Chapitre 20 : Nouveaux regards
Themerid
Conformément à leur résolution, les princes passèrent les lunes suivantes à enquêter sur la mort de leur mère. Entre les séances de travail auprès d’Einold et l’étude avec Albérac, ils mettaient toute leur énergie à reconstituer les évènements qui avaient entouré l’empoisonnement. Venzald, impatient, voulait interroger tous les habitants des Cimiantes un par un, des ministres aux commis de cuisines, quand Themerid préférait réfléchir posément.
– Ne raisonne pas comme un enfant, disait ce dernier à son frère. Une enquête a déjà eu lieu il y a quinze ans, inutile de tout recommencer. Il suffit de demander aux bonnes personnes.
Il savait que le plus susceptible de les renseigner, c’était le roi. Or, il ne voyait pas comment aborder la question. Trois ans auparavant, il avait rêvé que leur arrivée à Terce change la distance qu’il avait toujours sentie entre eux. Mais ses espoirs de se rapprocher de lui s’étaient élimés à force de se voir interdire l’accès à ses émotions. Parfois, il avait l’impression qu’Einold allait céder, prononcer une phrase qui changerait tout, esquisser un geste vers eux. Mais sa main ne se tendait pas et les mots restaient coincés dans sa gorge. Themerid vivait comme un échec de n’avoir pas trouvé comment percer le mur qu’il avait bâti autour de lui. Il se devait, pour son frère et pour lui, de réussir à l’atteindre. Quant à Venzald, il en était arrivé au point où il préférait parfois ignorer la présence de son père.
Cependant, ce sujet-ci était crucial. Pendant des jours, ils discutèrent de la manière de l’amener. Ils scrutaient l’humeur d’Einold pour choisir le meilleur moment — qui semblait ne jamais se présenter. Chaque fois qu’ils étaient décidés, son attitude impénétrable et sombre les faisait reculer. Enfin, trois lunes après le bal, alors que l’été s’installait, Themerid trouva le courage de l’interroger, soutenu par son frère qui serrait sa main sous la table.
– Père, commença Themerid d’une voix hésitante, pourriez-vous nous parler de l’enquête que vous avez menée sur la mort de notre mère ?
Einold se figea, les yeux baissés sur les parchemins qu’il consultait. Il resta ainsi de longs instants sans que le prince, tétanisé, ne puisse voir son visage.
– S’il vous plaît, souffla Venzald.
Mais Themerid savait déjà que c’était peine perdue. Le roi reprit vie, posa ses documents, attrapa sa plume d’oie sans lever le regard.
– C’est inutile, trancha-t-il.
Et il se remit à l’ouvrage. Venzald serrait les doigts de Themerid si fort qu’ils en blanchissaient. Ce dernier préféra s’éclipser avant que son frère prononce une parole malheureuse.
– Excusez-nous, Père, murmura-t-il en entraînant son jumeau.
– Attendez ! héla le roi avant qu’ils ne passent la porte.
Ils se tournèrent d’un bloc. Einold avait-il été frappé par la pitié ?
– Vous devriez aller dire au revoir à votre mentor. Je l’ai chargé ce matin d’une mission qui l’éloignera des Cimiantes pendant plusieurs lunes. Il part demain.
Le miracle n’avait pas eu lieu.
***
Abzal
Abzal, occupé à passer ses ordres au commandant des troupes qui l’accompagneraient, les vit venir à lui très abattus.
– Einold m’envoie dans les provinces frontalières de la Rémance, leur expliqua-t-il. Pour renforcer les défenses et mettre fin aux incursions qui durent depuis plusieurs années.
– Serez-vous absent longtemps ? demanda Venzald.
– Plusieurs lunes. Je dois séjourner en Bartillane, en Orityne, en Altamonte... Je ne serai pas revenu quand vous partirez vers le nord avec Einold.
– Vous allez nous manquer !
– À mon retour, nous nous rattraperons, je vous le promets ! Je vous avoue que le temps va me sembler long à moi aussi, loin de Terce.
Themerid suivait distraitement la conversation.
