CHAPITRE 20 - Le sommet

Par Nqadiri

"Plus le singe monte haut, plus il montre son cul."

Leïla lance le proverbe comme on jette un pavé dans la mare, ses yeux pétillant de malice. Noureddine la regarde, interloqué.

"C'est vulgaire", proteste-t-il faiblement.

"C'est marocain", corrige-t-elle. "Et c'est parfait pour Farid. Tu devrais le voir maintenant, avec sa nouvelle manie de réajuster sa cravate toutes les trois minutes en réunion. Comme si le nœud parfait allait masquer son malaise. Ou sa façon de programmer sa machine Nespresso - pardon, son 'Coffee Experience Center' - comme s'il préparait une OPA hostile."

Elle rit, mais son rire n'est pas méchant. Il y a presque de la tendresse dans sa moquerie.

"Tu veux décrire sa solitude au sommet ? Alors parle de ses vraies manies. Comment il range ses dossiers par ordre alphabétique mais laisse traîner ses chaussettes sales. Comment il terrorise ses équipes le jour mais envoie des mails à trois heures du matin juste pour avoir une réponse, n'importe laquelle. Comment il joue au grand manager implacable mais sursaute encore quand sa mère hausse la voix au téléphone."

"Il est perdu", murmure Noureddine.

"Bien sûr qu'il est perdu. Mais ce n'est pas un monstre pour autant. Juste un homme qui s'est construit une cage en or et qui a jeté la clé."

​​​​"Et tu sais ce qui est le plus révélateur ?", poursuit Leïla en sirotant son thé à la menthe. "Sa nouvelle obsession pour le yoga corporate. Monsieur le DGA se fait livrer des tapis de méditation à 500 euros pendant que ses équipes font des burn-out. Il paraît même qu'il a engagé un coach en 'respiration stratégique'."

Elle secoue la tête, amusée par l'absurdité de la situation.

"Le plus drôle, c'est qu'il y croit vraiment. À ses séances de pleine conscience entre deux plans sociaux. À ses mantras de leadership avant les réunions du board. Comme si aligner ses chakras allait combler le vide."

"C'est pathétique", soupire Noureddine.

"Non", corrige Leïla, soudain sérieuse. "C'est humain. Terriblement humain. Il cherche des réponses, même s'il ne pose pas les bonnes questions. Il essaie de se connecter à quelque chose, même s'il ne sait plus quoi."

Elle se lève, fait quelques pas vers la fenêtre. Au loin, les tours de la Défense scintillent dans la nuit.

"Tu sais ce que m'a dit sa mère hier ? Il lui a envoyé un couscoussier électrique dernière génération. 'Pour gagner du temps', qu'il a dit. Comme si le temps était le problème. Comme si la solution à la solitude était dans l'optimisation des tâches ménagères."

"Sa mère...", le ton de Leïla s'adoucit légèrement. "Elle continue de venir à l'association tous les mercredis, tu sais. Elle apporte son couscous, s'assoit avec les gamins, leur raconte des histoires du bled. Et à chaque fois, elle glisse une anecdote sur son fils. 'Farid était comme toi à ton âge', 'Farid aussi voulait changer le monde'..."

Elle s'interrompt, pensive.

"Le plus beau, c'est qu'elle est fière de lui. Vraiment fière. Même quand il lui envoie ces cadeaux ridicules. Même quand il écourte leurs appels parce qu'il a une 'conf call ultra-stratégique avec Shanghai'. Elle continue de le défendre, de l'excuser. 'Il est très occupé, tu comprends. Il a des responsabilités.'"

Leïla fait tourner sa tasse entre ses mains.

"Et tu sais ce qui est à la fois drôle et triste ? Il croit que personne ne le voit quand il passe en douce à son appartement, tard le soir, pour vérifier si elle a bien pris ses médicaments. Il se gare trois rues plus loin, attend que les voisins soient couchés. Le grand Farid Benmokhtar, qui planifie ses visites à sa mère comme des opérations commandos."

"Il lui a fait installer des caméras de surveillance dernier cri", poursuit Leïla, un sourire mi-moqueur mi-tendre aux lèvres. "Avec intelligence artificielle et tout le tralala. 'Pour ta sécurité, Maman'. En réalité, c'est lui qui les consulte dix fois par jour, entre deux réunions. Pour vérifier si elle mange bien, si elle dort assez."

