Chapitre 21

Par Hylla

Le jour est enfin arrivé. Devant le tribunal une heure avant le début de l’audience, Eugène serre les poings. Il s’apprête à livrer l’ultime bataille d’un conflit qui n’a cessé de l’obséder depuis sa déclaration de guerre, six mois plus tôt. Le jour où Eugène a reçu le premier obus des mains de son père.

Le tribunal sera son champ de bataille.

Jamais Eugène n’avait imaginé rentrer dans ce bâtiment un jour. Il pensait qu’il était réservé à ceux qui avaient fait des choses graves, indicibles, et que lui ne serait jamais concerné par de telles ignominies. Il se considérait assez droit pour ne pas être l’objet des reproches des autres. Il a pourtant fini par être celui qui réclame justice. Devant le tribunal, il se tient tel un héros solitaire qui attend sa libération. Épuisé par tant d’affrontements, il veut que tout cela cesse. Enfin.

Sur le parvis, un journaliste discute avec un caméraman. Tel un rituel, toutes les cinq minutes, l’homme à la bannette se place dans le cadre et répète son texte.

Eugène se rapproche pour mieux tendre l’oreille, s’assurer de ce dont il est question. Lui. Mais le journaliste ne croise pas son regard. Il ne peut pas le reconnaître. Ni l’interviewer. Alors, Eugène reste dans les parages, fait en sorte de faire ses cent pas derrière le cameraman, dans l’angle de vue du journaliste, mais c’est un autre média qui, à son arrivée devant le tribunal, le reconnaît enfin. Et tandis que la présentatrice lui demande l’autorisation de l’interviewer, la caméra, elle, a déjà commencé à tourner.

« Comment devons-nous vous appeler, à quelques minutes du procès qui vous oppose aux Éditions Verglas ?

— Alambic. Eugène Alambic, comme je demande à ce qu’il soit écrit sur les livres depuis si longtemps déjà. Et sur les prochains… »

La journaliste retient son souffle. Ses yeux s’écarquillent.

« Vous voulez dire qu’un nouveau de vos romans va sortir ? l’interroge-t-elle en appuyant avec insistance sur son oreillette.

— Sortir, le terme est peut-être prématuré, mais oui, j’ai bien écrit un nouveau roman…

— Deux de vos romans ont été publiés sans votre accord par la maison d’édition Verglas, répète-t-elle en se tournant vers la caméra. Monsieur Alambic, quel est votre état d’esprit à l’aube de ce procès qui s’annonce historique ? »

Eugène lance un regard rapide à la caméra. Inspire pour commencer à répondre, quand une main discrète se pose sur son bras pour lui signifier sa présence. Avec son arrivée, Maître Maringo attire l’attention de la seconde caméra. D’un sourire poli à son client, l’avocat reprend la parole pour mieux mettre un terme à l’interview :

« Mon client espère une juste indemnisation pour son préjudice » scande-t-il en avançant vers le tribunal.

Eugène se tient droit derrière son conseil, assez proche pour s’assurer d’être dans le cadre. Ses yeux pleins de sous-entendus ne captent pas l’attention des journalistes.

« Pensez-vous pouvoir gagner face aux Éditions Verglas ? reprend le premier journaliste.

— Tout auteur est protégé contre la reproduction sans autorisation de ses œuvres, nous ne pouvons qu’espérer que le tribunal judiciaire de Bordeaux statue en notre faveur au vu du grand nombre de préjudices subis par mon client. »

Puis il s’approche de l’oreille d’Eugène pour lui souffler qu’ils feraient mieux d’entrer maintenant. Un instant, son client reste sur place, le souffle coupé. Les caméras, dans un quart de seconde, ont suivi son avocat avant de reculer pour mieux avoir les deux figures dans le cadre. Eugène relève le menton et se met dans les pas de son conseil.

 

Lorsqu’ils entrent dans la salle d’audience, sur le banc du fond, Philippe se lève dans un sursaut. Les yeux pendus à son enfant, ses lèvres balbutient sur son passage :

« Eugène… »

Son fils lui répond à peine un bonjour ferme et expéditif. Il ne s’attendait pas à sa présence, ici, en un jour aussi important où tous les projecteurs sont braqués sur lui. Eugène n’a pas le temps de discuter. Pas le temps de rattraper ces derniers mois, de lui expliquer ces dernières années, de raviver les blessures que son père sait si bien saigner d’un mot maladroit. Pas ici. Eugène s’imagine que dans la salle, un dessinateur crayonne son arrivée. Que dans les journaux, une chronique relatera ses moindres émotions. Hors de question qu’il se laisse abattre.

