Chapitre 21 - Le troisième prince

Par Froglys

L’éloignement progressif des festivités rendait chaque pas plus solennel. L’atmosphère semblait se transformer, comme si l’air lui-même devenait plus dense. Lorsqu’il s’arrêta sous l’arche, la lumière de la lune caressa ses traits, et cette mèche blonde balayée par le vent donna à son regard une profondeur inattendue.

— Dès que je t’ai aperçue, j’ai eu un étrange pressentiment. Ta présence est similaire à une expérience que j’ai récemment subie. Tu conviendras que je te pose quelques questions ?

Son regard était perçant, insistant, mais je refusais de me laisser intimider. Une méfiance grandissante bouillonnait en moi. Je levai légèrement le menton avant de répondre.

— J’ai également quelques soupçons à ton sujet.

Ses sourcils se soulevèrent. Il ne s’attendait certainement pas à ce que je m’adresse à lui en ces termes.

— Tu as fait un rêve étrange dernièrement ?

Cette question me fit l’effet d’un coup au cœur. J’hésitai un instant, le regardant dans les yeux, cherchant une faille, une intention cachée. Mais il semblait sincère. Lentement, j’hochai la tête. Le poids de cette simple confirmation fit exploser en moi une certitude que je redoutais depuis le début.

Il venait de confirmer beaucoup de choses. Mais au lieu de me rassurer, cela n’eut pour effet que d’amplifier mes suspicions à son égard. Que savait-il, au juste ? Et pourquoi cette étrange connexion entre nous ?

— Waouh ! C’est incroyable. Comment as-tu fait ça ? s’exclama-t-il en portant une main sur son front.

— Pour être honnête, je n’en ai aucune idée. J’étais dans une situation un peu compliquée à ce moment-là. Mais je peux t’assurer que ce n’était pas de mon plein gré et que je ne réitérerai pas l’expérience.

— En tout cas, je ne sais pas comment tu as fait, mais c’est grâce à toi que je peux encore me tenir ici aujourd’hui, me révéla-t-il. Merci de m’avoir sauvé la vie.

Moi ? Je l’avais sauvé ?

Il s’inclina devant moi. Mon cœur manqua un battement, ne sachant que faire face à ses actes. Je n’étais qu’une pauvre orpheline qui n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait là.

— Mais enfin… Redresse-toi… Je n’y suis pour rien, je te le jure, bredouillai-je.

Tandis qu’il relevait la tête pour me regarder, une ombre passa dans son regard, le rendant plus sérieux.

— J’ai pourtant guéri en un temps record, et tu es la seule chose différente qui soit arrivée. Tu es donc la seule réponse.

Je continuai de le fixer. Cherchant à déterminer ce qu’il avait voulu dire. Avais-je permis sa guérison en rêvant ainsi de lui ? Non… Cela ne pouvait pas être ça. Depuis mon réveil dans la forêt avec un trou dans l’abdomen, je m’en étais remise. Il était vrai que la mage-soigneur qui s’était occupée de moi m’avait signalé que je m’étais rétablie bien trop vite pour une telle blessure.

Cela me semblait tout de même tiré par les cheveux. Et puis cela ne résolvait toujours pas la question principale.

— Saurais-tu comment nous avons pu entrer en contact à ce moment-là ? demandai-je alors.

J’espérais recevoir un indice de sa part concernant toutes les anomalies magiques qui m’arrivaient dernièrement. Malheureusement, il secoua la tête de gauche à droite.

— Je n’ai fait que ressentir une présence, et comme l’impression que mon corps m’avait été volé. Je n’en sais pas plus, désolé.

Je mordis ma lèvre inférieure. Encore une fois, je n’avais guère plus d’explication. Ma vie continuait de tourner autour d’un grand vide. Mon seul ancrage était mon frère qui avait néanmoins énormément changé.

— Ce n’est pas grave…

— Tu sembles pourtant m’en vouloir, rétorqua le prince.

— Ce n’est pas vraiment ça, je suis simplement déçue que jamais personne n’ait de réponse pour moi.

Son sourcil s’arqua, le rendant plus perdu, concentré sur un poids qu’il paraissait porter.

— Est-ce que tu souhaiterais m’en parler ?

— Pas vraiment, fis-je, clôturant ainsi la discussion.

Il hocha la tête, semblant comprendre avant de me proposer de retourner avec les autres. Finalement, seules nos identités concernant notre expérience étrange avaient été confirmées, mais ni lui ni moi n’avions pu l’expliquer. Tout restait flou.

