Chapitre 20 : Œil pour œil

Par Cléooo

Chapitre 20 : Œil pour œil

 

J’ai un haussement d’épaule.

— Je suis repérée… On doit filer.

— Comment ça, repérée ? Pas par le rejeton de Pavel, quand même ?

J’opine du chef et Albatros a une moue déçue. Il soupire, puis approche l’autel éventré.

— Vas-y ma grande, dit-il en me tendant une main.

Je lui donne la mienne et ses doigts viennent entourer mon poignet, puis il me soulève du sol pour me faire glisser dans le trou au milieu des gravats.

— Tu y es ?

— J’y suis.

Mes pieds entrent en contact avec le sous-sol. Je me décale d’un pas pour qu’Albatros puisse à son tour descendre.

— Tiens, ma grande.

Il me tend un masque que je niche sur mon nez. Pas un de ceux dont j’ai l’habitude. Je lui lance un regard interrogateur :

— Ouais, fait-il. C’est pour le nouveau Nebulatrex. On les a réadaptés. Pas mal, non ?

Je songe quelques secondes à Laurie, réveillée mais toujours pas remise de l’attaque qu’elle a subie, même si ce n’est pas le moment. Albatros sort une sorte de petit œuf de sa ceinture, puis il le triture un moment, les yeux plissés sous un intense effort de concentration. L’instant d’après, il a jeté son œuf par le trou de notre plafond. Dans les minutes à venir, le Nebulatrex se répandra dans toute la chapelle, si épais que personne ne pourra y mettre le pied avant des jours. Je suppose.

— C’est pas la version mortelle, hein ?

Une once d’inquiétude a percé dans ma voix et Albatros se tourne vers moi, goguenard.

— À la guerre comme à la guerre, Phœnix. Allons-y, tant qu’on a de l’avance.

 

***

 

Les Inséparables, Perdrix, Albatros et Faucon.

Ce dernier sourit quand il m’approche. Il pose une main chaleureuse sur mon épaule. Un quelque chose me noue la gorge quand il plante son regard dans le mien.

— Je me doutais que ça serait trop pour toi, déclare-t-il à voix basse. Ne t’inquiète pas. On va reprendre les choses en main.

Il me serre brièvement contre lui.

— Content que tu sois rentrée, Phœnix, ajoute-t-il dans le creux de mon oreille. Béa a hâte de te revoir.

— Elle est restée là-bas ?

— Trop risqué de l’emmener ici. Tu comprends.

— Tu es bien venu, toi.

— Je ne suis pas irremplaçable.

Je me tais un instant. Les autres approchent à leur tour pour me saluer.

— Deux ans sans te voir, murmure Perdrix avant de me serrer contre son cœur. Tu as un peu grandi, je crois ?

Elle a un sourire dans la voix, une larme émue à l’œil. Je reste silencieuse, le nez enfoui dans les milliers de boucles qui entortillent ses cheveux.

Ce sont ensuite les Inséparables qui m’entourent de leur bras, sans prononcer le moindre mot.

— On avait peur de pas te revoir, indique Perdrix, l’air un peu émue. Ils ont insisté pour venir.

Elle a fait un signe de tête en direction du vieux couple de muets. Ils me sourient et malgré mes récentes émotions contradictoires, je me force à faire de même, puis je détourne le regard me racle la gorge :

— On s’en va quand ?

Faucon approche à nouveau.

— On attend le signal de Colibri. Donne-moi ton bracelet…

Je caresse mon poignet. Mikhaïl a enclenché la commande nox tout à l’heure, et moi, j’ai appelé la commande Éva par-dessus. Maeve dort profondément. Je détache le bracelet d’un geste lent pour le remettre à Faucon. Son regard est perçant. Il presse doucement mes doigts avant de récupérer l’objet.

— Va te reposer un peu, Phœnix. Je viendrai te chercher.

 

J’ai dormi une vingtaine de minutes quand Faucon me réveille en secouant doucement mon épaule. Trois minutes plus tard, nous quittons la salle souterraine qui nous a brièvement accueillis pour marcher sur environ quatre kilomètres. À travers les égouts de Port-Céleste. J’ai connu mieux comme balade, mais qu’importe. Arrivés au bon niveau, nous regagnons la surface, Colibri nous récupère à la sortie d’une bouche d’égout, dans une ruelle esseulée.

