Chapitre 20 - Petits secrets entre amis

Les lourdes portes latérales de la salle de réception s'ouvrirent dans un fracas sourd, comme si le château lui-même avait retenu son souffle avant de relâcher la tension. Le vacarme résonna contre les hautes voûtes, rebondissant sur les murs de pierre, faisant sursauter certains élèves.

Un homme d'une quarantaine d'années fit son entrée, précédé par un souffle d'air froid et suivi d'une petite cour silencieuse, vêtue de riches étoffes sombres. Il avançait avec une lenteur calculée, presque théâtrale. Sur ses épaules, une immense cape de fourrure noire ondulait derrière lui comme une ombre vivante, rasant les dalles polies au rythme de ses pas.

Les conversations moururent aussitôt. 

D'un mouvement instinctif et respectueux, toutes les personnes présentes s'inclinèrent, têtes baissées. Une tension subtile s'insinua dans la pièce, comme si l'air devenait plus épais, plus difficile à respirer.

L'homme ne jeta aux invités, qu'un regard furtif, indifférent. Il gravit les quelques marches de l'estrade, puis d'un geste fluide, presque impérial, écarta sa traîne avant de s'asseoir dans son trône aux bras sculptés. Un silence pesant suivit, brisé uniquement par la vibration grave de sa voix :

-Bienvenue. Moi, Andréius Robert Molteface, seigneur d'Everka, vous accueille avec plaisir dans ma demeure.

Sa voix roulait comme le tonnerre au loin. Aucun murmure n'osait le troubler. Son ton, sans être agressif, portait une autorité froide.

-J'ai chargé quelques personnes de confiance de vous faire une visite complète de mon château. Vous recevrez également un aperçu de mes fonctions et responsabilités. Et afin de vous remercier pour votre accueil à l'école, j'ai pris la liberté d'organiser une soirée que, je l'espère, vous n'oublierez pas.

Cette dernière phrase résonna d'une façon étrange.

Parmi la foule, Lya se tenait droite, mais pâle. Ses mains s'étaient refermées sur le bras d'Archi, sans qu'elle s'en rende compte. Sa respiration se fit plus courte, hachée. Elle serra les dents.

-Ma tête... ma tête..., murmura-t-elle d'abord faiblement.

Archi se pencha vers elle, inquiet. Il plaça délicatement ses mains sur son front pour canaliser un sort de soulagement, mais à peine ses doigts l'avaient-ils effleurée qu'elle les repoussa violemment.

-Ne me touche pas !

Sa voix déchira le silence cérémonieux comme une lame. Plusieurs têtes se tournèrent, surprises.

Elle tremblait désormais et des perles de sueur glissaient le long de ses tempes. Sa respiration devint saccadée, presque animale. Et soudain, elle s'écroula au sol, en hurlant.

-QUE ÇA CESSE ! QUE ÇA CESSE !

La panique s'insinua dans l'assemblée, se propageant comme un frisson collectif. Matthew et Emrys accoururent aussitôt, se frayant un chemin parmi les invités pétrifiés.

-Lya, calme-toi !, tenta Matt, accroupi près d'elle.

Elle se tordait de douleur, s'agrippant les cheveux, frappant le sol du poing. Des mots incompréhensibles s'échappaient de ses lèvres. Ses yeux semblaient voir autre chose, quelque chose qui n'appartenait pas à ce monde.

Les professeurs accoururent à leur tour. Monsieur New, le visage blême, posa immédiatement une main sur son épaule, tandis que monsieur Ameur tentait d'isoler la zone avec un sort de silence. Madame Obscuda se posta devant les élèves, mains croisées, impassible.

-Sonnelia, prononça enfin le professeur de soin, deux doigts sur les paupières de Lya.

Aussitôt, le corps de la jeune fille se relâcha. Ses membres cessèrent de trembler. Sa bouche s'entrouvrit dans un soupir muet. Inconsciente, elle glissa lentement dans les bras de monsieur Ameur.

Puis, s'en suivit un le silence lourd et dense.

Pourtant, une voix s'éleva, rauque et glacée, tranchant comme une dague.

-Que se passe-t-il ?

C'était Molteface.

Il descendit lentement de son trône, son regard noir braqué sur la jeune fille évanouie. Ses pas ne faisaient aucun bruit, et pourtant chaque mouvement semblait alourdir l'air autour de lui. Quand il arriva à hauteur de Lya, son expression changea.

