tête. Lui assurant en un murmure qu'elles se verraient une fois la tempête calmée. La Sioux et Valérian grimpèrent sur le navire, elle en fit autant pour trouver son frère dans le carré l'air particulièrement niais. Elle imaginait qu'il avait passé le temps que lui permettait la tempête à bécoter la fameuse Vanessa. Elle préféra l'ignorer, elle n'était pas d'humeur à l'écouter et se fit chauffer un thé. 

Son téléphone continuait de vibrer avec régularité, elle l'ignora. Le bruit fit cependant éclater la petite bulle rose dans laquelle planait son frère depuis de longues minutes. Il revint à une profonde irritation. 

« Il veut pas arrêter cinq minutes ce con ? S'agaça-t-il, Sib jte jure fais le taire.

- Je vais mettre sur silencieux, s'excusa-t-elle.

- Tu décroches pas ? demanda-t-il étonné. T'as pas envie de l'insulter ? De te défouler ? 

- Pas maintenant. J'ai pas envie de penser à ça.

- T'as raison, ricana-t-il avec satisfaction, laisse-le poireauter cette enflure, ça lui fera les pieds. Tu pourras le jeter une fois qu'il aura bien chié dans son froc. 

- Que de poésie Nialh, s'amusa Murdock, qu'est-ce qu'y t'arrive encore ? »

Il descendait dans le carré, refermant soigneusement l'ouverture sur le pont où le cordage sifflait sous le vent. Il s'essuya les mains pleine de cambouis avec un torchon, vraisemblablement il venait de donner un coup de main à Yakta. Un sentiment de malaise la saisit lorsqu'il arqua un sourcil interrogateur dans sa direction. D'une main furieuse, Nialh désigna alors le portable avant d'exploser : 

« Figure toi que l'autre Gauvain se tape une pouf dans le dos de Sib ! »

L'expression de Murdock resta un instant interdite, comme s'il intégrait l'information sans arriver à y croire. Puis, il lui adressa alors une expression qui lui brisa un peu plus le cœur. Elle aurait voulu qu'il ne la voit jamais comme ça, humiliée, blessée et perdue. Il sembla esquisser un petit geste vers elle. Elle se détourna, s'empara de sa tasse et rejoignit sa cabine.

OoOoOo

La fin de l'après-midi était aussi sombre que le ciel au milieu de la nuit. Une pluie violente battait le verre des hublots. On pouvait entendre l'orage gronder plus au nord de l'île, le mugissement du vent dans les rues de la ville et le fracas des vagues contre la digue du port. Sibéal s'était emmitouflée dans son plaid, son thé froid oublié sur la table de chevet. Il n'avait pas vraiment réussi à lui remonter le moral. 

Sur sa tablette, Gandalf guidait la communauté de l'anneau à travers les mines de la Moria alors qu'y régnait une atmosphère lugubre. C'était le film pour tous ses maux, vu et revu tant de fois qu'elle pouvait en citer la moindre des répliques par cœur du début dans Cul-de-sac à la fin sur le champ du -Pellenor. L'arme fatale pour échapper à ses pensées.

Des coups à la porte lui firent pousser un grognement de lassitude. Elle n'avait pas envie d'entendre son frère lui expliquer en quoi il avait toujours eu raison de ne pas apprécier Gauvain, et tout le reste. Pas envie de sa sollicitude maladroite. Elle préféra soigneusement ignorer. Ce fut la voix de Murdock qui la fit revoir sa position. Il apparut dans l'encadrement de la porte, sur le seuil sans oser entrer. Il la dévisageait avec incertitude, comme pour savoir quelle posture adopter. Elle lui adressa un faible sourire qui le dérida.

« Appolo, Mohvo et Oriag sont rentrés, annonça-t-il.

- Et alors ? se redressa-t-elle, ça a marché ?