Le silence est de mise. Aucun mot n’est échangé, à peine des regards. Entassés dans un gros SUV, on roule cachés en plein jour derrière les verres tintés. Tandis que la capitale de Solavie s’éveille, on se dirige vers l’océan, dans la direction opposée à Ludvina. À l’idée que je rentre chez moi, mon cœur semble prêt à exploser. Puis, j’imagine la détresse de Mikhaïl. Le sentiment de trahison d’Hermès quand il comprendra…

Quand, par le parebrise avant, on aperçoit enfin l’océan, je ressens une drôle de sensation. Je me suis toujours refusée à aller le voir depuis mon arrivée à Solavie. J’avais dans l’idée que j’aurais dû m’y rendre avec maman, l’été, quand il faisait trop chaud à Ludvina pour qu’elle s’y sente bien.

Je n’ai en tout cas jamais imaginé le découvrir en ce jour d’hiver, alors je quitte son pays comme une voleuse.

La voiture se gare au port, mais je mets du temps à revenir à moi. Faucon m’offre sa main pour descendre, que je saisis sans réellement m’en apercevoir.

— Tu ne m’en veux pas, j’espère ? souffle-t-il à mon oreille.

Je secoue la tête et il rit avec douceur.

— Tu as l’air ailleurs, Solange, chuchote-t-il. Tu sais que j’étais contre le fait de t’envoyer ici ?

— Je… Je veux pas en parler maintenant.

Il a un haussement d’épaule, puis il s’éloigne et c’est Perdrix qui vient prendre sa place. Elle passe un bras autour de mes épaules et m’entraîne vers le ferry.

Ils ont tout prévu, je ne pose aucune question. Nous sommes un collectif. Je n’ai pas besoin qu’on m’explique chaque étape pour croire à l’accomplissement de la mission. Pas à pas, je suis les autres oiseaux qui se préparent migrer loin de la terre solavienne. J’inspire la brise iodée à plein poumons. Je renonce à jeter un dernier regard sur Port-Céleste, de peur que mon cœur ne s’émiette.

De peur qu’ils se le partagent.

 

— Ça va aller ? T’as pas l’air si bien…

C’est une cabine sans hublot. Le ferry tangue et je réfléchis un instant à y attribuer mon malaise. Perdrix m’a ôté mon écharpe, celle qu’Hermès m’a offert, et l’a soigneusement pliée. Elle se trouve sur mes genoux, je la caresse doucement tandis que Perdrix lisse mes cheveux encore électriques.

— On s’attendait pas à ce que tu envoies le signal si tôt… continue-t-elle devant mon absence de réponse. Faucon avait l’air de sous-entendre qu’il allait se passer quelque chose, au solstice…

— Tu sais que je peux pas t’en parler, Perdrix.

Dans le reflet d’un miroir sur pied disposé dans la cabine, je vois Perdrix froncer les sourcils, puis hocher la tête.

— Excuse-moi, Phœnix. Voilà, c’est tout bon !

Elle a arrangé mes cheveux en une longue tresse. Je ne les avais pas coiffés comme ça depuis longtemps. Pas depuis mon départ de Ludvina. Ça me rappelle la longue tresse de Fiona, les dizaines de bijoux dorés en moins. Je me demande comment Fiona réagira, quand elle saura qu’elle avait raison de se méfier de moi. Pour ma défense, je n’ai jamais souhaité que Laurie Estevin soit prise dans tout ça… Elle n’a rien fait pour le mériter. Je me tourne vers Perdrix, afin de la regarder bien en face :

— Je suis assez curieuse au sujet de la nouvelle formule de Nebulatrex. Qui a mis ça au point ?

— Tu te demandes ?

Perdrix m’envoie un coup d’œil éloquent.

— Tata Béa ?

— Ouaip.

— Comment elle va ?

Perdrix hausse les épaules. Elle se détourne vite, mais j’ai eu le temps de glaner le malaise qui a tordu ses lèvres.

— Je te laisse te reposer, dit-elle en regagnant la porte. On rejoint le porte-avion. Une fois qu’on sera dans les airs, Faucon voudra sûrement te parler davantage. Courage.

 

***

 

— Sais-tu pourquoi « Phœnix » ?

Confortablement lovée sur l’unique banquette du petit avion que nous empruntons à présent, je rends son regard à Faucon.

— Parce que vous n’aviez plus de vrais noms d’oiseaux disponibles ?

Faucon a un vague rire.

— Ah… C’est peut-être en partie vrai ?

Je consens également à sourire.

— Parce que, reprend-il alors, le Phœnix n’est pas seulement un oiseau. C’est une créature mythique, insaisissable.

— Il pense que c’est Béa. Pavel Konstantin.

