Chapitre 20 - Effondrement total

Par David.J

Etienne inspira profondément, mais l’air ne remplissait plus ses poumons. Une oppression invisible écrasait sa poitrine, une force extérieure l’empêchait de respirer normalement. Un poids insoutenable. Il essaya de se concentrer, mais son propre corps lui semblait étranger, dysfonctionnel, décalé.

Une impression d’irréalité lui vrilla le crâne, un vertige sournois qui s’insinuait au plus profond de lui. Il avait la sensation que chaque battement de son cœur résonnait hors de lui, tel un son amplifié par une distorsion inconnue.

Comme si sa peau n’était plus la sienne.

Comme si son existence venait d’être arrachée sous ses pieds, effacée, réécrite sans son consentement.

Il tenta de se redresser.

Un effort simple. Un acte si anodin… et pourtant impossible.

Les sangles le retenaient.

Solides. Serrées. Métalliques.

Ses poignets frottaient contre un cuir rêche. Il tira dessus avec une force désespérée, mais elles ne bougèrent pas d’un millimètre. Il n’avait aucune liberté de mouvement.

Pris au piège.

L’information se grava dans son esprit avec une brutalité glaciale. Il était prisonnier.

Son corps ne répondait plus. Engourdi. Lent. Chaque mouvement était ralenti, quelque chose freinait son esprit, contrôlait ses gestes, limitait ses réflexes.

Tout ce qu’il croyait être réel… n’était qu’un mensonge.

Encore.

Tout son être le refusait.

Il n’était pas policier.

L’idée était si absurde qu’elle le fit frissonner. Comment pouvait-il ne pas être policier ?

Son badge. Son bureau. Ses enquêtes. Ses souvenirs…

Ses souvenirs.

Une sensation de vide l’envahit. Ils étaient flous, indistincts.

Certains fragments étaient trop nets, trop précis. D’autres flottaient dans un brouillard opaque, comme des impressions mal assemblées. Des pièces de puzzle qui refusaient de s’imbriquer.

Il n’avait jamais enquêté sur ces meurtres.

Jamais.

Un gouffre s’ouvrit sous lui.

Et pire encore…

Il ne savait plus qui il était.

Un vertige violent.

Un choc intérieur, brutal, implacable.

Sa gorge se contracta sous l’effet d’une panique qu’il ne contrôlait plus.

Ses doigts crispés sur les accoudoirs tremblaient.

Sa respiration s’accéléra. Il sentait la sueur glisser sur sa tempe, sa nuque.

Son crâne semblait se fissurer de l’intérieur.

Une pression intense. Un mal de tête écrasant.

— Depuis combien de temps je suis ici ? lâcha-t-il, la voix rauque, presque étranglée

Un silence. Une attente oppressante.

Bip.

Un son mécanique. Froid.

Ces bruits étaient les seules choses réelles dans cet univers décomposé.

Puis, un mouvement. Lent. Maîtrisé.

Renard s’avança d’un pas mesuré, calculé.

Son regard était neutre.

Trop neutre.

Pas un éclat d’émotion.

Pas un clignement involontaire.

Juste… cette froideur clinique.

— Des années.

Le mot le percuta comme une balle.

Il ne comprit pas immédiatement.

— Des… années ?

Un vide.

Une sensation de chute libre.

Son cœur cogna trop fort.

Sa poitrine se serra, comme si l’air s’était raréfié d’un coup.

Impossible.

IMPOSSIBLE.

Il chercha un repère, un point d’ancrage à cette réalité qui lui échappait.

Mais tout flottait.

Tout semblait faux.

Blanc. Trop lisse.

Trop parfait.

Pas une poussière.

Pas une tache.

Un décor. Figé.

Son souffle devint erratique.

— Vous mentez.

Renard hocha la tête, il l’avait déjà entendu mille fois.

Un geste mécanique.

Presque prévisible.

— Pourquoi ?

Son sourire n’avait rien d’humain.

Juste un rictus mécanique, dépourvu de chaleur.

Une expression contrôlée, maîtrisée à l’extrême.

— Tu es ce que tu es, Étienne.

Un silence absolu.

Comme si le monde entier venait de s’arrêter de respirer.

Une déchirure.

Un électrochoc.

L’esprit qui implose.

Non.

Non.

Il refusait.

Son regard se leva lentement vers David.

Il espérait un signe.

Un doute.

Une faille.

Mais… David ne cilla pas.

Son regard était vide, patient, inhumainement stable.

Aucune émotion. Aucune réaction.

Juste l’attente.

— Alors dis-moi, Étienne… pourquoi crois-tu qu’on te maintient ici ?

David parlait d’une voix calme.

Trop calme.

Comme s’il répétait un texte.

Comme si tout cela était déjà écrit.

Il ouvrit la bouche. Un souffle tremblant s’échappa.

Aucune réponse ne vint.

Rien.

Juste ce vide immense, cette béance glaciale qui grandissait en lui, avalant ses certitudes, ses croyances, sa propre identité.

Sa peau le brûlait.