Juste avant d’entrer dans la salle, Léandre me fit tout de même une requête à laquelle je ne m’attendais pas.

— Pourrions-nous en reparler une fois à l’académie ? Je pense qu’il y a des choses à découvrir. Je ferai des recherches d’ici là.

Son regard portait une étrange sincérité, mais le doute me rongeait. Pouvais-je réellement lui faire confiance ? Son insistance me troublait autant qu’elle éveillait ma curiosité. Incapable de trouver une réponse dans l’instant, je me contentai de garder le silence, franchissant la grande porte comme pour fuir cette incertitude.

À l’intérieur, les éclats de rire et le bourdonnement des conversations remplissaient l’air, mais je n’y trouvai aucune consolation. Malgré les efforts sincères de Léoni et de mon frère pour m’intégrer, je sentais cette barrière invisible entre eux et moi, une distance que je ne savais pas combler.

Alors je me réfugiai près de la table des mets, où les plats somptueux m’offraient un réconfort illusoire. Manger était une échappatoire, un moyen d’occuper mon esprit pour ne pas penser à cette soirée où je me sentais spectatrice, plus que jamais en dehors du monde qui m’entourait. Mais même cela ne parvenait pas à apaiser le poids de mes interrogations, ni l’écho du regard de Léandre qui semblait me suivre encore.

J’avais eu l’occasion de retrouver la duchesse avec qui j’avais pu faire plus ample connaissance, et rencontrer son mari, Siméon de Dvareine. Professeur d’histoire et maître d’armes, le duc était un fidèle du roi qui lui avait juré une loyauté sans faille.

Deux personnes ne furent cependant pas présentes ce soir-là, bien que leurs noms étaient suspendus à toutes les lèvres. On m’avait fait l’éloge du prince Hector, bâtard du monarque mais digne héritier, se surpassant pour être accepté par le conseil et permettre au prince Éloi, ancien dauphin, de réaliser ses rêves. Ce dernier venait de clôturer sa dernière année à Clerfort et était parti réaliser diverses missions. Malheureusement pour Hector, le conseil ne voyait en lui qu’un secrétaire et prévoyait déjà de placer Liane sur le trône.

En bref, la question de l’héritage royal était un joyeux chaos.

Savourant un énième gâteau, Thalion vint m’annoncer que nous retournions dans notre chambre.

Je me déchaussai près de mon lit, retirai les éléments superflus de ma tenue et, finalement, vêtue d’une unique robe, je m’écroulai sur mon matelas.

Alors que je m’envolais vers un sommeil profond et empli de rêves, un énorme fracas retentit à l’extérieur de ma chambre, manquant de me faire tomber de mon lit. Mon corps réveillé et en alerte, je n’eus aucun mal à me lever pour aller voir ce qu’il se passait. J’entrouvris la porte et découvris sur une scène pour le moins effrayante.

Un vase était brisé sur le sol, le meuble sur lequel il devait auparavant être posé était renversé et un Léoni gisait près d’un liquide à la couleur répugnante.

— Vraiment, Léo, va falloir que tu arrêtes. Déjà, que tu es d’ordinaire peu ragoûtant ne me force pas à m’occuper de toi après chaque soirée, râlait Léandre. En plus, je vais devoir raconter à mon père un énième mensonge si tu loupes l’entraînement de demain matin.

Il soupira avant de demander à Thalion de l’aider à le porter sur le canapé. Je continuai de les observer discrètement. Je ne voulais vraiment pas avoir à nettoyer ou faire quoi que ce soit.

Léoni, désormais installé sur les coussins de velours, ne laissait que peu de place à ses compagnons pour qu’ils puissent s’asseoir également. Résolu, Léandre s’assit par terre contre le meuble. Il soupira.

— Tu dois te douter que je ne suis pas ici uniquement à cause de lui. Même si je dois avouer que cela me facilite bien la tâche.

Je jetai un coup d’œil à mon frère.

Il se tenait droit, en face de ses amis. Il semblait fatigué, mais prêt à jeter le prince hors de la pièce si ce qu’il voulait lui déplaisait.

— Abrège.

— Comme tu le sais, j’ai eu un léger accident il y a quelques jours. Je ne suis pas encore tout à fait guéri malgré que le vieux médecin ait fait ce qu’il pouvait.

Les yeux de Thalion lançaient des éclairs.

— Tu sais très bien ce que je vais répondre à ta requête. Je te l’ai déjà répété bien souvent, il me semble.

