Chapitre 20 - Le roi d'Orane

Par Froglys

Une longue table de buffet avait été installée dans la majestueuse salle de réception. Thalion m’avait annoncé que je rencontrerais le roi Emile avant le début du repas. Ainsi, nous nous retrouvions avec Léoni sur le seuil des quelques marches qui menaient à l’estrade sur laquelle se trouvait un large trône de pierre. Celui-ci avait même été taillé à même la roche qui formait également le sol. Il semblait impossible à déplacer, comme éternel.

Alors que je me préparais à rencontrer le monarque pour la première fois, la porte à l’arrière de la salle s’ouvrit soudainement, laissant entrer trois chevaliers en costume d’apparat et un homme aux cheveux parsemés de blanc.

Vêtu de vêtements somptueux, je devinai en quelques secondes qu’il était le roi Emile. Il s’avançait à pas lents et confiants. Les épaules droites, le menton relevé et sa barbe bien taillée, il dégageait une certaine noblesse, différente de celle de la duchesse, de Jegal ou de la princesse. Je pouvais presque sentir que c’était lui. Celui qui avait élevé la plus puissante monarchie de ce monde. Le roi, Émile Gambail d’Orane.

À peine arrivait-il en haut des escaliers que Thalion me tira vers le sol et s’agenouilla. Je remarquai que Léoni prenait également position. Anxieuse et le cœur battant, je fléchis à mon tour les genoux et posai un poing au sol. Je ne savais pas ce qui était de rigueur chez les femmes, mais personne ne m’avait expliqué. Je baissai la tête, attentive à l’avancée du roi.

Les chevaliers, auparavant immobiles dans la pièce, étaient sortis et avaient fermé les portes. Je pouvais l’entendre au bruit métallique de leurs pas. Pendant ce temps, le souverain, imposant, fit ses premiers pas vers nous.

— C’est un honneur que de vous revoir, mon roi, s’exprima Léoni avec distinction.

— Levez-vous donc, mes enfants. Je suis peiné de vous voir vous incliner devant moi tandis que nous sommes en comité réduit, répondit une voix grave, mais calme et presque effacée.

Les deux garçons se relevèrent obéissants. Je suivis leur exemple.

Je pus observer le visage du roi. Il paraissait jeune. Malgré sa chevelure qui disait le contraire, son visage était aussi lisse qu’un jeune homme, sa carrure aussi impressionnante qu’un travailleur des champs, et son sourire aussi franc et pur qu’un bébé. Je n’aurais jamais pensé qu’il avait dépassé la trentaine. Et pourtant, l’homme qui se tenait devant moi allait fêter ses quarante-trois ans le mois suivant. Et seule une cicatrice sur sa joue droite attestait de ses combats.

— Pour être honnête, je suis surpris que vous soyez arrivés aussi rapidement. Comment avez-vous réussi ?

— C’est grâce à un ami. Il a des capacités vraiment singulières. Nous avons pu faire halte dans une ville où je pensais pouvoir le trouver.

Le roi acquiesça avant de prendre dans ses bras le jeune épéiste qui lui avait répondu. Il s’enquit par la suite de serrer la main de Thalion.

— Je suis véritablement heureux que, cette année-ci tu puisses rester avec nous, commença-t-il avant de se tourner vers moi en m’adressant un clin d’œil. Mais je crois savoir que c’est grâce à toi, ma petite.

Il se détacha de mon frère qui ne s’offusqua nullement de la distance entre lui et le roi, pourtant si proche de son ami.

— Tu n’imagines même pas à quel point tout le monde est heureux à l’idée de te savoir en vie ! C’est vraiment un soulagement après avoir perdu tes parents que de pouvoir nous occuper de leurs deux enfants.

Il s’exprimait toujours calmement, mais il semblait plus enthousiaste. J’étais surprise de voir un roi se comporter de la sorte. J’avais l’impression qu’il était plus froid dans ses portraits, mais ce n’était pas la vérité.

— Tes parents et moi étions de bons amis. J’ai été déçu qu’ils aient décidé de s’installer loin de la capitale et de nous, mais je n’ai jamais su pourquoi.

Il se coupa, reconnaissant sans doute qu’il avait parlé trop longtemps. Il fallait admettre qu’il était assez loquace.

