La lumière du jour qui transperçait les rideaux réveilla en douceur le jeune magérien. Les premières minutes de son retour à la réalité était un pur bonheur. Thalion savoura ces quelques instants sans avoir besoin de se préparer pour aller en cours, et de pouvoir traîner au lit le temps d’émerger. Le souvenir d’une douceur amère venu bercer sa nuit persistait dans sa tête. En se remémorant ses paroles, il se mit à ricaner. Être fort et aimer de tous ? Ah, petit Thalion, si tu savais…
L’image de sa mère suivie de celle de son père se figea dans son esprit. L’amour qui les liait était incommensurable. Thalion n’avait jamais vu deux personnes s’aimer autant. Ces moments rares et précieux lui manquaient. Son cœur se serra. Il se demanda ce que ses parents penseraient de sa situation. De son signe. Comment auraient-ils réagi ?
Penser à eux lui rappelait le trou qui logeait désormais dans son cœur. Il n’aimait pas cette douleur, celle qui lui compressait la poitrine et lui donnait l’impression d’étouffer. Thalion se redressa en jetant un coup d’œil à son réveil. S’il voulait petit-déjeuner à l’académie avant la fin du service, il devait se dépêcher. En sautant de son lit, il prit conscience du silence autour de lui. Un silence assourdissant, renforcé par le vide qui semblait avoir envahi la chambre. Pas étonnant puisqu’il était le seul occupant. Camille et Nohan rejoignaient leur famille pour Samhain. Son sommeil avait été si profond qu’il ne les avait même pas entendus partir. Thalion balaya du regard la pièce inhabituellement bien rangée. Plus aucun vêtement ne traînait, les armoires avaient été vidées et ses colocataires avaient emporté la plupart de leurs effets personnels. Mais il avait l’impression que quelque chose clochait. Que quelque chose lui manquait sans parvenir à mettre le doigt dessus. Ce n’était pas le désordre et l’agitation quotidienne de la chambre, ni l’absence de ses colocataires. Il avait toujours apprécié le silence et la tranquillité. À moins que ce soit l’absence d’un de ses colocataires en particulier qui le perturbait...
En enfilant son uniforme, son regard se posa sur le lit impeccablement bordé de Nohan. Il n’avait même pas laissé un mot en guise d’au revoir. Thalion s’efforça de ne pas se sentir blessé. Nohan lui adressait à peine la parole, à quoi s’attendait-il ?
Voir la salle à manger d’ordinaire grouillante de monde aussi déserte était troublant, mais agréable. Quelques élèves déjeunaient dans leur coin par-ci par-là, loin de la table isolée où il se trouvait. La douce lumière du soleil qui traversait les carreaux donnait un climat paisible idéal pour les élèves comme lui. Ce calme ambiant contrastait avec l’atmosphère conviviale connue jusque-là. Être seul changeait aussi. En étant toujours entouré de ses amis, c’était devenu assez rare pour être souligné. Néanmoins, la solitude n’avait plus le même goût qu’avant.
Tout en buvant son chocolat chaud, il lut le Divi’news de l’académie qui venait de sortir. Une grande partie du journal portait sur les rumeurs, potins et anecdotes de l’académie. Heureusement, les propos de Camille n’avaient pas été repris. Son duel et les conséquences occupaient toute l’attention. Outre les odes amoureuses à M. Bobignon ou les dernières histoires d’amour entre élèves, une rubrique attira son attention. Elle rendait compte d’un phénomène qui proliférait depuis une dizaine d’années : les fantômes. En général, c’était les âmes des défunts que le dieu de la mort condamnait à déambuler sur terre lorsqu’ils ne méritaient pas la paix sans pour autant mériter d’être châtiés en Enfer. Invisibles comme l’air, ils aimaient semer la pagaille avec les fées pendant Samhain où la frontière entre le monde des morts et celui des vivants était la plus fine. À cause d’eux, Conseil était extrêmement occupé à cette période. Entre réparer les dégâts causés et s’occuper de la source même des troubles, il avait de quoi faire. Cependant, les médiums alertaient sur un phénomène qui proliférait depuis une dizaine d’années : l’accroissement du nombre de fantômes qui n’étaient pas punis, mais erraient sur terre parce que l’accès aux Enfers leur était impossible. En dehors du fait que ça impactait le monde des vivants et interdisait le repos éternel aux morts, ça signifiait que Nékros ne guidait plus les âmes jusqu’en Enfer. Était-il arrivé quelque chose au fidèle serviteur du dieu de la mort ?
