À peine consciente, Annyaëlle referma la porte de sa chambre et déposa ses vêtements sur le dossier d’une chaise. Elle rangea ses armes dans la seconde armoire, dont elle avait enfin trouvé l’utilité, et s’écroula sur son lit. Chaque jour était devenu une véritable torture. La jeune fille faisait de son mieux pour tenter de rattraper le niveau des autres aspirants, mais l’écart entre eux était démesuré. Son corps frêle n’avait jamais eu besoin de s’habituer à prendre des coups et son rang de princesse ne l’avait jamais prédisposé à développer sa masse musculaire. Si Annyaëlle avait eu plus de temps, elle aurait peut-être pu les rattraper, mais il fallait qu’elle soit réaliste, si elle devait passer la cérémonie en même temps que les aspirants de son âge c’était perdu d’avance.
Annyaëlle grimaça en voulant trouver une position moins inconfortable. Tout son corps lui faisait mal. Elle n’avait pas besoin de les voir pour sentir les bleus sur sa peau et les nouveaux qui se développeraient sous peu. Vraiment, elle se demandait ce qu’elle pouvait bien faire ici. Elle enchaînait les entraînements jour après jour, avec ou sans armes, sans jamais avoir le moindre répit. Niila observait son avancée de près et Annyaëlle suivait ses recommandations de son mieux. Seulement, elle savait qu’il était inutile de se bercer d’illusions, elle ne faisait aucun progrès.
À la limite, la jeune fille aurait pu se démarquer dans les rares leçons qui ne la préparaient pas à devenir une guerrière. Les aspirants Ombres devaient apprendre la cartographie du continent sur le bout des doigts, mais aussi les bases des coutumes des différents royaumes et les lignées royales en place. Annyaëlle était incollable sur les royaumes de Carreau et de Cœur, malheureusement même avec cet avantage elle était si constamment bourrue de fatigue qu’il lui était impossible de le mettre en avant.
Même si les Ombres avaient un devoir de neutralité auprès des royaumes et que la plupart d’entre eux ne vénéraient aucune Divinité en particulier, la Confrérie enseignait l’Histoire et les textes sacrés aux aspirants afin que l’ignorance ne fausse jamais leur jugement. Annyaëlle appréciait ces moments-là, qui lui rappelaient ses après-midi passés avec Tali à chercher de nouvelles légendes dans les livres, et lui permettaient aussi de se reposer de ses entraînements.
Malheureusement pour elle, Annyaëlle n’avait pas eu l’autorisation de se joindre aux leçons qui concernaient le développement de l’Affinité. Sans surprise et à juste titre, Niila considérait que sa maîtrise était largement suffisante et qu’il était donc préférable qu’elle se consacre aux entraînements de combats pour rattraper son retard. Voilà ce qu’il en coûtait d’être en avance dans un domaine. Pour la motiver, Niila lui avait dit que si elle réussissait à progresser assez, elle serait peut-être autorisée à rejoindre ce cours.
Annyaëlle aurait tant voulu pratiquer de nouveau, mais elle était tellement épuisée qu’elle s’en savait totalement incapable.
Ce matin-là, Annyaëlle arriva une fois de plus en retard. Et comme d’habitude, elle fut sollicitée bien plus que les autres. Elle faisait de son mieux pour se concentrer sur son adversaire, mais chaque chose autour d’elle était synonyme de distraction. Une discussion, des regards appuyés, un combat qui s’achève, une lame qui tombe au sol, un mouvement hors de son champ de vision, les conseils des Ombres. Tout la perturbait. Son esprit était incapable de se focaliser sur une seule chose.
En équilibre précaire, elle esquiva tant bien que mal le coup de l’aspirant face à elle. Annyaëlle ne tenta même pas de contre-attaquer, elle en était incapable, tenir debout lui demandait déjà un effort surhumain.
Appuyée contre un arbre, à l’écart, l’Ombre aux cheveux blancs observait son combat. Annyaëlle ne comprenait pas la raison de sa présence. Cela faisait plusieurs jours qu’elle la voyait venir assister à ses entraînements sans jamais lui adresser la parole. Annyaëlle se disait que l’Ombre devait vraiment beaucoup s’ennuyer si elle n’avait rien d’autre à faire de mieux. Totalement déconcentrée, elle ne vit pas arriver le coup de coude qui l’envoya immédiatement s’écraser sur le sol.
