Finalement, les vacances avec Eris avaient été bien plus agréables qu’escompté.
Thalion ne comptait plus le nombre d’atelier citrouilles auxquels il avait participé parce que la magérienne adorait faire ça. Ou bien le nombre incalculable de gâteaux d’âme qu’ils avaient préparés en l’honneur des défunts. Les responsables des activités n’en pouvaient plus d’eux. Ils étaient au bord de l’évanouissement à chaque fois qu’ils les voyaient arriver. C’était hilarant. Rien que pour ça, Thalion se laissait volontiers entraîner par Eris. En même temps, les deux magériens avaient du mal à rester sage pendant plusieurs heures. Un moment ou un autre, l’un d’eux finissait par lancer de la farine au visage ou par balafrer la citrouille de l’autre. Étant donné leur tempérament, il était rare qu’aucune riposte ne soit faite, ce qui aboutissait à l’équivalent d’une troisième guerre mondiale.
Ils avaient également passé beaucoup de temps à la bibliothèque pour travailler. La magérienne rechignait au début, mais son sérieux l’avait très vite rattrapée, si bien qu’à la fin, c’était elle qui le sommait d’y retourner. Ils avaient aussi poursuivi les entraînements de magie rouge, mais Eris avait refusé de multiplier les séances à sa demande, prétextant qu’il ne devait pas se surmener. Sachant que chaque session était ralentie par les dizaines de pauses, à ce rythme, il ne risquait pas de s’évanouir de nouveau.
Thalion ne lui avait pas encore parlé de ses recherches sur la bibliothèque secrète. Pour l’instant, il voulait voir ce qu’il trouvait seul. Après tout, c’était sa quête personnelle, mais Thalion savait que ses amis le prendraient mal d’être tenu à l’écart.
Avec tout ça, les vacances étaient passées à une vitesse fulgurante. Les cours reprenaient déjà demain. Quelle tristesse ! Mais Thalion avait rarement passé un Samhain aussi agréable. Du moins, plus depuis la mort de ses parents.
Une vague de mélancolie le submergea. Son regard se posa sur les citrouilles défigurées et les bougies allumées qui décoraient désormais la chambre. Son cœur se serra en se remémorant les soirées Samhain qu’ils avaient passé ensemble, et l’ombre d’un sourire se dessina sur ses lèvres. Il ne se souvenait de rien d’autres que des rires et de l’ambiance chaleureuse durant ces jours-là.
Son sourire s’évanouit. Voilà pourquoi les précédents Samhains avaient été déprimants. Il ne pouvait pas s’empêcher de penser à eux. De se rappeler à quel point sa vie n’était plus la même depuis leur départ. Que leur absence avait laissé un vide qu’il ne parvenait pas à combler. On disait que la douleur s’atténuait avec le temps. C’était faux. Les années passaient, mais Thalion avait toujours envie de s’arracher le cœur pour ne plus ressentir cette souffrance.
Ses parents avaient été assassinés, Thalion en était certain, mais la police magique avait émis des doutes. Il n’y aurait eu aucune trace de lutte dans la maison, seulement d’importants résidus magiques. Les experts peinaient à se prononcer sur leurs origines. Était-ce les résidus d’un enchantement runique ou d’un sortilège lancé contre eux ? Dans le premier cas, ses parents seraient morts à cause d’eux-mêmes avec un rituel qui aurait mal tourné, mais dans le second cas, ce serait l’œuvre d’un assassin. Thalion était persuadé qu’un tueur était responsable de leur mort. Un tueur suffisamment fort pour vaincre ses parents et effacer les traces de son passage. Si l’affaire avait finalement été classé sans suite, faute de preuve, Thalion restait déterminé à trouver le coupable quand il serait assez puissant pour l’affronter et lui faire payer.
C’était Berry qui, en venant après un appel de leur part dans la journée, avait retrouvé le cadavre de ses parents dans le salon. Son tuteur ne lui avait jamais raconté en détail la scène, et Thalion n’avait jamais insisté devant la mine sombre qu’il affichait chaque fois que le sujet était abordé. Tout ce qu’il savait, c’est que lui se trouvait dans son lit, dormant paisiblement. À chaque fois qu’il y pensait, il se maudissait de ne pas s’être réveillé pour leur porter secours, même s’il n’aurait pas été d’une grande aide à cet âge-là.
