Chapitre 21 : Vacances d'hiver, fêtes diverses et fermeture administrative.

[ 1 ]

Les fêtes de fin d'année approchaient à grands pas et, avec elle, cinq semaines de vacances d'hiver bien méritées. Les cours s'étaient arrêtés le 22 décembre et ne reprendraient que le 29 janvier. Le mois de février était le mois le plus redouté des élèves, car c'était à ce moment que se déroulaient les examens du deuxième semestre qui leur permettaient de valider leur année et de passer au niveau supérieur.

Après les examens, ils avaient le droit à dix jours de vacances avant la nouvelle rentrée de mars. Il n'y avait donc pas de coupure significative lors du passage d'un niveau à un autre. Les vacances d'hiver étaient le seul moment où ils pouvaient prendre une véritable pause et relâcher un peu la pression des cours.

La famille Kim avait pour habitude de fêter Noël selon les traditions occidentales. Mme Kim avait acheté un grand sapin naturel qui trônait fièrement dans la vaste salle de séjour. Il touchait presque le plafond. Jong-goo et Yerin avaient passé l'après-midi à le décorer. C'était lui qui était monté sur un escabeau pour déposer l'étoile dorée sur la cime de l'arbre. Ils avaient ensuite dégusté un délicieux chocolat chaud agrémenté de marshmallows grillés. Ils s'étaient installés sur le canapé et sirotaient leur boisson en regardant une émission à la TV.

— Au fait, tu as fait une liste de cadeaux ? demanda Yerin.

— Une liste de cadeaux ? Pour quoi faire ?

— Pour que Maman puisse t'acheter ce que tu veux ! Noël est dans une semaine, elle ne va pas avoir le temps de faire ses achats si tu ne lui donnes pas ta liste aujourd'hui.

— Je ne veux rien de spécial. Je n'ai pas besoin de cadeaux. Je peux déjà m'acheter ce que je veux quand je veux.

— Hm... mais tu sais, ce n'est pas juste une question matérielle. Moi aussi je peux m'acheter ce que je veux quand je veux, mais Noël c'est différent. On s'échange des cadeaux pour montrer qu'on tient à sa famille et à ses amis. C'est une façon de montrer son amour.

— C'est pas la Saint-Valentin ça ?

— Pas de cette façon ! Même si c'est vrai que Noël c'est aussi une fête importante pour les couples, mais chez nous, c'est la famille qui compte. Même mon père ne rate jamais Noël. Il prend toujours trois jours de congés à ce moment-là pour passer du temps avec nous.

— Je vois... Dans ce cas, juste un cadeau de toi, ça me suffira, dit-il en lui offrant un sourire candide.

Yerin le dévisagea avec surprise. Elle se sentit rougir malgré elle. Il la regardait avec un regard pétillant qui la mettait mal à l'aise. Est-ce qu'il se moquait d'elle ou est-ce qu'il était sincère ? Elle détourna le regard en portant la tasse à ses lèvres.

— Qu'est-ce que tu veux ? demanda-t-elle après avoir retrouvé sa contenance.

— Il faut vraiment que je te le dise ? Si tu m'aimes tant que ça et que tu me connais si bien, je n'ai pas besoin de te dire ce que je veux. C'est à toi de le deviner. J'espère que je ne serai pas déçu !

Il se fichait d'elle. C'était sûr. Son sourire n'avait rien d'innocent.

— T'es vraiment insupportable, grommela Yerin en lui jetant un regard agacé. Qui aurait envie d'aimer quelqu'un comme toi ? T'auras rien du tout ! Tu ne mérites pas de cadeaux !

Elle lui tira la langue avec irritation. Jong-goo lui pinça le nez pour lui faire ravaler son geste insolent. Il riait de sa réaction boudeuse, mais Yerin n'était pas d'humeur à plaisanter avec lui. Il l'avait vraiment énervée. Elle l'avait repoussé avec agacement, puis l'avait planté sur le canapé pour aller se réfugier dans sa chambre en maugréant. Elle ne savait pas pourquoi son cœur s'emballait pour cet imbécile qui se payait tout le temps sa tête. Si seulement elle pouvait vraiment finir par le détester, les choses seraient plus faciles.

