Toute la journée, Valiente évita Kaïna.
- Tu es bien concentré, aujourd’hui, le félicita Ash. Je suis très content de toi. Tu as atteint les objectifs du jour. Tu peux aller te détendre.
En plein milieu de l’après-midi ! Une aubaine rare ! Valiente salua son père, le roi de Valdoria, d’une révérence marquée puis partit en courant, de peur que le puissant dirigeant ne change d’avis.
Valiente courut jusqu’à la salle de musique, kiosque perdu au milieu du jardin, caché derrière de hautes haies parfaitement entretenues. Les feuilles dévoilèrent enfin la grande baie vitrée derrière laquelle Kaïna s’entraînait. Une flûte entre les mains, elle soufflait en rythme devant un précepteur attentif.
Combien de fois s’était-elle plaint de la nullité de ses professeurs ? Elle détestait ces troubadours soi-disant doués qu’elle dépassait allègrement. Ash achetait tous les livres traitant de musique, payant des fortunes des copieurs pour obtenir toute la connaissance possible sur ce sujet. Tous les ouvrages se trouvaient là, dans la salle de musique, à l’abri.
Valiente devait bien admettre trouver étrange cette insistance de Ash pour protéger cette pièce. Seul le précepteur en avait la clé et des glyphes payées une fortune empêchaient toute attaque magique ou entrée d’une autre personne que le précepteur et Kaïna.
Kaïna avait interdiction de sortir un ouvrage de l’endroit. Souvent, elle jouait pendant les repas et Valiente la trouvait éblouissante, bien meilleure que les bardes habituels. La musique coulait dans ses veines. Le rythme vibrait en elle.
Combien de fois Valiente avait-il fredonné un air chanté par Kaïna au déjeuner pour se prendre un regard noir de Ash ? Valiente avait vite compris qu’il n’avait pas intérêt à chanter. Le simple fait de taper en rythme pendant une ode était réprimé. Ash ne frappait pas. Jamais. Il se contentait de poser sa main sur celle de son fils et de faire un petit « non » de la tête. Cela suffisait à Valiente pour cesser.
Il voulait rendre son père fier. Sa seule référence. Son roc. Son point de repère.
Valiente se demanda pour la énième fois pourquoi son père était si strict concernant la musique. Était-ce lié à sa mère disparue ? Ou y avait-il un danger caché dans ces mélodies qu'il ne pouvait comprendre ? Cette interdiction ne faisait qu'attiser sa curiosité, rendant chaque note de Kaïna encore plus fascinante.
Devant la baie vitrée, Valiente observa Kaïna. Aucun son ne sortait. La magie empêchait tout bruit de passer les murs. La jeune femme, concentrée sur son morceau, ne semblait pas s’être aperçue de la présence du prince.
Derrière la vitre, les doigts agiles de Kaïna dansaient sur l'instrument, créant une mélodie silencieuse mais presque palpable. Valiente sentit son cœur battre au rythme imaginé de la musique, une sensation à la fois exaltante et terrifiante. Il savait qu'il ne devrait pas ressentir cela, que son père désapprouverait, mais il ne pouvait s'empêcher d'être fasciné.
- Ash t’a libéré tôt aujourd’hui ! s’exclama Kermilla.
Valiente regarda sa cousine avancer vers lui d’un pas félin. Sa robe au décolleté plongeant ne laissait aucun doute sur la raison de sa présence auprès de lui. Valiente scruta la poitrine offerte. Pourquoi s’en priver ?
Kermilla capta le regard et en conclut ce que le prince avait en tête. Elle libéra ses seins d’un geste habile prouvant la force de l’habitude. Valiente fondit dessus et les dégusta. Valiente profita du corps offert sans retenue. Une fois son plaisir obtenu, il congédia Kermilla qui s’éloigna, un grand sourire sur les lèvres.
Valiente ajusta sa tenue et se tourna vers la salle de musique pour constater que Kaïna lui tournait maintenant le dos, probablement pour ne pas assister aux actes en cours. Valiente grimaça. Il n’avait même pas pris la peine de s’éloigner. Il ne voulait pas troubler sa sœur. Il avait juste profité sans réfléchir et le regrettait maintenant.
Il attendit que Kaïna sorte, ce qui ne tarda pas.
- Désolé, lança-t-il. Je ne voulais pas te gêner.
- Pas de souci, répondit-elle en haussant les épaules. Tu fais ce que tu veux. Tu sais qu’elle ne t’apprécie pas ?