Une fois de plus, ses souvenirs venaient le hanter comme des fantômes du passé qu’il ne parvenait pas à chasser. Thalion prit un des gâteaux d’âme dans l’assiette posée sur sa table de nuit. Assis sur le lit, son regard glissa sur la fenêtre. Le ciel étoilé était complètement dégagé, offrant une occasion parfaite pour l’observer avec un étoiloscope. Le magérien reporta son attention sur le livre disposé sur ses genoux. Nohan le lui avait conseillé avant leur dispute. D’après la lueur dans ses yeux lorsqu’il en parlait, c’était son roman préféré.
Quelqu’un toqua, interrompant sa lecture. Il fronça les sourcils. Le bruit ne venait pas de la porte. Le son se reproduisit, et Thalion réalisa qu’il provenait de la fenêtre. Quand il l’ouvrit, Eris se tenait devant lui, assise sur son balai.
— Qu’est-ce que tu fous là ? Il y a un couvre-feu, je te signale ! la réprimanda-t-il en vérifiant que personne n’assistait à leur échange.
— Relax, les dortoirs sont pratiquement vides, ma coloc me couvre et aucun surveillant ne patrouille dans le coin. Tout le monde est occupé à célébrer Samhain ! C’est l’occasion parfaite pour aller faire un tour, tu ne crois pas ?
— Tu es en train de m’inciter à transgresser les règles pour faire une balade à la belle étoile avec toi ? Si tu veux me déclarer ta flamme, tu peux le faire ici. Pas besoin de tous ces trucs romantiques.
Eris leva les yeux au ciel.
— Arrête de raconter des absurdités pareilles. C’est juste cool de dépasser un peu les limites de temps en temps.
— Ouais, rendre visite à Luciphella dans son bureau, c’est tout aussi cool.
— Depuis quand es-tu aussi à cheval sur les règles ? soupira-t-elle, frustrée par son attitude.
— Depuis que je me suis fait pincer les fesses par des picolatons. Tu ne sais pas la douleur que c’est.
Elle se mit à rire en repensant aux difficultés qu’il avait eu à marcher ou à s’assoir les jours suivants sa punition. Même Nohan n’avait pas réussi à cacher son amusement derrière sa mine boudeuse.
— Contourner les règles de temps en temps peut être bénéfique, argua-t-elle. Regarde, le collier d’Espérance, qu’on a fabriqué en toute illégalité, t’est indispensable pour tes entraînements en magie rouge !
Thalion saisit le bijou dissimulé sous la chemise pour contempler la pierre rouge marbré d’or. Il ne pouvait pas nier que sans ce talisman, il n’aurait peut-être pas autant progressé.
— Tu le mets tout le temps, en plus, constata-t-elle avec fierté. D’ailleurs, tu as pensé à l’améliorer ? Si tu me le passes, je pourrais…
— Pas touche à mon collier. Avec tes compétences en alchimie, tu vas le détruire.
— Mais je m’en sors bien en runes ! Je pourrais trouver un enchantement runique…
Thalion dévisagea la magérienne qui s’exaltait déjà à l’idée de perfectionner le pendentif. Son enthousiasme s’estompa en le voyant secouer la tête.
— C’est une bonne idée mais je préfère ne pas y toucher. Je ne sais pas comment le talisman pourrait réagir. Et tu serais capable de lancer un sort qui me rend chauve juste pour me rendre chèvre.
Eris fit mine d’être blessée en soupirant.
— Quelle confiance… Mais soit, c’est toi qui décides.
Thalion laissa retomber le coller qui rebondit sur sa poitrine. Eris s’avança légèrement vers lui, un sourire éblouissant sur les lèvres.
— Allez, l’encouragea-t-elle, viens avec moi, une occasion pareille ne se reproduira pas !
Elle n’avait pas tort. La perspective de se promener sur l’île la nuit était tentante. Loin de toute pollution lumineuse, le ciel devait être magnifique. Et bien que la chambre n’ait jamais paru aussi chaleureuse avec ces décorations, le silence qui régnait était glaçant. Thalion n’avait pas envie d’y rester avec pour seule compagnie ses douloureux souvenirs.
— D’accord, céda-t-il en allant chercher son manteau et ses chaussures.
Il prit également l’écharpe qu’Eris lui avait donné, ce qu’elle ne manqua pas de remarquer.