– Seigneur Abzal, lança-t-il soudain, que savez-vous des résultats de l’enquête menée par notre père sur l’empoisonnement de notre mère ?
Cueilli par la question, Abzal resta bouche bée quelques instants. Son visage se troubla, rougit, puis il parvint à refaire bonne figure.
– Eh bien ! Voilà bien un thème auquel je ne m’attendais pas ! dit-il avec un rire de dérision qui sonna faux. Themerid, n’agissez pas de même avec n’importe qui : c’est un sujet sensible aux Cimiantes.
– Nous nous en sommes rendu compte, approuva Themerid en baissant tristement le menton. Notre père refuse de nous en parler.
– Ah... Malheureusement, ce que je sais ne vous aidera pas. Je garde un souvenir confus de cette période. Je... Je dois avouer que la mort d’Almena m’a touché, moi aussi. J’ai essayé de soutenir mon frère, mais... il n’était plus lui-même. Il n’y avait guère que Dame Renaude pour le raisonner un peu. Il a interrogé en personne tous les gens du château, tous ceux qui, de près ou de loin, auraient pu introduire le poison dans la nourriture de la reine. C’est devenu une obsession, il n’en dormait plus. Il se mettait en colère pour un rien, annulait les Conseils restreints...
– Comme il devait l’aimer... souffla Venzald.
– A-t-il trouvé quelque chose, finalement ? demanda Themerid.
– Non, aucune piste.
Le regard d’Abzal se fit rêveur.
– Je pensais qu’avec les années, il redeviendrait comme avant. Il n’a jamais été très expansif, mais tout de même davantage. Pourtant le temps n’y a rien changé...
Le visage d’Abzal s’assombrit quand il les regarda s’éloigner. La question de Themerid l’avait pris de court, il espérait n’en avoir pas trop dit. Il frémit à l’idée que ses neveux puissent le percer à jour.
Non, se rassura-t-il finalement, ils ne peuvent pas comprendre. Ils sont encore trop innocents, trop bons pour même imaginer pareille trahison.
Si seulement le destin pouvait lui épargner de les faire souffrir...
***
Themerid
L’été passa, baignant la capitale d’une chaleur sèche. À l’abri des murs du château et dans les rues, Themerid n’entendait plus parler que d’une seule chose : la récolte. Le blé avait mûri, les champs vert tendre avaient pris la teinte blonde qui donnait le signal de la moisson, mais partout les taches grises formées par les épis malades brisaient l’harmonie du paysage. Les premiers relevés indiquaient que la production du pays serait inférieure aux pires des prévisions.
Le Conseil Magistral donna lieu à de féroces empoignades. Les gouverneurs des provinces les plus atteintes réclamaient l’assistance des autres. Ces derniers arguaient qu’il leur fallait maintenir des réserves pour les années suivantes. Le roi et ses ministres essayaient d’arbitrer au mieux les décisions. Aucune région ne souffrait encore de famine, mais l’urgence se faisait sentir.
Lors de leurs séances de travail avec Einold, Themerid s’appliquait à chercher des solutions avec lui. Envoyer des ambassades vers les royaumes voisins pour en savoir plus ? Négocier des achats de grains auprès d’eux ? Moissonner plus tôt ? Mais la plupart de leurs trouvailles avaient déjà été envisagées avec plus ou moins de succès, et les autres n’étaient pas réalisables. Les maîtres-agronomes avaient beau se creuser la tête sur un remède, l’épidémie semblait résister à tout. Les récoltes commencèrent sous de bien tristes augures.