Elle secoue la tête, amusée.

"Le plus ironique, c'est qu'elle fait semblant de ne pas savoir utiliser l'appli qu'il lui a installée. 'C'est trop compliqué pour moi, habibi'. Alors qu'elle maîtrise parfaitement TikTok pour suivre ses feuilletons turcs. Mais elle sait que ça lui fait plaisir de lui expliquer, encore et encore. Ces petits moments volés où il redevient son fils, pas le DGA d'InnovCorp."

Noureddine fronce les sourcils. "Pourquoi tu souris comme ça ?"

"Parce que la semaine dernière, elle m'a montré comment désactiver discrètement les caméras quand elle fait ses tajines. 'Il va encore me dire que je cuisine trop gras', qu'elle m'a dit en riant. La seule personne au monde qui arrive encore à déjouer les systèmes de surveillance de Farid, c'est sa mère."

"Et elle a cette façon malicieuse de le manipuler", continue Leïla, visiblement ravie de partager ces petits secrets. "Elle lui dit qu'elle a mal au dos, et comme par magie, il débarque avec trois kinés et un scanner IRM programmé pour le lendemain. Mais ce qu'il ne comprend pas, c'est qu'elle fait ça uniquement pour le voir. Pour qu'il soit obligé de l'accompagner, de passer du temps avec elle."

Elle rit doucement. "L'autre jour, elle a prétendu ne pas comprendre comment faire marcher son nouveau four connecté - celui qu'il lui a fait livrer parce que 'c'est plus sûr, maman'. Il a passé deux heures à lui expliquer, pendant qu'elle hochait la tête en faisant semblant d'être perdue. Deux heures où il a dû rester là, à respirer l'odeur du cumin et de la coriandre, à goûter ses petits gâteaux. Deux heures où il ne pouvait pas fuir."

"C'est triste, non ?" hasarde Noureddine.

"Non, c'est beau. Cette femme qui a passé sa vie à nettoyer les bureaux des autres pour que son fils puisse un jour y travailler... Elle continue de prendre soin de lui, à sa façon. Même quand il débarque à minuit pour 'vérifier le thermostat intelligent' qu'il a fait installer, elle fait semblant de dormir pour ne pas l'embarrasser. Mais il y a toujours un plat qui l'attend dans le frigo."

"Pendant ce temps-là", reprend Leïla, son regard se durcissant légèrement, "Monsieur le DGA vit dans son appartement design avec vue sur tout Paris. Tu devrais voir ça : une cuisine plus grande que mon association, mais qui n'a jamais servi qu'à réchauffer des plats Picard Excellence."

Elle marque une pause, sirote son thé.

"Il a fait installer un système domotique à 100 000 euros. Tout est connecté, optimisé, parametré. Les lumières s'allument toutes seules quand il rentre, la musique d'ambiance se lance, la température s'ajuste... C'est comme vivre dans une pub pour smart home. Sauf que la seule chose intelligente dans cet appartement, c'est l'IA qui lui tient compagnie."

"Comment tu sais tout ça ?" demande Noureddine.

"Sa mère", répond Leïla avec un sourire malicieux. "Elle y va faire le ménage en cachette quand il est en déplacement. 'Il ne sait même pas plier ses chemises correctement', qu'elle dit. Elle retrouve ses costumes italiens froissés sur le canapé, ses cravates en boule... Le grand Farid Benmokhtar vit comme un ado dont la mère est partie en vacances. Sauf que les vacances durent depuis des années."

"Tu sais ce qui est le plus révélateur ?", poursuit Leïla. "Son dressing. Une pièce entière dédiée à ses costumes, avec un système d'éclairage qui coûte plus cher que ma voiture. Tout est classé par couleur, par marque, par saison. Une organisation militaire. Et au milieu de tout ça, caché derrière les Zegna et les Tom Ford, il y a un vieux tee-shirt de l'ENSMI. Celui qu'il portait le jour où on s'est rencontrés."

Elle sourit, mais son regard est lointain.

"Sa mère m'a dit qu'il commande tout sur Internet maintenant. La bouffe, les vêtements, même les cadeaux pour Rayan. Comme si le contact humain était devenu une perte de temps. Son frigo est rempli de plateaux-repas 'healthy' qu'il ne mange jamais. À la place, il se fait livrer des pizzas à minuit. Mais attention, des pizzas 'premium' avec de la truffe et du caviar. Même sa solitude doit avoir l'air luxueuse."

