Chapitre 21 - Déni et rébellion.

Par David.J
Notes de l’auteur : Acte 3 - LA CHUTE (Chapitres 21-30)

Le monde s’effondrait.

Plus de sol. Plus de murs. Plus rien.

Il ne tombait pas.

Il dérivait.

Comme si son esprit se détachait lentement de son corps, flottant dans un vide oppressant, où chaque mot qu’il venait d’entendre formait un écho vénéneux.

La voix de Renard vibrait encore dans son crâne, tranchante, implacable, comme une lame chauffée à blanc, prête à sectionner le dernier fil de raison auquel il s’accrochait encore:

— Arrête de croire que tu es un flic.

— Tu es le tueur.

Il secoua la tête, rejetant l’idée comme un poison.

C’était une erreur, une manipulation. Un jeu psychologique pour le briser, pour l’obliger à douter. Une tactique sournoise, vicieuse, conçue pour éroder son identité jusqu’à ce qu’il ne sache plus ce qui était vrai ou faux.

Étienne sentit son cœur cogner contre sa poitrine. Un rire s’échappa de sa gorge, sec, amer, tordu. Une tentative désespérée pour masquer le tremblement de ses mains, la panique qui s’insinuait dans chaque recoin de son être.

— C’est ridicule…

Il voulait le croire. Il devait le croire. Mais les murs de sa certitude s’effritaient à une vitesse alarmante.

Il voulut se redresser.

Échec.

Un vertige. Une nausée brutale.

Il vacilla.

Respiration en vrac. Trop rapide. Trop forte.

Ses poignets le brûlaient. Traces des sangles. Preuve qu’il était réel.

Ou pas.

Il passa la langue sur ses lèvres sèches, pris d’une soif soudaine, oppressante. L’air autour de lui semblait plus dense, saturé d’une tension invisible qui comprimait ses poumons. Il ne savait plus s’il haletait par peur ou par manque d’oxygène.

David, silencieux, se tenait à quelques pas de lui. Immobile. Son ombre s’étirait sur le sol, presque trop longue sous l’éclairage artificiel. Son visage n’exprimait rien. Fini le rictus moqueur. Fini cette arrogance contenue dans chacun de ses mots. Juste ce regard vide. Détaché. Comme s’il observait un phénomène qu’il avait déjà vu se répéter des dizaines de fois.

— Tu crois vraiment être un enquêteur ?

Le monde implosa.

Un trou noir dans son crâne.

Chaque pensée aspirée.

Étienne ouvrit la bouche. Rien.

Juste le vide.

Sa respiration s’accéléra, saccadée, irrégulière. Il fouillait désespérément dans sa mémoire, mais tout ce qu’il trouvait n’était qu’un chaos incompréhensible. Des images lui venaient, des fragments épars, son esprit essayait de recoller un puzzle dont la moitié des pièces manquaient.

Du sang.

Sur un tapis. Une mare rouge sombre, poisseuse. Il savait que c’était important. Mais pourquoi ?

Un revolver.

Un poids froid, métallique, contre sa paume. L’empreinte du métal incrustée dans sa peau. Était-ce le sien ? L’avait-il tenu ? Ou n’était-ce qu’une illusion ?

Une silhouette.

Vague, indistincte. Une présence fuyante, une ombre qui disparaît au détour d’une rue, avalée par la nuit.

Tout était brisé. Rien ne faisait sens.

Son cœur battait trop vite, comme s’il voulait combler l’espace béant de sa mémoire en cognant plus fort.

Face à lui, Renard restait impassible. Il l’observait, les bras croisés, adossé nonchalamment contre la table métallique. Presque détendu. Il s’attendait à cette réaction. Comme si tout cela avait déjà eu lieu.

Sa voix, plus posée encore, presque pédagogique, s’insinua lentement dans l’espace entre eux, mesurée, implacable.

— Ces souvenirs, ils ne t’appartiennent pas.

Étienne fronça les sourcils, mais le poids dans sa poitrine augmenta.