Quelque chose dans son regard, jusque-là distant, se figea. Il resta là, debout, les yeux rivés sur elle, hypnotisé. 

-Mon seigneur ?, tenta monsieur New, la voix prudente.

Pas de réponse.

-Mon seigneur !, insista cette fois Valma, plus sèchement.

L'homme cligna des yeux, comme s'il sortait d'une transe.

-O... oui ?

-Y a-t-il un endroit où l'on peut l'allonger ?

Il hocha la tête, encore troublé. D'un geste presque absent, il fit signe à l'un de ses domestiques, qui s'inclina avant d'indiquer une porte latérale.

Les professeurs emportèrent Lya sans tarder, suivis des regards lourds de toute la salle.

Matthew et les autres voulurent les suivre, mais Obscuda se plaça devant eux, les bras tendus.

-Vous restez ici.

Son ton ne souffrait aucune réplique et le silence revint, plus tendu qu'avant, plus inquiétant encore.

 

*****

 

L'après-midi s'éteignait lentement, drapant les couloirs du château d'une lumière dorée, presque éthérée. Les ombres s'étiraient le long des murs, tandis que la visite touchait à sa fin. Les élèves, épuisés mais encore curieux, achevaient leur tour de la demeure, guidés par des serviteurs aussi silencieux que les pierres elles-mêmes.

Dans une aile plus isolée, la chambre où reposait Lya restait à l'écart de l'agitation. La jeune femme, toujours inconsciente, avait été laissée seule pour se remettre, ses professeurs ayant jugé préférable de retourner encadrer le groupe.

Pourtant, la poignée de la porte finit par tourner sans un bruit. Andréius Molteface pénétra dans la pièce comme une ombre liquide, glissant plus qu'il ne marchait. Derrière lui, un serviteur au teint cireux et au regard fuyant referma doucement la porte.

Le seigneur s'approcha du lit.

Ses yeux accrochèrent immédiatement la silhouette immobile de Lya, pâle sur les draps d'un blanc éclatant. Il ne disait rien, mais ses pupilles brillaient d'un éclat trouble, comme s'il contemplait une relique sacrée.

-C'est elle, n'est-ce pas ?, murmura-t-il, un souffle à peine audible. 

Ses lèvres tremblaient d'excitation contenue.

-Je... je n'en suis pas certain, mais on dirait bien..., répondit le serviteur, mal à l'aise. 

Il jetait des coups d'œil nerveux à la porte.

-Fantastique, souffla Molteface avec un sourire, presque enfantin et trop large pour être sincère.

Il ne la quitta pas des yeux. Son regard glissait sur ses traits, enregistrant chaque détail, chaque ombre, chaque soupir à peine perceptible.

-Mais... qu'est-ce qui lui est arrivé tout à l'heure ?, demanda-t-il, la voix toujours basse mais plus sèche.

-Je pense que c'est à cause de votre stock... enfin, vous voyez de quoi je parle, répondit le serviteur à mi-voix. C'est pour ça que je suis persuadé que c'est elle... Il n'y a pas d'autre explication.

L'homme chétif déglutit avant de reprendre.

-C'est dangereux..., ajouta-t-il après un silence, comme s'il craignait d'avoir trop parlé.

Molteface resta un instant figé, puis se pencha légèrement, les yeux brûlants.

-Oui, possible. Mais tu n'imagines pas ce que je pourrais faire avec ce pouvoir...

Sa voix avait changé. Elle vibrait d'un enthousiasme presque maladif. Il s'approcha du lit, lentement, tendit la main vers le visage de la jeune fille. Sa paume tremblait légèrement. Il voulait la toucher. Sentir. Vérifier qu'elle était bien là. Réelle.

Mais à l'instant où ses doigts frôlèrent la chaleur de sa joue...

La porte s'ouvrit en claquant.

Un souffle d'air fit vaciller les flammes des chandelles. Le trio 18 entra, immédiatement suivi de l'équipe 3 et de la professeure Obscuda. Tous s'immobilisèrent en apercevant les deux hommes au chevet de Lya.

Le regard de Valma se durcit. Elle s'avança de quelques pas, droite comme une lame tirée de son fourreau.

-Que faites-vous ici... mon seigneur ?, lança-t-elle, sa voix froide et son ton sans équivoque.

Molteface retira tranquillement sa main, comme un enfant pris sur le fait. Il redressa les épaules avec une lenteur étudiée, retrouvant aussitôt son masque d'élégance.

-Je venais simplement m'enquérir de la santé de cette pauvre enfant, répondit-il d'un ton suave.