— Hey, est-ce que ça va ? Lui demanda son adversaire.
Annyaëlle le fixa sans répondre, encore confuse. Une douleur fulgurante lui transperça le crâne. L’aspirant la regarda d’un air désolé et tendit sa main, l’aida à se relever et lui sourit brièvement.
— Tu devrais être plus attentive.
— Oui, je sais, répondit-elle enfin en se massant la tempe. Je suis désolée.
La jeune fille était mal à l’aise. Si aucun aspirant ne se montrait particulièrement sympathique avec elle, se contentant de rester à distance la plupart du temps, elle n’ignorait pas que c’était essentiellement parce qu’ils la jugeaient comme une parvenue. Et ils avaient raison, comme le montraient leurs regards brillants d’une accusation à peine masquée. Elle n’était pas à sa place.
— Aspirante Annya. Suis-moi.
Elle sursauta. L’Ombre aux cheveux blancs s’était approchée sans un bruit et repartait déjà en sens inverse. Elle hésita quelques secondes, se tourna vers ses camarades sans vraiment savoir pourquoi puis s’élança derrière elle.
Annyaëlle suivit l’Ombre dans la forêt sans savoir où elle allait. Elles marchèrent longtemps, assez pour ne plus rien entendre d’autre que le gazouillis des oiseaux, le bruissement des feuilles dans les arbres et les craquements sous ses pas. Kaärna, elle, ne faisait pas le moindre bruit. Annyaëlle s’habituait progressivement au paysage peu familier de l’Île de la Confrérie et ne s’étonnait plus des roches blanches qui jaillissaient de terre çà et là, empêchant la forêt de se développer plus densément. Elles finirent par s’arrêter dans une autre clairière, totalement isolée, et l’Ombre la scruta d’un air découragé.
— Il y a un point d’eau un peu plus loin, lança-t-elle. Profites-en pour te rafraîchir. Je t’attendrai ici.
Annyaëlle hésita, puis finit par suivre les conseils de l’Ombre. À l’abri des regards, elle enleva ses bottes et son pantalon en grimaçant sous les protestations de ses articulations. Le cours d’eau formait un petit bassin tumultueux et la jeune fille s’y laissa glisser à contrecœur. Si la tiédeur de l’automne s’évaporait déjà, l’eau en revanche, était glaciale. Annyaëlle frissonnait, mais le froid chassait la torpeur qui engourdissait ses membres et embrumait ses pensées. Même la douleur de ses bleus s’atténua doucement, et c’est détendue et à moitié trempée qu’elle retourna rejoindre Kaärna dans la clairière.
— Merci, je me sens mieux.
— Tant mieux, répondit brusquement l’Ombre. Tu l’as remarqué, je t’observe depuis un moment. Niila m’a demandé de m’occuper de toi, j’ai donc pris le temps de t’observer.
Annyaëlle n’osa pas prononcer le moindre mot, mais sa question silencieuse dut se lire sur son visage, car Kaärna ajouta.
— J’ai analysé ton comportement, tes qualités et surtout… tes défauts, expliqua-t-elle. Honnêtement, je voyais ça comme une perte de temps. Je n’y croyais pas beaucoup, mais en fin de compte je pense que tu as du potentiel. À partir d’aujourd’hui, tu ne travailleras plus avec les autres. Considère que cette clairière est ton nouveau terrain d’entraînement.
— Si je peux me permettre d’être honnête à mon tour, hésita Annyaëlle, je pense que vous aviez raison. Je ne suis pas stupide, je vois bien que je ne progresse pas.
Kaärna fronça les sourcils, les bras croisés contre sa poitrine.
— Il faut du temps avant de voir une réelle différence. Cela dit, si tu retournes avec eux, il y a peu de chances que tu fasses de véritables progrès. Ton principal défaut est la concentration. Tu essayes d’assimiler tout ce qui se passe autour de toi, et ce n’est pas forcément mal, mais à trop vouloir voir de choses en même temps tu ne vois plus du tout. Ce n’est pas pour rien si j’ai choisi cet endroit. Ici, tu apprendras à te concentrer sur une seule chose, et quand tu sauras le faire, tu pourras te permettre de jeter un œil sur le reste sans te déconcentrer.