Une masse sombre s’assit brusquement à côté de lui, interrompant sa réflexion. Des cheveux roux et un regard pétillant, ce n’était nul autre qu’Eris. Cette dernière ne rentrait pas chez elle car ses parents préféraient qu’elle se concentre sur ses révisions.
— Tu t’es enfin décidé à sortir de ton lit ! C’est pas trop tôt ! Je m’ennuyais toute seule.
— J’ai bien le droit de faire la grasse matinée. Calysse est partie ?
— Oui. Mon autre coloc de chambre reste, mais on n’est pas assez proche pour traîner ensemble. Tant mieux, tu as la chance de m’avoir pour toi toute seule !
— Youhou.
— Surtout, cache bien ta joie ! s’exclama-t-elle, vexée, avant de porter son attention sur le journal. Tiens, le Divi’news est sorti. Il parle de quoi ?
— De fantômes, lui répondit-il en posant le journal sur la table.
— Ah ! Quand on lit ça, on se demande ce que fiche Apocryphos… dit-elle en esquissant un rictus moqueur.
C’était justement ce qui tracassait Thalion. Jamais le dieu de la mort ne serait resté passif en laissant la situation dégénérée à ce point. Son rôle était de veiller au bon équilibre entre le monde des morts et celui des vivants avec Amphéré, déesse de la vie. Tant qu’il y pensait, pourquoi les autres Immortels ne réagissaient pas ? Ça faisait des années qu’ils ne donnaient pas signe de vie. Si Magéra n’attribuait pas leur symbole chaque année, on aurait pu croire qu’ils avaient disparu. Peut-être que les dieux s’étaient lassés des humains, les abandonnant avec un dernier corbeau en guise de cadeau d’adieu…
Eris délaissa le journal pour changer de sujet.
— Bon, sinon, tu veux faire quoi aujourd’hui ?
— Aller à la bibliothèque. Faire mes devoirs, ajouta-t-il alors qu’il comptait également faire des recherches sur la bibliothèque secrète.
— Mais les vacances viennent tout juste de commencer !
— Je veux m’en débarrasser. On a beaucoup de choses à faire, en plus. De gros contrôles arrivent.
— Quel rabat-joie… soupira Eris. On est en vacances, Corvus. Amuse-toi un peu !
— Qu’est-ce que tu racontes ? Je m’amuse comme un petit fou en faisant les devoirs de M. Vandré.
Sa voix dégoulinait d’ironie, et pour cause : M. Vandré leur demandait de travailler des sorts toujours plus compliqués, à son grand désarroi. Après les vacances, ils allaient être évalués sur le sortilège d’invisibilité. Nohan n’était même plus là pour l’aider.
— Viens au moins à l’atelier citrouilles ! insista-t-elle.
Thalion s’apprêtait à protester quand un garçon s’approcha d’eux. Il le reconnaissait. C’était un de ses voisins, également un élève de sa classe. Quel était son nom ? Laurélien ? Il ne s’en souvenait plus. Le garçon était plutôt frêle et portait de grosses lunettes qu’il ajustait sans cesse dans un geste mécanique. Lorsque son regard croisa le sien, il se mit à bafouiller.
— Je… Excusez-moi de vous déranger, je… je ne veux pas vous importuner mais heu... l’infirmière elle… elle veut vous voir… Je veux dire… te voir Cor… Corvus !
Il acheva sa phrase dans un soupir de soulagement, comme si transmettre le message lui avait couté un effort considérable. Ravi d’avoir accompli sa mission, il déguerpit. Thalion fronça les sourcils. Pourquoi l’infirmière voulait-elle le voir ? Ça faisait plusieurs jours maintenant que ses blessures s’étaient résorbées. Quoi qu’il en soit, il finit son chocolat chaud et informa son amie qu’il la retrouverait après, avant de partir vers l’infirmerie.
Assis sur l’une des deux chaises, Thalion fixait Madame Delacroix qui se tenait ben droite devant lui.
— J’ai beaucoup échangé à ton sujet avec ton tuteur ces derniers temps. On a exploré plusieurs pistes et cherché des cas similaires au tien, mais personne n’a subi autant de réticences à l’égard de la magie de la part de son corps.
Thalion se retint de soupirer. Il ne s’attendait pas à une découverte miraculeuse, elle n’avait pas besoin de tourner autour du pot pour lui annoncer qu’elle arrêtait de se préoccuper de son cas.