-Très charitable de votre part, répondit Obscuda d'un ton tranchant, mais teinté de politesse. 

Ses yeux noirs restaient fixés sur lui, perçants comme deux crochets.

-Mais je crains que nous soyons un peu trop nombreux dans cette chambre, ajouta-t-elle, un sourire glacé aux lèvres. 

La menace derrière ses mots était palpable.

Le seigneur esquissa un sourire figé, presque mécanique.

-Nous partions justement, déclara-t-il en adressant un signe discret à son suivant.

Les deux hommes quittèrent la pièce en silence et lorsqu'ils passèrent près d'Obscuda, aucun ne détourna les yeux, mais elle non plus. Leurs regards se croisèrent, et ce fut comme un choc sourd dans l'air chargé d'électricité.

La porte se referma. L'atmosphère sembla se détendre d'un cran, bien que l'ombre du malaise subsiste.

-Je vous laisse, dit alors Obscuda aux élèves, d'un ton plus calme mais tout aussi autoritaire. Ne la surmenez pas, d'accord ? Et restez tranquille !

Lorsqu'elle disparut, le groupe s'approcha immédiatement du lit. Matt et Archi prirent les mains inertes de Lya dans les leurs. Le contact fit trembler ses doigts. Lentement, elle entrouvrit les paupières et un souffle rauque s'échappa de ses lèvres.

-Est-ce que tu pourrais arrêter de nous faire des frayeurs pareilles ?, souffla Amanda, mi-rassurée, mi-exaspérée, en s'asseyant au bord du lit.

Lya tourna la tête avec difficulté.

-Où suis-je ? Qu'est-ce que je fais là ?, murmura-t-elle, la voix fragile.

Emrys s'approcha à son tour, inquiet.

-Toujours ces fichus maux de tête, expliqua-t-il doucement.

-Je ne comprends vraiment pas ce qui t'arrive, chuchota Nata, le regard dans le vide.

Mais Amanda, les bras croisés, changea brusquement de sujet :

-De quoi est venu te parler le seigneur ?

Lya fronça les sourcils.

-Le seigneur ?, répéta-t-elle, déconcertée. Quand ça ?

-À l'instant. Il vient juste de sortir, précisa Archi, les sourcils froncés.

Le silence tomba.

Lya les regarda tour à tour, visiblement perdue. Son front se plissa. 

Un frisson parcourut Amanda. Elle croisa les bras un peu plus fort.

-Je n'aime pas ça..., souffla-t-elle.

Matt se redressa d'un coup, alarmé par le ton sec et tendu de sa petite amie.

-Qu'est-ce qui te met dans cet état ?

Elle resta silencieuse un instant, fixant un point invisible dans la pièce. La lumière tamisée du soir glissait sur son visage tendu, accentuant les ombres sous ses yeux.

-Je ne sais pas encore, répondit-elle enfin, sa voix plus grave qu'à l'accoutumée. Mais j'ai l'impression que quelque chose se trame. Molteface n'est pas connu pour sa générosité.

Un froid subtil enveloppa la chambre, où même la lumière semblait s'assombrir.

Emrys prit la parole à son tour, les mâchoires serrées.

-Je n'aimais pas la façon dont il te regardait, dit-il à Lya, dont le teint restait pâle et les paupières lourdes.

-Moi non plus, ajoutèrent d'une même voix les garçons de l'équipe 3.

Amanda, jusque-là nerveuse, sembla soudain prendre une décision intérieure. Elle s'avança, droite et déterminée, puis planta son regard dans celui de Lya.

-Lya, écoute-moi bien, dit-elle, chaque mot pesant comme un avertissement. Tu ne dois pas faire confiance à cet homme.

Lya cligna des yeux, déconcertée par tant de gravité.

-Lui faire confiance pour quoi ?, demanda-t-elle d'un ton hésitant.

Amanda ferma un instant ses paupières, comme si elle cherchait à mettre de l'ordre dans un tourbillon de pensées.

-Je ne sais pas encore..., répondit-elle en les rouvrant, le regard perçant. Mais Molteface est connu pour être un opportuniste. Il s'implique toujours dans des affaires troubles, des jeux de pouvoir dont personne ne ressort indemne.

-Alors pourquoi le Pouvoir Central l'a-t-il placé sur le trône ?, demanda Nata, sincèrement intriguée.

Archi répondit d'une voix sombre :

-Parce qu'il est avide de pouvoir et facile à manipuler.