— On te les a donnés. Construits. Injectés.

Le sol vacilla sous ses pieds.

— Tu es un programme, Étienne.

Non. Non.

— Une boucle cognitive que nous avons déjà répétée des dizaines de fois.

Non. Pas possible.

Une nausée brutale lui tordit l’estomac.

L’air se vida de ses poumons, comme s’il avait reçu un coup en pleine poitrine. Il lutta pour reprendre son souffle, mais l’oxygène lui échappait, glissant entre ses lèvres sans jamais atteindre ses poumons.

— Non…

Un murmure. Un souffle à peine audible.

Son regard tourna autour de lui, cherchant une échappatoire, un repère tangible dans cet environnement qui lui semblait de plus en plus étranger.

La salle blanche.

L’odeur aseptisée.

Les bips réguliers des machines.

Le grésillement discret des néons.

Il n’avait jamais fait attention à ces détails. Et maintenant, ils semblaient le dévorer tout entier.

Depuis quand était-il ici ?

La réalité se refermait autour de lui, un piège, une vérité qu’il avait toujours connue, mais qu’il s’était efforcé d’ignorer.

Quelque chose en lui luttait. Une partie primaire, révoltée, terrifiée, cherchant encore un échappatoire, une faille.

Mais il ne trouvait rien.

Renard n’attendit pas.

Sa voix fendit le silence, plus tranchante cette fois, plus implacable.

— Tu n’as jamais traqué ce tueur.

Silence.

— Tu l’es.

Le sol se déroba sous lui.

Un gouffre béant.

Un flash.

Un éclat métallique.

Une lame qui s’abat, rapide, précise, dans la chair tendre.

Un cri étouffé.

Un râle arraché à une gorge étranglée de douleur.

Du sang. Partout. Sur ses mains. Sur le sol. Sur ses vêtements. Trop rouge. Trop réel.

Ses doigts tremblèrent.

Son souffle explosa en un hoquet de panique, sa poitrine se contracta violemment, comme si une main invisible serrait sa cage thoracique, l’empêchant de respirer.

Non. Non.

Ce n’étaient pas ses mains.

Pas son crime.

— Mensonge ! rugit-il, la voix brisée, fracturée par une terreur viscérale.

Mais personne ne bougea.

Personne ne réagit.

Renard et David restaient immobiles, telle des statues, leur regard planté dans le sien, impassible, presque curieux.

Comme s’ils attendaient.

Comme s’ils savaient déjà.

Comme s’ils l’avaient déjà vu s’effondrer des dizaines de fois auparavant.

L’air devint irrespirable.

Une pression lourde, intangible, s’abattit sur ses épaules, une chape de plomb, un étau sur son crâne, refermant l’espace autour de lui.

Sa vision se brouilla un instant.

Il lutta.

Refusa.

Sa conscience luttait contre l’évidence, cherchait un point d’ancrage dans ce qui lui restait de réalité.

Mais il ne trouva rien.

Juste des bribes incohérentes, des souvenirs qui ne tenaient plus debout, des images qui ne s’emboîtaient plus.

Son identité se fissurait.

— Tu as tué des femmes, Étienne.

Un battement de cœur. Brutal.

Il ferma les yeux. Ne pas écouter.

— Tu as laissé des indices, semé des fausses pistes, tout ça pour nourrir une enquête qui n’a jamais existé.

Son corps refusait d’accepter, mais son esprit savait déjà.

L’angoisse se changea en vertige.

Les murs autour de lui vacillèrent.

Sa mémoire n’était qu’une illusion.

Un puzzle reconstruit à l’infini, une boucle répétée, encore et encore, jusqu’à ce que tout se déforme, jusqu’à ce que tout perde son sens.

— Et tu as recommencé.

Un battement sourd résonna dans sa tête.

— Encore et encore.

Ses tempes pulsèrent violemment.

— Parce que nous avons réinitialisé ta mémoire chaque fois que tu approchais de la vérité.

Non.

Non.

NON.