Alors que l’affaire tarde à être appelée, Eugène sent le poids de l’attention de son père l’accabler. Parfois, il tourne la tête brièvement. Invariablement, Philippe entame un mouvement. Un signe de main. Un sourire gêné. Un regard peiné. Eugène fait de son mieux pour ne pas laisser transparaître sa gêne, même si intérieurement, il bouillonne. Sous prétexte de renouer avec son fils, Philippe le torture.

« Ça va bientôt commencer ? chuchote Eugène à Maître Maringo d’un ton impatient. Je croyais que l’audience était à quatorze heures…

— Toutes les affaires de cet après-midi sont à quatorze heures, Monsieur Loustillac. Elles sont appelées par ordre d’ancienneté des avocats… Et mes contradicteurs parisiens qui ont l’air moins ridés que moi ne nous seront pas d’une grande aide. »

Eugène souffle. De toute la pression qu’il s’inflige depuis le début de cette affaire, il ne s’attendait pas à poireauter de nouveau au moment de grâce. Encore moins avec son père au fond de la salle qui le prend en tenaille. À mesure que le temps passe, Eugène se sent de plus en plus coupable de ne pas se lever pour aller échanger quelques formalités avec Philippe. Ces petits gestes qui ne coûtent rien, comme dirait sa mère, mais qui sont importants pour maintenir le lien. Alors, ne pas se laisser déconcentrer devient une excuse toute trouvée pour ne pas faire cet effort. Quand le juge appelle enfin l’affaire « Loustillac contre Éditions Verglas », Eugène sent une pression le quitter : il peut s’adonner à son procès tout à fait.

« Mon client, commence à plaider Maître Maringo, est l’auteur des manuscrits joints au dossier.

» Ces manuscrits mettent en scène des personnages torturés qui se retrouvent dans les couloirs souterrains du pouvoir : culturel, dans Son Opéra, et économique dans Club. Les relations entre les personnages, caractérisées par la trahison et l’utilisation de couvertures, sont là encore typiques de sa plume. À ce titre, il ne fait aucun doute que les œuvres de Monsieur Loustillac sont originales et donc, protégées par le droit d’auteur. Alors qu’est-ce que cela signifie ? De nombreuses choses, mais à premier titre que Monsieur Loustillac est le premier titulaire de ces droits d’auteur, et qu’il a par ce biais même la prérogative exclusive de consentir à une reproduction de ses œuvres, et de déterminer quelle sera la première communication de celles-ci au public.

» Pour ce qui est de la reproduction des manuscrits, même s’ils ne s’intitulent pas Club ni Son Opéra, une comparaison entre les textes mènent à une évidence : ces deux romans ont repris une portion substantielle des œuvres de Monsieur Loustillac. Et même si certains passages ont été changés de place dans l’histoire, ou que des nuances ont pu être amenées au dialogue, l’origine des histoires publiées sous le nom Zuka ne fait aucun doute : les manuscrits de mon client ont été reproduits et complétés. Et, comme si cela n’était pas suffisant, ces histoires ont également été publiées sous le nom de Zuka.

» De ce manquement aux droits de reproduction et de communication de mon client sont tirés plusieurs préjudices. Pour les financiers, j’ai indiqué dans le dossier les modalités de calcul de ce chef de préjudice, et demande à ce titre au tribunal une injonction de dévoiler les chiffres de vente actualisés à l’encontre des Éditions Verglas. Quant au préjudice moral… Le droit de paternité de mon client a été bafoué du fait de l’utilisation du pseudonyme de Zuka. Quant au travestissement de genre de ses œuvres tel que décrit dans mes écritures, nous estimons qu’il a également été porté atteinte à l’intégrité de ses œuvres.

» Je renvoie au dossier pour le détail du montant de ces différents chefs de préjudice et espère que vous apporterez à la qualité d’auteur de Monsieur Loustillac toutes les conséquences que le droit y incombe.

— Merci à vous, Maître Maringo » conclut la juge en tendant le dossier bleu cartonné à l’un de ses assesseurs.

Eugène l’accueille, satisfait, le sourire aux lèvres, puis se retourne vers son père pour lui offrir un instant la vision de ce visage plus détendu. D’un pouce levé, Philippe marque son approbation.

« J’appelle à présent la défense… » continue la juge.