Une chaleur étrange, insidieuse, qui s’infiltrait sous sa chair comme une fièvre montante.

Un poison lent.

Un incendie invisible rongeant ses veines.

Ses muscles vibraient sous l’effet de l’adrénaline, prêts à exploser.

Sa respiration était courte, erratique.

Il voulait se lever, courir, fuir.

Mais une part de lui refusait de bouger.

Un grondement intérieur.

Un séisme mental.

Un choc sourd, comme un écho lointain, une résonance venue d’un passé qu’il ne voulait pas voir.

Le son était là, présent, oppressant, vibrant dans son crâne comme un bourdonnement de ruche.

Un bruit blanc.

Un parasite.

Quelque chose qui cherchait à s’imposer.

Puis.

Un souvenir.

Brutal.

Tranchant.

Comme une lame froide qui s’enfonce dans la mémoire.

Une ruelle sombre.

Une étreinte glaciale d’obscurité poisseuse.

Un souffle haletant.

Le sien ?

Celui de quelqu’un d’autre ?

Il ne savait plus.

Le goût du sang.

L’acidité métallique sur sa langue, sur ses lèvres, sur sa peau.

Un goût amer, inoubliable.

Un goût trop familier.

Un couteau dans sa main.

Un poids dans sa paume.

Une présence glaciale contre ses doigts.

Ses jointures crispées autour du manche.

Un frisson le parcourut.

— Non…

Le mot s’étouffa dans sa gorge.

Il ne voulait pas voir ça.

Il ne voulait pas se souvenir de ça.

Il secoua la tête. Fort.

Comme si le mouvement pouvait effacer ce qu’il voyait.

Comme si ce simple geste pouvait briser l’image, la détruire, la nier.

Il voulait rejeter cette vision.

Hurler.

Accuser.

Fuir.

Mais il savait.

La lame dans sa paume.

Manche usé, parfaitement ajusté à sa prise.

Métal froid.

Sang chaud.

Les yeux de sa victime.

Deux billes noires, gonflées de terreur sous la lumière blafarde.

Deux miroirs dans lesquels il voyait son propre reflet.

Son estomac se retourna.

Une vague de nausée lui noua les entrailles.

Il n’était pas policier.

Ces souvenirs… cette vie… tout était faux.

Une façade.

Un leurre.

Un mensonge qu’on lui avait greffé.

Il n’était pas une victime.

L’illusion d’un homme en quête de justice s’effritait.

Se désagrégeait.

Il était le prédateur.

La révélation le frappa de plein fouet.

Un choc brutal.

Une descente en enfer.

Son cœur explosa dans sa poitrine.

Un tambour de guerre battant dans un chaos anarchique.

Ses veines pulsaient comme si elles cherchaient à éclater sous la pression.

Une sueur glacée colla le drap médical à son dos.

L’humidité s’infiltrait dans chaque fibre de son corps, le piégeant dans cette réalité qu’il refusait d’accepter.

Le monde vacilla autour de lui.

Les murs blancs, lisses, aseptisés, semblèrent se tordre.

Une distorsion, un vertige insoutenable.

L’oxygène ne suffisait plus.

Sa gorge se contracta dans une inspiration hachée, brisée.

Un bruit rauque s’échappa de sa bouche.

Comme un noyé tentant de remonter à la surface.

Puis.

Une voix.

Renard.

Calme.

Lent.

Froid.

Comme s’il lui annonçait une évidence.

— Tout ça… Rien d’autre qu’un programme.

Les mots tombèrent.

Lourds.

Implacables.

— Un test. Une réhabilitation.

Le sol se fissura sous lui.

Son esprit criait au mensonge.

— Une manière de voir si tu étais prêt à affronter la vérité…

Sa gorge était sèche.

Ses doigts tremblaient.

Il ne voulait pas entendre ça.

Renard se pencha légèrement vers lui.

— … ou si tu devais recommencer.

Un gouffre.

Un vertige sans fond.

Un précipice invisible dans lequel il chutait sans fin.

Il ferma les yeux.

Mais les images restaient.

Le sang.

La lame.

Les corps.

— Recommencer ?

Sa propre voix semblait étrangère.

David croisa les bras.

Son expression ne changea pas.

Pas un frisson.

Pas un battement de paupières.

— C’est la seule issue.

Une tension sourde s’accumula dans sa poitrine.

Un cri intérieur.

Une alarme hurlante dans sa tête.

Son cœur battait hors de contrôle.

Ses tempes s’emplirent d’un bruit blanc.

— Je… je ne comprends pas.

Il ne voulait pas comprendre.

Renard l’observa avec la patience d’un chirurgien.

L’examen d’un sujet qui a déjà perdu.

Un silence.

Puis, lentement…

— Tu vas comprendre.

Un frisson le parcourut.

Cette phrase… il l’avait déjà entendue.

Quelque part.

Avant.

Encore. Encore. Encore.

Son sang se glaça.

Son souffle se coupa.

Il allait comprendre.

Mais à quel prix ?

Il tendit la main.

Ses doigts tremblaient à peine.