L’infirmière l’avait conduit dans son cabinet, situé juste à côté de l’infirmerie. La pièce était petite, mais optimisée au maximum. De nombreuses étagères murales étaient jonchées de plantes, de pierres et de bocaux étiquetés aux contenus inconnus. Sur les plans de travail collés aux murs se trouvaient des potions en cours de préparation et des reliquats d’ingrédients. L’espace restant était occupé par un bureau où trônait un tas de livres, ainsi qu’une petite armoire dans un coin. Elle devait être enchantée pour contenir plus que permis par sa taille. Thalion en possédait une de ce genre chez lui.
— Pour soigner efficacement un mal, il faut trouver son origine, mais comme on manque d’informations, je vais plutôt m’occuper de tes symptômes pour tâcher de te rendre la vie plus facile.
Le magérien se figea en dévisageant l’infirmière. Elle n’abandonnait pas ? Pourquoi se fatiguait-elle sur un cas désespéré ? Lui-même avait cessé de croire aux sciences magiques et s’était rabattu sur une légende.
Mme Delacroix se leva de sa chaise et se dirigea vers l’armoire. Elle l’ouvrit et s’y enfonça jusqu’à la taille, ce qui confirma ses soupçons sur le caractère magique du meuble. L’objet cherché devait se trouver au fond de la réserve magique. Une fois le but atteint, elle revint s’asseoir. Elle tenait une fiole remplie d’un liquide terreux.
— Je vais te préparer des potions comme celle-ci, reprit-elle en lui donnant celle qu’elle avait en main. Elles seront censées apaiser ton système nerveux pour diminuer tes migraines quand tu utiliseras la magie. Je ne suis pas une scientomage donc je ne tenterai pas de décoction complexe. M. Berry ne me le permet pas non plus. Trouver ce qui est efficace risque de prendre du temps mais si on fait bien les choses, on peut espérer créer un philtre qui te servira de médicament. Par précaution, tu viendras chaque fin de semaine me faire un rapport sur ton état afin que je m’assure que tu ne fais pas de mauvaises réactions.
Thalion esquissa une moue dubitative. Il n’était pas certain que de simples potions préparées par Mme Delacroix changent la donne. Ses doutes devaient se lire sur son visage car la magérienne insista :
— Je comprends que ça te paraisse vain, mais si tu ne tentes rien, ta situation n’évoluera jamais.
Thalion ne pouvait pas la contredire, il pensait la même chose. Convaincue de sa démarche, les yeux de l’infirmière étaient pleins d’espoir. Fondamentalement, Thalion n’avait rien à perdre à accepter : au mieux, ça fonctionnait, au pire, ça échouait. En plus, c’était une solution rationnelle qui impliquait un adulte, tout l’inverse de ses recherches sur la bibliothèque cachée.
Le souvenir de l’herbe desséchée et de ses paumes brûlées assombrit brièvement son regard. Il avait soigné ses cloques grâce à un sort, mais son estomac se nouait à chaque fois qu’il y pensait. Il s’efforça de refouler ses appréhensions. Peu importe les risques, les choses devait changer ou il allait devenir fou.
— Pourquoi mon cas vous obsède tant ? l’interrogea-t-il, méfiant.
— Quand je m’engage, j’aime aller au bout des choses Face à un problème, je ne peux pas m’empêcher de réfléchir à une solution, surtout quand ça engendre des souffrances, conclut-elle en le regardant avec douceur.
Thalion roula des yeux, excédé par sa compassion.
— Quelle gentillesse... Ça en devient suspect, vous savez ?
— Je suis désolée qu’un peu de gentillesse te soit à ce point inhabituelle...
Thalion se retint de grimacer devant son air désolé. Il avait l’horrible impression de faire pitié.
— Je ne vis pas non plus l’horreur sur Terre…
Juste un peu.
— C’est vrai, tes deux amis t’aident à rendre ton quotidien plus paisible.
Son quotidien était-il plus paisible avec eux ? Pas vraiment. Entre les rumeurs, Camille et Roxanne, la présence d’Eris et Nohan avait apporté son lot de péripéties. En revanche, son quotidien était plus supportable. Quand on vivait une situation comme la sienne, être entouré et soutenu, ça n’avait pas de prix.
— T’es-tu réconcilié avec le garçon aux cheveux blonds ? Ne me regarde pas comme ça, se défendit-elle devant son air accusateur, votre querelle n’était pas des plus discrètes…
Thalion croisa les bras sur son torse en serrant la fiole dans sa main. Évidemment, avec leurs cris, toute l’infirmerie avait été aux premières loges du spectacle. L’idée que des inconnus aient assisté à ce qui aurait dû rester privé l’horripilait, surtout si des gens non concernés venaient s’en mêler après.
— Ça ne vous regarde pas, rétorqua-t-il sèchement.
— En parler à quelqu’un peut s’avérer utile…
— Je n’ai pas besoin d’une psy, cracha-t-il avec véhémence.