Elle se lève, fait quelques pas.

"Et le plus drôle dans tout ça ? Il a installé un écran géant dans chaque pièce. Pour pouvoir suivre les marchés 24/7, qu'il dit. Mais sa mère m'a raconté qu'elle le retrouve souvent endormi devant des rediffusions de matchs de foot. Comme quand il était petit."

"L'ironie", poursuit Leïla, "c'est qu'il a même un coach en sommeil. Un expert qui lui a concocté un 'protocole de repos optimal'. Application de suivi du cycle circadien, matelas connecté à 15 000 euros, luminothérapie programmable... Tout ça pour finir par s'endormir sur son canapé en cuir italien, toujours en costume, son Neural-Book sur les genoux."

Elle se tourne vers la fenêtre, observe les lumières de la ville.

"Et ses soirées... Mon Dieu, ses soirées. Quand il ne travaille pas - ce qui est rare - il erre dans son appartement comme un fantôme en Berluti. Il se sert un verre de whisky hors de prix, celui qu'il collectionne mais n'apprécie même pas. Il fait semblant d'écouter du jazz parce que c'est ce qu'un DGA est censé faire. Parfois, il reste planté devant sa baie vitrée pendant des heures, à regarder les autres vivre en contrebas."

Son ton devient plus mordant.

"Le plus pathétique ? Sa bibliothèque. Trois cents bouquins de management alignés comme à la parade, tous avec le marque-page à la page 20. Les seuls qu'il lit vraiment sont des mangas sur son iPad. Mais ça, il le cache comme un ado cacherait des magazines pornos."

"Et son obsession du contrôle", reprend Leïla en secouant la tête. "Il a un tableau Excel - pardon, un 'Life Achievement Dashboard' - où il note tout. Ses séances de sport, ses lectures, même ses moments de détente. Comme si le bonheur était une métrique à optimiser."

Elle rit doucement, mais il y a une pointe de tendresse dans sa moquerie.

"L'autre jour, son assistant a fait une gaffe : il a envoyé par erreur à toute l'équipe le planning personnel de Farid. Tu aurais dû voir ça : '7h15-7h30 : Méditation mindful. Objectif : Atteindre la plénitude -3% vs budget'. '19h45-20h15 : Dîner healthy. KPI : calories/nutriments ratio'. Même sa solitude est managée comme un projet Six Sigma."

Elle marque une pause, joue avec sa tasse de thé.

"Le pire, ou le plus touchant, je ne sais pas... Il s'est fait installer un système de simulation de présence. Quand il rentre le soir, des bruits de vie sont diffusés dans l'appartement. Des rires enregistrés, des bruits de couverts, des conversations... Comme si ça pouvait remplacer une vraie famille."

"Et depuis qu'il est DGA, c'est encore pire", poursuit Leïla. "Il s'est mis au golf - pas par plaisir, par 'networking stratégique'. Il passe ses samedis à frapper des balles avec d'autres types en polo Ralph Lauren, tous aussi seuls que lui. Ils parlent fusion-acquisition entre deux swings, comparent leurs Rolex, se racontent leurs derniers divorces comme des exploits guerriers."

Elle secoue la tête, amusée.

"Même ses tentatives de vie sociale sont calibrées. Il organise des dîners dans son appartement - enfin, fait organiser par une boîte d'événementiel. Tout est millimétré : le placement des invités selon leur potentiel business, les sujets de conversation préparés par son coach en influence, le vin choisi par un algorithme de compatibilité œnologique..."

Un sourire moqueur se dessine sur ses lèvres.

"Tu sais ce qui est drôle ? Plus il monte dans la hiérarchie, plus son cercle se rétrécit. Avant, il avait des collègues. Maintenant, il n'a que des 'relations stratégiques'. Même sa liaison avec Sophie Chen était dans son planning : 'Optimisation des synergies interdépartementales'."

"C'est presque de la science-fiction", reprend Leïla. "Il a fait transformer son appartement en une sorte de vaisseau spatial corporate. Tout est automatisé, aseptisé, optimisé. Même son chat - oui, il a un chat maintenant, sur conseil de son coach en leadership qui lui a dit que ça le rendrait plus 'humain' - est un robot japonais qui ronronne sur commande."