L’avocat du cabinet Paul & Carnet se lève à son tour pour prendre la parole.

« Je représente les intérêts des Éditions Verglas, commence-t-il. Si la qualité d’auteur des manuscrits Sans titre cités par mon confrère ne fait aucun doute, ceux-ci n’ont été qu’une inspiration pour les romans publiés, Club et Son Opéra.

» Le manuscrit Sans titre 7 raconte l’histoire du nouvel intronisé d’un club qui se lie avec les différents membres jusqu’à se rebeller contre l’organisation et assassiner son chef. Club commence, dès ses premières pages, par l’assassinat du chef d’un club, et s’attelle à remonter jusqu’à l’origine du crime. Ce n’est pas une histoire de capes et d’épées sur fond d’amourette, c’est un thriller. En commun, je vous l’accorde, l’existence d’un club d’escrime dans les souterrains de Saint-Michel qui rejette l’utilisation des fils pour les épées. Cependant, ce que le droit d’auteur protège, ce n’est pas l’idée mais l’expression de cette idée. Ainsi, s’il ne fait aucun doute que certains éléments de l’ordre du détail sont en commun entre les manuscrits de Monsieur Loustillac et les romans à succès de Zuka, il ne s’agit pas d’une reproduction de l’œuvre mais bien d’une utilisation transformative de celle-ci. Les œuvres à succès de Zuka ont développé des intrigues à rebours dans des atmosphères étouffantes qui sont absentes des manuscrits de Monsieur Loustillac. Elles sont, à ce titre, originales, et protégées par le droit d’auteur.

» Nous rejetons de ce fait les demandes de Monsieur Loustillac et demandons à être indemnisé, ainsi que le veut l’article 700 du Code de procédure civile, pour tous les dépens de cette procédure injustifiée et abusive. En attaquant l’un des auteurs à succès du moment, Monsieur Loustillac abuse de son droit d’ester en justice. En ce point, comme pour le calcul des dépens, nous renvoyons à nos conclusions. »

Pour mieux se retenir d’exploser, Eugène serre les poings. Lui ? Une procédure abusive ? Ce sont plutôt les Éditions Verglas qui abusent de sa patience.

« Délibéré le 29 septembre, tonne la juge.

— C’est une défense classique, lui explique Maître Maringo à demi-voix. Dès lors que l’on attaque, la défense tente toujours de faire valoir d’autres arguments.

— N’ont-ils donc aucune éthique ?

— Le droit, souligne l’avocat, n’a rien à voir avec l’éthique. Ni même la morale. »

Eugène se dépêche de quitter la salle, il refuse de concéder à la partie adverse l’énervement que leur plaidoirie vient de provoquer. Il passe devant le dernier rang le pas lourd, sans un regard pour son père. Il l’entend se mettre en marche derrière lui, mais accélère pour s’en défaire. Un problème à la fois.

 

*

 

Le 29 septembre, café à la main, Eugène contemple la décrépitude de son potager qui, outre les nombreuses plantes mortes, prend des teintes orangées. Il n’essaie même plus de l’arroser : qu’il n’ait pas la main verte a été acté depuis le départ de Gabrielle sans grande remise en cause. Ce matin-là, le retour de l’automne le rassure : celui-ci plonge son jardin dans un état naturel dont la mort n’est pas du fait d’Eugène, mais participe à un cycle bien plus grand et immuable que sa propre action. À mesure que les saisons passeront, la physionomie de ce bout de terre changera. Ce n’est qu’une question de temps, et cela le rassure. Un jour, ce sera le printemps et les mauvaises herbes pulluleront, rajoutant de la vie à ce tableau décrépi.

Quand son téléphone sonne et que le nom de Maître Maringo s’affiche, Eugène préfère se rapprocher de la véranda pour être sûr de ne rien louper.

« Monsieur Loustillac bonjour, entame-t-il d’une voix enjouée.

— Ça y est ?

— La décision vient de m’être envoyée, je vous la transfère par mail de ce pas.

— On a gagné ?

— Plusieurs points… »

Eugène retient son souffle.

« Le juge a bien reconnu votre qualité d’auteur. Il a aussi estimé qu’une portion substantielle avait été réutilisée sans votre accord… »

Eugène, qui se confond en remerciements et en félicitations, sautille devant sa véranda.

« Ce n’est pas tout… » continue l’avocat d’un ton plus calme.

Sonné, Eugène reprend ses paroles en écho :

« Pas tout ?