[ 2 ]

M. Kim avait pris trois jours de congés du 24 au 26 décembre, mais il avait passé la journée enfermé dans son bureau à passer des documents en revue. Pendant ce temps, le chef cuisinier, engagé spécialement pour l'occasion, s'activait aux fourneaux pour leur préparer un succulent repas de réveillon. Mme Kim s'occupait de la décoration de la salle à manger et de la table. Quant à Yerin et Jong-goo, ils étaient sortis faire un tour en ville pour admirer les décorations et les illuminations de Noël.

— Oh, regarde ! s'exclama Yerin avec émerveillement. C'est trop beau ! Viens, on va prendre une photo.

Elle avait attrapé Jong-goo par la main pour l'entraîner devant la devanture d'un grand magasin de luxe qui mettait en scène des anges aux ailes blanches immaculées et aux halos dorés. Des paillettes d'or et d'argent virevoltaient gaiement dans des boules à neige qui trônaient sur de petits perchoirs.

— Tiens, tu peux me prendre en photo devant la vitrine, s'il te plaît ? demanda-t-elle en tendant son téléphone à Jong-goo.

Il avait pris quelques clichés sous différents angles, mais Yerin avait insisté pour qu'ils prennent un selfie ensemble.

— Arrête de faire des grimaces ! s'exclama Yerin en lui faisant les gros yeux. Tu peux pas prendre une pose normale ?

— Comment ? Comme ça ? fit Jong-goo en souriant à pleines dents, ses deux doigts écartés pour former le signe de la victoire.

— C'est mieux, mais tu pourrais avoir une expression un peu plus neutre. Pourquoi faut toujours que tu fasses l'idiot ?

— Parce que c'est drôle. C'est nul d'être sérieux. C'est chiant.

— Faut bien faire preuve de sérieux une fois de temps en temps.

— Hé ! Sans déconner Yerin, si tu continues à me casser les pieds comme ça, je rentre à la maison. Tu vas voir ce que ça fait quand je deviens sérieux !

Yerin avait gonflé les joues, l'air mi-figue mi-raisin. Elle hésitait entre se mettre à pleurer ou lui crier dessus. Elle aurait sans doute fait les deux si Jong-goo n'avait pas rattrapé le coup avec son habituelle désinvolture.

— Je rigole ! dit-il face à son air contrarié. Fais pas cette tête. Allez, viens, je vais te payer un truc à boire et on prendra autant de selfies que tu veux après.

Yerin s'était laissé amadouer par les excuses détournées de son ami. Ils avaient passé un bon moment ensemble, à arpenter les rues pleines de merveilles et de féérie. Ils étaient rentrés à la maison vers vingt-et-une heures, juste à temps pour le dîner. Ce premier Noël avait marqué le début d'une tradition entre Yerin et Jong-goo qui avaient fait de ce jour leur moment privilégié. Un moment rien que pour eux.

[ 3 ]

Kim Byeong-cheol était d'humeur joviale ce soir. Même un homme aussi sérieux que lui s'était laissé adoucir par la magie de Noël. Ils avaient dégusté du homard cuit au court-bouillon en entrée, une dinde farcie avec de la purée de pomme de terre à la truffe et des carottes glacées en plat principal, et ils avaient terminé le repas avec la traditionnelle bûche au chocolat.

Ils étaient allés se coucher vers minuit, l'estomac bien plein, le cœur léger et la tête pleine de rêves. Le lendemain matin, les cadeaux étaient apparus sous le sapin, comme par magie. Avant l'heure du petit-déjeuner, les deux adolescents avaient déballé leurs présents. Yerin avait hâte de découvrir ce que Jong-goo lui avait offert, mais elle était surtout impatiente qu'il ouvre le cadeau qu'elle lui avait fait. Elle avait longuement réfléchi à ce qu'elle pouvait lui offrir. Elle espérait vraiment que ça lui plairait.

