Les étudiants sortirent tous, y compris Jamile, qui rejoignit directement sa chambre, sans passer par le restaurant. Aileen et Alton s’installèrent ensemble et bavardèrent avec passion. Lilian et Hélène s’assirent à la même table. Hélène se contenta d’un dîner léger. Lilian se composa un menu un peu plus consistant. Steven se proposa de les rejoindre. Hélène et Lilian acceptèrent.
- Quelques dizaines de milliers, commença Hélène.
- Ce sont des putains de menteurs, cracha Lilian. Six, mon cul.
- Même s’ils sont vingt mille, nous n’avons pas eu de chance. Cela reste extrêmement peu… J’en ai croisé trois par hasard. Et toi ? demanda Hélène. Je ne sais toujours pas comment ton chemin a croisé le leur.
- Ma mère a appris l’existence des Vampires et comment les reconnaître, plus ou moins la formation d’un sherva, je suppose, sans le côté flippant d’être à un mètre d’un psychopathe.
- Tu parles de Melle Téléma, d’Aileen ou d’Alton ? demanda Hélène.
- Les trois, répondit Lilian, amenant Hélène à sourire.
Steven écoutait sans intervenir. N’ayant pas entendu le début de l’histoire de Lilian, il tentait de raccrocher les morceaux.
- Cela l’a amenée à ouvrir ses yeux, d’une certaine façon, continua Lilian. Elle regardait le monde autrement. Elle observait les gens différemment, selon un autre angle. Elle a changé de point de vue. C’est difficile à expliquer. Je suppose que c’est ça, un sherva, quelqu’un qui se promène dans la rue et repère un Vampire juste par une sensation, un détail qui cloche. Je ne pense pas être capable de jamais faire ça mais ma mère a réussi… pour son plus grand malheur.
- Elle a croisé l’un d’eux et a essayé de le tuer ? proposa Steven.
- Elle s’est rendu compte que ton père était un Vampire, supposa Hélène qui, ayant le début de l’histoire, avait davantage de chances de trouver la bonne réponse que Steven.
Lilian acquiesça à Hélène, indiquant qu’elle avait bien supposé.
- Elle l’a quitté, a tout fait pour m’éloigner de lui, sans jamais indiquer les véritables raisons afin de ne pas attirer les foudres d’un meurtrier immortel. De toute façon, elle l’aimait à en mourir. Jamais elle n’aurait pu s’en prendre à lui. Le déchirement a été total. Elle s’est retrouvée seule, abandonnée. Mon grand-père n’est jamais reparu après cette unique discussion. Trop terrorisé à l’idée d’être poursuivi, il était reparti. Je m’en veux tellement. J’ai été horrible avec elle alors qu’elle n’avait agi ainsi que pour me protéger.
- Tu ne pouvais pas le savoir, tenta de le rassurer Hélène. Qui aurait pu deviner une telle chose ?
- J’étais son seul fil conducteur, sa ligne de survie, son fil d’Ariane et je l’ai repoussée, haïe, rejetée. Je courais vers ce monstre qui ne voulait pas de moi, qui se fichait totalement de moi. J’ai été tellement bête…
- Tu voulais ton père, c’est normal, répliqua Hélène. Je trouve les probabilités bien loin d’être en notre faveur. Le destin semble jouer de bien mauvais tours.
- Que veux-tu dire ?
- Mes parents, des chasseurs de Vampires, se trouvaient avoir un fils Vampire. Ta mère, fille d’une femme possédant un don permettant de lutter contre les Vampires, se met en couple avec un Vampire. Ils sont censés être peu nombreux. Je trouve les circonstances bien peu favorables.
- Nous sommes des exceptions, rappela Lilian, amenées artificiellement par les Vampires dans la même pièce. Melle Téléma l’a dit. Nous ne vivons pas dans le même pays. Nous ne parlons pas la même langue. Seuls leurs traducteurs automatiques nous permettent d’échanger.
Hélène, bien que peu convaincue, hocha tout de même la tête. Elle tapota machinalement l’écouteur sur son oreille droite. Qu’ils discutent entre eux ne dérangeait visiblement pas les Vampires.
- Et donc, ton psy est un Vampire ? lança Lilian.
- Tu es un Vampire ? demanda Hélène.