Les deux frères continuèrent malgré tout à enquêter sur l’empoisonnement de la reine. Comme les plans de Themerid n’avaient rien donné, Venzald fit valoir qu’ils pouvaient mettre les siens en œuvre. Avec beaucoup de réticences, l’intendant leur procura les noms des quelques serviteurs qui travaillaient déjà aux Cimiantes quinze ans auparavant. Ils constatèrent rapidement qu’ils n’obtiendraient rien non plus : les langues étaient liées et leurs visites dans les parties du château habituellement réservées au personnel engendraient beaucoup d’embarras, mais aucune révélation. Enfin, un jour, une cuisinière leur expliqua qu’elle avait préparé plusieurs fois les bouillons destinés à Almena. Engagée quelques jours avant les évènements, elle avait beaucoup pleuré quand le roi lui avait demandé si elle avait versé quelque chose dans la nourriture de son épouse. Entre deux sanglots, elle avait réussi à lui répondre du haut de ses seize ans de l’époque qu’elle n’aurait jamais risqué sa place, qu’elle aimait beaucoup la petite reine et qu’elle n’était pas la seule à se charger de cette tâche. Elle avait eu très peur qu’on ne la croie pas, car l’autre fille était partie juste après les funérailles, mais l’une des cuisinières en chef avait confirmé ses dires.
– Et les tisanes qu’elle buvait, interrogea Themerid, c’est vous qui les prépariez, aussi ?
– Non, c’était la guérisseuse qui s’occupait d’elle. La poison.
Ensgarde, la femme qui les avait fait naître. Renaude leur avait parlé d’elle, à Arc-Ansange, au retour de leur fugue.
– Renaude ! s’exclama Venzald. C’est elle que nous aurions dû aller trouver en premier !
– Elle ne nous expliquera rien. Père a dû lui dire que nous posions des questions. Elle n’ira pas contre son avis.
Pourtant, à la grande surprise de Themerid, elle les accueillit avec le sourire.
– Je m’attendais à votre visite, leur dit-elle.
– Je suppose que vous ne nous répondrez pas. Comme notre père, se désespéra le prince.
– Je vous ai déjà dit, il y a trois ans, que vous pouviez me poser toutes vos questions. Ce n’est pas parce que le roi ne veut pas parler de la mort de votre mère que vous ne devez être au courant de rien. Si c’est votre souhait, je peux vous dire ce que je sais. J’ai cependant peur que vous soyez déçus : non seulement la somme d’informations recueillie à l’époque n’a pas suffi à trouver le meurtrier, mais en plus, il est possible que votre père ait gardé certains éléments pour lui.
Après avoir interrogé le personnel des Cimiantes et entendu parler de la fille de cuisine qui avait disparu, Einold avait lui-même essayé de retrouver sa trace. Il s’agissait d’une jeune femme qui venait des faubourgs de Terce. Elle était rentrée chez elle, les poches pleines de creilles d’argent qu’elle avait remises à ses parents. Elles étaient restées quelques jours avec eux, puis elle s’était envolée. Ils ne l’avaient jamais revue. Bien sûr, le roi l’avait fait rechercher. Renaude ignorait s’il l’avait ou non retrouvée, mais il avait tout à coup décrété que l’enquête était terminée. Il n’avait plus prononcé un mot à ce propos.
Des lunes de questionnements pour rien, pensa tristement Themerid. Nous aurions dû nous en douter : si Père n’a rien trouvé, ce n’est pas nous, quinze ans plus tard, qui pourrons résoudre cette affaire.
– Et la rebouteuse, demanda-t-il. Nous avons appris que c’était elle qui préparait les tisanes et les potions. C’était la mieux placée pour y mélanger le poison, non ?
Renaude le considéra sans rien dire, puis un sourire énigmatique se forma sur ses lèvres.
– Voudriez-vous lui rendre visite ? Le Marais-aux-Saules ne se trouve qu’à une heure d’ici. Nous pouvons nous y rendre aujourd’hui même.
Les princes acceptèrent sur-le-champ. Themerid avait enfin l’impression qu’ils avançaient.
Sur le chemin, Renaude s’appliqua à éviter les questions que lui posèrent les jumeaux. Ils l’interrogeaient à propos d’Ensgarde, sa personnalité, son aspect, tentant de se préparer à la rencontre. Mais la vieille nourrice, le visage toujours éclairé d’un demi-sourire qu’ils ne lui avaient jamais vu, se contenta de leur répéter qu’ils ne tarderaient pas à se bâtir leur propre opinion. L’idée de faire la connaissance de la poison ne les avait jamais effleurés, pourtant, maintenant qu’ils en avaient l’occasion, ils étaient dévorés d’impatience.