Yerin avait reçu un yo-yo collector en édition limitée, encore emballé dans sa boîte d'origine. Elle voulait ce modèle depuis un moment, mais il était introuvable ou hors de prix. Elle se demandait comment Jong-goo avait mis la main dessus. Quand elle lui avait posé la question, il lui avait répondu qu'il avait des contacts et qu'ils connaissaient des gens qui savaient se procurer ce genre de choses. Il lui avait assuré l'avoir eu pour un prix honnête, même s'il n'avait pas voulu lui dire combien il avait déboursé exactement.

De son côté, Yerin avait elle-même créé son cadeau. C'était même plus qu'un cadeau, c'était un concept. Jong-goo avait reçu un écrin qui contenait une série de petits pin's ronds de différentes couleurs. Il y avait dix badges en bronze, cinq en or jaune, et un en or blanc.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il avec étonnement.

— C'est pour ton projet secret. J'ai eu une idée. Attends, je vais t'expliquer.

Yerin s'était inspirée du gang des perles pour créer ces insignes. Elle pensait qu'il était important qu'eux aussi aient leur propre signe distinctif. En plus des membres officiels de Payback, elle voulait recruter des ambassadeurs qui feraient la promotion de l'application au sein de l'école. Ils pourraient faire office de sentinelles pour veiller sur leurs camarades et signaler les cas de harcèlements directement sur le terrain.

Ces ambassadeurs recevraient un badge en bronze. Les badges en or étaient réservés aux membres actifs du dispositif et le badge en or blanc au chef de l'organisation. Ce dernier était un peu différent. Il n'était pas parfaitement lisse comme les autres. Un dessin était gravé au centre du petit cercle de métal. Une tête de tigre qui montrait les crocs.

Le tigre était un symbole important dans leur culture. C'était un animal très apprécié par le peuple coréen. Un symbole qui représentait la férocité, le courage, la force, la noblesse, mais aussi la liberté, la sagesse et la protection. Le tigre était celui qui veillait sur son territoire, c'était le roi de la montagne qui se dressait contre ses ennemis et qui n'hésitait pas à braver le danger pour protéger ce qui lui appartenait.

— Tiens, celui-là il est pour toi, dit Yerin en désignant le badge en or blanc. Celui en or est pour Min-jun. Les autres sont pour les élèves que tu as recrutés.

— Et toi ?

— Je ne sais pas... Tu m'as dit de ne pas m'en mêler IRL et de me contenter de modérer le forum. Je ne savais pas si tu accepterais de me laisser porter un badge...

— Tu devrais prendre un badge en or. Et en donner un à Min-ji aussi. Je donnerai des badges en bronze à Kang-ho et Tae-jun, et on essayera de recruter plus de membres. En vrai, c'est une super idée. Je n'y aurais pas pensé moi-même. Comme ça, on aura plus de visibilité auprès des élèves tout en restant discret. Et on pourra aborder les élèves en difficulté et gagner leur confiance plus facilement. C'est toi qui les as fait toi-même ?

— J'ai fait le design et j'ai demandé à M. Park de donner mes plans à une bijouterie pour qu'ils les fabriquent. Je n'ai commandé que cinq badges en or et dix badges en bronze pour le moment, mais on peut en commander plus si besoin.

— Je vois. Je pense que ça suffira pour le moment. Merci ! C'est vraiment un super cadeau !

Jong-goo était sincèrement impressionné et touché par son geste. Elle avait vraiment pensé à tout et, même s'il savait qu'elle n'approuvait pas vraiment son projet, elle avait réfléchi à un moyen de l'aider à améliorer le fonctionnement de son organisation. Elle était prête à le soutenir envers et malgré tout et à s'impliquer activement dans ce projet qui lui tenait à cœur. C'était la première fois que quelqu'un faisait quelque chose pour lui sans rien attendre en retour. C'était une véritable preuve d'amour. Un amour inconditionnel et désintéressé.

Jong-goo se sentait presque nul de lui avoir offert un simple yo-yo collector. Certes, il lui avait coûté une petite fortune, mais ce n'était rien en comparaison du cadeau de Yerin. Un cadeau unique dont la valeur était inestimable. Un cadeau qui venait du cœur.

— Yerin... fit-il en la regardant droit dans les yeux. J'ai un autre cadeau pour toi.

— Ah bon ? C'est quoi ?

— C'est un secret que je veux partager avec toi. Viens.