- Ouais, ils ont obtenu une date, première moitié du troisième siècle avant notre ère. On va pouvoir faire un peu de tri.

- Tant mieux, au moins on a une piste plus solide. Je dois avoir la liste dans mon ordi !

- T'inquiète, on verra ça demain. Yakta a autre chose en tête de toute façon.

- Nodens... c'est grave du coup ? Qu'est-ce qu'a le Yak ? »

Il lui tendit son mug élimé autrefois à l'effigie des mondes engloutis. Il était brûlant de chocolat chaud, des petits marshmallow flottaient dedans. Elle y reconnut ceux que cachait méthodiquement Oriag depuis une énième perquisition malhonnête de ses petites douceurs, qui lui étaient nécessaires pour tenir les longues soirées d'hiver sans soleil. Il s'assit sur le bord du lit, elle se décala pour lui faire de la place. Il se grattait pensivement la barbe.

« Un truc qui aurait pas normalement dû arriver, une pièce du moteur qui peut pas péter comme ça. 

- Comment c'est possible alors ? Fronça-t-elle les sourcils en s'ébouillantant les lèvres. 

- J'pense que quelqu'un a fait en sorte que ça arrive, c'est impossible autrement.

- Quelqu'un ? Tu veux dire quelqu'un qui en a après la prime, un concurrent ?

- Ils ont pas tous la main sur le cœur pour cinq millions de gallions ... et ça va retarder l'départ de Porta Delgada. 

- Ils vont chercher à nous suivre.

- On va réfléchir à comment les semer et pendant ce temps essayer de les repérer. On a mis des quarts pour cette nuit.»

Jusqu'où seraient prêts à aller ceux qui comme eux s'étaient lancés dans cette entreprise ? Une pièce de moteur d'un bateau ça pouvait se changer... Les couler ? S'en prendre physiquement à l'un d'eux pour les saborder ou obtenir des informations ? Un marshmallow sucré se liquéfiait doucement sous sa langue, apaisant un instant ses sombres inquiétudes. Il fallait être bien plus prudent. 

L'expression de Murdock prit un accent affligé. Il posa doucement sa main sur la sienne.

« J'suis désolée Sib.

- Merci, hocha-t-elle lentement la tête en serrant ses doigts.

- Tu méritais pas ça, c'est un enfoiré. »

Elle haussa les épaules, elle y penserait demain. De toute façon la tempête avait coupé le réseau de téléphonie avec le reste des archipels. C'était pour le mieux. Ce soir, elle voulait simplement suivre Aragorn, Gandalf et Sam dans les profondeurs de la Moria. Elle lui adressa un petit regard d'espoir en proposant :

« Tu veux regarder avec moi ? 

- T'en es où ? fit-il en déchaussant ses chaussures.

- La Moria, sourit-elle, le meilleur passage.

- Parfait !»

Elle se lova dans son oreiller pour lui faire de la place sur le lit en prenant garde à ne pas renverser sa tasse. Elle remit le film en route, Gandalf illuminait le hall de Cavenain porté par la magnificence de la musique d'Howard Shore.

« ça a quand même pas mal de gueule, commenta Murdock. Pas comme leur truc d'elfe là, sans fenêtre et sans porte. 

- Je crois pas que tu sois très objectif, nuança-t-elle. Tous les décors de ce film sont fantastiques, ils ont pas pris une ride... c'est quand même fou quand on y pense. T'imagines quand même qu'ils ont tout fait à la main, sans effet spéciaux comme aujourd'hui ?»

Son œil brillait d'admiration, elle avait vu toutes les dix heures de making off et attester de la prouesse technique. Il ne pouvait avancer aucun argument pour contester. Son expression sembla particulièrement l'amuser, il eut une mine moqueuse.

« Ouais ouais ouais... et après c'est moi qu’est pas objectif. »

Elle lui piqua les côtes d'un coup de coude.

« Tais-toi, j'arrive pas à suivre. »


 

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