Lilian plissa des yeux, circonspect.
- Tu arrives à te souvenir de la fin de notre conversation précédente. Aurais-tu une mémoire parfaite ?
- Tu vois, tu commences à réfléchir comme un sherva, s’exclama Lilian. Tu es une candidate idéale. Moi, je serai nul, je le sais.
Hélène secoua la tête. Son compagnon se dévalorisait et elle ignorait comment lui remonter le moral.
- Monsieur Sérapis a été d’une grande aide pendant toutes ces années, annonça Hélène. Je faisais des cauchemars horribles. Je ne dormais plus. Je mangeais difficilement. J’étais un vrai zombie.
- J’imagine ! s’exclama Lilian.
- Pourquoi ? interrogea Steven.
- Elle a vu son frère manger une femme vivante, indiqua Lilian à Steven.
- Je l’ai vu commencer, précisa Hélène. Après, je suis allée vomir.
- Ça se comprend, admit Steven.
- Comment continuer à vivre normalement après tout ça ? J’ai vu mon frère… puis un de ses amis a tué mes parents… puis les monstres sont venus chez moi, devant moi, ils ont menacé de me…
Hélène dut reprendre sa respiration. Elle utilisa une des techniques de monsieur Sérapis pour se calmer.
- Il m’a appris ça, entre autres, annonça-t-elle une fois calmée.
- Bravo, tu maîtrises bien, admit Steven.
- Il est doué mais apparemment, il a consacré plusieurs vies à l’étude de la psychologie humaine, aux comportements, à la gestion des émotions… Il était le plus capable de m’aider, sans aucun doute.
- Les Vampires ont créé un problème, puis l’ont résolu, gronda Steven. Pas de raison de les en remercier.
- Ils auraient aussi pu me tuer, répliqua Hélène.
- Ils ne t’ont pas gardée en vie par pitié, mais par intérêt. Tu vas travailler pour eux, rappela Steven. C’est la seule raison de ta survie.
- Vous avez couru après le lapin blanc et comme l’attraper s’est avéré impossible, vos supérieurs du FBI vous ont viré, siffla Hélène. La recherche du lapin est devenue une telle obsession que vous avez mis fin à toute vie sociale. Vous avez fini par trouver le trou et êtes tombé dedans. Les soldats de la reine de cœur vous proposent un travail, une vie stable et un retour à la normalité. Toujours pas de quoi les en remercier ?
Steven grimaça puis se leva d’un bond avant de sortir précipitamment du restaurant.
- Pourquoi as-tu été aussi méchante ? demanda Lilian.
- Je n’ai fait que dire la vérité. Il nous prend de haut en permanence. J’en ai assez.
- Bien joué, petite, lança Alton depuis la table voisine.
Hélène se tourna vers l’afro-américain et lui sourit. Alton lui envoya un clin d’œil puis Hélène se retourna, plutôt fière d’elle-même.
- Tu deviens amie avec les tueurs en série ? l’accusa Lilian.
- Tu trouves normale la façon dont Steven insulte Alton ? Je trouve cela pitoyable et pathétique. Cela montre seulement qu’il a une très mauvaise estime de lui-même. En agissant de la sorte, il ne fait que se rabaisser lui-même. Je pense que demain va être une longue journée. Je vais me coucher.
Hélène rejoignit sa chambre et se coucha en colère. Elle ne voulait pas s’approcher d’Alton mais ne cautionnait pas non plus les agissements de Steven.
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- Les Vampires d'hier à aujourd'hui, voici le thème de la leçon du jour.
Hélène aurait apprécié davantage d'action mais garda sa déception pour elle. Après tout, elle comprenait l'importance de saisir dans ses moindres détails le pays des merveilles. Mieux elle le maîtriserait et plus elle pourrait s'y promener à son aise.
- Comme je vous l'ai déjà dit, les Vampires sont apparus à l'ère préhistorique. Au début, leur nombre a été très restreint, une dizaine tout au plus.
Hélène regarda Lilian. S'agissait-il des Aars, censés n'être que six ?
- Il a fallu plus de quatre cent mille ans pour que les Vampires commencent à se répandre mais uniquement sur le continent américain. Certains de ces Vampires se sont réunis pour former une organisation, menée par Gilles d'Helmer, dont je fais partie.