Ses mains cherchèrent une prise, un point de repère, mais il n’y avait rien.

Juste du vide.

Du néant.

Une spirale infinie dans laquelle il tombait, sans fin.

Sa respiration était trop rapide, trop erratique.

Son cœur cognait contre ses côtes, trop fort, trop vite, il cherchait à s’échapper de sa propre poitrine.

Il secoua la tête. Les mots de Renard le heurtaient de plein fouet.

— Tu veux savoir combien de fois tu as vécu cette boucle ?

Un silence.

Un battement de cœur trop lent cette fois.

— Soixante-quatre fois.

Un trou noir.

Une vague de panique pure explosa en lui, sous sa peau, dans ses veines, dans chaque cellule de son être.

Soixante-quatre.

Soixante-quatre.

SOIXANTE-QUATRE.

L’horreur le prit à la gorge, le broya, le plongea dans un abîme de désespoir insondable.

Il sentit ses tripes se tordre.

Une nausée violente monta en lui, acide, dévorante, impossible à contenir.

Sa tête lui faisait mal, elle allait exploser sous la pression des révélations.

Soixante-quatre fois.

Soixante-quatre vies volées.

Soixante-quatre mensonges recommencés.

Soixante-quatre illusions construites, puis détruites.

Sa peau était glacée, comme morte.

Il leva les yeux vers Renard et David, et vit la vérité dans leurs regards.

Ce n’était pas la première fois.

Ce ne serait pas la dernière.

Il ouvrit la bouche.

Aucune parole ne vint.

Juste un souffle tremblant, un murmure étranglé par l’effroi.

Il agrippa le rebord du lit, ses doigts blanchis par la pression, comme si ce simple contact pouvait l’ancrer dans la réalité. Comme si le métal froid sous sa paume pouvait lui prouver qu’il existait encore, que ce monde ne s’effondrait pas sous ses pieds.

Mais il n’y avait plus rien.

Il n’y avait jamais rien eu.

L’illusion était totale, parfaite, un piège implacable dans lequel il avait vécu sans jamais questionner son propre reflet.

Un frisson lui rongea l’échine, froid, implacable.

Renard s’approcha. Tranquille. Sûr de lui.

Il savait déjà.

Parce qu’il l’avait déjà vu choisir.

Des dizaines de fois.

Il posa une main glaciale sur son épaule.

Une simple pression. Mais c’était suffisant.

Un ancrage dans l’irréel.

Un murmure de velours noir, suintant de poison.

— Il est temps de choisir, Étienne.

L’air vibra autour de lui.

Le sol bascula légèrement sous son corps faible, vidé, dissout dans l’angoisse.

Sa respiration était courte, erratique, tel un animal acculé dans une cage invisible.

— Continuer à vivre dans le mensonge…

Un battement de cœur trop lent.

— Ou affronter ce que tu es réellement.

Le choc résonna en lui.

L’air se vida soudainement de la pièce.

L’espace devint plus étroit, plus oppressant, comme si les murs s’étaient rapprochés pour l’aspirer dans un gouffre sans fond.

Une réinitialisation.

Ou la vérité brute.

La même alternative.

Toujours.

Ses doigts tremblèrent, accrochés au métal glacé, mais ce n’était qu’une illusion de contrôle.

Un faux espoir.

Sa gorge était sèche. Aucune salive.

Aucun mot.

Seulement le vertige du moment décisif.

Le poids de la décision qui n’en était pas une.

Parce que s’il acceptait…

Il verrait.

Il saurait.

Il deviendrait ce qu’il était vraiment.

Et s’il refusait…

Tout recommencerait.

Encore.

Encore.

Et encore.

Un frisson plus profond que les autres le traversa.

David brisa le silence.

Son ton n’était plus moqueur, plus cynique.

Il n’y avait plus de jeu.

Juste une attente patiente.

Presque compassionnelle.

Presque… fatiguée.

— C’est maintenant, Étienne.

Son souffle se brisa.

Son esprit hurla.

Puis, plus rien.

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