Chapitre 20 Alek

Par Ysaé

Alek dormi comme il en avait rarement eu l’occasion ; lorsqu’il se réveilla, Olivia était encore plongée dans un profond sommeil. Il s’attarda un instant sur son visage : il en aimait le moindre détail, son petit nez retroussé, ses longs sourcils, sa bouche... Il eut à nouveau envie de la toucher, d’effleurer son ventre crémeux et de lui empoigner les hanches, mais reteint sa main. Il réajusta doucement la couverture sur ses épaules avant de s’extirper de la tente.

Alors qu’il aurait dû être le plus heureux des hommes, Alek se sentait paradoxalement très déprimé.

Certes, ce qu’il avait vécu avec Olivia avait été fantastique, une expérience complètement inédite. Comme dans un rêve, il s’était vu posséder la femme dont il était profondément et désespérément amoureux. Il s’était laissé guidé par elle, par ce qu’elle ressentait, avant d’être rapidement submergé par leurs plaisirs conjugués. Dès lors, il n’avait plus été en mesure de raisonner et avait agit à l’instinct. Alek venait d’aperçoir les traces de morssures sur les épaules de la jeune femme et avait été saisi d’une pointe de culpabilité. Avait-il été trop loin ? Il était resté longtemps avec elle, au bord de l’orgasme, sans jamais basculer. Il l’avait brutalisé pour l’empêcher de jouir, pour garder le contrôle de lui même. Il n’aurait pas supporté de vivre cela seul : il voulait qu’elle sache aussi ce que lui ressentait, qu’elle le vive dans sa chair, que leur jouissance soit un don réciproque.

Mais elle ne l’aimait pas. Elle ne l’aimait toujours pas.

Alek songea avec chagrin qu’il lui avait tout donné : que pouvait-il faire de plus pour éveiller ses sentiments ? Il n’envisageait pas lui déclarer son amour et sentir la pitié qui l’envahirait simultanément. Elle ne l’aimait pas, c’était cruel à accepter. Peut-être que cela ne changerait jamais.

Il craignait à présent qu’elle le considère comme un vulgaire jouet sexuel. Il avait bien retenu la leçon : dans le monde Ivy, les femmes étaient autorisées à collectionner les conquêtes masculines et pouvaient même – comble de l’horreur - briser un mariage clanique.

Il frémit à l’idée de ce qu’il serait capable de faire si elle s’avisait de séduire un autre homme. Elle le rendrait fou.

— Eh bien, tu as passé une mauvaise nuit, Alek ?

Il était tellement absorbé par ses pensées qu’il n’avait même pas entendu Tilma arriver. La sabreuse n’eut pas besoin de le questionner pour comprendre que ça n’avait pas eu lieu. Ses épaules s’affaissèrent une fraction de seconde, révélant sa déception.

— J’ai une mauvaise nouvelle, dit-elle, les Etcho sont arrivés hier : nous avons reçu l’ordre de regagner la base.

Merde…

La sécurité était déjà probablement renforcée sur plusieurs kilomètres autour du camp. Alek réfléchi un instant puis proposa à Tilma de le rejoindre avec Olivia une semaine plus tard, à une journée de marche au sud. Le temps de préparer leur fuite.

— Nous prenons des risques si les tiens voit Lili. N’êtes-vous pas capable de détecter les femmes Ivy ?

— Tant qu’elle n’invoque pas le Souffle, non. Et d’après ce qu’elle m’a dit, elle en est pour l’instant incapable.

— Bien, nous allons suivre ton plan alors. J’espère pour toi comme pour moi qu’elle ne se fera pas repérer. Je vais aller la réveiller ; tu peux partir, je lui expliquerais.

Alek eu un mouvement d’hésitation. Ne devait-il pas lui dire au revoir ?  Tilma l’observait.

— Pff… tu n’y connais aux femmes… plus tu lui manqueras, mieux ce sera. A dans sept jours !