— Désolé de m’être étalé autant sur le sujet. Thalion nous évite souvent alors le fait qu’il accepte de t’amener jusqu’ici signifie qu’il compte sur nous.

— Je t’interromps tout de suite, je souhaite la proposer pour Clerfort et tu étais le mieux placé pour m’aider à la faire entrer sans qu’elle passe l’examen officiel.

Je ne m’étonnais plus de la familiarité entre eux.

Le roi fronça les sourcils à l’entente de la requête de mon frère.

— J’ai bien compris que tu souhaitais lui offrir la meilleure protection possible, Thalion, mais Clerfort n’est pas une académie dans laquelle tu accèdes sur recommandation.

— Ne me fais pas croire ça. Le directeur Salament a ouvert un projet, il y a déjà deux ans, et je sais qu’il entrera en action à la rentrée. Je veux la recommander pour ce programme.

Le roi ne répondit pas. Il continuait de fixer mon frère, qui le défiait du regard, sans prêter attention ni à moi ni à Léoni.

— Tu penses vraiment qu’elle en sera capable ? Elle n’a peut-être pas tes capacités.

— Non, en effet, elle sera bien meilleure que moi, maintint le jeune mage.

Son interlocuteur sembla enfin réfléchir sérieusement à sa demande initiale. Il se tourna vers Léoni qui était resté en retrait pendant toute leur conversation.

— Qu’en penses-tu ?

— Je ne sais pas ce que Thalion a vu, mais il y a quelques jours, elle a réussi à leur sauver la vie. Et puis elle se débrouille bien en runes, hésita-t-il.

Le souverain était dans une impasse. Entre Thalion qui m’avait regardé accomplir un acte magique dont je n’avais moi-même pas encore conscience, et Léoni qui savait simplement que j’avais sauvé la vie du premier, il semblait qu’il allait devoir prendre une décision par lui-même.

— Bien. Nous verrons cela un autre jour. Je contacterai Pierre et nous verrons ce qu’il souhaite faire, décida-t-il. Cela clôture notre discussion à ce sujet pour la soirée.

— Tant que tu promets de t’y pencher.

Le roi hocha la tête avant de se diriger vers la table, accompagné de l’épéiste.

— Tu crois qu’il y aura du vin de Kanua ? demanda suggestivement ce bon souverain.

— Je l’espère. Ce serait vraiment une soirée fichue dans le cas contraire.

En attendant les autres acteurs de ce dîner, j’écoutais les trois hommes discuter. Léoni et le roi Emile semblaient proches, leur relation ressemblait beaucoup à celle d’un père et son fils.

Thalion s’approcha de moi tandis que les deux autres se penchaient sur le buffet.

— J’ai cru comprendre que tu voulais en finir rapidement avec tes études, alors le mieux pour toi est d’intégrer la classe avancée. Et après ce que tu as fait la dernière fois, je pense que tu en as toutes les capacités.

Il avait visé juste. Je devais seulement savoir si le directeur de l’académie accepterait ma candidature à Clerfort.

Des pas résonnèrent et des éclats de voix retentirent depuis l’extérieur de la pièce. Trois jeunes adolescents firent leur entrée, s’engouffrant entre les deux battants de porte monumentaux. La première était une jeune princesse, dont l’âge se rapprochait de celui de Léoni. Vêtue d’une nouvelle robe jaune pâle, elle était tout simplement resplendissante. Deux fils de dentelle ornaient ses cheveux, tombant de chaque côté de son visage.

La seconde était grande, les sourcils froncés et une carrure fine, elle daigna jeter un regard hautain sur moi après avoir salué d’une main chaque personne présente dans la salle. Ses yeux étaient froids et donnaient des frissons.

Le visage du dernier individu ressemblait énormément à celui de la princesse d’Orane. Cependant, il était petit, avec les mêmes muscles secs que Léoni, que l’on devinait sous ses vêtements ajustés. Je sentais qu’il devait être capable de se défendre. Malgré cela, son regard juvénile et son sourire angélique évoquaient plutôt un petit chiot. Puis, mes yeux le détaillèrent. Avec un bras en bandage, il boitillait en nous rejoignant. Il avait des blessures identiques à celles dans mon étrange rêve. Celui durant lequel mon ami à poils nous avait permis de sortir de la malédiction du parc de Bolstrit.