Il lui fit signe d'approcher pour qu'il puisse lui glisser quelques mots à l'oreille.

— Je suis vraiment heureux de t'avoir rencontrée. Tu es la meilleure chose qui me soit arrivé depuis que je suis né. À partir de maintenant, tu n'es plus mon amie secrète, tu seras ma meilleure amie secrète. C'est vraiment toi la meilleure !

Il déposa un bisou furtif sur sa joue avant d'éloigner son visage du sien en lui offrant un large sourire satisfait. Yerin était rouge comme une pivoine. Elle balbutia quelques mots de remerciements confus. Jong-goo lui avait ébouriffé les cheveux en se fendant d'un rire plaisantin, mais son geste n'avait fait qu'accentuer la détresse de son amie. Elle avait l'impression que son cœur allait exploser.

Plus le temps passait, plus ils devenaient proches, et plus ils étaient proches, plus ses sentiments pour lui grandissaient et s'ancraient dans son cœur. Elle avait peur de ne plus être capable de cacher ce qu'elle ressentait pour lui, mais plus encore, elle avait peur qu'il découvre qu'elle était secrètement amoureuse de lui.

[ 4 ]

Le temps passait tantôt vite, tantôt lentement pour les quatre adolescents qui tentaient tant bien que mal de concilier les cours, leurs relations sociales et la gestion de Payback. Ils avaient fêté le réveillon du Nouvel An tous ensemble chez Yerin, puis ils avaient passé le reste du mois à se préparer pour les examens de février. Jong-goo séchait souvent les sessions de révision pour aller traîner en ville avec Gun. La moitié du temps, il rentrait avec des signes visibles de bagarre, même si ce n'était que quelques bleus superficiels.

Quand Yerin lui avait demandé pourquoi il revenait dans cet état à chaque fois qu'il sortait avec Gun, il lui avait répondu qu'il testait juste le niveau des mecs les plus forts du district. Autrement, Gun et lui se baladaient en ville en provoquant tous les jeunes qui avaient l'air de tenir à peu près la route, mais pour l'instant, ils avaient botté beaucoup de culs sans trouver chaussure à leur pied.

Avant les examens, il y avait eu l'anniversaire de Yerin et Jong-goo le 12 février. Cette fois, ils avaient fêté leur quatorze ans sans incident notoire. Deux jours plus tard, c'était la Saint Valentin. La fête qui mettait toutes les filles du collège et du lycée en émoi. Yerin et Min-ji avaient décidé de faire des biscuits et des chocolats maison qu'elles avaient offerts aux garçons en signe d'amitié.

— C'est gentil, mais vous êtes au courant que ce n'est pas vraiment le principe ? dit Min-jun en acceptant tout de même l'offrande. Le but c'est d'offrir des chocolats au garçon dont vous êtes amoureuses, pas à vos potes.

— On sait ! répliqua Min-ji. Moi aussi je trouve ça un peu bête, mais c'était l'idée de Yerin. Elle a dit qu'il y avait plein de fêtes pour célébrer l'amour, mais aucune pour célébrer l'amitié.

— Moi, en vrai, si on me donne de la bouffe gratos, je prends, dit Jong-goo en gobant un chocolat. Ils chont bons en pluche.

Les deux amies n'avaient pas été les seules à leur offrir des chocolats. Jong-goo et Min-jun avaient trouvé quelques paquets de biscuits et autres douceurs dégoulinantes de mièvrerie dans leur casier. Certaines offrandes étaient signées, d'autres non. Ils avaient quelques admiratrices dans plusieurs classes de leur niveau. Min-jun avait même reçu une lettre d'amour anonyme.

— Je pige pas, fit-il en repliant la lettre qui l'avait laissé de marbre. Comment je suis censé lui répondre si je ne sais pas qui c'est ?

— Peut-être qu'elle voulait juste te faire part de ses sentiments sans attendre de réponse particulière, dit Yerin qui ne trouvait pas cela si aberrant. Ça arrive. Il y a des filles qui ont un crush, mais elles ont peur que ce ne soit pas réciproque. Elles ne veulent pas se prendre un râteau, alors elles préfèrent ne rien dire.