Amanda hocha lentement la tête, son ton plus froid encore :

-Exactement. Il ferait tout pour un soupçon d'influence. Ce n'est pas un homme loyal, juste un pantin affamé.

-Ce n'est donc pas une question d'allégeance... mais de simple intérêt, conclut Matthew en soupirant.

Un silence pesant s'installa et Amanda en profita pour s'approcher un peu plus de Lya.

-Et c'est pourquoi je te le répète : ne lui fais jamais confiance. Jamais.

Lya, malgré l'épuisement qui pesait sur elle comme une chape de plomb, sentit son estomac se nouer. Une sensation étrange lui tordait les entrailles, un malaise diffus, ancien. Une pression invisible planait dans la pièce, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.

Depuis qu'elle avait mis les pieds dans ce château, tout lui semblait... déformé. Détraqué. Comme un rêve trop vif, ou un souvenir malheureux. Elle se savait observée, suivie peut-être, même sans le voir. Et si cela ne tenait qu'à elle, elle serait déjà loin de cet endroit aux odeurs âcres et au silence inquiétant.

Lorsque le temps accordé par leur professeure s'écoula, les élèves furent contraints de rejoindre les autres et Lya resta seule avec Valma.

La professeure l'aida à se lever, bien que Lya lui affirma n'en avoir pas besoin. Malgré tout, Valma passa rapidement en revue ses réflexes, son équilibre, ses réactions aux stimuli. Elle faisait tout dans un calme de façade, mais ses gestes étaient plus rapides qu'a l'accoutumé.

-Qu'est-ce qui m'arrive ?, demanda Lya, les yeux brillants d'une supplique silencieuse. Je sais que vous savez quelque chose. Vous refusez simplement de me le dire.

Valma détourna le regard, une ombre passant sur son visage.

-Pour l'instant, l'ignorance reste ta meilleure protection, répondit-elle à voix basse.

Le cœur de Lya bondit. Elle sentit un éclair de rage mélé de panique, l'envahir.

-Arrêtez de me répéter ça !, cria-t-elle, sa voix éraillée trahissant l'ampleur de son désarroi. Je n'en peux plus de ces mensonges ! Pourquoi vous et le directeur vous acharnez à tout nous cacher ? Comment voulez-vous que je vous fasse encore confiance ?

-Lya, je ne suis pas ton ennemie, murmura Valma en posant une main hésitante sur son épaule.

Mais Lya la repoussa d'un geste brusque.

-Alors qui sont-ils ?!, hurla-t-elle, les yeux brillants d'un feu nouveau.

Quelque chose venait de se fissurer. La pièce vibrait. Une énergie sourde, inexplicable, pulsait doucement autour d'elle. La rage de Lya n'était plus une simple émotion ; c'était une onde, une force.

Valma blêmit. Elle recula d'un pas malgré elle.

-Contrôle-toi, ordonna-t-elle, d'un ton sec mais inquiet.

-Me contrôler pour quoi ?, lança Lya, d'une voix glaciale. Peut-être que je devrais arrêter de vous écouter. Vous ne croyez pas ?

Un changement imperceptible s'opéra. Sa posture se redressa. Son regard, si souvent doux et incertain, devint acéré. Un sourire naquit sur ses lèvres, mais pas un sourire joyeux. Un sourire dangereux, désaccordé.

Valma recula encore. Un frisson lui parcourut l'échine.

-C'est pire que ce que nous craignions, murmura-t-elle pour elle-même, les mains moites.

Elle se détourna, luttant intérieurement pour garder son calme, pour ne pas céder à la peur. Ses pas résonnaient contre le sol froid, trahissant son agitation.

Mais Lya ne la lâchait pas du regard, tandis que sa professeur faisait les cents pas.

-Répondez-moi !, hurla-t-elle, et sa voix fusa dans la chambre comme une lame de cristal. Regardez-moi !

Dans ce cri, il n'y avait pas que de la colère. Il y avait un appel. Un vertige. Quelque chose de plus vaste, que personne ne comprenait encore... pas même elle.

Valma s'immobilisa brusquement, figée comme une statue, l'ombre d'une pensée grave traversant son regard. Puis, dans un mouvement soudain, presque désespéré, elle se retourna et saisit les épaules de Lya avec une force inhabituelle.

-J'ai fait tout ce que je pouvais !, lâcha-t-elle d'une voix à la fois ferme et vacillante, ses doigts crispés sur le tissu de la tunique de Lya. J'ai suivi les directives. Mais ça ne marche pas, tu vois bien que ça ne marche pas !