Faucon marque une pause tout en m’observant. Puis il laisse sa tête retomber avant de demander :

— Comment était-ce ? De le revoir ?

Je hausse les épaules.

— Il était fidèle à lui-même. Rien n’est de sa faute. Il a osé me dire que puisque les recherches de tata avaient été effectuées sur le sol solavien, alors elles étaient une propriété solavienne.

Faucon émet un étrange bruit avant de cracher sur le sol.

— Cette race. Ne le prend pas mal, Solange, hein. Mais cette race… Bref. Tu as réussi à trouver quelque chose de concret pendant ton séjour ?

Je reste immobile un instant, avant de lentement balancer la tête de droite à gauche. J’ignore pourquoi, mais je préfère me souvenir de cette journée-là, dans le manoir des Mestre, comme d’un songe. Peut-être en était-ce un ?

— Tu as réussi à trafiquer le programme du Symbiose ?

— Non, pas exactement.

— Pas celui du Symbiose, mais le dérivé scolaire d’Avril Cassan ?

— Les Maeve ?

— Non, le projet Éva.

— Maeve. Ça a été rebaptisé.

Il secoue la tête et je souris devant son air agacé avant de reprendre :

— Je l’avais fait dès le début.

— Dès le début ?

— Quand j’ai appris que j’irais à Avril Cassan, j’ai travaillé sur un virus qui se transmettrait à toutes les Maeve. Il fallait que ça soit discret, mais je n’ai pas pu empêcher le coup d’éclat de la rentrée.

— Ah, oui, fait Faucon. On en a entendu parler. Ils pensaient à une attaque de notre part… C’était donc bien toi. C’est ce que Béa pensait. Qu’est-ce que tu as fait, au juste ?

— Tu veux que j’entre dans les détails techniques avec toi ?

Son regard se voile. Je devine ce qu’il pense. Prétentieuse. Hautaine. Comme…

— T’es comme elle, parfois.

Je déglutis et serre la mâchoire avant de me détourner.

— J’ai conçu un programme quand j’ai su que j’allais intégrer Avril Cassan. Je l’ai lancé à mon arrivée quand j’ai obtenu ma propre Maeve.

— Je vois. Et c’était censé avoir fait quoi ?

Je me mords la lèvre.

— Eh bien… J’ai pris le contrôle des Maeve. Je suis remontée jusqu’au fichier initial du Symbiose. Mais je ne m’en suis pas servi. Le but ultime était de lier ce programme aux autres données du Symbiose, mais pour ça j’avais besoin de l’accès à l’ordinateur principal.

— Donc tu as fait tout ça pour rien ? Puisque tu n’as pas pu avoir l’accès à l’ordinateur du Symbiose ?

J’entrouvre la bouche. Le regard inquiet d’Hermès s’immisce dans mon esprit. Les mains de Mikhaïl, crispées autour des miennes.

— Solange ? Qu’est-ce qu’il s’est passé, alors ? Pourquoi ne pas avoir attendu un peu plus ?

— Il s’est passé… le facteur humain, je suppose.

Il racle le sol avec sa chaise et j’aperçois sa mine renfrognée du coin de l’œil.

— Qui t’a découverte ? Albatros avait l’air de dire que c’était le petit Konstantin.

Je lui jette un regard oblique.

— Et si c’était le cas ?

— Qu’est-ce que tu veux dire « et si » ? C’était ta cible principale, comment tu as pu…

— Il me soupçonnait depuis le début. Il m’a espionnée et il a découvert nos échanges. Je pense que ça faisait plusieurs jours qu’il avait compris, mais pour une raison ou une autre il a rien dit. C’était déjà un miracle, je voulais pas tenter le sort plus que nécessaire. Ça devenait trop risqué pour moi.

— Tu aurais pu te débarrasser de lui, tout simplement. On aurait trouvé un autre moyen d’atteindre le chancelier.

Un brin agacée, je fronce les sourcils.

— Oui, bien sûr. Ça n’aurait pas du tout alerté Pavel Konstantin que son fils meure.

Faucon prend l’air de réfléchir quelques secondes.

— Certes. Et du coup, est-ce que tu es parvenue à faire quoique ce soit d’utile ? Puisque tu n’as pas pu accéder au Symbiose lui-même ?

Ma gorge se serre. J’essaye de résister, mais le visage d’Hermès s’impose complètement à moi. Son expression quand, pour la première fois, j’ai découvert le vrai visage de Maeve. Maeve, et ses collants fluos, son air ravi.

Je ne sais même pas s’il a jamais fait son deuil.