– C’est étrange de penser que c’est grâce à elle que nous sommes vivants, dit Venzald d’une voix exaltée.
– Ne t’emballe pas, lui murmura Themerid pour que Renaude n’entende pas. C’est peut-être à cause d’elle que nous n’avons plus notre mère. N’oublie pas qu’elle lui a peut-être administré le poison.
Venzald tourna vers lui une moue dubitative.
– Je... je ne suis pas très convaincu. La piste de la fille de cuisine me paraît plus logique.
Themerid ne répondit pas. Il a du mal à rester objectif, pensa-t-il. C’est vrai que cette femme nous a fait naître. Moi aussi j’aimerais croire qu’elle n’est pour rien dans la mort de notre mère. Mais ça aurait été si facile pour elle.
***
Venzald
À mi-chemin du marais, la route passait devant une grosse ferme. Venzald contempla avec approbation les bâtiments bien entretenus et la propreté des alentours. Un homme à l’air abattu déchargeait des sacs d’une carriole pour les porter dans la grange. Une jeune femme, probablement son épouse, s’appuyait contre le corneux encore attelé comme si ses jambes avaient du mal à la soutenir. Ses épaules étaient secouées par de gros sanglots tandis qu’elle essayait en vain de défaire une boucle de cuir du harnais. Venzald arrêta le palefroi et engagea son frère à mettre pied à terre. Quand la fermière les vit s’approcher, elle sursauta, surprise, son regard se posa sur les épaules fusionnées des jumeaux, puis sur le blason de la maison Kellwin gravé sur leurs baudriers et enfin sur les uniformes des gardes royaux qui les accompagnaient. Elle s’inclina très bas en essuyant ses larmes.
– Mes princes, parvint-elle à articuler.
– Relevez-vous, Madame, pria Venzald. Est-ce que vous allez bien ? J’ai cru voir que vous pleuriez.
– Les récoltes sont si mauvaises, souffla la femme en se tordant les mains, que nous allons devoir partir d’ici.
Son mari, alerté par les voix, émergea de la grange et les rejoignit en s’inclinant à son tour. Sa tristesse était visible.
– Pourquoi ? demanda Venzald touché par leur détresse. Vous êtes en fermage ?
– Oui, mon Prince, répondit le paysan, et nous n’aurons pas assez pour vivre, ressemer et payer notre dû à notre seigneur. L’an passé, déjà, nous avons vendu des bêtes pour manger jusqu’aux moissons, mais cette fois-ci, ça ne suffira pas. La maladie du blé nous a fait perdre la moitié du grain.
– Votre seigneur ne peut-il pas vous accorder un délai jusqu’à l’année prochaine ? interrogea Themerid.
– Il y a fort à parier que la récolte suivante sera pire, mon Prince.
Les jumeaux restèrent muets. Ils n’avaient pas de solution à proposer.
– Je... je suis désolé, dit Venzald, honteux.
Le fermier haussa les épaules, s’inclina, puis entraîna sa femme en larmes vers la grange.
– C’est injuste, murmura sombrement Venzald quand ils reprirent leur route. Je suis sûr qu’ils travaillent du mieux qu’ils peuvent, mais l’épidémie leur arrache tout.