Une lumière froide de la nuit filtrait à travers les lourds rideaux de la chambre, dessinant des lignes pâles sur le sol. 

-Pourquoi crois-tu que je t'ai demandé de devenir mon assistante ? Tu penses vraiment que c'était pour te punir ?

Lya, les yeux écarquillés, restait figée, haletante, comme prise dans une tempête invisible.

-Je voulais t'entraîner. Te garder à portée. Te protéger des regards... mais le directeur me l'a interdit, murmura Valma, la voix brisée. Et maintenant... nous sommes là.

Les mots résonnaient dans la pièce comme des aveux lancés au bord d'un gouffre.

-Je ne comprends rien à ce que vous dites !, répliqua Lya, frustrée, la gorge serrée. Soyez plus claire !

Valma ferma brièvement les yeux, luttant contre quelque chose en elle-même. Lorsqu'elle les rouvrit, une détermination farouche y brillait.

-La théorie de Talford, dit-elle, c'est que vous devez en savoir le moins possible. Il pense que l'ignorance est votre seul bouclier. Que si vous ne comprenez pas vos dons, vous ne deviendrez pas une menace.

-Et vous ?, demanda Lya dans un souffle. Qu'est-ce que vous croyez, vous ?

Valma hésita. Une longue seconde. Puis :

-Moi, je crois que connaître, même partiellement, peut sauver. Je crois que si tu restes aveugle trop longtemps... tu n'auras plus jamais le contrôle. Et crois-moi, Lya... quelque chose approche. Quelque chose que même nous ne comprenons pas encore. Ce n'est plus une question de "si", mais de "quand".

Elle s'approcha, plus calme, mais plus grave encore.

-Écoute-moi attentivement. Je vais t'entraîner. En secret. Personne ne doit savoir. Pas même tes amis. Si quelqu'un découvre ce que tu es capable de faire... nous risquons gros.

Lya fronça les sourcils, la mâchoire tendue.

-M'entraîner... à la magie de combat ?

Valma acquiesça lentement.

-Oui. Mais pas seulement. Je vais t'apprendre à canaliser ton énergie, à reconnaître les voix qui t'envahissent... à ne pas sombrer. Car si tu échoues... ils te détruiront.

-"Ils" ?, murmura Lya. Qui ça ?

Un silence oppressant s'installa. Puis, dans un souffle à peine audible, Valma lâcha :

-Le Pouvoir Central. Ils ont peur de vous trois. Une peur que je n'ai jamais vue chez eux. Jusqu'ici, Talford les a bernés. Mais s'ils devinent ce que tu es vraiment...

Elle s'interrompit, le regard troublé.

-...ils t'effaceront. Comme les autres avant toi.

Les poings de Lya se serrèrent malgré elle. Une tension nouvelle vibrait dans tout son être. Ses pensées étaient un labyrinthe, un enchevêtrement d'émotions, de colère et d'incompréhension.

-Je n'ai rien pour te prouver ma bonne foi, finit par lâcher Valma avec une sincérité nue, presque douloureuse. Mais tu dois me croire. Tu n'as plus beaucoup de temps.

Les yeux de Lya fixaient les siens. Quelque chose bouillait sous sa peau, entre la peur et la révélation. Un frisson la parcourut. Était-elle en train de glisser dans quelque chose qu'elle ne pourrait plus jamais quitter ?

Mais avant qu'elle ne puisse répondre, la porte s'ouvrit à la volée, dans un courant d'air sec et froid.

-La réception a déjà commencé..., annonça madame Betch en entrant, son regard anxieux balayant la scène.

Valma ne bougea pas tout de suite. Ses mains toujours posées sur les épaules de Lya, elle la fixait intensément. Un dernier message muet. Un appel silencieux : Crois en moi.

-Tout va bien ?, demanda la professeur de magie de construction, la voix teintée d'inquiétude.

Valma relâcha lentement Lya, comme si elle déposait quelque chose de précieux qu'elle n'était plus certaine de pouvoir protéger.

-Oui, répondit-elle après un court silence, retrouvant son calme de façade. Nous allions justement vous rejoindre.

Mais dans le fond de ses yeux, l'angoisse restait tapie. 