Hélène hocha la tête. Cela corroborait les indications qu'on lui avait fournies six ans plus tôt.
- Vous vous trouvez actuellement dans notre école installée dans les temples mayas de Chichen Itza, continua Melle Téléma. Les autres Vampires américains vivaient comme des animaux, s'entre-tuant pour un bout de territoire ou un morceau de viande appétissante.
Hélène gigota de malaise sur sa chaise. Entendre un Vampire parler ainsi d'un être humain la rendait nerveuse.
- Puis est survenue la conquête de l'ancien monde.
- Du nouveau monde, la corrigea Lilian.
- Je crois que ça dépend du point de vue, précisa Melle Téléma. Pour les européens, l'Amérique était le nouveau monde. Du coup, les Vampires américains sont allés conquérir l'ancien monde, quasi vierge de buveurs de sang.
- Pourquoi n'y avait-il pas de Vampires là-bas ? interrogea Steven, surpris.
- Parce que les seuls Vampires à y vivre ne souhaitaient pas devenir plus nombreux. J'ignore leurs raisons et je m'en contrefiche.
- Peut-être ne voulaient-ils pas avoir à lutter pour un morceau de viande appétissante ? proposa Alton.
Melle Téléma serra la mâchoire. Le sujet semblait la déranger.
- Les Aars n'ont pas dû apprécier de voir débarquer des buveurs de sang sur leurs terres, lança Hélène.
Sa phrase eut l'effet désiré. Au terme "Aars", Melle Téléma se raidit. Lilian grogna de désapprobation tandis que Steven se délectait visiblement de la gêne du professeur bien que ne comprenant pas lui-même le terme employé.
- Les Aars n'ont absolument rien fait. Ils ont regardé sans agir, pétrifiés, mous et sans réaction, siffla Melle Téléma.
Hélène choisit pour la première fois de ne pas totalement croire les dires de son interlocutrice. Elle semblait très concernée émotionnellement par la narration. Nul doute qu'elle ne donnait qu'un point de vue très personnel de l'Histoire. Hélène décida de se montrer prudente.
- Les humains, en revanche, ont eu accès à un immense terrain d'entraînement. Ceux-ci, au départ très mal informés et désorganisés, se sont rapidement mis en place. L'amélioration des communications et des armes a permis un essor rapide des groupes de chasseurs de Vampires et une rentabilité toujours accrue. Naturellement, les humains perdaient toujours la guerre mais remportaient de plus en plus de batailles. Les rencontres furent de plus en plus nombreuses, de plus en plus violentes. Les humains commencèrent à vouloir gagner, à n'importe quel prix.
- Ils ont réussi, intervint Lilian. De plusieurs centaines de millions, il ne reste plus qu'une petite vingtaine de mille.
- Nous ne pouvons permettre qu'une telle horreur se reproduise, murmura Melle Téléma. Nous ne voulons pas la destruction de l'humanité. Nous tenons à notre source de nourriture et à la planète sur laquelle nous vivons.
- Que voulez-vous dire ? interrogea Hélène, surprise du ton triste soudainement employé par le professeur.
- Pour tuer deux Vampires, les humains n'ont pas hésité à mépriser les dommages collatéraux.
- Peu importe que des millions d'humains meurent, insista Lilian, si cela permet que votre engeance disparaisse.
- L'un de ces Vampires se trouvait à Hiroshima, l'autre à Nagasaki.
Lilian pâlit brusquement. Cette partie-là de l'histoire lui était inconnue. Ce détail n'avait étrangement pas été divulgué par son grand-père, par honte probablement.
- Nous ne pouvons permettre qu'une telle horreur se reproduise, répéta Melle Téléma. Les chasseurs de Vampires pensent avoir gagné et ont donc cessé de lutter.
- Ils n'arrêteront jamais, répliqua Lilian. Ils sont actifs et continuent à vous traquer.
- Ils sont existants mais dormants, précisa Melle Téléma. Rien ne doit les sortir de leur sommeil.
- Les sherva doivent s'en assurer, comprit Hélène. En jouant le rôle de chasseurs de Vampires mais privés de griffes. Nous pouvons trouver mais pas attaquer.