Il resta songeur jusqu’à l’arrivée au marais qui lui apporta un peu de distraction. L’endroit était associé à nombre d’histoires inquiétantes de disparitions, de phénomènes étranges, de mange-pensée et de créatures dangereuses. Venzald avait imaginé, pour justifier cette réputation, une étendue d’eau fangeuse stagnant sous de sombres tunnels de branches squelettiques, une brume permanente et trompeuse, des chemins détrempés qui se dérobaient sous les pas pour précipiter les voyageurs dans une vase glauque qui les aspirait vers la mort. Aussi fut-il presque déçu en découvrant que dans le marais comme ailleurs, l’été peignait le décor de vert vif. Quel enfant pouvait-il être encore pour que son esprit se laisse influencer par les légendes ? Un sourire de dérision aux lèvres, il observa plus sereinement le paysage. En descendant des collines de Caldone au nord-est, la rivière rencontrait ici un terrain plat et meuble qui la ralentissait brutalement. Elle élargissait alors son lit, regagnant en surface ce qu’elle perdait en vitesse. Puis, quand elle se heurtait à des sols moins friables, elle se divisait en canaux naturels qui serpentaient entre les îlots recouverts de prairie. Saules et peupliers, en bordure de ses lopins, trempaient leurs racines dans l’eau claire et servaient d’habitat à la faune aquatique. La chaumière de la rebouteuse, spacieuse et solide, se dressait sur un des plus vastes îlots, paré d’un tapis d’herbe grasse que les grosses chaleurs de l’été n’avaient pas réussi à jaunir.
À leur approche, la silhouette courtaude d’Ensgarde se campa devant la porte, mains sur les hanches, comme pour montrer qu’elle les attendait de pied ferme. Elle ne put empêcher ses sourcils froncés de s’arrondir lorsqu’elle comprit l’identité de ses visiteurs.
– Que me vaut l’honneur ? demanda-t-elle après leur avoir offert de l’eau fraîche.
– Nous souhaitions vous connaître, répondit aussitôt Themerid.
La guérisseuse le dévisagea avec un sourire amusé, comme si elle lisait la vérité dans ses yeux. Il finit par les détourner.
– Je crois que c’est vrai pour votre frère, mon Prince, mais pas pour vous.
Sous le regard désolé de Venzald, Themerid rougit violemment, mais la poison ne l’épargna pas. Il chercha un instant le réconfort sur le visage de Renaude, mais celle-ci paraissait savourer la situation.
– Vous vous demandez si j’ai joué un rôle dans la mort de votre mère, n’est-ce pas ?
Venzald, partagé entre sa sollicitude pour son frère — qui ressemblait à un enfant pris en faute — et son enthousiasme pour le franc-parler d’Ensgarde, se couvrit la bouche pour cacher son sourire. Themerid mit quelques instants à se recomposer un visage neutre.
– Madame, nous n’avons su qu’elle avait été assassinée qu’il y a trois ans. Depuis, nous n’avons rien appris de plus. Nous sommes bien décidés à trouver qui nous a privés d’elle. Tout ce qui pourra nous renseigner nous intéresse.
– C’est un but bien difficile à atteindre, que vous vous êtes fixé. Surtout si longtemps après. Mais pour éviter de vous compliquer la tâche, je vais vous répondre tout de suite. D’abord, laissez-moi vous dire que vous ne réfléchissez pas beaucoup.
– Pardon ? releva Venzald sincèrement surpris.
– Pourquoi est-ce que j’aurais signalé moi-même qu’elle avait été empoisonnée si c’était mon œuvre ? Le bûcher funéraire aurait effacé toutes les traces, je m’en serais tirée en toute impunité.
– Iselmar aurait pu le voir, risqua Themerid.
– Il n’approchait plus la reine depuis qu’Ensgarde était arrivée aux Cimiantes, intervint Renaude.
– Mais c’est vous qui prépariez les potions et les tisanes qui lui étaient administrées.
– C’est vrai, mais je ne suis pas sortie du château tant que je m’occupais de la reine. Où aurais-je trouvé la plante ? L’effet meurtrier du pied d’étoile carmin — qui a été utilisé pour empoisonner votre mère — n’existe que si elle est employée fraîche. Tout ce que j’ai fait ingurgiter à la petite, je l’ai fabriqué avec les herbes et les ingrédients que j’avais amenés. Tout ça, vous pourrez le vérifier.
– Je confirme, dit Renaude. J’ai passé presque tout mon temps au chevet de la reine avec Ensgarde.
– Et puis, quelle raison j’aurais eue de l’assassiner ? ajouta Ensgarde.