 

Alek passa la matinée à contourner les abords du camp à travers bois. Son moral était au plus bas et la douleur le lancinait terriblement : il fut obligé de faire une halte pour s’étaler du baume avant que cela ne devienne trop insupportable. Le retour de sa famille n’aurait pas pu tomber à un pire moment, alors qu’il tenait enfin une occasion de mettre Olivia à l’abri. Il devait dorénavant ne rien laisser au hasard : des repérages sur le terrain s’avérait nécessaire, ne serait-ce que pour aménager une planque, au cas où. Il se rappelait la mission qu’il avait effectuée avec la jeune femme : s’il ne se montrait pas prévoyant, cela tournerait forcément au fiasco.

Alek entendit tout à coup un bruissement étrange. Un animal ? Par automatisme, il sorti ses sabres, scrutant la végétation autour de lui. Ce ne fut plus du tout une impression : il était cerné d’ombres.

— Alors mon cher cousin, on arrive à peine et déjà tu nous nous fausse compagnie ?

Une masse sombre et menaçante s’avança. Aram Scher du clan Etcho, le chef de la rebellion, l’Ark. C’était un mauvais cauchemar.

Alek entendit un claquement de langue familier dans son dos. Sans même se retourner, il sut qu’Ewen Tenval se trouvait derrière lui. La démarche nonchalante, celui-ci retira sa capuche et s’adossa contre un arbre. Ses boucles noires lui tombaient sur le front. Avec sa moue boudeuse et ses yeux sombres, Ewen évoquait davantage un poète qu’un combatant. Mais il ne fallait pas s’y tromper : sous son masque très séduisant, c’était un homme dangereux et particulièrement pervers. Gildas son frère cadet ne bénéficiait pas du même charisme, avec ses longs cheveux roux relevé en chignon et la vilaine cicatrice qui lui déformait le menton. Il était cependant un excellent escrimeur, et celui qu’Alek appréciait le plus pour son caractère placide.

Alek comprit qu’il venait de tomber dans un véritable guet-apens.

—        Laisse-moi passer, Aram, dit-il calmement malgré la tension qui l’habitait.

Ce dernier fit comme s’il ne l’avait pas entendu :

—        L’oncle nous a parlé de l’ylure avant de quitter Stronk. Franchement, j’ai eu du mal à le croire. Mais il en était convaincu ; d’après lui, jamais tu n’aurais jamais pu survivre à toutes tes lésions sans le lien. Et il avait raison ! Tu as bien caché ton jeu, tout ce temps, tu m’impressionnes.

Il ricana :

—        Je donnerais cher pour savoir ce que la fille a ressenti lorsqu’elle t’a rencontré ! Sans doute quelque chose entre l’effroi et le dégout ?

Alek serra ses sabres un peu plus fort. Aram, Ewen et Gildas ne le lachaient pas du regard, prêt à l’attaquer s’il bougeait d’un centimètre. Il s’était attendu à ce que ses cousins sachent : ses premiers soupçons dataient du jour où Clovis Medon avait commencé à le surveiller.

—        Tu ne dis rien hein… tu veux que je te révèle un secret ? Le véritable plan de l’oncle, c’était elle, depuis le début.

—        Elle m’appartient, Aram. C’est sacrilège que de…

Ce fut au tour d’Ewen d’éclater de rire :

— Depuis quand tu te soucis de la loi des Etcho ?! Incroyable… C’est qu’il l’aime, qui l’aurait imaginé !

— Alek, un peu de sérieux, poursuivit Aram. Un Empereur bossu, vraiment ? Et puis, qui sait si tu ne la découperas pas en morceaux pendant une de tes petites crises.

Alek n’était pas de taille à vaincre ses trois cousins réunis, sans compter les quelques Avel-lazhers qui devaient certainement se tenir en retrait, au cas où. Cependant, en tuant Aram, il désorganiserait un peu la résistance. Il espérait que cela suffirait pour permettre à Olivia et Tilma de s’enfuir.

— Lâche tes armes ou je te jure qu’elle souffrira, quoi qu’il arrive, dit Aram qui semblait avoir lu dans son esprit.

Il s’écoula une longue minute de silence. Alek tremblait, partagé entre son désir de massacrer son ainé et celui, plus fort que tout, de protéger celle qu’il aimait. Il connaissait suffisamment ses cousins pour savoir qu’ils n’hésiteraient pas une seconde à mettre leurs menaces à exécution.

Il lâcha ses deux sabres sur le sol. Il était nu.