— Vous êtes vraiment compliquées, soupira Min-jun. Comment vous pouvez savoir si vous allez vous prendre un râteau ou pas, si vous demandez pas d'abord ?

— C'est pas grave si tu comprends pas, soupira Yerin en secouant la tête, l'air désespéré.

— Hé ! Yerin ! l'interpella alors Jong-goo. En parlant de ça, t'as quelque chose pour Gun ?

— Hein ? Pourquoi j'aurais quelque chose pour...

Yerin se souvint soudain de sa confession mensongère lors des vacances d'été.

— Ben je sais pas, t'as dit que c'était ton crush. Si t'as une lettre pour lui ou un truc à lui donner, je peux lui transmettre le message. Promis, je lirai pas. Et je suis prêt à encaisser le râteau à ta place.

— Non, ça ira, dit-elle un peu sèchement. Tu m'as demandé de changer de crush, du coup c'est ce que j'ai fait. Gun ne m'intéresse plus. De toute façon, il ne vaut pas mieux que toi. Il est toujours impliqué dans des affaires louches et passe sa vie à se battre.

— C'est dur ce que tu dis, Yerin, Jong-goo en faisant mine d'être blessé par ses propos. C'est Gun le vrai fou de la baston qui cherche la bagarre pour rien. Moi, je me bats que si ça rapporte du fric.

— Hm... fit Yerin en haussant les épaules avec indifférence.

[ 5 ]

Une nouvelle année scolaire avait commencé. Les examens s'étaient bien passés. Min-ji s'était classée première du grade 7 avec une moyenne de 97/100. Min-jun avait obtenu une moyenne de 85 points et Yerin s'en était sortie avec 82 points. Jong-goo, lui, avait dû se contenter d'un petit 55/100, mais c'était suffisant pour passer en huitième année.

Les élèves restaient dans la même classe pendant toute la durée du collège. Ils changeaient simplement de grade et de salle de classe. Les quatre amis étaient donc passés en 8e3 et avaient migrés dans la salle voisine.

Le 14 mars, Jong-goo avait découvert avec étonnement et perplexité l'existence du White Day. C'était le jour où les garçons qui avaient reçu des chocolats ou une lettre pour la Saint Valentin devaient donner leur réponse à celle qui avait réussi à obtenir leurs faveurs. Autant dire que ni Jong-goo ni Min-jun n'avait souhaité répondre favorablement à ces confessions non sollicitées. Ils avaient en revanche emmené leurs deux amies au parc d'attractions, tous frais payés, et les quatre adolescents avaient passé une super journée ensemble.

Fin mars, Jong-goo avait réuni l'équipe de Payback pour dresser un premier bilan. Les affaires n'étaient pas mauvaises, mais ce n'étaient pas un succès phénoménal non plus. En trois mois d'activité, ils avaient répondu à quarante-trois requêtes, ce qui leur avait rapporté six millions quatre cent cinquante mille wons. Que des cas assez banals concernant des collégiens.

Ils n'avaient pas encore croisé le chemin du gang des perles. Leurs adversaires se faisaient discrets et se focalisaient sur le lycée. Kouji avait lancé un sondage anonyme sur l'application pour récolter des données statistiques. Les résultats montraient que les collégiens étaient nombreux à utiliser l'application, mais que les lycéens étaient beaucoup moins impliqués.

M. Kim voulait qu'ils cumulent au moins dix millions de wons avant d'investir dans l'application en leur obtenant des contrats publicitaires avec des sponsors. Il fallait qu'ils trouvent des clients parmi les lycéens. Ils avaient plus d'argent que les collégiens, ils pourraient leur demander une plus grosse somme en échange de leurs services.

Le système de badge imaginé par Yerin avait fait ses preuves. Ils avaient deux ou trois ambassadeurs par classe au collège, soit une trentaine d'élèves. Ils avaient dû commander de nouveaux badges en bronze et ils recevaient beaucoup de demandes. Presque trop. Jong-goo et Min-jun les triaient par ordre de priorité en se concentrant essentiellement sur les affaires les plus graves qui impliquaient des cas de racket, de chantage et de violence aggravée.