— Oh, tu mets mon écharpe ? Comme c’est mignon !
— Déjà, c’est la mienne maintenant. Et puis, tu ne me l’as pas donnée en guise de paillasson, n’est-ce pas ? Bon. Zéphire ? On y va !
Il était difficile de distinguer quoi que ce soit à la surface de l’île à cause de l’obscurité. En revanche, le ciel était encore plus beau que prévu. Les étoiles étincelaient comme des diamants. Thalion peinait à décrocher son regard du cosmos, si bien qu’il commençait à avoir mal à la nuque. La silhouette d’Eris se dessinait un peu plus loin devant lui. Elle était tout aussi subjuguée par ce spectacle. Le maudit la rattrapa.
— Tu m’emmènes où ?
— Tu verras bien !
Guidés par la lumière de la lune, ils volèrent ainsi pendant un long moment. Thalion n’était pas rassuré à l’idée de s’éloigner autant de l’académie, mais il lui faisait confiance.
Des bâtisses en pierres commencèrent à se profiler, construites sur des morceaux d’îles volantes. Thalion reconnut enfin l’endroit où ils se trouvaient.
— Le Chemin des temples…
— Exact ! Tu n’as jamais pris le temps d’y faire un tour, pas vrai ?
Effectivement, Thalion n’avait jamais ressenti l’envie de s’y rendre. Au fond, il en avait toujours voulu aux dieux pour ce pari. Un pari que Magéra et Divithrum avait lancé uniquement par intérêt. Un pari dont lui et l’humanité en avait payé le prix. Tout ça, les magériens l’oubliaient en les vénérant pour avoir apporté la magie sur terre. Cette injustice lui restait au travers de la gorge depuis des années.
Elle le conduisit vers un magnifique temple fait de pierre noire. Il avait été bâti sur l’un des plus hauts morceaux d’île flottante. Hormis le caractère imposant de l’édifice qui se rapprochait de celle du Colisée, l’adolescent ne s’attendait pas à ce que la façade soit aussi sobre. Il s’imaginait des colonnes stylisées et des gravures à tout bout de champs, et non pas des murs dénués de décorations et des arcades.
Thalion et Eris se posèrent au sol et pénétrèrent silencieusement dans le sanctuaire. La magérienne murmura une incantation et les torches s’enflammèrent, éclairant le lieu. L’intérieur était tout aussi simple que l’extérieur. L’absence de toit et les grandes arches donnaient l’impression d’être perdu au milieu des étoiles. En observant les quelques statues de marbre et les peintures murales, il devina le dieu célébré.
— Apocryphos, le dieu de la mort, souffla-t-il en s’approchant de l’imposante sculpture au centre de la pièce.
Apocryphos était représenté assis sur son trône. Ses cornes et ses gants le caractérisaient tout particulièrement. Thalion était fasciné par le travail des sculpteurs qui avaient parfaitement su retranscrire l’allure intimidante du dieu. En revanche, son regard inquisiteur et son expression sévère lui donnaient la chair de poule. Ça contrastait avec la grâce qui imprégnait la moindre courbe de son visage. Thalion se demanda si les sculptures rendaient justice à la beauté divine des Immortels, ou si ce n’était qu’une pâle imitation.
— Pourquoi m’amener ici ?
— Je trouve qu’Apocryphos te ressemble, lui expliqua Eris en contemplant la statue à côté de lui.
— Je ne suis pas sûr de bien le prendre.
— Tu devrais. C’est un dieu puissant. L’un des plus puissants, si tu veux mon avis. Sa force est telle qu’il est obligé de porter des gants en poudre d’os pour éviter de tuer tout ce qu’il touche de vivant. Les dieux le rejetaient car ils craignaient son toucher mortel. En dépit du rejet et de l’oppression qu’il subissait, il ne s’est pas démonté. Apocryphos est devenu encore plus puissant jusqu’à parvenir à se faire accepter.
En effet, mais à quel prix ? Il était devenu ce que les dieux redoutaient de lui : un monstre en puissance ayant pour seul but de régner sur les autres. Apocryphos n’avait pas cherché à se faire accepter, plutôt à s’imposer coûte que coûte. Il n’avait pas essayé de montrer une autre image que celle qu’on lui donnait, mais se l’était appropriée. L’avait renforcée. Comment lui en vouloir d’avoir emprunté ce chemin-là ? N’était-ce pas la faute des autres dieux de l’y avoir contraint ?