Devant son ton catégorique, la peine colora le regard ambré de Madame Delacroix. Elle s’apprêtait à répondre quand quelqu’un toqua à la porte. Une de ses collègues entra pour demander son aide à propos d’un élève malade.
— J’arrive, dit-elle avant de se retourner vers lui. Je reviens dans quelques minutes, profites-en pour réfléchir à votre dispute. Ce serait bête de tout gâcher à cause de ta fierté. On ne s’excuse pas toujours parce que l’on reconnaît avoir eu tort de penser ou d’agir d’une certaine façon, mais parce que la relation qu’on entretient avec cette personne est plus importante que son égo.
Sur ces mots, elle quitta le cabinet. Le silence emplit la pièce, laissant Thalion et son orgueil piqué au vif seul. Pourquoi serait-ce à lui de s’excuser ? Il n’avait commis aucune faute ! Les choses avaient dérapé au club, mais tout s’était arrangé. Nohan exagérait en restant fâché aussi longtemps. Quel gnome entêté !
« Tu te rends compte de ce qui pourrait t’arriver si tu es renvoyé ? »
Thalion mordit la lèvre en repensant aux paroles de Nohan. Il pouvait sentir le métal froid de son piercing contre ses dents. En réalité, Thalion devinait pourquoi son ami réagissait de la sorte. Ici, il était sous la responsabilité de l’académie. Elle se portait garante de ses actes et de sa protection, comme Berry en le prenant sous son aile. Si, après le duel, elle avait décidé qu’il était trop dangereux et l’avait expulsé, elle ne le protégerait plus. Au vu du motif de renvoi, ça encouragerait les gens les plus extrêmes à s’en prendre à lui. Berry parviendrait à le protéger d’eux, mais il ne pourrait rien faire contre la majorité du Conseil qui serait en droit de l’arrêter pour usage illégale de magie noire et mise en danger du monde magique. Or, depuis les périodes noires, la loi était devenue impitoyable avec les coupables punis pour ces crimes. Une seule sentence possible : la peine de mort.
Enfant, il craignait de voir la police magique débarquer dans sa chambre pour l’arrêter et le condamner à mort alors qu’il était innocent. Berry était parvenu à apaiser ses peurs, et Thalion avait compris que la police magique n’était pas la plus grande menace. Elle respectait la loi, contrairement aux assassins. La peur de revivre ce cauchemar enlevait toute pitié à certains magériens. Il était arrivé que des individus tentent de pénétrer dans l’enceinte du manoir la nuit. Une fois, Thalion s’était réveillé au moment où les sorts de protection installés par Berry se déclenchaient. Un autre jour, en faisant les courses avec son tuteur, un couteau enchanté pour ne toucher que la cible visée fonça sur lui. Si Berry n’avait pas été aussi réactif en lançant un sort, il serait mort. Les médias avaient sauté sur l’affaire, plutôt pour glorifier l’assassin que pour dénoncer cet acte criminel. Cet épisode l’avait tellement traumatisé qu’il avait refusé de sortir pendant plusieurs semaines. Encore aujourd’hui, il se souvenait clairement du bruit du couteau retombant sur le sol carrelé.
Quand il y pensait, Thalion n’imaginait pas ce qu’il serait devenu si Berry n’avait pas été là pour lui, aussi bien pour le protéger que pour le soutenir moralement. Le conseiller avait toujours été une oreille attentive à son mal-être et l’avait aidé à surmonter chaque période difficile.
Ne supportant plus de rester assis en croisant et décroisant les jambes, Thalion se leva et déambula en examinant tout ce qui lui passait sous les yeux. Explorer le cabinet échoua à détourner ses pensées de Nohan. En somme, il lui reprochait de s’être mis en danger en acceptant le duel. Thalion ne pouvait pas nier les risques, d’autant que l’apparition des voix n’était pas une nouveauté. Il les avait sous-estimés tout autant qu’il s’était surestimé en imaginant pouvoir encaisser une humiliation de plus. Thalion ne regrettait pas ses actes, mais cela l’empêchait-il de s’excuser pour les soucis causés ? Au fond, Madame Delacroix avait raison. Ce serait idiot de perdre l’une des seules personnes qui le supportait à cause de son orgueil.
