Après plusieurs nuits de répit, les cauchemars de Soreth revinrent le hanter. Ils furent chasse à court, bataille sanglante, exécution sommaire. Il devint proie, soldat, condamné. Par chance, la souffrance le réveillait toujours avant la mort et lui évitait de contempler sa fin. Seul dans l’obscurité, ébranlé par ses souvenirs, il attrapait alors la dague qu’il avait cachée sous son oreiller et la serrait dans ses mains poisseuses. Comme pour se prouver qu’il n’était plus l’être sans défense qu’il avait été. La réalité lui revenait peu à peu au contact rassurant de l’acier froid : la nouvelle mission, l’ambassade, Lyne, et les battements de son cœur s’apaisaient. Du moins, jusqu’à son prochain cauchemar.
À cause de sa nuit agitée, Soreth ne sortit de son lit que bien après le lever du soleil. Il passa une dizaine de minutes à maquiller ses cernes, jeta un regard en direction de la galerie qui menait vers la chambre de sa protectrice, enfila sa plus belle chemise brodée, et quitta son alcôve.
L’un des gardes devant sa porte lui indiqua que Lyne était debout depuis plusieurs heures et qu’elle le rejoindrait après son entraînement. Il le remercia d’un hochement de tête, l’esprit encore embrumé, et se rendit vers les quartiers de travail de l’ambassade. Croiser le fer avec la prétorienne lui faisait envie, mais il n’en avait pas le temps. De nombreuses personnalités allaient bientôt vouloir le rencontrer et, entre les grognements de son estomac et sa migraine, il arrivait à peine à s’entendre penser.
L’usage du cabinet royal était réservé aux descendants d’Erell, et servait surtout à recevoir des invités de marque. C’était pourquoi on avait réussi, par un miracle d’organisation, à y faire entrer : deux bancs à coussin, une table basse, une petite bibliothèque et un grand secrétaire. Deux tableaux embellissaient aussi l’endroit. Le premier représentait un pommier dans un champ en fleur. Le second un bateau au cœur d’une tempête. Même s’il les appréciait, le prince se souvenait surtout des journées ennuyeuses qu’il avait passé à les contempler pendant que ses parents négociaient d’interminables traités. C’était maintenant à son tour de les imiter, et cela l’enthousiasmait encore moins. Heureusement pour lui, son premier rendez-vous lui donnerait l’énergie d’affronter les suivants.
Il s’asseyait tout juste sur l’un des bancs lorsqu’un serviteur lui amena de quoi déjeuner. Il le remercia avant de l’envoyer chercher plusieurs archives, puis commença à manger. Lyne lui manquait, mais il était content qu’elle ait voulu s’entraîner. Il était allé la voir la veille aussi bien pour leur mission que pour lui remonter le moral. Cela semblait avoir fonctionné.
Elle le rejoignit peu après qu’il ait fini son repas, chassant immédiatement les pensées noires qui s’attardaient dans son esprit. Après tout, son passé et ses cauchemars étaient bien moins intéressants que le visage concentré de sa protectrice pendant qu’elle inspectait la pièce. Tandis qu’il triait une petite pile de dossiers, elle scruta attentivement les murs, laissa ses doigts courir le long du bureau, déplaça vainement plusieurs livres de la bibliothèque, et tourna finalement un regard interrogateur dans sa direction. Il lui offrit un sourire malicieux et un haussement d’épaules en guise de réponse. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle chercherait les secrets du cabinet jusqu’à les trouver, et c’était exactement ce dont elle aurait besoin pour s’occuper dans les jours à venir. Comprenant qu’elle n’obtiendrait rien de plus, elle lui adressa une grimace moqueuse et s’assit sagement à ses côtés.
Une vingtaine de minutes plus tard, on leur annonça que leur premier rendez-vous les attendait dans le hall.
Annelle Gythiue était de ces individus que l’on ne pouvait ni ignorer ni redouter. D’une part parce qu’elle portait d’impressionnantes robes aux couleurs criardes et parfaitement assorties avec sa peau brune. D’autre part, car son sourire chaleureux et ses longs cheveux gris impeccablement coiffés lui donnaient l’aspect d’une vieille femme à qui l’on aurait confié son enfant et son âme. Pour la plupart des habitants de Hauteroche, elle était l’épouse de sire Gythiue, un riche marchand erellien. Pour les résidents de l’ambassade, elle était une seconde grand-mère que l’on appréciait toujours de voir, même si l’on savait qu’on n’en retirerait qu’un pincement de joue, une part de gâteau et un conseil avisé. Pour les espions du royaume, elle était une responsable exigeante et sage, dont les talents pour l’obtention d’information et l’élimination des cibles dangereuses n’étaient plus à prouver. C’était le père de Thescianne qui avait décelé son potentiel, quarante-trois ans auparavant, et en avait fait une prétorienne. Il avait fallu du temps à Soreth pour s’habituer à son étrangeté et ses méthodes exubérantes, mais il avait fini par admettre que celles-ci étaient particulièrement adaptées à la politique alambiquée de la cité franche.