Valiente ne répondit rien. Kaïna insista :
- Elles disent du mal de toi en permanence. Caquettent sans cesse sur ton incompétence sexuelle. T’insultent dans ton dos.
- Je sais, dit-il.
- Pourquoi continues-tu à leur offrir ce qu’elles veulent en ce cas ? s’exclama Kaïna.
Valiente explosa de rire en retour. Kaïna plaça ses poings sur ses hanches, les joues rosies par la colère et l’incompréhension.
- Je ne leur donne pas ce qu’elles veulent, répliqua Valiente en riant toujours.
Le visage ahuri de Kaïna l’amena à se calmer puis à soupirer.
- Kaïna, pourquoi viennent-elles vers moi si je suis un mauvais coup ? interrogea Valiente.
- Elles veulent porter l’héritier, répondit Kaïna, prouvant qu’elle avait une bonne connaissance de la politique Valdorienne et un esprit aiguisé.
- Aucune chance qu’elles l’obtiennent, assura Valiente en souriant.
- À force de persévérance… Elles finiront par l’avoir. Tu prends le risque de…
- Tu verrais leur tête quand je me termine dans leur cul ou dans leur bouche.
Kaïna se figea puis ses lèvres commencèrent à s’étirer.
- Ou quand je me retire au dernier moment pour juter sur leurs seins ou leurs reins.
Kaïna ricana.
- Tu sais que certaines attrapent ma semence pour se la rentrer à l’intérieur ? Un geste d’une telle vulgarité ! Elles sont pitoyables.
Kaïna gloussa avant de redevenir grave.
- Il n’empêche que tu prends des risques. Tu t’imagines gouverner aux côtés d’une de ces dindes ?
- Je choisirai mon épouse, assura Valiente.
- Personne ne voudra de toi avec une telle réputation, répliqua Kaïna. Les commères répandent leur fiel.
- Me crois-tu réellement mauvais au lit ? demanda Valiente.
- Qu’en sais-je ? répliqua Kaïna.
- Anne m’a formé, indiqua Valiente.
Kaïna frémit.
- Je sais très bien donner du plaisir à une femme. Je fais exprès de ne pas le leur permettre. Si l’une d’elle ose se caresser durant un coït, je leur attrape les mains et je les attache. Elles n’existent que pour mon plaisir. Tant qu’elles ne voudront que ma descendance, elles iront se faire foutre pour obtenir leur satisfaction. Celle qui s’intéressera réellement à moi aura tout et au-delà.
Kaïna sourit, adoucie.
- Et toi ? demanda Valiente.
- Quoi, moi ? répliqua Kaïna en fronçant les sourcils.
- Tu es mon aînée, rappela Valiente, et les hommes ne sont pas les seuls à avoir des besoins. Des dizaines de dindes s’offrent à moi chaque jour. Toi ? Qui te comble ?
- Crois-tu que je laisserais l’un de ces assassins royaux me toucher ?
Valiente grimaça. Il n’aimait pas quand sa sœur parlait ainsi des membres de sa famille.
- Ton maître de musique ? proposa Valiente.
La moue de dégoût sur le visage de Kaïna lui indiqua son erreur.
- Tu as le droit d’être comblée ! s’insurgea Valiente.
- Ma main me suffit, indiqua Kaïna. Anne m’a appris, à moi aussi.
Valiente lui attrapa le bras pour la forcer à le regarder.
- Tu as le droit d’aimer, souffla-t-il.
Kaïna dégagea son bras et détourna le regard. Elle haussa les épaules avant de s’éloigner et Valiente ne tenta pas de la rejoindre. Il regarda le sol en serrant les poings. Il aurait tant voulu le bonheur de sa sœur mais ignorait comment lui permettre de l’obtenir.
En pénétrant dans le hall, Valiente remarqua les regards furtifs des serviteurs qui s'affairaient dans les couloirs. Les murs ornés de tapisseries anciennes semblaient murmurer des secrets, tandis que l'odeur des bougies parfumées se mêlait à celle des plats préparés pour le dîner. Chaque recoin du château semblait vibrer d'intrigues et de non-dits.
Valiente parcourut les couloirs du palais, ignorant les gloussements des femmes sur son passage et les regards dédaigneux des hommes. Le prince entra dans les appartements privés du roi non gardés. Pas besoin de mettre quiconque en poste devant. La magie se chargeait de protéger le résident des lieux.