— Mais Thal ! Je ne peux pas m’entraîner comme ça, le supplia-t-il.

— Tu n’as qu’à arrêter tes magouilles, répliqua le mage resté debout. User de trop de magie pour soigner une unique blessure est néfaste pour le corps.

Un silence s’installa un moment, mon frère s’apprêtait à retourner dans sa chambre.

— Je ne crains pas cela. Le plus important pour moi actuellement est de retrouver ma mobilité.

Thalion se stoppa et fixa son ami. Il soupira après une seconde de réflexion.

— Bien. Montre-moi.

Léandre sourit et commença à retirer sa tunique. Je claquai ma porte, ne souhaitant pas en voir plus.

Aïe… Sous la surprise, j’avais fait trop de bruit…

Je rouvris délicatement la porte pour découvrir un Léandre souriant encore habillé devant moi.

— Tu nous espionnes ?

— N… n… non !

— Théa, viens, intervint mon frère qui n’avait pas bougé depuis que j’avais claqué la porte.

Je contournai le prince et m’approchai avec prudence de mon frère

— Je vais te montrer une magie de soin assez pratique.

Un rire résonna derrière moi. Je me retournai. Léandre riait franchement en s’avançant vers nous.

— Tu comptes vraiment lui apprendre ça ? Toi-même, tu as galéré pendant deux ans pour la réussir de manière convenable, et tout le monde sait que tu es un génie dans ton genre. Mais tu penses qu’une petite fille qui n’est même pas encore une élève de Clerfort sera à même de l’apprendre ?

— Je pense qu’elle devrait être capable d’en comprendre les premiers principes, oui.

Je le regardais. Beaucoup semblaient reconnaître que mon frère était puissant. Sûrement était-ce le cas, je n’avais pas suivi ses avancées magiques. Cependant, ce qui me dérangeait le plus était que Thalion me surestimait. Je n’y connaissais toujours pas grand-chose en matière de magie. Et d’après la réaction du prince, ce qu’il comptait m’enseigner dépassait mes compétences.

— Connais-tu un peu la magie curative ? me demanda-t-il d’une voix douce pendant que Léandre retirait son haut pour s’asseoir en tailleur devant nous.

Je hochai la tête de haut en bas avec hésitation. Certes, je m’étais essayée à un petit sort avec Fallon, mais rien de plus n’était mentionné dans le répertoire de ma mémoire.

Mon frère, pas un brin surpris, attrapa alors ma main.

— Ce que l’on appelle la magie n’est que d’infimes particules qui flottent en permanence dans l’air qui nous entoure. Elles sont dans tes poumons, dans ton sang, elles traversent chaque millimètre carré de ton corps. C’est la faculté de les ressentir et de les utiliser que nous avons héritée des démons. Sans cela, notre magie resterait moindre et uniquement maîtrisée par l’intermédiaire de runes.

Il me jeta une œillade.

— Tu me suis ?

J’acquiesçai, heureuse d’enfin en savoir plus sur le monde dans lequel je vivais. Même si Fallon m’avait déjà appris un peu comment fonctionnait la magie, il m’avait surtout dit que j’apprendrais ça plus tard et ne s’était pas étalé.

Thalion guida alors ma main vers le sol pour nous permettre de nous installer à la hauteur de Léandre.

Son corps dénudé me fit rougir, je n’avais pas vraiment l’habitude de voir des garçons à moitié déshabillés. Malgré ça, mes yeux ne s’attardèrent pas sur ses muscles saillants révélant un dur entraînement durant depuis plusieurs années. Non, mon regard se posa tour à tour sur chacune des cicatrices dont il était pourvu. Une bonne dizaine d’énormes estafilades blanches, roses et violettes rayaient sa peau, toutes plus ou moins récentes. 

Je levai mon regard vers celui à qui appartenait ce corps, mais il détourna les yeux avant que je ne pusse mentalement formuler la moindre question. Je compris qu’il ne fallait pas poser de questions, alors je tins ma langue.

Le mage aguerri tenait toujours ma main et l’approcha du corps de son ami. Plus précisément sur une plaie rosée près de son épaule. Ce n’était pas beau à voir et l’on voyait que les tissus avaient été malmenés. Presque arrachés autour de la blessure. Alors, voilà ce que donnait la cicatrisation d’une attaque à coup de pieu en bois.