— Les juges ont estimé que même si vos manuscrits ont servi de base à Zuka, le code de Léana a influencé la façon dont le livre a été écrit…

— Et donc ?

— Et donc le juge a estimé que vous et votre sœur, Sophie Loustillac, êtes co-auteurs de Club et de Son Opéra.

— Sophie ? Co-autrice ?

— Elle-même. »

Dans le téléphone, Eugène souffle. Sophie ?

« Ce n’est pas juste.

— Vous pouvez faire appel de la décision.

— C’est à cause d’elle que tout a commencé, et je devrais partager avec elle ?

— Le juge a estimé que la personnalité du codeur a influé sur la création de l’algorithme, et que son code porte l’empreinte de sa personnalité… Qu’il est original, lui aussi. Qu’en cas d’utilisation d’un autre algorithme, le texte final aurait été différent… »

Dans le combiné, Eugène rit. Mais ce n’est pas un rire moqueur, encore moins jouasse. Il est tiraillé par l’angoisse et l’ironie.

« Le juge a retenu certaines pièces techniques fournies par la défense… Je suis désolé de vous le dire, Monsieur Loustillac, mais je pense qu’ils ont obtenu ces pièces de votre sœur. Je vous laisse me signifier si vous voulez faire appel, nous disposons d’un délai d’un mois. Quant à votre sœur, si vous changez d’avis… »

Toute trace de joie s’est estompée. Sophie ne lui avait pas dit que des preuves avaient été échangées, lors de son accord avec la maison d’édition. Et pourtant…

Comment ai-je pu être si naïf ?

Eugène se rappelle avoir demandé à Sophie si son accord avec les Éditions Verglas lui porterait atteinte.

Pourquoi…

Parce que nous ne nous parlons plus. La voilà l’entière vérité. Sophie n’a jamais eu les mêmes standards éthiques que son frère, cela s’est vérifié depuis le début de l’affaire Zuka. La famille n’a jamais eu la même signification pour elle. Avant, il y a son intérêt premier, et celui de sa chose, Léana, qui devraient supplanter tous les autres alentours, y compris ceux de son propre frère.

« Pour Sophie, je peux vous laisser un temps de réflexion, naturellement, reprend l’avocat, le délai de prescription n’est pas encore échu.

— Et si le livre ressort, il y aura son nom aussi ? Sophie et Eugène Loustillac… Son nom serait sûrement mis en premier en plus…

— C’est à discuter avec votre sœur, elle aussi est titulaire d’un droit de paternité, en sa qualité d’auteur. Comptez-vous encore utiliser son programme ?

— Peut-être…

— Peut-être serait-il judicieux de se rapprocher de son conseil pour formuler votre fameux accord oral par écrit ? Si vous me le permettez, bien entendu. Cela dit, je ne peux que vous y encourager en cas d’utilisation.

— Oui, oui, d’accord ! » lâche Eugène d’un ton exaspéré.

Quand Eugène raccroche, la vue de son potager lui semble plus désespérée encore qu’auparavant. Il ne voit plus que le bois asséché qui sort de la terre pour crier sa négligence, plus que les feuilles mortes qui tombent plus tôt encore que la végétation d’automne pour lui rappeler qu’il a eu un rôle actif dans leur décrépitude. Alors, il saisit une pelle qui traîne contre le mur et part à l’assaut de ce pan de jardin en perdition. Déracine les plantations, draine la terre du râteau qui traîne au sol depuis des mois. À chaque mouvement, il déploie toutes ses forces, toute sa rage, toute sa rancœur. Gabrielle en avait planté, des espoirs de vie, et à présent, il la remercie pour l’exutoire que son potager vient de lui offrir. Il sort son téléphone pour prendre une photo qu’il voudrait lui envoyer, telle une preuve que son petit coin secret vit encore après son départ, jusqu’à se raviver. Ce n’est pas parce qu’il a enfin fait quelque chose que cela efface les faits : le fruit des efforts de Gabrielle est mort et ne tardera pas à finir à la décharge. Alors, Eugène opte pour un message plus édulcoré.

« Tout va bien ? »

Puis il repart dans son répertoire. Sophie. Sa co-autrice. Après tout, il ne nie pas qu’elle ait une implication dans le résultat final des livres. Ce qu’il lui reproche, c’est que la justice le lui reconnaisse, alors même que tous ses tracas ont commencé par elle.