Elle se lève, imite la démarche raide de Farid.

"Le plus drôle ? Il a installé un système qui lui envoie des notifications quand il reste trop longtemps sans bouger. 'Optimisation posturale', qu'il appelle ça. Du coup, en pleine réunion Zoom, il se lève d'un coup comme un automate. Ses équipes ont fait un bingo : celui qui devine l'heure exacte où il va se lever gagne un café."

Ses yeux pétillent de malice.

"Mais tu veux savoir le comble de l'ironie ? Il a tellement peur de la solitude qu'il ne s'accorde même pas le luxe d'être seul. Il est toujours en call, toujours en ligne, toujours connecté. Comme si le silence était son pire ennemi."

"Mais tu sais, sous toute cette technologie, tous ces artifices, il y a un homme qui souffre", dit Leïla, soudain plus sérieuse. "Un homme qui a tellement peur du vide qu'il le remplit avec du bruit, des gadgets, des faux-semblants."

Elle se rassoit, son regard se fait lointain.

"L'autre jour, je l'ai croisé à une conférence sur l'entrepreneuriat social. Il était là en tant que 'grand témoin', pour parler de son parcours, de sa réussite. Mais quand les lumières se sont éteintes et que tout le monde est parti, je l'ai vu rester seul sur scène. Comme un acteur qui ne sait plus quitter son rôle."

Un silence s'installe. Noureddine la regarde, surpris par son changement de ton.

"Je crois qu'au fond, il sait qu'il est allé trop loin. Qu'il s'est perdu en chemin. Mais il ne sait plus comment revenir en arrière, comment retrouver le Farid qu'il était avant."

Elle sourit tristement.

"Parfois, quand on parle au téléphone, il y a ces silences. Ces moments où il semble sur le point de dire quelque chose, de lâcher prise. Mais il se rattrape toujours à la dernière seconde. Il remet son masque de DGA, son armure de chiffres et de certitudes."

Leïla se tourne soudainement vers Noureddine, le fixe avec intensité.

"Et toi dans tout ça, Noureddine ? Pourquoi tu t'acharnes autant sur Farid ? Pourquoi cette obsession de disséquer sa vie, ses failles, ses contradictions ?"

Noureddine baisse les yeux, pris de court par la question.

"Je... je ne sais pas. Peut-être que j'essaie de comprendre quelque chose à travers lui. Quelque chose sur la réussite, sur le prix à payer pour arriver au sommet."

Leïla plisse les yeux, comme si elle essayait de lire entre ses lignes.

"Ou peut-être que la trajectoire de Farid fait écho à certaines de tes propres inquiétudes ? Que sa solitude, malgré la réussite apparente, résonne avec des questions que tu te poses aussi ?"

Noureddine rit, mal à l'aise.  

"Tu me prêtes de sacrées intentions ! Je ne suis qu'un modeste cadre, moi. Je n'ai rien à voir avec le grand Farid Benmokhtar !"

"Vraiment ?", insiste Leïla avec un sourire en coin. "Pourtant, à t'entendre parler de lui, on dirait presque que tu décris tes propres tentations. Cette course à la performance, cette peur du vide qu'on comble avec des succès professionnels... Ça ne te rappelle rien ?"

"Tiens, en parlant de singe," lance soudain Leïla avec un sourire malicieux, "tu te souviens du proverbe que j'ai cité au début ? 'Plus le singe monte haut, plus il montre son cul.' Je crois qu'on a tous un peu de ce singe en nous."

Noureddine lève un sourcil, intrigué par ce brusque changement de sujet.

"Comment ça ?"

"Eh bien, on est tous en train de grimper à notre façon, non ? Toi dans ta boîte de marketing, moi avec mes jeunes... On veut tous 'réussir', prouver quelque chose."

Elle se lève, fait quelques pas dans la pièce.

"Mais plus on monte, plus on risque de perdre de vue l'essentiel. De se perdre en chemin. Comme Farid et son ascension corporate."

Noureddine croise les bras, sur la défensive.

"Je ne vois pas le rapport avec moi. Je ne suis pas en train de vendre mon âme pour une promotion !"

Leïla éclate de rire, mais son rire a quelque chose de tranchant.

"Vraiment ? Pourtant, quand tu parles de lui, on dirait presque que tu parles de toi. Cette fascination pour le pouvoir, cette peur de la solitude... C'est quoi, une forme d'autoflagellation par procuration ?"