Thalion posa sa paume près de l’entaille pas tout à fait guérie et me demanda d’observer et de reproduire en même temps que lui ce qu’il s'apprêtait à faire.

Ma main se posa doucement sur le torse du prince qui tressaillit à mon contact. Chacun de nos contacts lançait dans mon corps une décharge assez peu agréable.

— Il faut que tu te concentres pour ressentir ses énergies. Celles qui circulent dans son corps et celles qui parcourent le tien. Ferme les yeux si ça t’aide. Une fois que tu auras réussi, dis-le-moi.

Obéissant à mon nouveau professeur, je fermais les yeux. Un voile noir tomba autour de moi. Je me concentrais pour sentir les énergies magiques qu’il avait désignées. Après deux bonnes minutes sans y parvenir, je m’apprêtais à abandonner, mais une faible lueur se forma dans mes pensées. Peu à peu, je sentais comme des picotements un peu partout dans mon corps. J’ouvris les yeux, surprise par la sensation.

— Tu as réussi ? demanda la voix rauque de mon frère.

— Je crois.

— Bien. Maintenant, tu vas réciter la formule après moi. Concentre-toi sur ce que tu ressens et tu vas venir émettre de faibles pulsations partant de ta paume vers l’extérieur en te servant du corps de Léandre comme récepteur.

Je fermai à nouveau les yeux pour essayer de visualiser ce qu'il me demandait.

— Répète : Djov évoé…

Djov évoé…

Mooué…

Mooué…

Roou komroov.

Roou komroov…

À peine eus-je prononcé ce dernier mot que l’espace auparavant noir sous mes paupières s’éclaira d’une lumière verte. Je me risquai à ouvrir les yeux et admirai la lueur vert clair qui prenait source sous la paume de ma main, contre la peau du torse du prince.

Cette fois, Bien que cela soit une magie curative, je ne voyais aucun cercle runique, je tournai la tête vers mon frère pour lui en demander la raison et le surpris, les yeux ronds, fixés sur le sort que j’étais en train de lancer.

Sentant sûrement mon regard sur lui, il reprit son calme et m’expliqua comment procéder. Tant pis pour mes questions.

— Tu dois faire circuler tes propres énergies à l’intérieur de son corps jusqu’à sa blessure. Ensuite, tu répéteras deux fois : Fooeov. Et tu cesseras de faire circuler vos énergies à travers son corps.

Je m’apprêtais à procéder à ce qu’il me demandait avant qu’il ne rajoute un dernier point important.

— Contrôle ta puissance, sinon tu vas tomber à court comme la dernière fois.

Je hochai la tête et me concentrai.

C’était bien facile de dire de ne pas donner trop d’énergies, mais, dans la pratique, c’était bien plus complexe. J’avais seulement ouvert un lien entre Léandre et moi, mais des vagues de chaleur s’échappaient déjà de moi vers lui. Je me préoccupais donc de cesser toute circulation pour me concentrer par poussées.

Après quelques-unes, cela devint plus facile et presque aussi instinctif que respirer. Alors que je m’y prenais pour la cinquième fois, je sentis que les particules étaient peut-être trop nombreuses dans la zone et entrepris d’en retirer pour n’en laisser que trois dizaines environ. Après cela, je répétai par trois fois ce que m’avait dit Thalion. Je parvins à les attirer vers ma paume tout en restant à l’intérieur du corps de Léandre.

Je soulevais mes paupières pour admirer le reste du spectacle.

Thalion, mage accompli et respecté pour ses talents, posa à son tour sa main sur la blessure de son ami et murmura un dernier mot.

Guouéov.

Un cercle magique prit cette fois forme sous ses doigts habiles pour finir par tourner à une vitesse telle que l’on ne voyait plus que deux ronds tout simples. Émettant une petite pression contre la peau du prince, le cercle se dissipa en étincelles dans la plaie, dont la cicatrisation accéléra pour apparaître comme vieille de plusieurs semaines.

Mon frère recula et prit appui comme ce bon patient contre le canapé.

J’admirais ce que la magie avait pu faire d’une blessure toute récente. Je me demandais si le coup de poignard que mon frère avait reçu en ville il y a peu de temps avait aussi guéri de la même manière.

— Et l’autre ? demandai-je dans ma lancée, connaissant exactement comment mon patient s’était blessé.

— Elle ne me fait pas si mal, répondit-il en un murmure à peine audible.

Ses yeux écarquillés me fixaient, me mettant mal à l’aise.

— Quoi ?

