Chapitre 20 - La tempête - Judith

Notes de l’auteur : MAJ 19/09/2023

À la lumière faiblarde d’une bougie posée à côté d’elle, Judith se fatiguait les yeux sur des ouvrages anciens, aux écritures passées et minuscules. Elle était retournée à Niflheim pour emprunter un nombre conséquent d’ouvrages sur l’histoire d’Hymir, dans l’espoir de trouver un quelconque indice qui lui permettrait de comprendre ce qui se passait dans les ruines assassines. Cela faisait des jours qu’après son labeur quotidien, elle s’attablait et lisait jusqu’à ce que sommeil s’ensuive. Elle n'avait pour l’instant rien trouvé, pas même une ligne sur cet édifice.

Alors que les lignes commençaient à se troubler, elle entendit gratter à sa porte. Elle empoigna sa lance, par précaution, et alla ouvrir en prenant garde de rester derrière, au cas où. Ce n’était que Rowen.

  - Que fais-tu ici à une heure si tardive ?

  - Tu sembles bien tendue.

  - Tu es au courant de la situation, non ?

  - Certes !

  - Que veux-tu ?

  - Un messager du château vient de passer. Il a laissé ça pour toi.

Rowen lui tendit une enveloppe cachetée.

  - Du château ? En pleine nuit ? Ce doit être urgent.

  - Ou grave, ajouta Rowen en souriant.

Judith soupira. Il avait décidément un étrange sens de l’humour.

  - Entre.

  - Oh, je ne voudrais pas m’imposer.

  - Tu parles, tu crèves de curiosité.

Il sourit et pénétra dans la salle à manger des Gaoth. Judith se rassit à sa place et ouvrit l’enveloppe avec un couteau. Elle déplia la longue lettre écrite par Adelle en personne. Au fur et à mesure de sa lecture, sa figure pâlit. Rowen, sur le banc de l’autre côté de la table, l’observait en silence, une main sur la bouche. Lorsqu’elle eut terminé, elle la lui tendit.

  - Je n’ai pas le courage de te faire un résumé, dit-elle avec lassitude.

Rowen parcourut la lettre. Tout en conservant son flegme naturel, il commenta :

  - Ça méritait bien un messager au milieu de la nuit.

Judith haussa les sourcils en guise de réponse.

  - Je me demande ce qu’ils comptent faire après ça, reprit-il. Le vol d’une arme sacrée, c’est impensable. Et s’ils ne calment pas les choses à Muspell, ça va sérieusement dégénérer. Je connaissais bien le père de Dyme, il était sévère mais maintenait fermement les chiens fous qu’ils sont. Il était respecté, enfin, jusqu’à ce qu’il leur cache la vérité…

  - Tu penses qu’ils vont se révolter ? s’inquiéta Judith.

  - C’est probable. D’autant qu’avec les mesures prises, ils doivent crever de faim. Il n’y a rien de plus dangereux que des gens affamés. Il faudra peut-être du temps pour qu’ils se préparent, mais je suis prêt à parier qu’ils vont finir par descendre de leur volcan, et ça ne va pas être joli.

Judith soupira. Un nouveau Mystique du Feu était dans la nature, vraisemblablement un fou de plus. Peut-être même que ce Roy et le meurtrier d’Aurore ne faisaient qu’un.

  - Qu’est-ce que tu lis ? lui demanda Rowen.

  - Des livres d’histoire.

  - Pourquoi ?

  - C’est un problème ?

  - Non, bien sûr. Mais il est déjà très tard, en général, tu dors à cette heure-ci. Pour quelle raison t’obstines-tu à potasser des vieux livres jusqu’à en oublier le sommeil ?

Il était tellement perspicace, Judith aimait ce trait de son caractère autant qu’elle le détestait quand il se retournait contre elle. Elle dut se résoudre à être honnête. Elle lui raconta son exploration des ruines de la plaine, et comment cela avait mal tourné. Rowen resta un moment sans répondre, ce qui était révélateur de son trouble. Pour arriver à le faire taire, il en fallait beaucoup. Judith se leva et prit deux verres qu’elle remplit d’eau. Lorsqu’elle se retourna pour aller se rassoir, Rowen se tenait juste derrière elle.

  - Pourquoi tu ne m’en as pas parlé avant ? lui demanda-t-il sur un ton plein de reproches.

  - Qu’est-ce que ça aurait changé ? rétorqua Judith. Tu aurais pu prévoir que ça allait tourner ainsi ?

  - Non, mais j’aurais pu t’accompagner.

  - Avec tout le respect que je te dois, je pense que tu n’aurais rien pu faire. C’est une force invisible qui m’a sauvée, surgie de nulle part. C’est pour cette raison que je fais autant de recherches. Je veux comprendre. Peut-être que si je retrouve l’histoire du lieu je pourrais trouver des indices sur ce qui m’est arrivé. Maintenant, si tu veux m’aider, je ne suis pas contre. Mais ne dis rien à personne.

  - Tu me promets que tu ne tenteras plus une telle chose sans m’en parler avant ?

  - Non, je ne te promets rien. Je n’ai pas envie de t’embarquer dans mes histoires. Je suis une Mystique, c’est mon rôle, pas le tien.

  - Et si je veux m’en mêler ?

Il se rapprocha d’elle. Elle recula contre le meuble de la cuisine. Il posa ses mains sur le mur derrière elle, son visage collé au sien.

  - Je m’inquiète pour toi, et tu le sais, murmura-t-il.

Judith fut incapable de formuler une réponse. Son cœur s’emballait un peu trop fort. Bien sûr qu’elle le savait. Elle l’avait toujours envisagé comme quelqu’un d’inaccessible, lorsqu’elle était plus jeune, puis, lorsqu’elle-même était devenue une adulte, elle avait remarqué qu’il avait changé. Il la regardait autrement. Il la regardait comme elle, avec le même désir au fond des prunelles.