Sans surprise, Valiente trouva son père dans son bain. Le prince se déshabilla et rejoignit sans pudeur le roi dans l’eau chaude.
- Tu es beau, mon fils, annonça Ash avant de fermer les yeux pour profiter de son bain.
- Je te remercie, père, répondit Valiente.
Le prince savoura le compliment. Les rumeurs disaient que le roi aimait les hommes alors les mots le touchaient. Valiente ignorait si les racontars étaient vrais. Après tout, il n’avait jamais vu Ash faire entrer quiconque dans son lit. Ni homme. Ni femme. Juste personne. Valiente avait interrogé Anne une fois et la préceptrice l’avait fusillé du regard avant de lui conseiller de se mêler de ses affaires, conseil que Valiente s’était empressé de suivre.
- Un membre de la branche de Kremilla est mort récemment ? interrogea Valiente.
Ash ouvrit un œil sur son fils puis les deux. Il pencha la tête, étudiant la question avec intérêt.
- Pas à ma connaissance. Pourquoi ?
Valiente sentit son ventre se nouer. Il perdrait cet échange verbal, sans aucun doute. Arriverait-il à obtenir une information importante avant cet échec ? Là était la question.
- Kremilla est devenue empathe, rappela Valiente.
- Je sais, souffla Ash en pinçant les lèvres.
Qu’il fut contrarié était une évidence.
- J’ai supposé qu’un des siens, mourant, lui avait transmis son pouvoir, admit Valiente, penaud.
- Seul le réceptacle reçoit les pouvoirs de la famille, répliqua Ash.
- Toi, désigna Valiente.
- Ce rôle te reviendra après ma mort et crois-moi, offrir ton bras pour que des gens se suicident dessus n’est guère agréable. Profite de cette enfance heureuse.
Valiente observa son père. Les yeux fermés, le roi ne lui rendait pas son regard, laissant le prince le détailler à loisir. Ses yeux en amande arborant quelques rides, ses longs cheveux trempés parsemés de blanc, sa peau claire marquée par les années, il ne montrait que de la lassitude. Valiente sentait que son père ne tenait que pour offrir davantage de temps à son fils mais il était évident que le roi était à bout.
- Comment Kremilla est-elle devenue empathe, en ce cas ? insista Valiente. Elle n’est pas magicienne, que je sache.
- Bien sûr que non. Seul l’héritier peut modeler la magie et je plains le pauvre enfant de notre famille qui oserait devenir magicien. Il serait égorgé à l’instant où son tatouage serait découvert.
- Nul ne veut revivre le passé, supposa Valiente.
Ash ne prit même pas la peine de confirmer tant cela était évident. Des siècles plus tôt, un cadet royal magicien avait fait assassiner son frère dans le but de prendre le pouvoir. Le roi avait été obligé de le mettre à mort pour ce crime odieux, avant d’offrir à un magicien extérieur à la famille les précieuses glyphes et avec elles, le trône de Valdoria. Le roi parvenu avait utilisé les ressources du royaume pour attaquer l’empereur, menant Valdoria dans un état de pauvreté et de délabrement extrême. Ash était le premier des descendants légitimes à monter sur le trône Valdorien depuis des générations. La famille royale mettrait tout en œuvre pour que leur sang reste sur le trône, quitte à assassiner l’un des leurs si besoin.
Valiente fixa son père. Le roi dut se rendre compte du regard insistant de son fils sur lui car il finit par ouvrir les yeux.
- Quoi ? gronda-t-il.
- Kremilla a-t-elle tué un mage pour devenir empathe ? osa interroger Valiente.
- Je ne confirmerai pas, annonça Ash.
- Mais tu ne nies pas non plus, comprit Valiente. L’empereur a interdit le meurtre de magicien !
- Il est difficile de lutter contre une coutume, maugréa Ash.
La mâchoire tremblante, Valiente gronda :
- Avant l’arrivée du roi parvenu, notre famille se passait très bien de la magie.
- Des générations sont passées depuis, rappela Ash en soupirant. De nouvelles traditions sont nées.
- Tu es censé faire appliquer la loi impériale, rappela Valiente, déçu que son père ne se batte pas pour faire régner l’ordre au sein de sa propre famille.
L'eau chaude enveloppait leurs corps, mais Valiente sentait un froid glacial s'insinuer entre eux. Chaque révélation creusait un fossé invisible, le séparant un peu plus de cet homme qu'il admirait tant.