Thalion se posta devant l’armoire magique. Sa curiosité lui intima de l’ouvrir, mais il renonça à l’écouter. Malgré l’envie de découvrir quelle merveille d’alchimie elle contenait, il n’oserait pas tant d’impolitesse en fouillant. Au même moment, la porte s’ouvrit avant de se refermer aussitôt. Thalion s’attendait à retrouver Madame Delacroix pour terminer leur discussion, mais ce fut un jeune homme à la peau rosée et aux cheveux longs qui se tenait à la place. Ce dernier ne remarqua pas la présence du maudit dans le coin de la pièce car il se rua sur les étagères murales. Sa précipitation suggérait qu’il n’était pas autorisé à entrer. Il ricana en tâtonnant, saisissant des pierres et des herbes pour les fourrer dans poche. Pris de cours, Thalion mit quelques secondes à réagir, mais son arrivée brutale et ses ricanements ne laissaient aucun doute sur ses intentions.
— Il en faut du culot pour piller une infirmerie.
Le garçon se retourna vivement vers l’origine de cette voix. Il blêmit en reconnaissant ce visage percé, et le signe du corbeau accroché sur son uniforme lui confirma l’identité de l’individu.
— C… Corvus ? s’étrangla-t-il en reculant d’un pas.
Thalion croisa les bras sur son torse, le regard dur. Jouer au héros n’était pas dans ses habitudes, mais ces ingrédients servaient à soigner. Potentiellement, à sauver des vies. Il ne permettrait pas un tel préjudice.
— Tu as une minute pour reposer tout ce que tu as pris à sa place, lui ordonna-t-il.
— A… attends ! On recherche la même chose toi et moi, non ?
Thalion fronça les sourcils. Sans lui laisser le temps de répondre, le magérien continua de débiter nerveusement.
— Toi aussi tu veux te faire des sous en revendant les ingrédients ? On fait moite-moite sur le butin, d’accord ? Non, en fait, tu peux prendre ce que tu veux et moi, je prendrai le reste. Promis, je ne te balancerai pas. Je ne veux pas avoir d’ennuis avec t…
— Tu penses que je suis ici pour voler ? gronda-t-il.
Il s’avança vers lui d’un pas menaçant en brandissant sa baguette. Le garçon déglutit, une goutte de sueur dévalant son front.
— Tu… Je… Ce n’est pas pour ça que tu es ici ?
— Ne me mets pas dans le même panier que les voleurs comme toi ! Le temps est écoulé, j’espère que tu as un bon souffle, Makrasfyxia !
Les cheveux longs du magérien s’allongèrent, s’épaissirent et s’enroulèrent autour de son visage, lui bâillonnant la bouche. Au début, ce sort paraît seulement agaçant. Manger ses cheveux n’était jamais agréable. Son vice se révélait quand les cheveux continuaient de prendre de la longueur et que les couches capillaires se multipliaient jusqu’à atteindre son nez. Le garçon tomba à genoux en s’acharnant vainement à retirer ses cheveux. La terreur teinta ses yeux bruns lorsque sa respiration devint laborieuse.
— Ne t’inquiète pas, le sort s’annule quand on perd connaissance. Tu ne vas pas en mourir, déclara-t-il avec un sourire.
Étrangement, ces mots ne suffirent pas à rassurer le voleur qui s’écroula. Les pierres et herbes s’échappèrent de ses poches, s’éparpillant sur le parquet. Thalion l’observa gesticuler au sol comme un asticot. Sa cage thoracique se soulevait rapidement. Bientôt, son rythme ralentirait et son corps se ramollirait jusqu’à ce qu’il fasse une syncope. Avant d’en arriver là, une voix fusa, mettant fin au spectacle.
— Finorxis !
Les cheveux qui enserraient le bas de son visage se relâchèrent, retombant mollement sur le sol, et le magérien qui commençait à tourner de l’œil inspira les plus grandes bouffées d’air de sa vie. Il toussota en se redressant. Son visage livide reprit des couleurs à mesure que sa respiration se fluidifiait.
— Par les dieux, qu’est ce qui t’as pris de faire ça ? s’époumona Madame Delacroix.
Tout en le réprimandant, elle s’agenouilla près du magérien pour l’aider à se remettre du sort. Thalion rangea sa baguette en posant un regard indifférent sur sa victime.
— Je comptais arrêter le sort avant qu’il ne perde connaissance. Je voulais juste lui donner une bonne leçon…
Madame Delacroix se retourna vers lui. La compassion qui se lisait habituellement dans ses yeux avait laissé place à des étincelles de colère. Son expression furieuse creusait les rides de son visage. Thalion se découvrait un don pour mettre en colère les personnes bienveillantes avec lui.
— Quoi qu’il ait fait, tu n’as pas à punir un autre élève de la sorte ! le sermonna-t-elle en venant se planter devant lui, les mains sur les hanches. Ce que tu as fait est dangereux, stupide et imprudent. Je m’attendais à plus d’intelligence de la part de quelqu’un qui est déjà en ligne de mire ! Si tu comptes prouver que tu es une menace à surveiller, tu es sur la bonne voie !