Je serre la mâchoire, les larmes me montent aux yeux. Je me redresse pour me cacher et les essuie furieusement.

— J’ai… utilisé une commande. Qui m’a permis de réinitialiser les Maeve. Les Éva. Ça a servi à effacer leur mémoire. À les rendre inutilisable pour quelques temps au moins.

— Et ça n’aura pas impacté le Symbiose, ça ?

J’inspire lentement, pour me forcer à parler d’une voix calme :

— Ça pourrait éventuellement impacter la prochaine mise à jour commune, mais la créatrice des Maeve tentera d’intervenir avant ça.

— Alors on pourrait peut-être obtenir l’accès ?!

Je laisse échapper un petit rire.

Peine perdue. Elle est douée, madame Mestre.

Elle s’est plus qu’inspirée du travail de tata Béa. Elle l’a compris.

Pour une raison inexplicable, ma gorge se noue un peu plus encore.

Du coin de l’œil, je vois Faucon se lever. Il parcourt les quelques pas qui nous séparent et pose une main sur mon épaule pour me retourner. Là, il ouvre de grands yeux :

— Ah non, Phœnix. Tu vas pas me dire que tu as des regrets, si ?

Je lui jette un regard assassin.

— Il y a des gens bien, là-bas, tu sais ?

Il penche la tête sur le côté mais se retient de cracher.

— Ne pense pas à ça, Solange. On va profiter de la panique que tu as créée pour frapper fort. Ta tante est prête, plus que jamais.

Sa voix a quelque chose de glacial. Je sens que chaque poil de ma peau se hérisse.

— Tu sais ce qu’elle a prévu de faire ?

— Œil pour œil, Solange.

— Mais…

Il presse mon épaule d’une main ferme.

— Pas un seul instant, reprend-il, je n’ai pensé que ça serait facile pour toi. Mais ne regrette rien, s’il te plaît. On est là pour toi.

Je tourne le menton vers lui. Une douceur, une certaine gentillesse même, se mêle à son air dur.

— Faucon… Est-ce qu’on a raison de faire ça ? Si Pavel Konstantin ignorait réellement tout…

Sans me lâcher du regard, il s’agenouille lentement devant moi. Il rassemble mes mains dans les siennes.

— On ne peut pas réécrire le passé, Solange. Ce qui s’est produit il y a dix ans était dramatique. Ta tante et toi, vous avez souffert, et c’était notamment à cause de nous. Mais ce qu’ils ont volé, ça a coûté la vie de centaines de personnes. Beaucoup meurent encore aujourd’hui. La moindre des choses, c’est de leur rendre la monnaie de leur pièce, qu’eux aussi doivent repartir à zéro. Pavel Konstantin n’était peut-être pas au courant avant de devenir chancelier, mais quand il a su, il n’a pas rendu les plans de Béa. Tu sais qu’elle lui a parlé. Tu sais qu’elle a tenté de le raisonner. Et ta mère était avec nous. Sa perte a été une vraie tragédie, Solange. Elle nous manque beaucoup, chaque jour. Mais c’était un accident, et tu sais que Héron ne se pardonnera jamais pour ça. Aujourd’hui, tu dois défendre des vies au-delà de l’avarice d’un seul, n’est-ce pas ?

Il relève, passe une main sur mon visage, essuie une nouvelle de mes larmes.

— Défendre des vies… ? Mais tout Solavie sera à la merci des nations voisines…

— Je sais, ma puce. Je sais.

Il me fixe encore quelques secondes, une expression peinée au visage.

— Il faut que tu restes courageuse, continue-t-il. Dans deux heures, nous serons au Palais des Douces. Sèche tes larmes. Tout le monde a hâte de te retrouver.

 

***

 

Dix ans plus tôt.

 

J’ai toujours mal, mais moins.

Il fait doux ce matin.

La chambre qu’on m’a attribuée est jolie. Spacieuse, pleine de plantes. Elles grimpent sur les murs blancs.

Tata Béa n’a pas vu que j’étais réveillée.

Elle sanglote, sur la chaise tout près de mon lit.

J’inspire brusquement et elle sursaute.

— Solange… Solange, ma chérie…

Elle caresse mon front, écarte quelques mèches de mes cheveux.

— Où sont… maman et papa ?

Tata Béa grimace, fort, comme si elle voulait s’empêcher de pleurer encore.

— Je suis désolée… gémit-elle.

Je détourne la tête. Je n’aime pas son expression. Je veux qu’elle parte.

— Va-t’en, je veux dormir.