Les mots de Maître Maringo résonnent dans sa tête. Le droit n’est pas moral, ni même éthique. Si Eugène voulait, il rappellerait son avocat pour lui signifier qu’il voudrait la poursuivre en justice, elle aussi. Et pourtant…

Sophie est sa sœur. Il ne se rabaissera pas à son individualisme. Il doit aller au-delà. Montrer l’exemple. Après tout, il est l’aîné. Et il vient de remettre Léana en activité pour terminer quelques manuscrits qui végétaient depuis trop longtemps dans son placard…

« Dois-je me préparer à un torrent d’insultes ? lance-t-elle.

— À croire que je te bats.

— Tes mots ne sont pas toujours tendres…

— Je m’en excuse. »

Pendant quelques instants, Sophie n’ajoute rien de plus, avant de revenir à la charge :

« Tu es sûr que tout va bien ?

— Je passe le fait que ce que tu as fourni à Verglas a été utilisé contre moi…

— Mais tu le dis quand même.

— À bon entendeur, souffle-t-il.

— Sans ça, mon travail n’aurait peut-être pas été reconnu à sa juste valeur, tu sais ?

— Je ne nie pas que ta Léana ait eu un rôle.

— On dit « co-auteur », répète-t-elle en appuyant sur chaque syllabe.

— N’en rajoute pas trop non plus. À ce sujet, j’ai parlé à mon avocat… Il va appeler Maître Robert au sujet de notre accord. Tu sais, les fameux 30%.

— Ça faisait un moment que tu ne voulais plus en entendre parler.

— Et si je te disais que je voulais encore utiliser Léana ? chuchote Eugène.

— Comme tu as refusé toutes mes dernières mises à jour, je n’ai pas accès à tes chargements sur mon tableau de bord… Mais si tel est le cas, alors je te dirais que tu as bien fait de lui dire de prendre contact avec mon avocat. Qu’est-ce qui t’a fait descendre de tes grands chevaux ?

— Léana est utile. Ce que je déplore, c’est Zuka.

— Je m’en serais bien passée aussi, quoi que… Un mal pour un bien. J’ai reçu mes premières offres de rachat.

— Tu vas vendre Léana ?

— Tu ne crois quand même pas que je l’ai créée pour passer ma vie à faire de la maintenance informatique ! lance Sophie.

— Non, mais enfin… Je pensais que c’était ton bébé.

— Un bébé que je vendrai au prix d’or, oui. Pour l’instant, je pense que je peux avoir mieux, mais on parle bien de plusieurs zéros…

— Et moi ? Je pourrai encore l’utiliser quand tu l’auras vendue ? s’inquiète-t-il.

— Je comptais mettre dans la négociation une licence à vie pour moi… Je peux bien en rajouter une deuxième.

— Qu’est-ce que tu veux en faire ?

— Oh tu sais, avec le prix de la transaction, je ne pense pas que j’aurai trop de problèmes, si tu vois ce que je veux dire… Mais ne sait-on jamais ! J’aurais peut-être besoin un jour de devenir copywriter 2.0 moi aussi.

— La blague, raille Eugène.

— Je ne me le souhaite pas. Et toi, tu comptes quand même continuer les notices malgré l’argent du procès ?

— Ce n’est pas pour les notices… »

Tandis que Sophie se gausse, Eugène se mord les lèvres.

« Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? » reprend-elle.

Mais Eugène ne répond pas à cette question.

« Comment va Clara ?

— Bien, bien, elle t’envoie le bonjour. Et Papa ? Tu comptes aller le revoir bientôt ?

— Ce n’est pas prévu. »

Quand il raccroche, Eugène regarde son jardin, et la vision aplanie, régulière, de ce sol le rassure. Enfin.

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Gab B
Posté le 24/03/2023
Wahou. Je ne sais pas quoi dire. Après le dernier chapitre, j'ai VRAIMENT cru qu'on allait vers un happy ending où Eugène se rendait compte que finalement c'est pas si grave de s'aider de Léana, que ça allait le réconcilier avec sa soeur et son père... Je suis séchée ! Je n'ai pas du tout vu arriver cette fin. Peut-être que je le trouvais trop prétentieux et égocentrique pour voir sa détresse ? J'avais vraiment l'impression qu'il était lui-même la cause de ses problèmes (avec Gabrielle, avec son père, avec Sophie...) et qu'il suffisait qu'il se réveille un peu pour se rendre compte qu'il pouvait s'en sortir "facilement" et que sa vie n'était pas si pourrie qu'il voulait bien le croire. Du coup je ne sais pas si cette fin est vraiment très abrupte ou si c'est juste moi qui ait été aveugle !