Thalion encaissa les reproches sans broncher. Il n’avait jamais prétendu être un Saint et n’éprouvait aucun remord. Sa méthode était violente, mais au moins, le magérien ne recommencerait pas de sitôt.
Madame Delacroix termina les remontrances en désignant le garçon qui se tenait à l’écart comme s’il cherchait à se faire oublier.
— Excuse-toi auprès de lui.
Thalion la dévisagea comme si elle venait de proférer une énormité. Lui, demander pardon à ce truand ? Il préférait s’excuser sur le champ auprès de Nohan plutôt que de gâcher sa salive pour cet aigrefin.
L’infirmière soupira devant ses lèvres obstinément scellées.
— Tu sais que je suis en contact avec ton tuteur ?
Thalion se figea. Il scruta le visage de Madame Delacroix pour déceler la moindre trace de plaisanterie, mais il se confronta à un sérieux sans faille. Elle demeurait implacable, si bien que Thalion commençait à regretter la douceur qui émanait d’elle plus tôt.
— Vous êtes en train de me faire du chantage, là ? demanda-t-il comme pour s’assurer de ses intentions.
— C’est une simple information que je te donne, se contenta-t-elle de répondre froidement.
Il pesta intérieurement. Utiliser son tuteur pour le forcer à obéir, il n’aurait jamais cru ça d’elle. Mais Thalion n’avait pas envie de revivre un de ces interminables sermons dont Berry avait le secret. Il se tourna vers le jeune homme. Ses yeux ne quittaient pas ses chaussures et il transpirait de peur. Le plus drôle était ses cheveux devenus immensément longs qu’il avait rassemblé en boule sous son bras. Thalion aurait rigolé si l’infirmière ne l’observait pas.
— … Pardon… marmonna-t-il entre ses dents.
Loin d’être rassuré, le magérien parut se liquéfier sur place, comme s’il craignait que ses excuses dissimulaient un autre sort. Malgré le manque de sincérité, Madame Delacroix ne le reprit pas.
— Je préviendrai quand même ton tuteur de ton mauvais comportement. Je n’ai jamais prétendu que je ne le ferai pas, se justifia-t-elle devant son air outré.
Quel coup bas ! Thalion le prenait comme une trahison.
— C’est comme ça que vous remerciez la personne qui a sauvé votre cabinet d’un pillard ?
Madame Delacroix fronça les sourcils en pivotant vers ledit pillard.
— C’est vrai que je ne t’ai pas autorisé à entrer. Comment tu t’appelles ?
— Neil Musain…
Le regard de l’infirmière dériva sur le sol où le butin de Neil était éparpillé. Les preuves étaient accablantes.
— Tu comptais voler les ressources de l’infirmerie ?
— O… oui… Je reconnais tout… Mon pote devait faire diversion… J’accepterai ma punition mais juste, laissez-moi partir, pitié…
Le pauvre ne prenait pas la peine de se défendre. Sa seule envie était de fuir le maudit. Thalion se mordit la joue pour ne pas rire. Lorsque Neil osa lui jeter un coup d’œil, il frôla le malaise en le voyant sourire.
— Comme je me suis occupée de lui, j’ai déjà le nom de ton complice, dit l’infirmière. Je préviendrai vos parents et votre professeur principal pour une punition adaptée. Maintenant, ne revenez plus si vous n’avez pas besoin d’être soignés.
Neil acquiesça vivement et s’empressa de quitter le cabinet.
La pièce plongea dans le silence. Madame Delacroix soupira, et ses doigts pianotèrent dans l’air. Une douce brise naquit, tournoya autour d’eux avant de récupérer pierres et herbes qui jonchaient le parquet. Guidés par le souffle enchanté, les ingrédients retrouvèrent leur place initiale.
Une fois le rangement terminé, la magérienne se laissa tomber sur la chaise.
— Cette année, les élèves sont particulièrement fourbes, constata-t-elle.
— Un corbeau ne peut pas avoir une bonne influence sur son environnement…
Elle le gratifia d’un regard réprobateur.
— N’assume pas le manque d’éducation de certains. Je t’ai déjà dit de te traiter avec plus de considération.
— Quand je me déclarais incurable ? Je ne faisais qu’énoncer un fait.
— Non, tu renonces à espérer.
— Je ne veux plus perdre mon énergie en me berçant d’illusions avec la science magique. Si elle avait été capable de m’aider, je serais guéri depuis longtemps. Ne plus rien attendre d’elle est le meilleur moyen de me préserver, mais je ne m’attends pas à ce que vous compreniez ! s’emporta Thalion.