— Solange, mon cœur…

— Où est Mikhaïl ?

Tata Béa s’assoit sur le bord du lit.

— Il est rentré à Port-Céleste, ma puce… Lui et son père sont…

Mais elle ne termine pas sa phrase, parce qu’à cet instant précis, on pousse la porte qui sort presque de ses gonds et vient claquer le mur. Je relève mon drap comme un bouclier, alors qu’un homme de stature imposante entre.

Tata Béa sort immédiatement un pistolet de sa poche, qu’elle braque sur l’intrus tandis que moi, j’ouvre de grands yeux. Pourquoi tata a-t-elle un pistolet dans sa poche… ?

— Sors, ordonne-t-elle, menaçante.

— Je viens lui présenter mes excuses…

La voix de l’intrus tremble. Si ses muscles épais m’effrayent, son visage, en revanche, a des traits doux, tordus par une souffrance visible.

— Tu l’as tuée. Va-t’en, Héron.

— C’était un accident, Béa. Tu le sais !

— Tuée ?

Ma voix, frêle, semble suspendre le temps. Le colosse tombe à genoux, tout près de mon lit. Il a un mouvement, mais n’ose me toucher.

— Je suis désolé, Solange. Je suis désolé, je ne voulais pas faire de mal à ta maman.

Ma bouche s’entrouvre. L’homme pleure à présent. Il dit qu’il est désolé. Il le répète, encore et encore, et le bras de tata Béa, sous le coup d'une rage sourde, tremble au-dessus de ma tête. Il y a un cliquetis qui s’élève quand elle passe son pouce sur la ferraille vissée à son poing.

— Va-t’en. Dernière fois.

— Qu’est-ce qu’il se passe, ici ?

Un autre homme vient d’entrer dans la pièce. Faucon, je crois ? C’est celui qui voulait tuer le papa de Mikhaïl… J’ai peur, tout d’un coup. Il fronce les sourcils en regardant tata Béa…

— Béa, baisse ton arme. Héron, sors d’ici.

— Je voulais seulement présenter mes excuses à la petite…

— Ce n’est pas le moment. Rejoins les autres, on récupère le Palais des Douces ce soir, et j’ai besoin que tu sois au mieux de ta forme. Allez, déguerpis.

Héron hoche la tête. Il me lance un dernier regard, que je ne sais interpréter, puis lentement, il sort.

— Je ne veux plus le revoir, lâche tata Béa d’une voix tremblante. Je ne veux pas qu’il s’approche de Solange !

Faucon a une petite moue étrange, mais il ne répond pas.

— Tu es réveillée, Solange ? me demande-t-il plutôt. Comment te sens-tu ?

Je ne réponds pas. Je laisse ma tête rouler vers tata Béa.

— Elle a encore besoin de repos, déclare-t-elle.

Il hoche la tête.

— Alors qu’elle se repose. Ensuite, tu pourras rencontrer tout le monde. Les « Oiseaux », comme on nous appelle. Et notre cheffe a très envie de faire ta connaissance ! Il paraît que tu es aussi intelligente que ta tata ?

Je ne lui réponds toujours pas.

Tata Béa vient tout à côté de moi, pose une main sur son épaule.

— C’est trop tôt, Faucon.

Il lui jette un regard amusé.

— Non. C’est parfait. Elle a l’âge idéal pour apprendre, et peut-être un jour te dépasser, qui sait ? Quelqu’un qui serait un jour capable d’abattre le Symbiose… Ce serait bien, non ?

Abattre le Symbiose ? Là où Mikhaïl habite ?

J’ouvre de grands yeux et le Faucon me fait un gentil sourire.

Puis sur un aimable signe de la main, il quitte la pièce.

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MrOriendo
Posté le 26/08/2025
Hello Cleo !

Jolie cette façon dont tu as mené le retournement de situation, c'est très intéressant de découvrir l'envers du décor. Je me demandais depuis un bon moment déjà dans quel camp Solange allait basculer. J'ai maintenant ma réponse, encore qu'elle semble regretter...
Curieux de découvrir l'identité de la cheffe des Oiseaux aussi, et leur véritable objectif.
Au plaisir,
Ori'
Cléooo
Posté le 28/08/2025
Pour être familière, je dirais bien qu'elle a le *** entre deux chaises :D Solange, pas "la cheffe", qui se dévoilera peu à peu.
Anna.lyse
Posté le 12/08/2025
Hello Cléooo,