Je restais interdite. Que devais-je faire ou dire ? Était-ce même une bonne interprétation de ses blessures ?

Ils arrivèrent jusqu’à nous. Je supposais que le plus petit d’entre eux était le plus jeune des princes.

— Cela fait plaisir de te revoir, Thalion. Je n’ai pas cru un instant mon père quand il m’a annoncé que tu allais revenir. Même après avoir constaté le départ de Léoni et Jegal depuis le point de téléportation. Tu fais rarement des choses aussi précipitées et peu préparées, balança le blessé.

— Tourne les yeux légèrement plus bas et sur ta gauche. Avant de parler, observe et réfléchis, Léandre, répliqua l’interpellé.

Celui-ci roula des yeux et s’intéressa alors à moi. Je ne t’avais rien demandé, Thal.

— Tu dois être Anthéa. Je suis enchanté de te rencontrer ! Il paraît qu’on a le même âge. Il était temps, j’en avais assez d’être toujours à la traîne. Ils ont déjà tous intégré l’académie il y a au moins un an. J’étais le seul à ne pas encore pouvoir m’inscrire. Mais maintenant que tu es là, je ne suis plus tout seul ! raconta-t-il avec un enthousiasme débordant.

— Tu vas mieux ? Liane a dit que tu étais tombé d’un arbre ? questionna mon frère.

Une expression d’incompréhension traversa brièvement son visage, puis ses yeux se fixèrent sur moi, avant de revenir à mon frère.

— Je voulais sortir du premier cercle, mais les gardes ne m’auraient jamais laissé passer. Alors j’ai essayé de passer par-dessus.

Son explication semblait tenir la route. Cela ne surprenait aucune des personnes autour de moi. Un prince qui utilisait de tels moyens pour sortir seul en ville ? C’était original.

— Ravie de te rencontrer, Anthéa, je suis Talia de Dvareine, se présenta la grande à l’allure hautaine juste après que Léandre ait fini sa phrase.

— Elle est notre unique cousine, m’expliqua Thal avant que je ne fasse les liens dans mon esprit.

Je hochai la tête. Elle avait l’air d’avoir l’âge de mon frère. Je me demandais pourquoi nos parents ne nous avaient jamais emmenés à la capitale. Thalion avait réussi à prendre contact avec notre famille pour les convaincre de le laisser aller étudier la magie. Cela avait été difficile.

À cause de mon amnésie, je parvenais à me souvenir facilement des évènements précédents les deux dernières années. Ces évènements s’étaient pour moi produits il y avait moins d’un an.

Nos parents avaient mis beaucoup de temps avant d’accepter que Thalion se rende à Valbe pour entrer à Clerfort. Il avait donc réussi à contacter notre tante qui l’avait aidé à passer l’examen d’entrée.

— Je réfléchis, mais je ne comprends pas pourquoi Léandre va entrer à l’académie ?

— Que veux-tu dire ? m’interrogea mon frère.

— N’est-il pas un prince d’Orane ?

— Mon père a accepté ma décision. Je suis le dernier en liste à l’héritage et il a jugé que ce serait gâcher mon incroyable talent, répondit l’intéressé.

— Tu as une magie unique ?

— Léandre est un grand télépathe. Il y a deux ans, il était déjà aussi bon qu’un mage de clan, raconta Talia.

En tant que noble, il devait avoir reçu une éducation magique. Et puis, même si c’était le cas, était-il possible d’égaler un mage à un tel âge ?

La conversation changea ensuite de sujet, me laissant de côté.

Je restais près d’eux, mais je ne les écoutais qu’à moitié, étant un peu distraite par les lumières et l'ambiance festive de la soirée. Sans y prêter vraiment attention, mon ouïe se concentra sur la voix de Léoni qui semblait engagée dans une conversation avec le roi.

 

~~

 

— Comment s’est déroulée la réunion du conseil ? J’ai entendu dire que la loi était passée, mais, comment ? s’enquit Léoni.