— Je comprends les similitudes avec le rejet. Sauf que moi, je suis loin d’être aussi puissant que lui, objecta-t-il.
— Détrompe-toi. Je suis persuadée que tu possèdes en toi une puissance que tu n’imagines pas. En dehors de ce qui arrive aux corbeaux, ce sont tous de magériens puissants. Il n’y a pas de raison pour que tu fasses exception.
— Évidemment puisqu’ils tirent leur puissance des Ombres. Chose que je ne veux pas faire.
— Je l’entends. Mais tout comme l’a fait Apocryphos, parfois, n’avons-nous pas d’autres choix que d’utiliser les cartes que le destin nous a attribués, quitte à perdre certaines choses en retour ? Tout gain de puissance n’implique-t-il pas des sacrifices ?
Thalion comprenait ce qu’elle voulait dire. La magie noire était une carte puissante. Une carte maudite, aussi. S’en servir serait le choix de la facilité. Il deviendrait certes fort, mais elle signerait sa perte. Ça allait à l’encontre de la raison pour laquelle il était encore en vie : prouver aux magériens du monde entier qu’ils avaient eu tort à son sujet. C’était une carte qu’il refusait d’utiliser.
— Je ne veux pas utiliser la magie noire, insista-t-il d’une voix sans appelle. Si je le faisais, je donnerais raison à tous ceux qui militent pour ma mort. Rappelle-toi que mon but est de leur montrer que je ne suis pas destiné à détruire le monde.
— Je sais bien, soupira-t-elle avant de s’empresser d’ajouter : et je suis totalement d’accord avec toi ! Je te soutiens à fond, tu le sais bien. C’est juste frustrant de te voir aussi faible…
— Merci. Tes encouragements me vont droit au cœur.
— Ne le prends pas mal ! J’aimerais juste que tu puisses exploiter tout ton potentiel, toute la force que tu possèdes en toi. Que tu fasses mordre la poussière à tous ceux qui t’ont blessé.
Thalion n’attendait que ça. De se défendre et de dissuader les autres de s’en prendre à lui en leur filant une bonne correction. Mais pour l’instant, il n’en avait pas la possibilité. Pas avec ses difficultés. C’est bien pour ça qu’il comptait sur le pouvoir de la bibliothèque secrète pour l’aider.
— Tu savais qu’Apocryphos était un grand romantique ? dit-il pour changer de sujet.
— Ah bon ?
— Carrément. C’est même l’amoureux originel. Lui et Amphéré s’aiment d’un amour inconditionnel. L’un ne vit pas sans l’autre. Cependant, à cause de ses pouvoirs mortels, Apocryphos ne peut pas la toucher. Jamais leur amour ne pourra s’exprimer librement. La déesse a donc commencé à créer des êtres vivants à partir de son essence pour qu’il récupère le moment venu les âmes de ses créations. Des morceaux d’elle-même qu’il pourra garder près de lui pour toujours.
— Ça, je le savais. Un peu glauque, si tu veux mon avis. Je ne vois pas le romantisme là-dedans.
— Minute. Apocryphos était ravie, sauf qu’il voulait lui aussi créer quelque chose pour la déesse. Quelque chose d’exceptionnelle. Mais comment créer lorsqu’on détruit tout ce que l’on touche ? De plus, les humains étaient les plus brillantes et complexes inventions d’Amphéré, ainsi que les plus difficiles à créer. Apocryphos regrettait que de telles créations faites pour lui demandent autant d’effort, et pour ne durer qu’un instant. Il voulait, d’une certaine façon, les rendre éternelles. Que le monde entier puisse les admirer autant que lui. C’est là qu’il eut l’idée d’utiliser les âmes des défunts pour créer l’une des plus belles choses qui existe sur Terre : les étoiles.
— Tu veux dire qu’il a transformé les âmes en étoiles ? Il est capable de faire ce genre de prouesse ?
— Apparemment. On dit qu’Amphéré a tant pleuré d’émoi que la Terre a été inondée pendant des jours, créant de nombreuses rivières.
— C’est beau, en effet. Mais ça veut aussi dire que le ciel est un tombeau.
— Oui, mais un magnifique tombeau permettant aux vivants de se dire que leurs proches sont là, juste au-dessus d’eux, en train de les observer et de les encourager de là-haut.