Et bien, j'ai toujours du mal à me remettre de cette chute. Solange était effectivement du côté des terroristes? Je n'avais pas vu de signe avant pouvant le laisser penser. En même temps, cela nous amène à prendre pleinement conscience de ce que doit pouvoir ressentir Hermès... Oui, j'aime bien ce personnage alors ça influence un peu mon jugement.
Original cette idée des oiseaux comme nom de code. J'aime bien et pertinent l'idée selon laquelle lui donner le nom de phoenix allait brouiller les pistes. Et puis, le phoenix est aussi l'oiseau qui renaît de ses cendres, très à propos quand on sait qu'ils la croyaient morte et qu'elle a bien failli mourir d'ailleurs.
Très opportun ce retour dans le passé. J'avoue m'être demandé si Faucon était un jeune comme elle, voir une relation particulière ou un ancien. Le passé aura répondu à la question. Par contre, je me questionne sur sa réaction lorsqu'elle apprend qui a tué sa mère. J'y vois peu d'émotion... On ressent bien la culpabilité de Héron et la colère de Béa mais moins celles de Solange. à peine on souligne sa peur face à Faucon qui a voulu tué le papa de Mikhaïl... ce serait sans doute mon bémol.
C'est en tout cas très intriguant comme toujours, merci beaucoup pour ce partage.
Cléooo
Posté le 13/08/2025
Coucou Anna.lyse !
Désolée j'ai pas du tout avancé depuis la dernière fois ^^"
Je suis en train de reprendre le texte au début pour vérifier la cohérence et bien me replonger dedans, mais en semaine j'ai du mal à m'y mettre ! Vivement le week-end de trois jours, même si j'ai pas mal de choses de prévues aussi...
Bref, revenons-en à nos moutons.
"Je n'avais pas vu de signe" -> je pense que mon extrême lenteur joue là-dessus, c'est sans doute des choses qui, éloignées dans le temps, s'oublient facilement. Mais attention, c'était subtil dans tous les cas, hein !
Concernant son manque d'émotion en découvrant qui a tué sa mère, je suis partie du principe que c'était trop d'un coup pour qu'elle ait bien le temps de réaliser, et que voir la colère de Béa était plus impactant à ce moment pour elle. Mais je note ta remarque, je vais y réfléchir !
Anna.lyse
Posté le 14/08/2025
Je pense que tu as raison, c'est sans doute parce que je ne lis pas tout à la suite et du coup certains points passent à la trappe.
Il est possible effectivement qu'une personne ne réagisse pas émotionnellement: soit parce qu'il y a une forme de sidération, comme si le temps s'était arrêté, une forme de court circuit ou ce peut être à cause d'un déni massif. Dans ce cas c'est comme si le sujet se coupait d'une part de la réalité et n'avait pas conscience de celle-ci, comme si tout un pan de la réalité n'existait pas ce qui peut donner une impression de décalage. Soit il y a beaucoup d'émotion, soit parce que les émotions sont trop fortes, mettant en danger psychiquement l'individu, des mécanismes de défense se mettent en place pour protéger psychiquement le sujet de ces émotions inassimilable et de la charge de tension qui l'accompagne.
James Baker
Posté le 25/07/2025
Bonjour Cléooo !

Mes pieds viennent d’entrer en contact avec le sous-sol. --> Pas une coquille, mais une phrase (même un mot) dans laquelle se combinent plusieurs éléments dont je peux parler. Le passage important est "viennent d'entrer en contact". En vrai, on peut résumer en disant "viennent n'est pas nécessaire." Plus précisément : il ralentit le rythme (avec un mot de plus); il affaiblit le verbe qui suit (2 mots pour exprimer une action ont cet effet, même quand il s'agit de deux verbes). Qui plus est, "viennent d'entrer" suggère une forme de simultanéité (au moment où cet événement se produit, mes pieds viennent d'entrer en contact avec le sol) qui n'est pas particulièrement présente ou nécessaire ici. On se doute bien que Phœnix n'a pas besoin d'attendre longtemps après avoir touché le sol pour qu'Albatros descende). Long exposé pour dire que ce mot n'est pas utile à la phrase; en fait, je voulais surtout en profiter pour te donner des questions à te poser pour certains mots. Des mot expressions comme "venir de", "commencer" et "presque faire" semblent parfois naturelles. Elles représentent ce que nous avons en tête. Elles nous donnent parfois l'impression d'être plus précis ou d'illustrer une pensée pensée du personnage (une hésitation, une émotion, etc.), mais elles ont souvent un léger effet négatif sur le texte

J'ignore si c'est volontaire, mais Albatros est parfois "Albatros" et parfois "l'Albatros" dans les pensées de Solange.