— Je ne savais pas que quelqu’un pouvait être encore pire génie que Thalion, lâcha-t-il sans sembler réfléchir à ce qu’il disait.

Il se reprit et détourna le regard.

Qu’avaient-ils tous à la fin avec leurs « génie » par-ci, « génie » par-là ?

Je secouai la tête et lançai un coup d’œil à mon frère, attendant la suite de ses consignes.

— Comment sais-tu qu’il y a une autre blessure ? fit alors l’intéressé.

Je le regardai avant de comprendre ce qu’il voulait dire et tentai de bégayer une réponse convenable pour cacher l’expérience étrange que j’avais partagée avec le prince avant même de le rencontrer.

— J’ai… euh… j’ai pu voir qu’il… euh… qu’il semble dérangé dans… quand il marchait.

Ses sourcils et sa bouche me firent comprendre de ne pas le prendre pour une cruche. Je repris cependant aussitôt contenance en appuyant sur mon mensonge.

— Comment voudrais-tu que je sache une telle chose autrement ?

Ses yeux se plissèrent de suspicion, mais il ne rétorqua rien.

— Il est trop risqué d’user de trop de magie sur un corps. Il se contentera donc de ça, abrégea-t-il en lançant un énième regard noir à l’encontre de celui que semblait pourtant être son ami.

Ce dernier arborait pourtant un sourire et remercia le mage avant de prendre la fuite en nous laissant un sacré poids nommé Léoni.

 

J’attrapai un pain dans le panier en osier posé sur la longue table de bois sur laquelle nous mangions. La confiture de fraises était délicieuse et j’en étais à ma troisième tartine.

Loger au Palais Royal était vraiment le grand luxe. Tout juste levée et habillée, j’avais suivi mon frère jusqu’à la salle à manger dans laquelle nous attendait déjà toute une ribambelle de mets tous aussi fabuleux les uns que les autres.

Rejoint quelques minutes après par la duchesse et son fils ainsi que la princesse héritière, je n’avais plus l’impression d’être dans le monde réel. Moi qui avais passé toute ma vie dans un hameau simple et modeste, me voilà loti auprès des personnes les plus importantes, nobles et riches de tout le royaume d’Orane.

— Alors Anthéa, où as-tu passé ces deux dernières années ? Thalion est venu vivre longtemps à la capitale avant de repartir, mais toi, tu es restée bien discrète depuis tout ce temps, demanda tout à coup ma tante et duchesse de Dvareine.

Je manquai de m’étouffer en entendant sa question. C’était justement ce que j’évitais d’aborder ou esquiver dès que j’en avais l’occasion. Les regards des quatre membres de l’attablée me fixaient et je ne pouvais pas me défiler facilement.

— J’ai vécu vers le sud avec des marchands. Mais Thalion, quand es-tu…

— Tu faisais partie d'une compagnie ?

Lisabeth se révélait redoutable en matière de conversation. Je comptais détourner cette discussion vers un autre sujet, mais elle était immédiatement revenue dessus. Conseillère du roi, il était certain que la duchesse en avait beaucoup de qualités.

Une compagnie ? À vrai dire, je ne connaissais rien à l’univers des marchands. Je n’avais peut-être pas choisi le meilleur mensonge.

— Pas vraiment…

Je butais sur quelque chose en formulant mentalement une nouvelle alternative à mon histoire. C’était presque comme un instinct de survie, comme si mes deux ans perdus ne devaient absolument pas être dévoilés sans que j’en connaisse la raison. Une douleur commençait à se former autour de mon crâne quand je réfléchissais à quelle semi-vérité énoncer pour améliorer ma pitoyable tentative de mentir.

— Qu’était-ce donc ? appuya-t-elle.

Je portais une main à ma tempe pour essayer de calmer le vertige qui me prenait.

— Je travaillerai pour vous.

Ma propre voix résonnait dans ma tête comme si elle ne m’appartenait pas.

Je jetai un coup d’œil à mon frère face à moi et pris mon courage à deux mains pour répondre.

— J’ai travaillé pour un groupe discret qui s’occupait de choses en tout genre.

— Et vous m’aiderez à trouver l’homme que je recherche.

Je fermais mes paupières plus rapidement. Mon esprit était à deux doigts de se remémorer un souvenir, mais je ne parvenais pas à mettre le doigt sur l’élément capable de déclencher quoi que ce soit.

— Aidez-moi à obtenir des informations sur l’assassin de ma famille, c’est tout ce que je demande.

J’avais trouvé.

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