Un long silence s’ensuivit. Thalion observait le ciel, comme s’il tentait d’y trouver le visage de ses parents parmi les milliers d’étoiles.
— Tes parents étaient des gens bien ? demanda la magérienne comme si elle avait deviné le fond de sa pensée.
— C’était les meilleurs. Il n’y avait pas de meilleurs parents qu’eux.
— Je n’en doute pas, marmona-t-elle, la mine sombre.
Eris soupira devant son regard perplexe.
— C’est juste que… mes parents me mettent pas mal la pression pour que je réussisse ma vie. Il faut que je sois tout le temps la meilleure, que j’ai toujours les meilleures notes. Viser la perfection, obtenir l’excellence, c’est le minimum chez moi. La norme. Parce que si c’est un peu moins bien que d’habitude, on me le reproche en disant que je peux faire mieux. On me fait sentir que c’est mal. Au final, c’est pesant de devoir sans arrêt répondre aux attentes, tu vois ?
— Tu as l’impression de ne jamais être à la hauteur ?
Elle ne répondit rien pendant un long moment, plongée dans ses pensées, le regard vide. Thalion comprit pourquoi elle travaillait dure : pour ne pas décevoir sa famille, plus que par réelle volonté de réussite. Derrière ses airs rebelles se trouvait une jeune fille qui s’épuisait à répondre aux exigences qu’on attendait d’elle.
— Tu n’as pas envie, parfois, d’envoyer bouler ce monde qui t’impose qui tu dois être ? Les dieux, les sociétés…
— Si, et les Ombres l’ont bien compris. Mais aucun humain n’est en mesure de s’opposer aux dieux. On est impuissant face à leur magie.
— Et si tu en avais la capacité, que ferais-tu ?
Thalion demeura silencieux, troublé par la question. En réalité, il n’en avait aucune idée. Et le monde avait probablement intérêt à ne jamais connaître la réponse.
Eris finit par détourner les talons.
— Bref. On ferait mieux de rentrer. N’abusons pas trop du couvre-feu.
Thalion aurait voulu qu’Eris se confie davantage. Elle parlait rarement de sa relation avec ses parents. Mais elle n’était pas encline à en dire plus, alors il n’insista pas. Pourtant, quand il l’observait, il avait l’impression qu’un tas de non-dits l’étouffaient. Des mots qu’elle aimerait crier et des larmes trop souvent ravalées. Eris intercepta son regard scrutateur, un sourire étira ses lèvres.
— Tu sais ce que j’aime avec toi, Corvus ? C’est que tu n’attends jamais rien de nous, si ce n’est de rester à tes côtés.
Sur ces mots, elle enfourcha son balai et s’envola dans le ciel. La seule chose que Thalion retint sur son visage souriant était la tristesse qui teintait ses yeux bruns.
Son escapade nocturne avec Eris s’était terminée avec une course de balai qu’il avait bien évidemment remporté. Zéphire n’avait pas son pareil pour filer dans les airs. Heureusement, personne n’avait remarqué leur disparition. Thalion ne regrettait pas d’être sorti, mais le réveil était difficile. Surtout qu’il s’était levé plus tôt que nécessaire. Pourquoi ? Parce qu’il attendait de pied ferme l’arrivée de Nohan. Enfin, à cet instant, Thalion était plutôt allongé sur son lit en train de relire depuis dix minutes la même page. Impossible pour lui de se concentrer. Il guettait la porte en appréhendant le moment où celle-ci s’ouvrirait. Le magérien n’avait qu’une chose à faire. À dire. Alors pourquoi se mettait-il dans un état pareil ? Ce n’était pas la première fois qu’il lui présentait des excuses. Et Nohan n’était pas quelqu’un de rancunier. Il allait le pardonner.
N'est-ce pas ?
La porte grinça. Le corps du maudit se contracta. Il hésita à décrocher son regard du livre devenu soudainement bien plus absorbant. Il jeta finalement un coup d’œil vers l’entrée et accrocha avec une paire d’yeux azurins. Son souffle se coupa. Aucun des deux magériens ne dirent mot pendant plusieurs secondes. Thalion brisa la glace en premier en se raclant la gorge.
— T’as passé un bon Samhain ? lui demanda-t-il, le regard rivé sur les pages de son livre.
— Oui. C’était cool.