Madame Delacroix se figea quelques secondes avant que ses épaules ne s’affaissent. Son regard se perdit dans le vide. Ses yeux ambrés dénués d’éclat rendaient son visage terne. Thalion avait l’impression d’observer une fleur en train de faner. Madame Delacroix esquissa un triste sourire.
— Crois-moi, je comprends ce que tu ressens.
Elle remonta la manche de sa blouse. Le visage de Thalion se décomposa lorsqu’il comprit.
— La Gorgose… Je suis désolé, souffla-t-il, sincèrement navré.
Thalion contempla avec tristesse les plaques grises de la taille son pouce qui tâchaient sa peau. La Gorgose était une maladie apparue il y a quelques siècles. Les expériences d’un corbeau en seraient à l’origine. Aucun remède viable existait à ce jour. Les victimes voyaient leur corps progressivement transformé en pierre. Le cerveau et les organes vitaux étaient les dernières parties atteintes, provoquant une cruelle agonie du malade qui finissait par attendre la mort dans une carcasse en pierre.
— Pour l’instant, la maladie est stagnante et ne m’empêche pas de vivre normalement, expliqua-t-elle en rabaissant sa manche. Mais un jour, ça changera, et on ne pourra rien y faire…
Thalion se sentait minable. La souffrance de son mal inconnu était réelle mais en rien comparable avec celle de Madame Delacroix. Dans l’immédiat, il ne risquait pas d’en mourir, contrairement à elle. Quelque part, ils se ressemblaient. Tous les deux avaient une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Lui avec sa malédiction, et elle avec la Gorgose. Leurs vies pouvaient basculer d’un instant à l’autre.
— Ça ne m’empêche pas d’espérer que la science magique trouve un remède avant que je n’en succombe, poursuivit-elle. Les recherches des scientomages avancent chaque jour et parviendront peut-être à un résultat concluant. Ma fille compte aussi travailler dans le domaine médical pour lutter contre la Gorgose. Elle est très douée alors j’ai bon espoir.
Elle ponctua sa phrase d’un rire. Thalion en avait l’estomac retourné. Ses jours étaient comptés, les chances de guérir étaient minces et elle laisserait derrière elle sa fille, mais elle consacrait le temps qu’il lui restait aux malades.
— Soigner les autres me soulagent, lui confia-t-elle. Je sais ce que ça fait d’être condamné par les médecins et de perdre espoir en sa guérison. Je veux faire en sorte que personne ne ressente la même chose.
Thalion observa la fiole qu’il détenait toujours dans sa main. Il comprenait mieux son insistance pour le soigner. Elle était comme Nohan. En aidant, ils s’aidaient eux même. Ça ne dérangeait pas Thalion d’être ainsi utilisé. De cette façon, il avait l’impression que sa présence était utile, qu’elle n’apportait pas que des problèmes.
— C’est d’accord. Je boirai vos potions tant qu’elles ne m’impactent pas négativement, concéda-t-il.
Un sourire s’épanouit sur le visage de Madame Delacroix.
— Je suis heureuse de t’entendre dire ça. Je ferai en sorte que notre collaboration te soit bénéfique. Je vais pouvoir te laisser vaquer à tes occupations. N’oublie pas de boire la potion chaque jour et de venir me faire un rapport.
Les problèmes que j'ai relevés.
Trop lourd :
Cette dernière ne rentrait pas chez elle car ses parents préféraient qu’elle soit uniquement concentrée sur ses révisions. -- Cette dernière ne rentrait pas chez elle, ses parents préféraient qu’elle se concentre sur ses révisions.
Répétition :
— Bon, sinon, tu "comptais" (tu veux) (tu penses) faire quoi aujourd’hui ?
— Aller à la bibliothèque. Faire mes devoirs, ajouta-t-il alors qu’il "comptait" également faire des recherches sur la bibliothèque secrète.
votre "dispute" (querelle?) n’était pas vraiment des plus discrètes…
Thalion croisa les bras sur son torse en serrant la fiole dans sa main. Évidemment, vu comment ils avaient crié lors de leur "dispute",
Temps :
tu viendras me faire un rapport sur les effets que tu "as" (tu auras) observé, ou leur absence également.
Mot manquant :
Il n’était "pas" certain que celles préparés par Mme Delacroix changent la donne.
qu’il savait parfaitement comment gérer la situation, "mis" (mais) ce serait mentir.
Bon courage !
Contente de voir que l'histoire continue de te plaire !