Ewen siffla, interloqué. Qu’Alek puisse se sacrifier de la sorte par amour devait dépasser son entendement. C’est le moment que choisi Clovis Medon pour intervenir.

— Alek doit être maintenu en vie : nous ne pouvons prédire les conséquences de sa disparition sur l’ylure. Rappelez-vous la mort de son Altesse royale le Prince Vladimir Etcho. L’ylure est un trésor que nous ne saurions détruire par trop de précipitation.

Aram acquieça. Il avait gagné en assurance, mais pas suffisamment pour passer outre l’avis du Commandant. Il s’avança d’un pas, ramassa les deux sabres et les refléta à la lumière.

— Ne m’en veux pas Alek, mais je pense qu’elle et moi sommes fait pour être ensemble.

Il planta les lames dans le sol et releva ses manches. D’un signe, deux hommes vinrent se placer de chaque côté d’Alek.

Aram porta le premier coup.

 

Lorsqu’il reprit connaissance, Alek était proche d’imploser, l’estomac au bord des lèvres. L’air puait la sueur et les excréments. Il voyait mal car ses paupières gonflées de sang, et considéra les parois rugueuses de la grotte où on l’avait solidement attaché. Il faisait sombre et humide.

— Salut Bossu.

Yujie Gann, du Clan Gann. Il avait coupé ses cheveux très courts, ce qui soulignait d’avantage le rond de son visage caramel. Alek ne donnait pas cher de son sort.

L’homme lui saisit la tête par les cheveux, lui arrachant un gémissement étouffé.

— Maman Medon a dit : pas de blessure irréversible.

La rancœur suintait de tous ses pores.

— Il parait que lorsqu’on touche ta bosse, même un peu…

Yujie lui assena un coup de poing sur l’omoplate. Alek sentit son corps se révulser ; un son affreux s’échappa de sa gorge et résonna dans toute la caverne.

Gann pouvait continuer de le torturer (il en avait clairement l’intention), Alek avait enduré sa vie durant une souffrance que l’Avel-lazher n’était pas en mesure de concevoir. Il subirait, finirait par souhaiter la mort, perdrait la notion du présent, enfin. Là où son esprit se replierait, personne d’autre qu’Olivia ne pourrait l’atteindre. Elle lui donnerait la force de revenir, de se battre.

Yujie pouvait continuer de le torturer : son heure viendrait à lui aussi de souffrir, tôt ou tard.

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_HP_
Posté le 17/05/2020
Hey !!

Ma première réaction fut "Oh non, pas eux !" Et en effet, ça n'augure rien de bon...
On ne sait pas ce qui s'est passé entre ses frères et Alek après qu'ils soient partis du Stronk, mais je suppose que ce ne fut pas très joyeux... J'espère (et je pense) qu'on va bientôt l'apprendre ^^
J'espère aussi qu'il ne va rien arriver à Olivia 😬😥

• "Alek dormi comme il en avait rarement eu l’occasion" → dormit
• "mais reteint sa main" → retint
• "en mesure de raisonner et avait agit à l’instinct" → agi
• "Alek venait d’aperçoir les traces de morssures sur les épaules" → apercevoir / morsures
• "Il l’avait brutalisé pour l’empêcher de jouir" → brutalisée
• "Alek réfléchi un instant puis proposa à Tilma de le rejoindre" → réfléchit
• "Nous prenons des risques si les tiens voit Lili" → voient
• "des repérages sur le terrain s’avérait nécessaire" → s'avéraient nécessaires
• "on arrive à peine et déjà tu nous nous fausse compagnie" → fausses
• "avec ses longs cheveux roux relevé en chignon" → relevés
• "Aram, Ewen et Gildas ne le lachaient pas du regard, prêt" → lâchaient / prêts
• "C’est le moment que choisi Clovis Medon pour intervenir" → choisit
• "Il voyait mal car ses paupières gonflées de sang," → ses paupières étaient gonflées
Ysaé
Posté le 18/05/2020
Salut :) C'est une partie que je vais développer dans le tome 2 (ce que Alek et ses cousins ont fait une fois s'être évadés de stronk). Merci encore pour tes centaines de corrections
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