 

*****

 

La soirée se déroulait dans une autre section du château, précisément dans un vaste salon à la décoration raffinée. Loin du faste officiel de la salle de réception du matin, ce lieu dégageait une ambiance plus feutrée et confidentielle. Les murs étaient couverts de riches tapisseries où se perdaient des scènes mythologiques. De hauts rideaux de velours rouge tamisaient la lumière dorée des lustres anciens, et une douce chaleur émanait d'une grande cheminée de marbre noir, atténuant un peu la morsure du froid extérieur.

Tous les élèves et professeurs s'y retrouvaient, se mêlant à d'autres convives importants, dans une valse de conversations et d'éclats de rire polis. On entendait le cliquetis régulier des verres entrechoqués, le bruissement des tissus élégants, et au fond, une musique d'ambiance légère, un swing discret qui flottait comme une caresse, insufflant un semblant de légèreté à l'atmosphère guindée.

Valma essaya de retenir Lya, sa main s'attardant sur son poignet, mais la jeune fille esquiva habilement et profita de la foule compacte pour s'éclipser. Ses pas l'emmenèrent droit vers son groupe d'amis, dissimulant derrière un sourire vif, le tumulte qui grondait en elle.

-Lya !, s'exclama Emrys en l'apercevant. 

Son visage s'éclaira d'un soulagement sincère. 

-Tu vas mieux ?

-Oui, je vais très bien, répondit-elle avec un entrain forcé, attrapant d'un geste vif une coupe de champagne sur un plateau argenté. 

Amanda, qui la scrutait avec une inquiétude silencieuse, se rapprocha.

-Je ne pense pas que tu devrais boire..., murmura-t-elle, douce mais ferme.

-Et moi, j'ai envie de m'amuser !, lança Lya avec une énergie nerveuse en portant le verre à ses lèvres, ses yeux brillants d'un éclat trouble.

-Tu es sûre que ça va ?, intervint prudemment Nata, hésitant.

Lya le fusilla du regard.

-Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi ? Ce soir, c'est la fête, non ?

-J'aime bien te voir comme ça, princesse !, lança Matt avec un clin d'œil et un sourire narquois, 

Il leva son verre pour trinquer avec elle, avant de reprendre.

-Venez, dit-il en pointant un groupe plus loin. Je crois qu'Anita et les autres font un jeu là-bas !

Un peu plus loin, dans un coin isolé du salon dissimulé par des paravents dorés, un cercle de fauteuils cossus accueillait une bande d'élèves plongés dans un éclat de rires. Les coussins de velours, les tables basses en bois sombre, les chandelles crépitantes : tout rappelait un salon privé, comme un cocon où les apparences pouvaient tomber.

Lya s'approcha, le regard curieux, s'immisçant dans le cercle.

-Qu'est-ce que vous faites ?

-Oh, la blessée est de retour !, s'exclama Anita, en lui ouvrant les bras pour une accolade joyeuse.

Lya se laissa brièvement enlacer.

-On joue à Action ou Vérité, chuchota Émilie, blottie dans son fauteuil, ses joues roses de gêne.

-On peut participer ?, demanda Matt, les yeux pétillants, balayant le groupe du regard.

Nathalie soupira et leva ostensiblement les yeux au ciel, mais personne ne releva. Le cercle s'élargit sans tarder, les rires reprirent.

-Où en étions-nous ?, demanda Cassidy, un élève de magie de combat, en reprenant les rênes du jeu.

-Honneur aux nouveaux !, lança Nathalie, un sourire mielleux accroché aux lèvres. Tiens, Lya. Action ou Vérité ?

-Vérité, répondit la blondinette, le menton légèrement relevé, le regard dur.

-Qu'est-ce que ça fait de devenir folle ?, gloussa Nathalie. Ou bien tu fais juste semblant en te roulant par terre pour qu'on s'occupe de toi ?

Un silence gênant tomba. Les regards glissèrent entre eux, incertains. Certains rirent jaune, d'autres détournèrent les yeux.

-Nath..., tenta Anita, embarrassée.

Mais Lya ne flancha pas. Un sourire ironique s'épanouit lentement sur ses lèvres.

-Pas de problème !, dit-elle, en haussant les épaules. C'est très instructif de devenir folle. On y découvre le vrai visage des gens. 

Elle marqua une pause, balaya la salle du regard, et ajouta : 

-À moi de poser une question, non ?

Elle désigna Celian sans ciller.

-Vérité, répondit-il d'un ton prudent.

-Est-ce que tu as conscience d'être la roue de secours de ta petite amie Nathalie ?, lança Lya, avec une douceur venimeuse.

Un frisson parcourut le cercle. Certains étouffèrent un rire nerveux. D'autres se figèrent, sidérés. Même Archi, d'ordinaire discret, esquissa un sourire surpris.