Merci de prendre le temps de relever les fautes pour que je les corrige ! Je vais corriger tout ça.
Merci !
Voici donc la période du Samhain, qui correspond un peu à notre Halloween si j'en juge par l'atelier citrouilles, l'apparition des fantômes et les rumeurs surprenantes concernant l'Ankou et le dieu de la mort. J'aime beaucoup l'univers que tu développes autour de cette histoire, même si parfois tu te rapproches bcp de HP, il y a aussi de chouettes idées originales et je suis certain qu'une fois le récit terminé, ce monde aura vraiment de beaux arguments à défendre.
En attendant, Thalion devient un cobaye scientomagique et prend des cours de relations sociales pour débutants. Hâte de voir ce qu'il va découvrir sur cette histoire d'Ankou et de bibliothèque secrète.
D'ailleurs au passage, j'aime beaucoup le nom d'Apocryphos pour le dieu de la mort, c'est une référence à D-Gray Man ou tu as inventé ce nom par toi-même ? :)
Au plaisir,
Ori'
C'est exactement ça, c'est l'équivalent de Halloween.
Merci beaucoup ! Je fais de mon mieux pour développer mon univers et de sortir de mon influence HP !
Ah je ne savais pas du tout que ça existait x) Moi qui pensais être la première à inventer ce mot ! Enfin bon, j'aime beaucoup aussi ce nom ^^
« Youhou ». Non mais elle est fabuleuse cette réponse de Thalion xD
Oh ? Va-t-on rencontrer le serviteur de la mort ? Voir le dieu de la mort en personne ? Je suis absolument enthousiaste à cette idée !
J'espère aussi que les expériences de l'infirmière se révéleront payante et qu'on va enfin découvrir quel est le véritable problème !
Et sinon, je partirais bien à l'atelier citrouille avec Eris !
Du Thalion tout craché, on peut le dire xD
Ah ça, tu verras bien par la suite ce qu'il en est ;)
Je pense qu'on a tous envie de faire l'activité avec elle !
Merci beaucoup de toujours prendre le temps pour laisser un commentaire !
Non à part ça j’espère que quand il reverra Nohan il saura s’excuser mais en attendant il est avec Éris ! Qu’il profite !
J’aime beaucoup ce que l’infirmière a dit à propos de s’excuser. Chapeau bas !
Mais oui, c’est les vacances, il faut bien qu’il en profite un peu !
Merci beaucoup pour tes retours ! J’espère que la suite de l’histoire continuera de te plaire :)
Aprés je trouve sympa que Thalion apprenne les relations sociales comme si il venait de naitre. Il en a bien besoin. Merci l'infirmière une adulte sur qui il peut compter à priori!!
Quelques coquilles : ne sont pas nocif------ nocifs
tu as écris insocial, j'imagine que tu voulais écrire asocial
voilou à bientot
Merci beaucoup pour les corrections, je vais modifier ça, à bientôt !
et c'est vrai que je n'ai pas relu le début pour voir si j'avais loupé une info. Je vais relire les premiers chapitres du coup!
J'ai ompletement omis cette info sorry.
J'ai lu ton histoire en me disant quel mystere plane autour de l'absence de ses parents et je m'imaginais qu'ils puissent réapparaitre dans l'histoire.. Faut pas que je m'attende à ca du coup à moins que des fantomes passent par là..... hihi
Sinon c'est surprenant que ses amis ( et les professeurs ) l'appelle "Corvus" ( surnom assez négatif ) et pas par son vrai nom.
Quelques coquillettes :
"Être forte et aimer " -> fort et aimé
"se sentir blesser" -> blessé
Bon courage pour la suite ! ( très attendue )
Mais les choses changeront à un moment donné ;)
Ah merci pour les fautes, je les corrigerai dès que possible !
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Savoir que la suite est ainsi attendue me fait très plaisir ! ^^
Qu'il est sérieux ce Thalion! quel rabat joie.
L'infirmière qui s'improvise psy... enfin les psy ça vous laisse parler et ne vous donne aucun conseil en vrai, il est là pour que vous trouviez vous-même le problème et sa solution...
Sinon, le décors a re-disparu, les personnages sont immobiles et se téléportent... ça va trop vite à lire comme ça. XD
Bon, moi je veux aller à l'atelier citrouille, car ça a l'ai plus fun que les états d'âme de Thalion.
Bon, ben maintenant faut attendre une semaine pour avoir la suite. :'(
Mince, je vais retravailler les descriptions dans ce cas !
Merci beaucoup pour ton commentaire ! Comme toujours j'espère que la suite te plaira :) (une semaine ça passe vite promis !)