Ce sont ensuite les Inséparables qui m’entourent de leur bras, sans prononcer le moindre mot. --> ils n'ont qu'un bras à deux?

— On s’en va quand ? je demande ensuite, pour dissiper mon malaise. --> cette façon d'indiquer que Solange demande est un peu embarrassée. Il faudrait retravailler le texte l'entourant afin de l'éviter.

Nous quittons la salle souterraine qui nous a brièvement accueilli pour marcher sur environ trois kilomètres. --> accueillis

Puis j’imagine la détresse de Mikhaïl. --> Virgule après puis

Le sentiment de trahison qu’aura Hermès. L’incompréhension de tous les autres, quand ils sauront… --> changer "qu'aura Hermès" pour "d'Hermès" afin d'éviter un verbe faible. Sans les chasser à vue, je pense qu'il faut les éviter au possible. Enlever la virgule après "autres".

Je me suis toujours refusée à aller le voir, depuis mon arrivée à Solavie. --> Enlever la virgule devant depuis.

...il a un léger rire --> ta, tada, tada... Je dirais juste qu'il rit. Tu peux y aller avec une métaphore aussi : Son rire a la légèreté de/d'un/d'une (je ne peux pas te dire ou ça devient ma phrase). Bon, je sais que j'ai tendance à l'overdose de métaphores.

Elle n’avait rien fait pour le mériter. --> un passé composé irait mieux qu'un antérieur.

On rejoint le porte-avion puis une fois qu’on sera dans les airs, Faucon voudra sûrement te parler davantage. --> Cette phrase serait plus naturelle en deux (point à la place du puis).

Quand j’ai appris que j’irai à Avril Cassan, j’ai travaillé sur un virus qui se transmettrait à toutes les Maeve. --> irais (conditionnel et non futur).

Et c’était donc toi. --> C'était donc toi? ferait mieux selon moi.

Ma mâchoire s’est serrée. --> "Je serre la mâchoire (ou les mâchoires)." aurait plus d'impact.

Il m’a espionné, il a vu nos échanges. --> espionnée

Son expression, quand pour la première fois, j’ai découvert le vrai visage de Maeve. --> virgule après quand (et non avant).

Sa perte était tragique, Solange. --> a été tragique ferait mieux.

Ma bouche s’entrouvre. --> je suis toujours partisan des actions franches et concrètes; "Ma bouche s'entrouvre" a moins d'impact que "J'entrouvre la bouche". Quand les parties du corps deviennent un "personnage" qui agit, ça réduit l'impression d'action/activité du personnage principal.

Il le répète, encore et encore, et je vois le bras de tata Béa qui tremble au-dessus de ma tête, toujours braqué dans sa direction. Elle porte une sorte de rage sourde. --> ces deux phrases auraient intérêt à être fusionnées malgré la longueur. "Il le répète, encore et encore, et le bras de tata Béa, porteur d'une rage sourde, tremble au-dessus de ma tête." J'ai fini par mettre une suggestion directe parce que je vois bien que de simplement parler de fusionner les deux phrases n'est pas clair dans le cas présent. Bien sûr, le bras devient porteur de rage au lieu que ce soit Béa, mais son tremblement et l'arme expliquent qu'il en devienne le vecteur.

J’ouvre de grands yeux et le Faucon me fait un gentil sourire. --> Il était une fois un sourire. Et puis, quelqu'un l'a fait.

Ok, faut que j'arrête avec ça, les meilleures plaisanteries restent courtes et j'ai étiré celle-ci.

Le faucon me hérisse les poils. La façon dont il dit à Solange qu'elle ne doit pas avoir de regrets avant de la réconforter annonce le manipulateur gros comme un avion cargo rempli de bouse à ras bord. Le contraste est d'ailleurs peut-être un peu trop gros, surtout à cause du flashback qui suit (où on le voit clairement prêt à recruter et entraîner une enfant pour sa guerre).

Dans les souvenirs coupables et les regrets de Solange, ajoute des odeurs et des sensations physiques. Tu multiplieras l'impact émotionnel de la scène. Qu'elle pense au sentiment de trahison d'Hermès est bien; si elle regrette de ne plus pouvoir sentir ses bras autour d'elle, l'odeur douce de son cou sous celle piquante de son eau de cologne, si elle regrette de ne plus pouvoir tenir la main de Mikhaïl ou d'autres éléments auxquels je ne pense pas présentement, le lecteur s'immergera beaucoup plus facilement dans sa psychée.