-Je ne suis pas une roue de secours !, réagit Celian, les joues rouges.

-À moi maintenant !, cracha Nathalie, les traits crispés.

-Euh... non, c'est à Celian de poser la question, glissa timidement Émilie.

Le regard de Nathalie se durcit, acéré comme un rasoir.

-C'est mon petit ami ! Il peut me céder son tour, siffla-t-elle. Lya, question : qu'est-ce que ça fait de grandir dans un orphelinat en sachant qu'on est destiné à n'être personne toute sa vie ?

D'un coup, même la musique semblait s'être tue, comme en suspens.

-Je n'ai même plus le droit de choisir Action ou Vérité ?, plaisanta Lya, un sourire crispé au bord des lèvres.

-Ça suffit maintenant, Nathalie !, s'emporta Amanda, les yeux lançant des éclairs. Arrête de t'acharner sur elle !

- Oh, regarde... Madame "Je-sais-tout" sort de sa cage. Tu ne te lasses jamais de lui lécher les bottes ?, ricana Nathalie avec un venin tranquille.

-Calmez-vous, tonna Emrys, en se redressant. 

Sa voix coupa net la tension. 

-Et toi, Nathalie, surveille tes paroles.

Lya, immobile, scrutait son ennemie. Un immense rictus fendit son visage. Elle tenait sa revanche, et ça se voyait.

Pourtant, l'autre vacillait, mais ne tomberait pas sans combattre.

-Très bien. Alors Matt : Action ou Vérité ?, lança Nathalie d'une voix douce mais cruelle.

Matt haussa un sourcil, l'air détaché.

-Vérité.

Nathalie afficha un sourire carnassier.

-Comment tu as fait pour te taper le professeur Obscuda ?

Le choc fut immédiat. L'ambiance se déchira comme un tissu trop tendu. Tous les visages se tournèrent vers Matt. Certains restèrent bouche bée, tandis que d'autres s'étouffèrent dans un souffle de stupeur.

Matt, lui, tourna lentement la tête vers Amanda.

Elle était figée, les yeux grands ouverts, livide. Elle déglutit difficilement, puis, sans un mot, se leva, vacillante, et quitta le cercle en titubant presque.

-Amanda !, cria Matt, bondissant à sa suite.

Il disparut à son tour.

Personne ne bougeait.

-Super soirée..., murmura Anita, l'air désemparé.

 

*****

 

Amanda cavalait à perdre haleine dans les couloirs glacés du château, ses pas résonnant comme des coups de canon sur les dalles de pierre. Les murs semblaient se refermer sur elle, les torches vacillantes dessinant des ombres monstrueuses sur son passage. Le tissu de sa veste s'accrochait aux coins des murs, et ses cheveux collaient à son front trempé de sueur. Elle ne voyait plus rien, que des reflets distordus de douleur et d'humiliation. 

- Amanda ! 

La voix de Matt résonnait derrière elle, de plus en plus proche, déchirante.

- Amanda, attends !

Mais elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas. Ce qu'elle venait d'entendre... ce que tout le monde venait d'entendre,  était une gifle insoutenable. La trahison avait un goût de fer dans sa bouche. Sa gorge se serrait au point de l'étouffer.

Soudain, au détour d'un couloir, elle se retrouva face à un mur. Un cul-de-sac. 

Elle plaqua son front contre la pierre froide, ses doigts s'agrippant à des moulures décoratives, comme si s'y accrocher pouvait la sauver du naufrage. Ses épaules se soulevaient de manière irrégulière, secouées par des sanglots silencieux.

-Amanda, je t'en supplie, écoute-moi !, haleta Matt en la rejoignant. 

Il tendit une main vers elle, mais elle se contracta aussitôt, se cramponnant à la paroi comme si sa vie en dépendait. Elle refusait de se retourner.

-Je sais que j'aurais dû t'en parler... Mais c'était bien avant toi ! Je t'en prie, dis quelque chose !

La jeune fille secoua la tête, les dents serrées, incapable de formuler ses pensées tant elles la noyaient. Son souffle était saccadé.

-C'est... c'est inimaginable, murmura-t-elle enfin d'une voix brisée, presque étranglée. 

Son corps entier tremblait.

Matt s'approcha doucement, la main hésitante, comme s'il craignait qu'elle se brise en mille morceaux s'il la touchait.