À court d’arguments, Themerid garda un silence agacé. Les quelques échanges, en revanche, avaient ôté à Venzald les vagues doutes que seule la logique implacable de son frère lui avait donnés. La guérisseuse aurait pu se formaliser et refuser de répondre, mais elle avait joué le jeu de bonne grâce. De plus, il la trouvait fascinante.
– Je sais que ça ne prouve rien, dit Ensgarde d’une voix un peu moins bourrue, mais mon domaine, ce n’est pas de tuer, mais plutôt de guérir. Et déjà, je n’y parviens pas aussi souvent que je le voudrais.
Elle sembla estimer que la conversation était terminée, car elle se leva, contourna la table et se plaça derrière les jumeaux. Sans leur demander leur avis, elle palpa leurs épaules fusionnées d’une main experte, cherchant les limites des muscles et des os. Venzald, étonné de n’être pas plus choqué par son initiative, attendit de voir si elle irait jusqu’à toucher l’attache de leurs hanches, mais elle se contenta d’un examen visuel, comme si ses yeux pouvaient transpercer leurs vêtements.
– Est-ce que quelqu’un a reformulé un avis, à propos de votre séparation ? demanda-t-elle.
– Notre... séparation ? répéta Venzald, le souffle coupé.
Il jeta un coup d’œil à Themerid dont le visage avait pris la couleur de la neige. Ses traits reflétaient la panique, en écho à la sienne.
– Mais... non ! s’écria Venzald. Quelle horreur !
– Tant mieux, déclara simplement Ensgarde. J’allais vous dire que c’était très risqué. Peut-être même mortel. Mais la question ne se pose pas si vous ne le souhaitez pas.
Sur le chemin du retour, Themerid serra la main de son frère.
– J’avais tort, n’est-ce pas ? Elle n’est pas coupable, lui dit-il avec un sourire d’excuse.
– Non, je ne crois vraiment pas qu’elle ait tué notre mère. Et je dois dire qu’elle me plaît bien ! Même si elle a évoqué cette horrible idée de séparation.
Themerid ne répondit pas. Un instant, Venzald s’imagina détaché de son frère et un long tremblement s’empara de lui. Il ressentit une douleur fugace dans son épaule, à l’endroit où elle se confondait avec celle de son jumeau.
– Tu... tu ne dis rien, souffla-t-il, le regard fiévreux. Tu voudrais qu’on nous sépare ?
– Non ! s’exclama Themerid. Non ! Jamais.
Un nouveau frisson parcourut Venzald tandis que l’image de leurs corps mutilés le poursuivait. Ils étaient nés comme ça, c’était comme proposer à quelqu’un de lui couper un bras ! Il lut le soulagement sur le visage de son frère, qui serra sa main en retour.
– Il ne nous reste plus qu’à abandonner, dit finalement Venzald. Ou à faire parler notre père... Qu’est-ce qu’il peut bien savoir qu’il aurait gardé secret ?
– Je ne vois qu’une possibilité maintenant : la fille de cuisine a rapporté de l’argent chez ses parents. Ça veut sans doute dire qu’elle avait été payée pour mélanger le poison à la nourriture de la reine. Il a peut-être un indice sur celui qui a commandité ça.
Lorsque la troupe repassa devant la ferme où ils s’étaient arrêtés à l’aller, ils ne virent personne.
– J’aimerais tant pouvoir faire quelque chose. Pas uniquement pour ces gens, bien sûr. Pour le pays entier... Si seulement nous n’étions pas aussi tributaires du blé. Comme à Hiverine, par exemple. Grâce à l’albrui, l’épidémie ne les touche pas.
Themerid le dévisagea soudain, extatique.
– Tu as raison ! s’écria-t-il. C’est une très bonne idée !
– L’albrui ? Mais le seigneur Conrad nous a dit qu’il ne poussait que dans les régions froides.
– Mais il y a beaucoup de terres inexploitées à Hiverine ! Il suffirait...
– D’en planter plus pour compenser une partie de la perte en blé ! termina Venzald. Il faut en parler à Père dès notre retour !