Sa voix n’était… pas indifférente. Elle n’était pas chaleureuse non plus, mais c’était une bonne avancée. En revanche, le ton sec employé lui confirmait que Nohan était toujours aussi remonté. Ce dernier s’avança jusqu’à son lit. Sa valise, qui avait été déposée par les domestiques devant Sombrécorce, volait derrière lui. Il la laissa tomber sur son lit avant de l’ouvrir et de commencer à ranger ses affaires. De son côté, Thalion se triturait les méninges pour trouver un moyen d’entamer le dialogue et d’y glisser ses excuses. La voix de Nohan interrompit sa réflexion.
— Tu lis Le possédé sans nom ? l’interrogea-t-il sans chercher à dissimuler son étonnement.
— Oui. C’est ton roman préféré, pas vrai ?
Son regard s’éclaira, et Thalion s’attendit à l’entendre parler avec passion de son œuvre favorite. L’occasion aurait été parfaite pour lancer la discussion et enfin demander pardon. À son grand désarroi, la lumière dans ses yeux s’éteignit, et Nohan lui tourna le dos. Thalion avait l’impression de recevoir un coup de massue dans l’estomac. Leur relation s’était-elle dégradée à ce point ? Une peur intense lui glaça les veines, avant que celle-ci ne se transforme en colère. Il se redressa brusquement.
— Bon, ça suffit ! cria-t-il en balançant le livre à l’autre bout du lit.
Nohan sursauta en se retournant vivement vers lui, les yeux ronds comme des soucoupes. Peu importe que sa rage soit dirigée contre lui ou contre Nohan, cette situation l’insupportait trop pour ne pas réagir.
— Ça ne peut plus durer ! Sérieusement, tu vas me faire la gueule encore longtemps !?
— Quoi ? Mais je…
— Je suis désolé ! Je m’excuse, d’accord ? Donc maintenant, redis-moi à quel point tu aimes ce roman. Et avec enthousiasme, s’il te plaît.
Nohan le dévisageait comme si Thalion venait d’affirmer que la Terre était plate. Pendant que le silence s’éternisait, son embarras grandissait.
— Tu as perdu ta langue ? lança-t-il avec sarcasme pour masquer la gêne qui l’envahissait.
Son colocataire ignora royalement sa remarque.
— Attends… Donc, tu conviens que tu as eu tort d’agir ainsi ?
— Non. Je reste persuadé que j’ai eu raison. Juste, je… Enfin…
— Tu préfères t’excuser plutôt que de me perdre ? compléta-t-il à sa place.
Le maudit tritura le piercing au lobe de son oreille, mal à l’aise. En jetant un regard à Nohan, il jura voir le coin de ses lèvres frémir.
— Je trouve ça juste stupide de s’embrouiller aussi longtemps pour une telle broutille, finit-il par avouer, donc je suis désolé.
Nohan ne répondit rien, ce qui ne fit qu’accroître son angoisse. Puis le soulagement l’envahit lorsque le visage de son ami se mit à rayonner. Thalion ne put s’empêcher de sourire en voyant ses prunelles s’illuminer.
— Ça te coûte trop de le dire, hein ? se moqua Nohan.
— Je me suis excusé, c’est le principal.
— Effectivement. On peut dire que tu progresses.
Il éclata de rire devant l’air agacé du maudit. Ce son lui avait manqué. En réalité, il était rassuré que Nohan souhaite toujours être son ami. Thalion craignait qu’il ne change d’avis en réalisant le caractère incongru de leur relation.
— Avoue, tu aimes quand je parle de mes livres pendant des heures, le nargua-t-il en s’asseyant sur son lit.
— La ferme.
— Tu as même lu mon roman préféré.
— Bon, tu as fini, là ? On peut passer à autre chose ?
Thalion accompagna sa question d’un regard furieux alors que le rose lui montait aux joues, ce qui renforça l’amusement du jeune homme.
— Continue et je te fais bouffer ton livre.
— D’accord, d’accord, céda-t-il sans se départir de son sourire. Au fait, tu n’aurais pas dû réagir.
— Comment ça ? Enfin, à propos de quoi ?
— Aux provocations de Camille. Roxy est venue me voir, et j’ai plus ou moins compris ce qui s’était passé.
Évidemment, la vérité finit toujours par être dévoilée d’une façon ou d’une autre. Néanmoins, Thalion s’attendait à le voir plus embarrassé que ça.