- Les sherva sont les garants de la paix. La guerre est finie. Le passé ne peut être changé mais nous pouvons éviter que ces atrocités se reproduisent. Les Vampires vont apprendre à se cacher, à contenir leurs élans, leurs envies, afin de créer un monde plus harmonieux. Cela va demander des efforts et certains n'y parviendront pas. Les sherva…
- vont vous aider à écrémer vos troupes, termina Steven à la place de Melle Téléma. Vous avez perdu parce que les Vampires étaient immatures, faibles et mal éduqués. Vous voulez qu'on trie pour vous le bon grain de l'ivraie. Vous voulez qu'on permette à votre organisation de monter en valeur en désignant les plus faibles à éliminer. Jamais de la vie je ne ferai cela. Plutôt mourir. Je ne vous aiderai pas à rendre votre organisation plus puissante. Je choisis l'humanité, mon peuple, mon espèce, au détriment de ma propre vie. Je choisis la collaboration plutôt que l'individualisme. Allez vous faire foutre. Je refuse votre offre.
- C'est ton choix, répondit calmement Melle Téléma tandis que Steven tombait mort sur le sol.
Hélène serra les dents. La mort venait de frapper une nouvelle fois dans la salle mais cette fois d'une manière bien différente.
- Les sherva, continua Melle Téléma, sont les garants que les chasseurs de Vampires resteront dormants. Ils protègent l'humanité d'elle-même. Cette guerre a tué davantage d'êtres humains que les Vampires n'en ont tué en des millénaires. Nous sommes un mal bien moindre que les chasseurs de Vampires.
- Je pense le contraire, indiqua Lilian.
- C'est ton droit, indiqua Melle Téléma. Tu peux devenir sherva malgré cela. Tu peux trouver ta motivation ailleurs, si tu veux.
Hélène eut soudain peur que Lilian, comme Steven, n'annonce son refus de participer alors elle le prit de vitesse.
- Qui est Malika ?
Melle Téléma se raidit plus que jamais. Elle se retenait visiblement d'exploser de rage. Ce nom la mettait hors d'elle. Lilian susurra :
- Arrête de la chatouiller. Tu vas finir par l'énerver vraiment !
- Je veux comprendre le fonctionnement du pays des merveilles, précisa Hélène qui appréciait de plus en plus ce petit jeu.
- Malika était une Aar… commença Melle Téléma.
- C'est quoi, un Aar ? demanda Alton.
- Ce sont comme ça que se nommaient eux-mêmes les Vampires non américains.
- La petite dizaine refusant de partager ?
- Ceux-là même, confirma Melle Téléma.
- Nommaient ? répéta Hélène. Au passé ?
- Les Aars ont été tués pendant la guerre. Un seul a survécu.
- Malika ? supposa Hélène.
- Non, Baptiste, lui apprit Melle Téléma. Malika était une Aar. Elle les a trahis pour monter sa propre organisation parallèle.
Une immense colère faisait vibrer la voix de Melle Téléma. Il était clair qu'elle ne portait pas la traîtresse dans son cœur. Melle Téléma ne continuant pas, Hélène décida de la titiller davantage.
- On m'a dit que Malika commandait les sherva.
- La personne qui t'a dit cela est très mal informée, indiqua Melle Téléma. Les sherva sont gérés par les miliciens, des Vampires dont je fais partie. Malika ne gère que les conseillères.
Ce dernier terme fut lancé sur un tel ton qu'il ressemblait davantage à une insulte. Hélène tenta de recoller les morceaux et le puzzle se fit assez aisément.
- Vous et les autres Vampires de l'organisation de Gilles d'Helmer n'avez appris le contrôle de l'apparence que depuis peu, ce qui n'est pas le cas de Malika et des siens. Elle vous conseille et cela vous répugne.
- Cette connasse a participé à la guerre et n'a pas hésité à envoyer ses filles sur nos hommes en même temps que les autres. Elle était censée être notre alliée et n'a pas fait le moindre effort pour protéger nos compagnons restés là dehors. Et puis, comment peut-on faire confiance à quelqu'un trahissant son propre créateur ? Elle ne mérite pas mon respect.
Hélène s'enfonça dans son siège. Ainsi, les Vampires étaient loin de former un groupe unique et uni. Ils étaient nombreux, aux avis divergents et emplis de dissension.