-Ce n'est arrivé qu'une seule fois... Une seule ! C'était une erreur, Amanda. Une énorme erreur. C'est fini. Je te le jure sur tout ce que j'ai !

Elle se retourna lentement, comme arrachée à un gouffre. Et enfin, il vit son visage.

Ses yeux ruisselaient de larmes, mais ce n'était pas seulement de la tristesse : c'était une douleur profonde, une souffrance viscérale. Son visage, rougi, gonflé, était celui de quelqu'un que l'on avait brisée.

Elle le fixa, et dans un souffle glacé, la vérité tomba comme un couperet.

- Le problème n'est pas là, Matt... 

Elle déglutit difficilement. 

-Valma... Valma, c'est ma sœur.

Le silence qui suivit fut pire que des cris. Matt recula d'un pas, comme frappé en plein ventre.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
M.A.Frogerais
Posté le 14/07/2025
je trouve qu'on passe un peu vite de la lya dans le coltar a la lya en colere, comme si quelqu'un avait prit le controle. on devrais avoir quelque indice suplementaire: elle regarde la porte quant il parle du seigneur ou une tention pendant les exercice. mais autrement, c'est un super chapitre, plein de revelation et d'emotion
DSWritter
Posté le 15/07/2025
Justement, c'était pour montrer que Lya est de plus en plus instable. Elle passe d'un état à un autre sans pouvoir se contrôler justement ^^
M.A.Frogerais
Posté le 15/07/2025
ha bas c'est parfait alors
M.P Lenoir
Posté le 19/05/2025
Je vais commencer par les petites remarques que j'ai pu voir mais globalement, c'était un chapitre de haute qualité !
Dans cette phrase, il manque un espace : " Pourtant, la poignée de la portefinit par tourner sans un bruit. "
Nata est bien un garçon non ? Alors dans cette phrase ça serait plutôt "le " que "la" : "Lya la fusilla du regard."

Ooouwh ! J'avais finalement raison sur le lien de parenté entre Valma et Amanda ! Au final, elles se ressemblent par certains aspects et le fait que Valma ait " engueulé" Amanda lors du test de magie, ça m'a mis un peu la puce à l'oreille sur eux deux. J'espère que tout va s'arranger entre eux aussi bien les deux sœurs que Matt.

Concernant Lya, j'ai vraiment l'impression qu'elle a échoué à l’orphelinat à cause de ce qu'elle pouvait représenter. ou bien car ses parents ont été tués par le PC. Une chose est sûre, on a voulu l'écarter de ce monde.
Les voix qui prennent peu à peu le contrôle, c'est comme ci les anciennes personnes qui étaient comme elles, tentaient de la faire basculer vers les ténèbres avant que le PC ne la tue comme tous les autres. Parfois, on a besoin des ténèbres pour remettre de l'ordre dans un système.

J'aime la tournure que tout cela prend ! C'est vraiment un bel univers que tu as créé. Je vais lire de ce pas la suite. :)
DSWritter
Posté le 20/05/2025
Merci pour tes corrections que je modifie de ce pas !

Effectivement, tu avais vu juste ! J'avais laissé plusieurs indices sur leur relation, comme le fait qu'au tout début, Valma connaisse le prénom d'Amanda mais pas des autres élèves, etc.

Ce que tu avances est très intéressant et j'aimerais vraiment pouvoir en parler avec toi, mais je ne veux pas spoiler x). Alors je garde tes réflexions dans un coin de ma tête et on en reparlera à la fin de l'histoire, si tu es toujours là !
M.P Lenoir
Posté le 20/05/2025
Je t'en prie. Cela sert à ça d'être sur Plume d'Argent. Et j'ai pu découvrir un très bon univers ! Je serais toujours là à la fin, ça, il n'y a pas de doute. J'ai tellement hâte de voir ton déroulé.

En tout cas, j'apprécie l'entraide qu'il peut y avoir entre nous. C'est vraiment agréable d'avoir ton soutien.

LogistiX
Posté le 17/05/2025
Oh, la révélation ! Je comprends bien mieux la nécessité de cette scène entre Valma et Matt qui m'avait semblé tellement hors de propos !

Sur ce chapitre j'ai vraiment trouvé ta gestion du point de vue plus fluide. Tu passes de point de vue en point de vue beaucoup plus efficacement.

Merci pour le partage,
LX
DSWritter
Posté le 19/05/2025
Héhéhé, je suis contente de l'effet !

Merci, ça me fait plaisir, car j'ai essayé de prendre en compte tes critiques.
Vous lisez