Il plissa des yeux.
— Qu’est-ce qu’elle te voulait, cette fois-ci ?
Depuis l’épisode de la Cabane, Camille n’avait pas lâché Roxanne. Dès qu’il avait une minute, il partait à sa recherche. On pouvait supposer que leurs prises de bec l’amusaient seulement, mais Thalion ne l’avait jamais vu sourire autant qu’en présence de la magérienne. Il ressemblait presque à quelqu’un de sympa. Pourtant, Roxanne continuait de le rabrouer, et ce même en l’ayant surprise à rougir une fois. Thalion ne savait pas comment appréhender l’influence qu’ils pouvaient avoir l’un sur l’autre et s’en méfiait.
— Rien. Elle s’est surtout excusée pour son comportement avant de m’apprendre l’existence de notre « couple ». Elle ne s’est pas trop appesantie là-dessus, mais elle pense que je devrais me trouver un partenaire moins…
— Maudit ?
— Oui. Je lui ai répondu que notre amour était plus fort que tout.
Ils échangèrent un regard, avant d’exploser de rire en même temps.
— J’y crois pas ! Tu lui as vraiment répondu ça ? C’est si niais !
— J’te jure ! Elle m’a regardé avec tellement de pitié !
Leur fou rire dura si longtemps que Thalion finit par avoir des crampes aux abdos. Ils ne pouvaient pas se regarder sans que leur hilarité reprenne. Nohan essuyait ses larmes pendant que Thalion reprenait son souffle en se tenant les côtes.
— Si j’avais été là, je n’aurais jamais pu rester sérieux.
— Je m’en doute. Tu…
Nohan ne put achever sa phrase car la porte s’ouvrit brusquement et se cogna contre le mur en bois. Les deux magériens observèrent Camille, sidérés par son entrée pour le moins fracassante.
— Un problème ? J’ai interrompu quelque chose d’important peut-être ? lança l’arrivant avec un sourire narquois.
Sans doute s’attendait-il à voir Thalion s’énervé ou Nohan bégayé de gêne, mais ce dernier réagit bien différemment, à la surprise générale.
— Oui. On allait enfin conclure, là. Tu fais chier !
Le visage ahuri de Camille valait bien tout l’or du monde. Il n’en fallait pas moins pour que leur fou rire reparte de plus belle. Devant leurs esclaffements incontrôlables, Camille prit la sage décision d’abandonner les provocations sans prendre la peine de s’épuiser à comprendre.
J'ai vraiment apprécié ce chapitre, il est réconfortant.
La scène de la visite au temple est vraiment belle, la sincérité qui se dégage du dialogue entre Eris et Thalion était tellement plaisante ! Un régal de les voir proche et dans une belle amitié
Pour Nohan, j'adore ce côté de sa personnalité ! Très bon passage aussi, il y a pas à dire il s'est trouvé un bon ami ! Sa répartie était MA-GNI-FIQUE
J'adore ce trio !
Je suis contente que tu continuent d'apprécier mes chapitres !
Je voulais absolument qu'ils aient une conversation entre eux et qu'Eris s'ouvre un peu. Et je prends beaucoup de plaisir à développer leur amitié !
Faut croire que l'influence de Thalion fait ressortir ce côté de sa personnalité x) Et puis derrière sa timidité et son manque de confiance se cache beaucoup de chose ! Mais en effet, Thalion a pour une fois eu beaucoup de chance de se lier d'amitié avec quelqu'un comme Nohan !
Tant mieux si ce trio te plaît ! J'espère que le développement de leur relation et de l'histoire continuera de te plaire !
Merci beaucoup pour ton commentaire !
J'aime beaucoup ta chute avec Nohan. Il évolue, dévoile son caractère et son humour. Eris aussi, on découvre que sa vie n'est pas si rose. Comme les dieux d'ailleurs, eux aussi on leurs problèmes.
Je suis contente que ça plaise ! Effectivement j'en dévoile un peu sur tout le monde dans ce chapitre, mais surtout sur Eris et Nohan qui prend doucement confiance en lui aux côtés de Thalion.
J'ai beaucoup aimé ce chapitre, qui permet une fois encore de développer ton univers. La légende d'Amphéré et d'Apocryphos est à la fois belle et bien racontée, et le titre "balade romantique au temple de la mort" est vraiment bien trouvé.