Hélène se replongea dans son passé. En dévoilant l'existence de son frère Vampire à ses parents chasseurs de Vampires, elle avait lancé une réaction en chaîne qui aurait pu engendrer un véritable désastre, une troisième guerre mondiale. Elle comprenait soudain l'énervement des trois Vampires et leur besoin d'agir rapidement, tout comme leur envie de l'éliminer, de faire disparaître cette menace. Sa vie n'avait tenu qu'à un fil : l'amour de son frère Vampire pour elle. Elle baissa ses yeux emplis de larmes.
- Je m'en fous, indiqua soudain Alton, de vos histoires de guerres entre les humains et les Vampires, de vos bombes atomiques et de vos dommages collatéraux. Je ne me sens pas concerné.
- Tu peux quand même devenir sherva, annonça Melle Téléma. À toi de trouver ta motivation ailleurs.
Alton leva un sourcil interrogateur. Aileen intervint en se retournant vers lui :
- Ils t'ont sorti du couloir de la mort, t'offrent une nouvelle vie, un nouveau départ, un nouveau cerveau et un corps sain jusqu'à la fin.
- Ainsi qu'un accès à des technologies encore inconnues de l'humanité, compléta Melle Téléma, une quasi intouchabilité et une grande quantité d'argent à chaque Vampire dénoncé.
- Grande quantité d'argent ? répéta Alton les yeux brillants.
- Intouchabilité ? répéta en même temps Hélène.
- Dix mille dollars par Vampire trouvé, annonça Melle Téléma, en plus d'un salaire fixe de mille dollars par mois, certes tout juste assez pour vivre, mais il vous suffit de devenir doués pour devenir riches.
- Intouchabilité ? répéta Hélène.
- Un sherva ne peut pas faire correctement son travail s'il a peur des gens qu'il doit chercher. Il doit pouvoir être libre de ses mouvement sans craindre pour lui-même. Le simple fait d'annoncer sa nature de sherva permet à un humain de faire reculer un Vampire, qui n'a plus la possibilité de lui faire le moindre mal.
- Cette loi est appliquée par quel groupe exactement ? s'inquiéta Hélène.
- Le nôtre et celui de Malika, les deux seuls existants encore aujourd'hui, précisa Melle Téléma.
- Et Baptiste ? demanda Hélène.
Melle Téléma haussa les épaules, indiquant qu'elle s'en fichait. Un seul Vampire… peu importait.
- Vous n'avez pas le droit de nous faire de mal ? s'étonna Alton.
- Dois-je de nouveau te taillader le corps pour te montrer à quel point tu as tort ? interrogea Melle Téléma.
Alton pâlit et secoua rapidement la tête de droite à gauche.
- À ma connaissance, vous n'êtes pas des sherva. Vous n'êtes qu'en formation, cracha Melle Téléma.
Hélène comprit soudain pleinement. Elle n'était rien pour eux. Juste un morceau de viande appétissant. Au moindre écart, il leur suffisait de la rayer de la liste des sherva pour la tuer. Ça ne leur demandait rien. Cette intouchabilité était de la poudre aux yeux. Elle ne valait que tant qu'elle leur était utile.
- Vous avez dit quasi intouchabilité, rappela Aileen.
- Naturellement, s'exclama Melle Téléma. Aucun humain ne peut décemment avoir un tel pouvoir. Un milicien s'occupera personnellement de chacun de vous. Il sera votre tuteur et sera totalement libre d'agir à sa guise avec vous. Les miliciens vous ont déjà choisi.
À ces mots, des Vampires apparurent dans la pièce. Hélène ne put s'empêcher de sursauter en voyant apparaître monsieur Sérapis sur le coin de sa table. Il se tenait là, attendant, comme s'il avait toujours été là et que les évènements l'ennuyaient profondément.
- Merci, monsieur Sérapis, murmura-t-elle, consciente qu'il l'entendait.
Son confident avait accepté de la prendre sous son aile. Elle appréciait énormément ce geste de sa part.
- Je m'appelle Pandore, précisa-t-il en retour.
Hélène hocha la tête puis se tourna vers les autres binômes de la salle.
- Bon, je peux ? demanda celui qui avait choisi Jamile.
Melle Téléma soupira.