À force de patience et de persévérance, ils avaient fini par faire sortir les rats de leur trou. Jong-goo s'était coltiné les chefs des sections 3 et 5. Une déclaration de guerre. Un lieu désert. Une heure tardive. Une grosse bagarre. Une défaite cuisante. Les deux chefs de section avaient rassemblé tous les membres de leur section respective, du 8ème au 12ème grade, mais ils s'étaient cassé les dents sur Jong-goo et ses coéquipiers, ainsi que Gun qui s'était joint à la partie.

Min-jun avait énormément progressé et ne déméritait pas lors d'un combat, même contre plusieurs adversaires à la fois. Kang-ho et Tae-jun assuraient plutôt bien aussi. Ils s'étaient enfin racheté une conduite et prenaient leur rôle dans Payback très à cœur. Ils étaient fiers d'être passés de petites frappes à grands protecteurs du collège.

[ 6 ]

C'était presque la fin du premier trimestre. Le gang des perles était au bord de la faillite. Tout cela à cause de Payback et cet enfoiré de Kim Jong-goo. Non seulement il se faisait payer par ces moins que rien en échange de la protection son gang de justiciers de merde, mais en plus il les saignait à blanc pour rendre l'argent aux victimes et empochait les sommes non réclamées. Le gang des perles avait été forcé d'abandonner le collège et de se replier sur le lycée, mais ils avaient perdu près d'un tiers de leur bétail.

Kwon Hyeon-seok faisait face à une crise historique. Ses sous-fifres commençaient à douter de ses capacités à gérer le gang, surtout après la défaite humiliante de deux des chefs de section et la perte de la moitié de leur territoire. Hyeon-seok n'avait pas l'intention d'en rester là et de regarder l'empire bâti par Ahn Gi-eun s'effondrer. Il allait leur rendre la monnaie de leur pièce. Oeil pour oeil. Dent pour dent. Il leur ferait cracher chaque centime perdu.

C'est ainsi qu'un matin, Min-ji était arrivée à l'école la mine défaite. Tous les regards étaient braqués sur elle. Les élèves murmuraient sur son passage et la pointaient du doigt en lui jetant des regards accusateurs ou en esquissant une moue dégoûtée.

Tout avait commencé avec Song Hye-ji. Elle était venue manger plusieurs fois dans le restaurant de ses parents pendant le week-end. La première fois, elle s'était plainte d'avoir trouvé un cheveux dans son poulet frit et elle avait posté une photo du cheveu en question sur son compte Instagram. La fois suivante, elle avait hurlé à la mort parce qu'elle avait vu des cafards et elle avait semé la panique dans le restaurant en courant dans tous les sens. Elle avait filmé alors que les bestioles s'enfuyaient à toute allure pour aller se tapir dans l'ombre. Elle avait également posté la vidéo de l'incident en ligne. Ses parents étaient très à cheval sur l'hygiène et la qualité des produits. Min-ji n'avait jamais vu une seule mouche voler dans le restaurant, alors des cafards... C'était impensable et incompréhensible.

Hye-ji aurait pu s'en tenir là, mais elle avait poussé le bouchon trop loin. Min-ji ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Sa camarade était revenue déjeuner une troisième fois avec ses deux meilleures amies, Seori et Ga-eul. À peine son repas terminé, elle se tordait de douleur, son estomac assailli par de violentes coliques. Prise de nausées violentes, elle s'était précipitée aux toilettes pour vomir ses tripes. Inquiète, la mère de Min-ji avait appelé une ambulance et Hye-ji avait été évacuée aux urgences.

Les médecins avaient conclu à une intoxication alimentaire. Hye-ji avait été mise sous perfusion. La crise était passée, mais le médecin chargé de son cas voulait la garder au moins vingt-quatre heures en observation pour faire des examens complémentaires. Ils avaient détecté la présence de campylobactériose dans son système digestif, une bactérie qu'on retrouvait communément dans le poulet lorsque la viande avait été mal conditionnée à un moment donné de la chaîne de production.