Le roi sembla surpris que son protégé s’intéresse autant à la politique de son royaume. Il ne voyait en lui qu’un Saint-Chevalier exceptionnel et prometteur. Pourtant, il était vrai que, dernièrement, il avait maintes fois demandé des avancées sur ce sujet. Cela faisait bien plaisir au monarque bien qu’il ne savait pas d’où venait cette attention particulière.

— Oui, elle a été acceptée et annoncée. Sans Jegal, l’affaire a été bien difficile à conclure, mais Lisabeth a su faire entendre sa voix et le chef des Saint-Chevaliers m’a accordé sa voix bien qu’à demi-mesure.

— Quelle est la finalité de la loi ?

— Nous avons fait complètement fermer les troupes de combats des clans d’Orane.

Dans les clans, il y avait ce que l’on appelait une unité de guerre. Elle était composée de plusieurs mages et leur donnait le droit de participer aux conflits, tout comme les chevaliers.

Cependant, le roi, sentant que quelque chose se préparait à l’intérieur même de son pays, avait décidé d’instaurer un décret interdisant aux mages de posséder une troupe de combat. Non loin de radicalement éliminer la menace, cela avait au moins comme effet de permettre au pays de prévoir une quelconque attaque.

— Si quelque chose se trame dans mon dos au sein de mon royaume, je ne peux pas le laisser faire, gronda le monarque d’Orane, dont la réputation était telle qu’elle faisait parfois battre en retraite ses ennemis.

Rebelles, fuyez…

 

~~

 

Grâce à leurs propos, je me souvins de l’endroit dans lequel j’étais. Le Palais Royal, le centre des décisions politiques et des conflits. Le lieu idéal pour connaître l’état du pays et le pire pour cacher mes secrets. Je me trouvais au sein même des secrets que souhaitait cacher le haut de la hiérarchie à son peuple.

Je sentis quelqu’un se glisser à mes côtés, se créant une place dans le cercle de discussion que nous formions.

— Petite Anthy me semble bien s’ennuyer à vos côtés, fit alors une voix que je connaissais bien et que je venais d’espionner.

Le sourire de l’homme était en contradiction flagrante avec le discours qu’il venait de tenir avec le monarque sur l’état du pays. Il semblait même chercher à se convaincre lui-même. Je détournai le regard.

Il passa son bras sur mes épaules pour me rapprocher de lui.

— Alors, de quoi pouviez-vous bien parler pour que ma petite Anthy se sente autant à l’écart ? formula l’épéiste.

Il se tenait vraiment trop près de moi, sa voix irritante résonnait à quelques centimètres de mon oreille. Et puis ce surnom… Anthy ? Quelle horreur ! Je le repoussai et sa présence sur moi s’estompa. Pourtant, je l’appréciais plus que je ne voulais l’admettre.

Mon regard se posa sur le verre de vin qu’il gardait dans sa main droite, ce qui me fit sourire. Il était incorrigible.

— Talia a croisé Andor en ville sans sa sœur, tu imagines un peu la rareté de la chose ? s’indigna la princesse.

Oui, voilà, ils parlaient d’amis à eux et racontaient des anecdotes et péripéties passées qui ne m’intéressaient pas et dont je ne connaissais aucun nom.

— Parlons d’autre chose dans ce cas-là ! Vous rencontrez notre chère Anthéa et personne ne la sollicite. J’en suis déçu.

Thalion maugréa, il ne semblait pas apprécier la manière dont Léoni se comportait envers moi. Cela me faisait sourire parce que je savais que mon frère était conscient du jeu de son ami, mais continuait de réagir de la manière dont celui-ci attendait qu’il réagisse. Tout cela m’irritait profondément.

— Il se trouve justement que j’aurais bien aimé discuter avec elle, intervint Léandre contre toute attente. Seul à seule, en tant que futurs camarades de classe !

Son alibi me semblait peu crédible et je soupçonnais qu’il avait, d’une manière ou d’une autre, entendu la requête que mon frère avait soumise au souverain. Peut-être avait-il consciemment fouillé dans l’esprit de Thalion, cela me semblait bien possible que personne ne l’ait remarqué s’il était aussi fort qu’ils le disaient. Cependant, je me méfiais de lui parce que je sentais qu’il n’était pas aussi honnête qu’il y paraissait.

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