- Jamile, souhaites-tu être lapidée ?
Pour la première fois, l'iranienne cessa de prier pour jeter un regard d'incompréhension au professeur.
- Tu veux mourir, on a compris. On va te donner ce que tu veux. Cependant, est-ce important pour toi que tu sois lapidée ou bien juste mourir te convient ?
- Juste mourir, répondit Jamile et elle fut exaucée sans attendre.
Le milicien correspondant disparut.
- Je suis désolée, Hélène, mais je suis d'accord avec Steven, annonça Lilian. Je ne veux pas nier qui je suis, ce que je suis, mes ancêtres. Devenir sherva serait une insulte en leur mémoire. Ils sont morts pour nous protéger d'eux. Je refuse de m'allier à nos ennemis.
Hélène serra les dents et, les yeux fermés, entendit le corps de Lilian tomber sur le sol. Elle plongea au plus profond d'elle-même. Voulait-elle devenir sherva ? Souhaitait-elle saisir cette opportunité ? Melle Téléma avait répété que la motivation leur importait peu, tant que chacun trouvait la sienne.
Hélène observa Alton : la vie, le sexe et l'argent lui apporteraient toutes les raisons nécessaires. Elle se tourna vers Aileen et ne trouva pas. Elle ne connaissait pas assez l'américaine qui s'exprimait assez peu. Une seule chose importait pour le moment : ni la vie, ni le sexe, ni l'argent n'intéressaient Hélène alors pourquoi devenir sherva ?
- Ton bras, ordonna Pandore.
Hélène leva un regard étonné vers son psy, puis comprit l'ordre reçu. Il voulait se nourrir, tout simplement. Elle n'était que de la nourriture, rien de plus. Elle ne put retenir ses tremblements mais parvint à offrir à son confident ce qu'il réclamait. Elle savait bien qu'elle n'avait pas le choix. Une terreur profonde s'empara d'elle tandis que les dents du prédateur s'approchaient de ses chairs. À côté, elle entendit Aileen se débattre, hurler, combattre son tuteur et mourir. Alton, tout comme Hélène, se laissait faire, conscient de l'inutilité du combat, de l'inéluctabilité de la mort à venir.
La salle fut plongée dans un silence total. La peur paralysait les deux seuls humains, les rendant muets, hors du temps et de l'espace. Lorsque les dents acérées entrèrent en contact avec leur bras, aucun des deux ne broncha, ne lutta, ne tenta de s'extraire, ne cria, ne demanda grâce, ne supplia. La mort allait frapper, c'était simple, facile, limpide, inexorable.
Lorsque finalement, les dents s'éloignèrent sans fendre les chairs, sans retirer l'énergie, sans blesser, les deux humains furent d'abord totalement circonspects puis pleurèrent silencieusement. Aucun des deux n'en revenait d'être encore en vie.
- Vous allez pouvoir participer aux modules de formation, indiqua Melle Téléma, rompant ainsi le silence ambiant.
- Belle réussite, cette fois, lança le tuteur d'Alton. Deux sur huit, un quart, ton meilleur score !
- Meilleur score ? parvint difficilement à répéter Hélène, abasourdie que six des candidats soient morts dans les deux premières journées.
- C'est sa cinquième session, lui apprit le tuteur d'Alton. Les deux premières, ils sont tous morts. Les deux suivants, un seul est arrivé aux modules. Tu t'améliores !
- L'hétérogénéité n'est pas une solution, maugréa Melle Téléma. Gérer un tel groupe a été atroce. Il s'en est fallu de peu de ne pas tous les perdre. Et puis, ils peuvent encore échouer aux modules.
- Certes, admit le tuteur d'Alton avant de disparaître.
Pandore était déjà parti. Melle Téléma quitta la salle, laissant Hélène et Alton seuls.
- Tu veux devenir sherva ? interrogea Alton, sans cacher sa surprise.
- Oui, dit Hélène.
- Pourquoi ? demanda Alton, curieux.
- Ça ne te regarde pas, répliqua Hélène avant de sortir à son tour.
Elle ne voulait pas se rapprocher de son compagnon d'infortune. Elle ne l'avait jamais voulu. Elle écouterait les modules, apprendrait et deviendrait la meilleure. Le reste n'avait aucune importance.