Les parents de Hye-ji avaient aussitôt porté plainte contre le restaurant et ils avaient saisi l'agence de contrôle sanitaire qui avait ordonné la fermeture administrative de l'établissement pendant au moins un mois, le temps de mener un contrôle rigoureux des produits utilisés et de l'hygiène globale du restaurant. Hye-ji avait posté une vidéo depuis son lit d'hôpital pour raconter toute l'histoire et comment elle avait failli mourir à cause d'un morceau de poulet avarié.

En plus de subir une fermeture forcée, le restaurant était assailli de clients mécontents qui étaient venus protester devant l'établissement. Ils recevaient aussi énormément de commentaires haineux et diffamatoires en ligne. Ses parents étaient dépassés par les événements. Ils avaient suffisamment d'économies pour payer un mois de loyer en avance, mais ils ne savaient pas s'ils allaient pouvoir se relever de ce scandale. S'ils perdaient tous leurs clients, c'était la faillite assurée.

[ 7 ]

Jong-goo, Yerin et Min-jun avaient rendu visite à leur amie pour faire le point sur la situation et pour essayer de lui remonter le moral.

— Ce n'est pas une coïncidence, dit Yerin, l'air sombre. C'est Hye-ji. C'est elle qui a tout manigancé. Tout allait bien avant qu'elle vienne manger ici. Elle est venue trois fois, trois semaines de suite, et les trois fois, elle a été la seule à qui il est arrivé un truc. Puis tu trouves pas ça bizarre qu'elle soit venue avec ses deux amies, qu'elles aient toutes manger la même chose, mais qu'elle soit la seule à être tombée malade ?

— Tu veux dire qu'elle se serait rendue malade toute seule exprès en ingérant du poulet avarié pour faire croire que ça venait de chez nous ? répliqua Min-ji, abasourdie par un tel niveau de conspiration. Qui est assez taré pour faire ça ?

— Elle n'a pas eu cette idée toute seule, dit Min-jun en prenant un air songeur. Hye-ji est désagréable et arrogante, mais j'ai du mal à l'imaginer monter un plan aussi machiavélique toute seule.

— Tu veux dire qu'il y a quelqu'un derrière elle qui l'a incitée à faire ça ? demanda Jong-goo. Pourquoi ?

— Ça, j'en sais rien, fit Min-jun en haussant les épaules. Tout ce que je sais, c'est que les victimes de cette affaire ce sont Min-ji et ses parents. Essayer de couler l'unique source de revenus d'une famille tout entière comme ça, c'est grave. C'est carrément un crime. Il va falloir trouver un moyen de faire avouer Hye-ji et découvrir la vérité derrière cette histoire.

— Autrement dit, c'est un boulot pour nous, déclara Jong-goo en étirant ses bras au-dessus de sa tête. T'as de la chance, Min-ji. Pour toi, je le ferai gratuitement.

— Euh... merci... je suppose ? fit sa camarade en lui jetant un regard perplexe.

— C'est quoi le plan alors ? demanda Yerin en prenant un air déterminé.

Jong-goo réfléchit un moment avant de déclarer :

— Le restaurant va être fermé pendant un mois, mais si Hye-ji a vraiment tout inventé, alors les résultats de l'agence sanitaire prouveront que tout est normal. En attendant, on va essayer de lui faire cracher le morceau et on révélera toute la supercherie publiquement, preuves à l'appui. Ça ne compensera pas les pertes du restaurant, mais ça devrait au moins rétablir sa réputation entachée par les mensonges de Hye-ji. Il faudrait aussi faire un appel à témoins. Quelqu'un a peut-être vu quelque chose quand Hye-ji était là. Il n'y a pas de caméras de surveillance dans le restaurant ?

— Non, fit Min-ji en secouant la tête. Il y en a une à l'entrée du restaurant qui filme la porte et une partie du trottoir pour surveiller les allées et venues des clients et des livreurs. Il y en a une autre près de la caisse, au niveau du comptoir, mais le reste de la salle n'est pas sous surveillance vidéo. Mes parents veulent respecter l'intimité de leurs clients.

— Dans ce cas, il va falloir commencer par analyser les photos et les vidéos que Hye-ji a postées pour trouver des indices. Je vais demander à Kouji de s'en occuper. Il est doué pour recroiser les informations. Il pourra aussi identifier les clients qui se trouvaient là ce jour-là.