La deuxième partie de chapitre m'a bien fait marrer, la réplique finale de Nohan à Camille est tellement inattendue, c'est absolument génial x)
Et forcément, on ne peut que s'imaginer le joyeux chaos qui devait régner pendant les ateliers citrouille.
Au plaisir de lire la suite,
Ori'
Tant mieux si tu as aimé ce chapitre !
J'aime beaucoup la mythologie alors j'ai pris beaucoup de plaisir à inventer ma propre légende autour de la vie et de la mort ^^
On ne dirait pas mais Nohan aussi évolue un peu avec toutes ces péripéties x)
Vu le duo de choc, je n'aurai pas aimé être à la place des responsable !
Merci pour ton commentaire, j'espère que ça continuera de te plaire !
J’imagine tellement Eris et Thalion pendant les ateliers citrouilles, sans Nohan pour les tempérer xD ça devait pas être ennuyeux !
Sinon, j’ai trouvé très intéressante cette petite balade avec Eris, puis l’histoire d’Apocryphos et d’Amphéré. Peut-être juste revoir la façon de l’aborder « comme tu le sais déjà » (bon c’est du gros chipotage parce que c’est très bien comme ça), ça peut juste être encore plus fluide, je pense.
L’évolution de la relation entre Eris et Thalion me plaît, j’espère qu’elle finira par plus se confier à lui.
Pour le retour de Nohan j’ai été très surprise par sa réaction. Qu’est-ce qui a bien pu lui arriver durant son absence pour qu’il change à ce point ? Ça m’intrigue !
C'est clair qu'on risque pas de s'ennuyer quand personne est là pour les recadrer xD
Je comprends ce que tu veux dire, je pense aussi que ça peut être amélioré. Je vais essayer de fluidifier l'approche pour que ce soit plus agréable à lire.
Je ne pensais pas que ce changement d'attitude te surprendrait autant x) C'est à propos de sa réaction avec Camille c'est ça ? Tu le voyais plutôt être gêné, rougir etc ?
C'est la première fois je crois qu'on le voit réagir de cette manière, je pense que c'est pour ça que j'ai été surprise
l'ecriture est fluide,, on continue de suivre les liens d'amitiés qui se renforcent.
Je crois comprendre que tu as modifié le chapitre avec les picolatons, faut que j'aille le relire du coup:-)
j'ai hate qu'e Thalion trouve la bibliotheque secrète.
Voilou
A bientot
Eh oui, mais bientôt l'action va prendre la place !
Ah bon ? Ou est ce que j'ai laissé penser ça ? J'ai modifié les premiers chapitres comme je te l'avais dit, mais je ne crois pas avoir modifié le chapitre des picolatons ? A moins que j'ai des troues de mémoires ?
Ne t'inquiète pas, ça va arriver très prochainement ;)
A bientôt !
Le décors est bien posé, c'est cool, facile à lire, on est bien dedans l'histoire, c'est super.
Bon, ça tourne au MxM cette histoire, Thalion et Nohan font un joli couple... XD
Je ne sais pas trop quoi dire de plus, l'intrigue n'avance pas trop et on a pas assisté à une atelier citrouille, je suis triiiiissssttteeee!!! ouinnnn) Par contre je vois pas le lien entre le titre et le chapitre, mais c'est sans doute car mon cerveau est parti en vacances (ou a cause des antidouleur pour mon orteil cassé)
Bon, ben maintenant, faut attendre une semaine... pffff
J’ai essayé de retravailler les décors au mieux, tant mieux si tu trouves ça bien !
Effectivement ça partirait bien en MxM xD
C’est vrai l’intrigue avance lentement mais ça va avancer ne t’inquiètes pas ! Pour l’atelier citrouille, ça aurait pu être drôle de l’écrire mais je ne savais pas où le caser ni comment l’introduire à l’histoire pour que ça apporte quelque chose x)
Je peux comprendre ta confusion pour le titre, parfois j’avais juste pas d’idée alors j’ai fait des trucs un peu bidon :’) en l’occurrence, ça fait juste référence à une réplique d’Eris. A l’occasion j’essaierai de trouver un autre titre.
Merci pour ton commentaire !
Les parents c’est difficile qu’on les ait ou non
C'est malheureusement bien vrai...
Merci pour ton commentaire !