En tout cas, merci d'avoir partagé ton histoire ici ! J'ai déjà dit tout ce que j'avais à dire dans les chapitres précédents, je ne vais pas le répéter là :) c'était très sympa de suivre cette aventure littéraire !

A bientôt peut-être !
Hylla
Posté le 25/03/2023
Un grand merci pour ta lecture et tous les commentaires sur cette histoire :) c'est si précieux d'avoir des retours pour avancer !

Pour être honnête, j'ai beaucoup hésité... Entre lequel des deux je devais "tuer" à la fin. J'ai longtemps cru que ce serait le père, avec une maladie qui touchait à son terme, et dont il n'aurait pas parlé à son fils faute de dialogue entre eux sur les derniers mois. Mais avec le temps, j'ai commencé à me dire que ce monstre de rage qu'est Eugène pouvait tout aussi bien faire l'affaire. Après tout, il en est arrivé à un tel point de désespoir, à renier ses propres valeurs, que cette fin me semblait aussi appropriée.

Je suis actuellement en réécriture sur ce projet, et la question d'Eugène se pose : le laisser à cran comme je l'ai fait (et cette fin se justifie) ou le nuancer davantage, mais j'aurais vraiment l'impression de changer de personnage. Au final, Eugène est un anti-héros donc je ne suis pas choquée qu'il agace les lecteurs.

La question que j'aimerais te poser, c'est outre ton désamour envers Eugène, est-ce que tu as eu l'impression de comprendre son attitude (même sans y adhérer) ?

Merci encore pour tout !
Gab B
Posté le 28/03/2023
Hello !

A vrai dire, quand j'ai commencé à lire ce chapitre, j'ai d'abord cru que c'était Philippe qui était malade et qui n'avait pas eu l'occasion de le dire à son fils !

J'ai compris son attitude, au début. Devoir être d'abord reconnu en tant que Zuka, puis se rendre compte que le texte ne lui convient finalement pas et qu'il s'est fait dépossédé du message qu'il voulait faire passer : perso, j'aurais pris l'argent, mais j'ai compris pourquoi il ne faisait pas car le raisonnement que tu décris dans ce chapitre est très cohérent. C'est plus son entêtement que je n'ai pas compris, et surtout j'étais tellement heureuse à la fin de voir qu'il chanegait d'avis et se rangeait au mien, à savoir que ce n'est pas si grave de se faire par Léana, quitte à réécrire ensuite les passages qui ne lui plaisent pas ! C'est peut-être parce que je suis un peu comme lui, incapable d'écrire un roman à moi toute seule, et que je me repose sur mes deux compères pour avoir la majorité de la trame, que je me contente de réécrire et reformuler ^^ bref, j'étais si contente qu'il change d'avis que son suicide m'a déçue, parce que j'aurais aimé le voir évoluer ! Il reste buté dans son avis du début à la fin, complètement fermé aux autres, c'est dommage je trouve :) (alors que pour le coup, la mort de son père aurait peut-être pu agir comme un électrochoc, lui qui n'a jamais réussi non plus à finir un livre, peut-être que le fait de co-écrire avec sa soeur (via Léana) aurait été un bel hommage à Philippe !)

Le fait qu'il soit agaçant n'est pas grave pour moi, c'est surtout que voulais teeeeellement qu'il évolue ^^

Voilà tout mon point de vue sur ta question ! Je suis curieuse de savoir ce que tu vas changer lors de ta réécriture :) Et de rien surtout, j'ai suivi avec plaisir les (més)aventures d'Eugène ;)
Hylla
Posté le 28/03/2023
Merci pour ton retour ;) c'est très enrichissant de le lire !
Et pour le coup, ça me fait beaucoup réfléchir sur la fin, car initialement, c'était bien le père que je comptais achever. Et puis j'ai hésité, et puis, c'est cette fin là qui est sortie... Même au moment de l'exécution, je doutais encore.

A réfléchir donc !

Pour la réécriture, j'aimerais approfondir davantage certains dialogues, mieux poser certaines scènes dans certains chapitres qui sont inégaux face à d'autres. Et puis laisser transparaître davantage la thématique de l'IA aussi... Enfin, pas mal de travail sur la planche ! Cette réécriture me submerge un peu pour être honnête.

Bien à toi
Gab B
Posté le 29/03/2023
Bon courage pour ta réécriture :)
Hylla
Posté le 29/03/2023
Merci ;)
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