  - Rowen… Je…

Soudain, son œil fut attiré sur la fenêtre à côté de la porte d’entrée. Il lui sembla distinguer une silhouette collée à la vitre.

  - Il y a quelqu’un !

Elle repoussa Rowen et se dirigea vers la porte en attrapant sa lance au passage. Lorsqu’elle ouvrit la porte, Iggy, son amie d’enfance, se dirigeait vers chez elle d’un pas décidé.

  - Iggy ! appela Judith.

Rowen se précipita dehors et attrapa sa fille par l’épaule pour l’arrêter. Cette dernière se retourna brusquement et le poussa avec colère.

  - Ne me touche pas ! hurla-t-elle.

  - Où est-ce que tu vas ? demanda Rowen avec une panique contenue.

  - Voir maman. Je me demande ce qu’elle va passer de ta débauche avec une gamine qui a l’âge de ta fille ! persifla-t-elle.

  - Arrête ! Tu ne sais même pas ce que tu as vu.

  - Tu me prends vraiment pour une idiote. Je t’ai entendu recevoir le messager. Quand j’ai vu que tu ne rentrais pas, j’ai tout de suite compris où tu étais. Tu me dégoûtes. Et toi aussi ! lança-t-elle à l’attention de Judith.

  - Il y a méprise, Iggy, il ne se passe rien entre ton père et moi, se justifia-t-elle.

  - À d’autres !

  - Elle a raison, Iggy, reprit Rowen. Ne dis rien à ta mère, ça lui ferait de la peine pour rien.

  - Pour rien ? Elle a le droit de savoir que son mari fricote avec une autre, non ?

Elle parlait de plus en plus fort. Judith craignait qu’elle n’ameute tout le village.

  - Il ne se passe rien, asséna Judith. Je te le promets Iggy. Tu me connais suffisamment pour savoir que je ne pourrais pas te mentir, en particulier si j’étais prise sur le fait.

Iggy fixa Judith avec des yeux tempétueux. Le vent, sensible aux changements d’humeur à Njord, et plus particulièrement à ceux de Judith, se leva subitement en bourrasques. Un sourire sadique se dessina sur le visage rond d’Iggy.

  - Tu n’es pas si tranquille, apparemment, ironisa-t-elle.

  - Je ne veux pas que tu déclenches quelque chose que tu ne pourras pas maîtriser, à tort. Concernant la prétendue relation entre ton père et moi, en revanche, je suis parfaitement tranquille.

Elle fournit un énorme effort de concentration pour calmer le vent, sans rien laisser paraître. Elle espérait que cela convaincrait Iggy de ne pas faire d’esclandre.

  - Iggy, il ne faut jamais rien faire sous le coup de l’émotion, dit Rowen, rentrons tous chez nous, laissons passer la nuit, ou quelques jours, et nous en reparlerons tous les deux. Si tu veux toujours faire part de tes doutes à ta mère après ça, je ne t’en empêcherai pas.

Judith se mordit la langue pour ne pas protester. Elle n’était pas vraiment d’accord avec le fait d’être étiquetée comme la maîtresse dépravée alors qu’il ne s’était rien passé. Toutefois, Iggy semblait reprendre ses esprits. La noirceur de son regard s’atténua un peu.

  - D’accord, concéda-t-elle. Mais d’ici là, je ne veux plus que tu t’approches de lui, c’est clair ?

Judith hocha la tête en guise d’approbation. Rowen emboîta le pas de sa fille, jetant un dernier regard gris vers l’objet de ses pensées.

Judith retourna chez elle. Elle rangea ses livres, prit la bougie et s’enferma dans sa chambre. Elle souffla sur la flamme avant de tomber sur son lit, acculée par le poids de la culpabilité.

Iggy avait raison. Ils étaient amants. Depuis déjà longtemps. Tout était resté platonique jusqu’à cette nuit, jusqu’au geste de trop.  Les émotions qui traversaient Judith tournaient dans ses entrailles avec la force d’un ouragan. Elle faisait barrage pour qu’une tempête incontrôlable ne balaye pas Njord, malgré sa grande souffrance. Elle ne pouvait même pas se laisser aller à sa peine. Elle se concentra si fort, qu’elle en fut coupée de la réalité. Elle flottait dans l’air, si calme à l’extérieur, si orageux au fond d’elle. Soudain, un visage se présenta sous ses paupières fermées, un homme au teint blanc, aux cheveux vaporeux couleur lilas, assortis à ses yeux en amande qui s’étiraient jusqu’aux tempes. Des tatouages argentés recouvraient son corps longiligne à moitié nu. Il ouvrit la bouche, et une voix aérienne et douce comme la brise souffla des mots à l’esprit de Judith :

« Je suis là ».

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Audrey
Posté le 10/04/2022
Encore un excellent chapitre. Plus on avance dans l'histoire et plus c'est prenant !
Il me reste un chapitre... j'hésite à le lire maintenant...

Tu en es où de ta réécriture ? Ça avance bien ?
Mathmana
Posté le 10/04/2022
Ah merci! Je suis contente d'arriver à maintenir le suspens ^^
Ma réécriture avance pas mal, pas aussi rapidement que je le souhaiterais mais bon, le temps manque parfois... J'en suis au chapitre 34, j'ai le plan jusqu'au 42 mais ce n'est pas fini, j'en suis au stade où j'hésite entre clore un premier volume en une cinquantaine de chapitre et entamer un second ou étirer encore le premier mais je pense que cela peut être vraiment long, je vais voir au fur et à mesure de mon écriture. ^^
Audrey
Posté le 10/04/2022
Fie-toi à ton instinct !
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