Une nouvelle fierté accompagna le prince sur la fin de la route : pour la première fois, ils accomplissaient leur devoir de futurs souverains.
C'est une super idée de relancer l'enquête sur la mort de la reine. Ca ajoute pas mal de suspense à la lecture.
Après l'enquête piétine (logique) un chouilla trop à mon goût. On a très peu de nouveaux éléments à la fin du chapitre. Lancer une ou des fausses pistes, développer d'autres suspects, même implicitement, ajouterait du sel.
La poison est vraiment attachante et paraît au-dessus de tout soupçon. J'ai vraiment du mal à envisager sa culpabilité. Si elle est effectivement impliquée dans la mort d'Almena (et qu'elle a une bonne raison de le faire) c'est du génie xD
C'est très bien vu de réintroduire l'idée de la séparation, même pour la repousser aussitôt. Cette idée va nous trotter en tête pendant toute la lecture et on l'envisagera comme solution à certain des problèmes des jumeaux. Scénaristiquement rien à dire.
"trop bons pour même imaginer pareille trahison." J'avais oublié cette histoire de trahison d'Abzal, super intéressant de la remettre pour nous interroger à propos de l'oncle des jumeaux. Trouble personnage...
Le petit côté policier me plaît beaucoup.
Bien à toi !
Le personnage de la poison est effectivement très intéressant, à tel point qu'elle s'est invitée dans la suite alors qu'elle n'y était pas prévue XD Je te jure, ces personnages indisciplinés !
En effet, c'est la première fois que l'idée de la séparation est de nouveau mentionnée depuis la naissance des jumeaux, or, ça paraît évident d'y penser. Et ça me permettait de montrer ce que les princes eux-mêmes en pensaient.
Ah ah, la trahison d'Abzal... la réponse "officielle" n'arrive que dans le tome 2, mais il y a des petits indices qui permettent de se faire une idée dans le tome 1 ;)
Au risque de te décevoir, je préfère te dire que l'aspect "policier" est assez ténu. Mais il y a clairement des mystères (beaucoup de personnages cachent des choses) et j'ai essayé de semer des indices pour que les lecteurices puissent faire des hypothèses.
Finalement, l’enquête des princes n’aura pas donné grand-chose. Mais il semble évident que le roi et Abzal font de la rétention d’informations. Au moins, les princes auront eu une occasion de rencontrer celle qui les a fait naître. Cette femme montre qu’elle a une conscience professionnelle et une réelle volonté d’aider les gens. Je ne l’imagine pas du tout empoisonner la reine.
À vrai dire, j’ai toujours espéré qu’un jour, on puisse séparer les princes sans les estropier, parce que ça ne les empêcherait pas d’être proches, mais ça leur donnerait plus de liberté et plus de possibilités dans la vie en général. Mais même maintenant qu’ils sont grands, ça paraît hautement hasardeux.
Themerid a une bonne idée concernant le blé ; ne pas en être trop dépendant permettrait d’éviter la famine. Mais l’albrui a mauvais goût aussi. Ça m’étonnerait qu’on retienne sa proposition.
Coquilles et remarques :
— Les maîtres-agronomes avaient beau se creuser la tête [Je ne mettrais pas de trait d’union.]
— Elles étaient restées quelques jours avec eux, puis elle s’était envolée. [Elle était restée]
— Et la rebouteuse, demanda-t-il. [Et la rebouteuse ? demanda-t-il.]
— Saules et peupliers, en bordure de ses lopins [ces lopins]
— dit Ensgarde d’une voix un peu moins bourrue, mais mon domaine, ce n’est pas de tuer, mais plutôt de guérir [Même dans une phrase de dialogue, ce serait bien d’enlever un des deux « mais ».]
— Est-ce que quelqu’un a reformulé un avis, à propos de votre séparation ? [Je ne mettrais pas la virgule.]
La rencontre entre Ensgarde et les princes (et tout ce chapitre, d'ailleurs), je l'ai ajoutée en correction. Dans le premier jet, l'enquête sur la mort de la reine n'était pas remise sur le tapis, ce qui donnait une vision très passive des princes. Là, ça ne donne pas grand chose, comme tu dis, en termes de résultats, mais on voit qu'au moins ils essaient ! Et ça leur permet effectivement de rencontrer Ensgarde (et aussi d'être sûr qu'ils ne veulent pas être séparés).