- Je t’ai appris à ne pas perdre d’énergie dans un combat perdu d’avance, rappela Ash. Penses-tu que j’ai les moyens d’agir ? Suis-je assez écouté et influent pour remporter ce combat ? Ai-je assez de pouvoir pour imposer cette décision ?
Ash se leva. Sa nudité dévoila l’assemblage hétéroclite de runes et de glyphes parsemant son corps. Une quinzaine, tout au plus. Un pouvoir immense et pourtant ridicule face à la famille royale emplie de sorciers et de sorcières. Le roi se couvrit d’un drap propre pour se sécher.
- L’empereur pourrait te retirer ton trône s’il l’apprenait, lança Valiente.
Les mots sonnèrent un peu trop comme une menace à son goût. Jamais le prince n’avait pensé ses propos dans ce sens et pourtant, ils y ressemblaient sacrément.
- Hunhun, répondit Ash avant de disparaître dans sa chambre pour s’habiller.
Le dîner ne tarderait pas à être servi. Valiente sortit du bain et s’essuya à son tour. Son père ne semblait pas ébranlé par la menace. L’empereur était-il déjà au courant ? En ce cas, pourquoi ne faisait-il rien ? Valiente s’habilla puis rejoignit l’immense salle à manger.
Ce soir, Kaïna ne chantait pas. Elle mangeait à part, sur une table, seule. La bâtarde n’avait pas le droit à la table d’honneur, et ce bien qu’elle fut princesse Valdorienne, fille de la reine, la parvenue, morte sur le bûcher après avoir été condamnée à mort par l’empereur en personne pour mauvais usage de la magie.
Valiente ne comprenait pas. La salle était remplie d’assassins de magiciens et l’empereur ne levait pas le petit doigt pour faire cesser leurs agissements mais il avait mis à mort leur mère ? L’injustice de la situation lui coupa l’appétit, amenant le prince à ne pas toucher au contenu de son assiette.
La salle à manger résonnait de rires et de conversations animées. Les chandeliers projetaient des ombres dansantes sur les murs, comme autant de secrets cherchant à s'échapper. Valiente observa ces jeux de lumière, se demandant combien de vérités sombres ils dissimulaient.
Le prince sentit un regard peser sur lui. Il se tourna pour voir Kaïna tapoter sa tête. En retour, le prince activa sa rune.
- Tu ne manges pas ? entendit-il Kaïna lui demander.
- L’injustice me donne la nausée, répondit Valiente.
- Tu maigriras une fois sur le trône, répondit Kaïna.
Comment ne pas admettre la justesse d’une telle réponse ?
- Le monde est injuste, conclut Kaïna.
- Je refuse de l’accepter, dit-il en serrant sa fourchette dans sa main.
Il observa le repas. Partout, des assassins, riant, mangeant, buvant, s’amusant. Et toutes ces dindes qui lui lançaient des regards aguicheurs tout en le sabrant dans son dos. Ne pouvant refréner les tremblements de sa main droite, Valiente la cacha sous la table. Le prince sentit son estomac se nouer davantage. Il voulait hurler, dénoncer ces meurtres, mais la voix de son père résonnait dans sa tête : « Ne montre jamais tes faiblesses. » Il serra les poings sous la table, ses ongles s'enfonçant dans ses paumes.
- Mange, ordonna Ash à sa gauche.
- Pas faim, répliqua Valiente.
- Mange, insista Ash. Ne laisse personne voir tes faiblesses.
Valiente serra la mâchoire puis se força à mettre dans sa bouche le morceau de navet qui n’eut qu’un affreux goût de terre.
- C’est immonde, pensa Valiente.
- Moi, je trouve ça bon, répliqua Kaïna.
- Toi, tu mangerais n’importe quoi, répliqua Valiente et Kaïna rit en retour.
Quelques uns la désignèrent du doigt en ricanant. Elle se trouvait seule et s’esclaffait. Nul ne connaissait le pouvoir de Valiente. Tous ignoraient qu’elle fut en conversation avec quelqu’un. Ils se moquaient d’elle et Valiente se trouvait impuissant à la protéger. Il ne se risquerait pas à dévoiler son pouvoir. Tout le monde craignait de lui chercher noise à cause de son don dont nul ne savait rien et, d’après Ash, l’ignorance entraînait la peur. Valiente avait la confirmation quotidienne de la véracité de ses dires. Le prince ravala sa rage et termina son repas sous le regard satisfait de son père.