J'aime beaucoup le tour que prend l'histoire. Passer du lycée aux Oiseaux est intéressant; on aurait peut-être pu passer plus de temps au Symbiose et voir ce que Solange y a fait et pensé (ou pas), mais je comprends que c'est difficile à cause de ses sentiments ambivalents concernant sa mission.

Dans tous les cas, on sent que le momentum se modifie. On ne comprend pas nécessairement bien l'importance du lycée dans le grand plan, mais ça viendra sûrement plus tard.

À bientôt!
Cléooo
Posté le 26/07/2025
Et coucou :)

Je note pour le côté allongé de la phrase. Je crois que c'est quelque chose que j'ai tendance à faire. Là j'ai terminé une réécriture de l'autre roman que j'ai sur PA et j'ai raccourci pas mal de phrases, de tournure que je pouvais facilement réduire à un ou deux mots... Il en reste sûrement qui sont inutilement longues, mais je me suis fait la réflexion.

Pour Albatros, nope, c'est une coquille. J'étais partie sur l'Albatros puis j'ai corrigé en "Albatros" et j'en ai donc oublié ^^ (Faucon aussi normalement)

"qui m’entourent de leur bras, sans prononcer le moindre mot. --> ils n'ont qu'un bras à deux?" ...................
...... non.

Merci pour toutes tes remontées. Je précise que j'ai un sourire à chaque fois que je te lis :p

Je note le côtés odeurs / sensations physiques, c'est vrai que ça manque. Et j'ai plein d'idées qui me viennent d'un coup, je vais essayer de faire les corrections ce week-end si j'ai le temps !

Concernant le Faucon... Oui il a un côté manipulateur, et en même temps, j'aurais tendance à dire que c'est un manipulateur honnête parce qu'il ne cache jamais à Solange ce qu'il attend d'elle, ce dès le flashback (c'est peut-être ce qui en fait le pire genre de manipulateur, remarque). J'espère que son traitement te plaira par la suite.

Pour la tournure que prend l'histoire, pour l'instant je ne dis rien mais je suis contente que l'évolution te plaise !

Merci encore pour ton retour, à bientôt :)
James Baker
Posté le 26/07/2025
Alors juste pour être sûr: s'ils n'ont pas qu'un seul bras, c'est "leurs bras" au lieu de leur bras... :P

Content de te faire sourire. Je ne suis pas certain de faire sourire tout le monde avec mes commentaires. J'ai eu le sentiment, à quelques occasions, de froisser quelques egos par maladresse.

Je travaille présentement à une autre nouvelle, que je devrais rendre avant la fin du mois d'août. C'est un texte assez lourd, mais ça pourrait t'intéresser. J'y parle de stress post-traumatique. La phase est plus aigue que celui que vit Solange et les causes de son apparition sont partiellement "auto-infligées", ce qui en change la dynamique,

Je vais tenter de publier un chapitre ce weekend. À bientôt ;)
Cléooo
Posté le 26/07/2025
Bien, j'irai le lire ! C'est vraiment un sujet intéressant et ça m'intéresse de voir ton approche.
Même si faut que j'écrive, aussi. J'ai tendance à procrastiner ces derniers temps... Cet après-midi je m'y mets.

Et j'avais compris pour les bras xD

Franchement pour les critiques, je trouve ça dommage de ne pas les accepter (a fortiori sur une site comme PA où on fait justement de la BL). Personnellement je sais que ça m'a permis de beaucoup retravailler mes textes... J'ai bien reçu une ou deux critiques que j'ai trouvé plus agressive que constructive mais dans l'ensemble, ça permet de progresser.
James Baker
Posté le 26/07/2025
oui, c'est dommage de ne pas accepter les critiques, mais la faute est parfois au commentateur. Certains ridiculisent le texte qu'ils commentent, d'autres prennent l'auteur de haut ou se présentent en "maître" ; je réalise que je peux facilement passer pour ce dernier type. D'autant plus qu'à cause de ma profession, j'ai appris à me "distancier" dans les commentaires que j'écris. À moins d'avoir développé une relation un minimum positive avec la personne. Alors là où j'ai potentiellement offensé, je prends le blâme. Cela dit, je n'ai pas provoqué de réactions très marquées. Les gens sont ici pour avancer et s'améliorer. J'ai eu l'occasion de lire des objections à certains de mes commentaires qui m'ont fait dire "j'ai dû manquer de tact", mais elles n'ont jamais directement traduit une colère ou un outrage. Les gens réagissent de façon très mature, ici.

À la prochaine!
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