Annyaëlle acquiesça, pleinement consciente de ce défaut. L’Ombre parlait avec rudesse, sans mettre de gants, mais sa motivation à vouloir tout de même l’entraîner lui mettait du baume au cœur. Elle ne doutait pas que ces entraînements-là seraient bien plus difficiles que ceux qu’elle avait suivis jusqu’à présent, mais c’était sans doute sa seule chance de pouvoir se rapprocher du niveau des autres aspirants.
— Dorénavant je serai ton seul adversaire, décida Kaärna. Tu ne rejoindras les autres que lorsque tu auras suffisamment progressé. Je pense qu’inconsciemment tu te places en infériorité face aux aspirants parce que tu sais qu’ils ont beaucoup d’avance sur toi. Voilà ce que ça donne : tu es persuadée que tu vas perdre donc tu perds. Dans les prochaines semaines, nous allons repartir de zéro et nous ferons en sorte de développer ta confiance en toi. Si nous réussissons, c’est là que nous verrons vraiment des améliorations.
La jeune fille esquissa un sourire que Kaärna étouffa d’un regard.
— Mais comme tu t’en doutes, il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous allons devoir travailler et ça ne se fera pas en un jour.
Le visage décomposé, Annyaëlle acquiesça de nouveau. Elle savait que l’Ombre avait raison, mais l’entendre à voix haute la touchait plus qu’elle ne l’aurait cru. Sa place n’était pas ici, tout le monde s’en rendait compte, même elle, mais Annyaëlle venait de comprendre qu’elle aurait voulu qu’il en soit autrement. Au moins, elle espérait que l’Ombre aux cheveux blancs ne perdrait pas trop son temps avec elle.
— Bon, heureusement tout n’est pas à jeter, se détendit Kaärna en voyant la mine sombre de l’aspirante. Si ce que l’on dit de toi est vrai et que ton Affinité est bien apparue si tôt qu’on le prétend, alors le taux de symbiose avec ton élément doit être exceptionnel. Tu n’as guère dû avoir l’occasion de le développer pour combattre, mais la Confrérie est le meilleur endroit pour ça. Il pourra te permettre de compenser certains défauts, comme il le fait déjà sans que tu ne t’en rendes compte, en augmentant ton intuition par exemple. Mais le mieux est encore de le mettre en pratique.
Kaärna sortit deux longues dagues de leurs fourreaux et en lança une à Annyaëlle. D’un geste souple, elle passa en garde de combat, fixa l’aspirante et s’autorisa une ébauche de sourire pour la toute première fois.
— Je compte sur toi pour ne pas me faire perdre mon temps.
Je suis comme Elly : je n’aimerai pas être a sa place.
On voit qu’il y a une énorme différence de niveau entre elle et les autres aspirants. On ressent également qu’elle essaie de persévérer, que elle fait des efforts.
On sent également que depuis son départ elle se sent seule.
Même si elle a la compagnie de Kaärna.
Les deux meilleures points de vue sont ceux de Annyaëlle et Kaärna.
En tous cas il faut continuer comme ça.
Bonne journée.
C'est vraiment ce que je voulais qu'on ressente, sa difficulté à s'intégrer mais ces efforts pour ne pas abandonner malgré sa solitude.
Je suis contente que tu aimes beaucoup ces deux personnages :) et merci de continuer à me lire !
Franchement, je plains Annyaëlle ! J'aimerais pas être à sa place. On dirait presque que tout l'empêche de pouvoir se faire valoir auprès des autres. Et pus les autres aspirants qui ne font rien pour l'aider, et la solidarité dans tout ça ??
Bon, heureusement, Kaärna est la pour arranger les choses. J'espère u=que ses entraînements particuliers vont la rendre super puissante et qu'elle va surprendre tout le monde à son retour.
En tout cas, j'ai bien aimé le passage de son bref combat, c'est fluide et bien écrit, on comprend clairement le problème et les enjeux.
Hâte de voir comment ça va évoluer par la suite :)
Oui Kaärna est là pour veiller à ce qu'elle devienne plus forte, et puis, Annya ne sera peut-être pas seule indéfiniment ;)
Ah je suis contente que le combat paraisse fluide ! Top !
Merci pour tes commentaires !!!