Mais l’intention était implacable.

Mécanique.

Calculée.

Sans hésitation.

Un bruit sourd.

Un frottement léger contre le plastique froid.

Une pression.

Puis…

Il appuya.

Bip.

Un son anormal. Détaché.

Étranger à cette réalité.

L’air sembla vibrer.

Un frisson s’enfonça dans la nuque d’Étienne.

Un avertissement silencieux.

Puis…

L’écran s’alluma derrière David.

Un flash lumineux.

Le moniteur prit vie dans un clignotement erratique, projetant une lueur froide sur les visages figés.

Une lumière inhumaine.

Trop clinique.

Trop parfaite.

Étienne ne voulait pas voir.

Son instinct criait, hurlait, lui ordonnait de détourner les yeux.

Mais il ne pouvait pas.

Il connaissait cet écran sans le savoir.

Un souvenir diffus.

Un écho d’autrefois.

Ou… d’une autre version de lui-même.

Une liste.

Un mur.

Noms. Chiffres.

Données mortes.

Son regard tomba sur le premier.

Son propre nom.

Un choc.

Une onde de panique, une vague glacée qui s’abattait sur son crâne.

Ses lèvres s’ouvrirent, mais aucun son n’en sortit.

Sa gorge était nouée.

Bloquée.

Comme si son propre corps refusait de formuler la moindre question.

Mais son regard…

Son regard descendit.

Une autre version de lui.

Puis une autre.

Encore.

Lignes après lignes.

Innombrables.

Infinies.

Ses yeux s’agrandirent.

Non.

Impossible.

Ça n’a pas de sens.

Chaque ligne…

Chaque itération…

Chaque répétition…

C’était lui.

Encore.

Encore.

Encore.

Il ne respirait plus.

L’oxygène lui manquait.

Un murmure.

Presque inaudible.

À peine un souffle.

— Qu’est-ce que c’est… ?

Sa propre voix lui parut étrangère.

Lointaine.

Déformée.

Une main glacée se referma autour de son cœur.

Un silence pesant.

Puis, une réponse.

Simple.

Tranchante.

— Ton historique.

Un frisson brûlant explosa dans sa colonne vertébrale.

Une sensation de vertige.

Un gouffre sous ses pieds.

Un précipice béant qui l’avalait tout entier.

Il voulait hurler.

Il voulait arracher ces fils qui l’entravaient.

Il voulait nier.

Mais il savait.

Il avait toujours su.

David pencha légèrement la tête.

Un tic infime.

Un geste presque mécanique.

Puis…

Il cligna des yeux.

Une fraction de seconde de trop.

Un retard.

Infime.

Mais… présent.

Une anomalie.

Comme si son clignement n’était pas naturel.

Comme si…

Quelqu’un d’autre le contrôlait.

Un frisson glacé s’enfonça dans la moelle d’Étienne.

— Chaque fois que tu refuses la vérité…

Un battement de cœur.

Une tension oppressante dans la pièce.

David cligna encore des yeux.

Toujours ce décalage.

Un bug.

Un défaut.

Une faille.

Puis…

Il lâcha la bombe.

— On efface. On recommence.

L’air devint irrespirable.

Silence absolu.

Un électrochoc intérieur.

Un ouragan mental.

La phrase résonna dans chaque cellule de son corps.

Sa gorge se bloqua.

Son esprit hurla.

Une sueur froide glissa sur sa tempe.

Il tourna lentement la tête vers Renard.

Attendant une confirmation.

Un démenti.

Un espoir.

Mais…

L’expression de Renard n’avait pas changé.

Un masque sans émotion.

Mais il savait.

Il avait toujours su.

Tout son être implosait.

Étienne inspira.

Une fois.

Deux fois.

Son souffle tremblait.

Puis, sa voix brisée s’échappa.

Un murmure.

Déjà mort avant d’être prononcé.

— Combien de fois ?

Une question qui ne devrait pas exister.

Un cliquetis métallique.

David ajusta un paramètre sur la machine.

Comme s’il validait une simple opération.

Comme si ce n’était rien.

Un simple processus.

Une habitude.

Une routine.

Puis, enfin, il répondit.

— Ceci sera ta 37e réinitialisation.

L’enfer s’ouvrit sous ses pieds.

Un hurlement.

Dans sa tête.

Dans ses veines.

Un gouffre.

Un vide.

Tout ce qu’il croyait être n’était qu’un cycle.

Un programme.

Un éternel recommencement.

Un choix.

Accepter la vérité…

Et mourir en monstre.

Ou…

Replonger dans l’oubli…

Et redevenir l’illusion d’un homme bien.

Sa poitrine se souleva dans un spasme.

Ses doigts s’agrippèrent aux rebords du lit.

Ses jointures blanchirent.

Il savait.

Il savait ce qu’il devait faire.

Mais…

Une voix.

Une ombre dans son esprit.

Un murmure.

Un doute.

Et si ce n’était qu’un autre cycle ?

Un battement.

Une seconde.

Une éternité.

Puis…

Il choisit.

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