— Merci, dit Min-ji. Vraiment. Je ne sais pas ce qu'on aurait fait sans vous.

Min-jun lui offrit un sourire rassurant en posant une main compatissante sur son épaule.

— Ne t'inquiète pas. On ne va pas laisser cette peste de Hye-ji s'en tirer comme ça.

— Min-jun a raison, renchérit Yerin en hochant la tête. Je comprends que tu t'inquiètes pour tes parents, mais faut pas que tu te laisses abattre. C'est bientôt la période des examens, il ne faut pas que ça perturbe tes révisions. C'est exactement ce que Hye-ji espère. Elle essaye sans doute de te déstabiliser à un moment aussi important. On peut réviser ensemble si tu veux, comme ça je pourrai t'aider à rester concentrée. Et si tu veux te changer les idées, tu peux passer quelques jours chez moi. Si tes parents sont d'accord, bien sûr.

Min-ji hocha la tête. Elle avait de la chance d'avoir une amie comme Yerin pour la soutenir en ces temps difficiles. Ses parents avaient accepté l'invitation de Yerin après s'être assurés que Mme Kim était également d'accord. Le restaurant étant fermé, ils n'avaient pas besoin de Min-ji pour les aider à faire le service en salle. Ils préféraient la savoir chez son amie à se concentrer sur ses révisions plutôt qu'à la maison à subir cette situation de stress.

[ 8 ]

Kouji avait mené sa petite enquête de son côté. Il avait trouvé une piste. Alors qu'il analysait la vidéo tournée par Hye-ji lorsqu'elle avait filmé la horde de cafards qui étaient subitement apparus sous la table, quelqu'un d'autre était en train de tourner une vidéo sous forme de vlog culinaire. Il avait identifié la fille sur la vidéo. Kang Ma-ri. Une élève en dixième année au lycée de la KGS.

C'était Yerin et Min-jun qui l'avait abordée pour lui demander si elle n'avait rien remarqué d'inhabituel ce jour-là. Kang Ma-ri réfléchit un moment avant de secouer la tête.

— Comme ça, rien ne me vient à l'esprit. Mais je suis tout de même étonnée. Je vais souvent manger là-bas, et je n'ai jamais eu de problème. J'avais même décidé de lancer une série de vidéos où je teste toutes les spécialités du restaurant, mais mes followers ne parlent que de cet incident et me disent de ne plus y retourner. Ils ont peur que je tombe malade, moi aussi. Je filme en continu, mais j'édite mes vidéos après, donc peut-être qu'il y a quelque chose qui m'a échappé dans le fichier d'origine.

— Tu pourrais nous l'envoyer ? demanda Min-jun. On l'analysera nous-même pour voir si on trouve quelque chose.

— Si vous voulez, tant que vous ne me piquez pas mon contenu.

— Ne t'inquiète pas, la rassura Yerin. On gardera ça pour nous. On cherche juste des preuves que Hye-ji a tout orchestré.

— Ah ! s'exclama alors Kang Ma-ri qui venait subitement de se souvenir de quelque chose. Song Hye-ji, je me disais bien que je l'avais vue quelque part. Ça vient de me revenir. Je l'ai croisée au noraebang du coin l'autre jour. Elle traînait avec Noh Su-ji. J'étais étonnée de les voir ensemble. Su-ji ne fréquente que des filles du lycée, elle ne s'intéresse pas aux collégiennes. En plus elle a eu son diplôme en mars et elle est entrée à la fac.

— Noh Su-ji... fit Yerin pour elle-même, songeuse. Merci ! Je pense que ça pourra nous aider.

— De rien. J'aime beaucoup ce restaurant ! En plus, c'est le QG du fanclub de DG dont je suis la présidente. Les filles étaient grave dégoûtées que ça ferme. J'espère que la situation va rapidement s'arranger.

Ils tenaient une piste solide, mais ils ne savaient pas dans quoi ils mettaient les pieds. Ce n'était pas une simple affaire de harcèlement scolaire. Ils faisaient face à des ennemis redoutables et impitoyables qui ne reculaient devant rien pour écraser leurs adversaires.

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