Elle se rassoit, plonge son regard dans le sien.

"Fais attention, Noureddine. À force de regarder Farid grimper, tu pourrais bien finir par montrer ton propre cul. Et crois-moi, d’en-bas, la vue n'est pas toujours belle à voir."

Leïla plisse les yeux, comme si elle venait de déceler une faille dans l'armure de Noureddine.

"Attends, je crois que je commence à comprendre. Ce n'est pas la vue d'en haut qui te fait peur. C'est celle d'en bas."

Noureddine se raidit, soudain mal à l'aise.

"Qu'est-ce que tu veux dire ?"

"Tu dis que tu n'as rien à voir avec Farid, que tu n'es pas en train de grimper les échelons comme lui. Mais peut-être que c'est justement ça, le problème."

Elle se penche vers lui, baisse la voix comme pour une confidence.

"Peut-être que ce qui te fascine chez Farid, ce n'est pas sa chute. C'est son ascension. Cette façon qu'il a de toujours vouloir plus, toujours plus haut. Parce que toi, tu as peur de stagner. De rester coincé en bas de l'échelle."

Noureddine ouvre la bouche pour protester, mais Leïla lève la main pour l'interrompre.

"Et le plus ironique dans tout ça ? C'est que pendant que tu observes Farid d'en bas, lui ne te voit même pas. Tu n'es qu'un point invisible depuis son bureau du 47ème étage."

Elle se rassoit, sirote son thé avec une nonchalance étudiée.

"Alors, qui est le vrai singe dans l'histoire ? Celui qui grimpe sans regarder en bas ? Ou celui qui regarde en haut en rêvant de grimper ?"

Noureddine reste silencieux, sonné par cette analyse aussi brutale que perspicace.

Et soudain, il comprend. Ce n'est pas Farid, le miroir de ses angoisses.

C'est lui-même.​​​​​​​​​​​​​​​​

Noureddine détourne les yeux, mal à l'aise.

"C'est faux. Je ne veux pas être pas comme lui. Je ne veux pas sacrifier ma vie pour ma carrière."

Leïla laisse échapper un rire sans joie.

"Vraiment ? Et ces week-ends passés au bureau ? Ces dîners de famille manqués pour un rendez-vous client ? Ces appels que tu prends pendant les vacances ? Ce n'est pas un sacrifice, ça ?"

Leïla fixe Noureddine, un sourire en coin.

"Tu as peur. Peur de finir comme Farid, perché tout en haut de ton arbre, sans personne à qui montrer ton cul. Ou tout en bas, à contempler le postérieur des autres."

Noureddine manque de s'étouffer avec son thé.

Leïla observe Noureddine, guettant sa réaction. Elle sait qu'elle a touché une corde sensible, mis le doigt sur une vérité dérangeante.

Noureddine rit doucement, mais son rire sonne faux.

"Finalement, on est tous un peu des singes. On grimpe, on grimpe, sans trop savoir pourquoi. Et quand on arrive en haut..."

"On réalise qu'on est seul", complète Leïla. "Et que la vue n'est pas celle qu'on imaginait."

Un long silence s'installe, chacun perdu dans ses pensées. Dehors, la ville continue de vivre, indifférente aux drames intimes qui se jouent derrière les fenêtres.

Finalement, Leïla se lève, pose une main sur l'épaule de Noureddine.

"Tu sais, le plus important, ce n'est pas jusqu'où on grimpe. C'est de savoir pourquoi on le fait. Et surtout, de ne pas oublier ceux qu'on laisse en bas."

Elle enfile sa veste, se dirige vers la porte.

"Allez, assez philosophé pour aujourd'hui. J'ai des jeunes à remotiver, et toi... Toi, tu as un singe à apprivoiser."

Et sur ces mots, elle disparaît dans la nuit, laissant Noureddine seul avec ses doutes et ses réflexions.

Lentement, il se tourne vers la fenêtre. Et se demande : et lui, jusqu'où est-il prêt à grimper ? Et surtout, à quel prix ?

L'empereur est nu, et son singe avec lui. Mais peut-être est-ce le début de la sagesse : savoir qu'on n'est jamais qu'un animal qui se débat dans ce grand cirque.​​​​​​​​​​​​​​​​

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