Tu verras que l'idée des princes à propos de l'albrui est en fait bien accueillie, mais ça ne sauvera pas le royaume car la production d'une seule région ne peut pas compenser les pertes sur tout le royaume. C'est une petite compensation.
Merci pour ton relevé de coquilles ! Tu m'impressionnes : si je dois refaire des envois à des ME pour un autre manuscrit, je vais être très tentée de te solliciter !
Merci pour ta lecture et tes commentaires !
A très vite
On reparle d'Albaz et de sa trahison donc....pourtant, elle était bien antérieure à la mort de la reine.... et pourtant ça semble lié.... tiens tiens tiens.
Que la poison leur dise que ça serait dangereux pour eux d'être séparés, ça me fait craindre pour la suite.
Ils semblent avoir une bonne idée pour contrer la cendre du blé, mais, je pense que quelqu'un y aura déjà pensé, et qu'il y avait une bonne raison pour que ça ne soit pas pris en compte ?
Ça promet pour la suite ^^
Leur idée est vraiment bonne en fait, pour le blé de cendre, mais compenser une maladie du blé dans tout un pays avec la production d'une seule région, ça ne sera pas une solution définitive, c'est sûr.
3 ans pour aller voir la guérisseuse... Ils sont pas vif les gamins hein 😅
Et je sens que le roi va pas accueillir avec joie leur proposition pour le blé...
Rhoooo il est pas si ronchon, le roi, quand même XD Bon, si ok...
"Parfois, il avait l’impression qu’Einold allait céder, prononcer une phrase qui changerait tout, esquisser un geste vers eux. Mais sa main ne se tendait pas et les mots restaient coincés dans sa gorge." jai adoré ce passage. Il fend le coeur, montre la fragilité de roi et l'extrème rigueur de son coeur brisé..
Trois lune après le bal.. Ah oui ils voulaient vraiment pas lui parler ahaha.
"Ils se tournèrent d’un bloc. Einold avait-il été frappé par la pitié ?
– Vous devriez aller dire au revoir à votre mentor. Je l’ai chargé ce matin d’une mission qui l’éloignera des Cimiantes pendant plusieurs lunes. Il part demain.
Le miracle n’avait pas eu lieu."
Tu m'as achévé... J'ai eu le même espoir que les princes !! Je peux secouer le roi ???
Moi je poserais des questions à leur oncles et aussi à la servante qui était là.. Je dis cela je dis rien x).
Ah bah voilà enfin il lui pause la question à Abzal... Je pense qu'il en sait bien plus qu'il ne le prétend.
"Il frémit à l’idée que ses neveux puissent le percer à jour.
Non, se rassura-t-il finalement, ils ne peuvent pas comprendre. Ils sont encore trop innocents, trop bons pour même imaginer pareille trahison."
Euh.. il aurait comploté pour tuer la Reine... Putain...
Ah bah voilà questionner la servante et la guérisseuse.. bah oui enfin !
J'aime beaucoup la Poison. Il y a vraiment quelque chose de louche la dedans... Il est possible que leur oncle est payé pour le meurtre... Mais quand à t-il tiré dans l'absolu ? Sa place de mentor ? Ce n'est pas comme s'il avait pris la place du roi ou des princes... Je réfléchis :)
En tout cas, vu les questions que tu te poses, je vois que tu es bien à fond dans l'intrigue. Ça me fait très plaisir :)
Moi aussi, j'aime beaucoup la Poison ! D'ailleurs, elle ne devait être qu'un personnage très secondaire et n'intervenir qu'au moment de la naissance des princes, mais je n'ai pas pu me résoudre à la laisser dans son coin. Tu verras qu'on va beaucoup la revoir.
Continue à me faire part de tes réflexions, en tout cas ;)
Merci pour ta lecture et ton commentaire.