Lorsque les Erelliens arrivèrent dans le hall, Annelle était en pleine discussion avec les gardes de l’entrée. Elle les salua en apercevant le prince et son équipière, puis se dirigea vers eux d’un air enjoué.
— Quel plaisir de te revoir ! s’exclama-t-elle en posant un baiser sur les joues de Soreth.
— Il est partagé, répondit celui-ci en lui rendant son sourire.
Sans s’arrêter dans son élan, la marchande embrassa ensuite Lyne, qui eut un mouvement de recul. Son interlocutrice ne sembla pas le remarquer ou s’en soucier, et reprit la parole comme s’il ne s’était rien passé.
— Je suppose que tu es sa protectrice, ma chère. Enchantée de te connaître.
— Dame Gythiue, déclara finalement la guerrière en retrouvant sa contenance, c’est un honneur de vous rencontrer.
L’espionne esquissa une moue avant de secouer la tête.
— Je t’en prie, appelle-moi simplement Annelle. À mon âge, on a reçu bien assez de « dame » pour toute une vie.
— Bonne chance pour cela, s’amusa le prince, Lyne est très respectueuse du protocole. Tu serais déjà en veine si elle utilisait ton prénom.
Une expression compatissante traversa le visage de la marchande.
— Ne t’inquiète pas, jeune fille. Je comprends. Je n’en menais pas large non plus lorsque j’étais demoiselle d’honneur à la cour.
— Je ne savais pas que vous aviez servi la reine Thescianne.
— Penses-tu ! s’esclaffa Annelle en secouant la tête. Elle n’avait que dix ans à l’époque. Non, j’étais la dame de compagnie de son père. Hélas, ajouta-t-elle en soupirant, je crains que cela ne me rajeunisse pas.
Soreth pouffa, puis attrapa le bras de son ancienne professeure et l’entraîna en direction du bureau. Ils en profitèrent pour échanger sur son mari et ses deux fils, dont le prince se souvenait avec joie. Le mentorat de l’espionne l’avait conduit à fréquenter son foyer durant une année entière, et il avait apprécié l’humeur et la complicité qui y régnait. Il l’avait même en partie jalousé, mais savait que c’était de sa faute si cette connivence n’existait pas dans sa propre famille.
Quand ils furent dans le bureau, Soreth verrouilla la porte et s’assit dans un canapé en face de la marchande. À la demande de cette dernière, Lyne s’installa à côté d’elle. La garde royale restait pour l’instant muette, mais son partenaire la savait aussi pressée que lui d’entrer dans le vif du sujet, et se hâta donc de résumer leurs aventures. D’abord triste en écoutant le sauvetage de Jalith, Annelle perdit peu à peu sa contenance lorsqu’il détailla le charnier de Brevois, sans chercher à dissimuler l’horreur que lui inspirait le récit.
Au début, Soreth eut du mal à trouver les mots pour décrire qu’ils avaient vu là-bas. Il en avait enfoui les images au plus profond de son être, comme un mauvais rêve dont il espérait se débarrasser. Elles revinrent toutefois au fur et à mesure qu’il évoquait ses souvenirs, et il n’y eut cette fois ni mission ni dangers pour le distraire des taches de sang, de l’odeur du bûcher, des crânes au milieu des cendres. En face de lui, le visage de son équipière se crispait en même temps que celui d’Annelle blanchissait. Pendant un instant, il voulut hurler contre l’injustice du monde et la cruauté de ses semblables. À la place, il ravala son amertume et termina son récit.
Étrangement, lorsque ce fut fini et en dépit de sa rage sourde, il se rendit compte que le poids qu’il portait depuis Brevois s’était allégé. Comme si une partie de sa peine s’était échappée avec ses paroles.
Tandis qu’il s’en étonnait, la maîtresse-espionne resta silencieuse le temps de retrouver son aplomb, puis enchaîna avec douceur.
— Je pensais que ton frère avait exagéré sa missive, mais c’était l’inverse.
Elle attrapa la main de Lyne et la tapota gentiment.
— Je ne souhaite à personne de vivre cela, mais pour une première mission, c’est encore pire. Si vous voulez, j’ai amené des biscuits pour vous remonter le moral.
— Euh… je…, c’est bon ne vous em…
Sans s’occuper des protestations de la prétorienne, Annelle fouilla dans son sac et en sortit une boite en osier tressé, qui arracha un sourire nostalgique à Soreth. L’étui l’accompagnait partout où elle allait. Elle en retira le couvercle, révélant un assortiment de gâteaux variés, et le tendit à Lyne. Celle-ci afficha une moue étonnée, mais comprit qu’il était inutile de lutter et attrapa un sablé aux fruits. Alors que le prince l’imitait, l’espionne était une trop bonne pâtissière pour que l’on refuse ses biscuits, celle-ci reprit la parole.
— Malgré l’horreur de votre histoire, nous devrions en tirer quelque chose. Nous soupçonnions déjà quelqu’un pour les silos, et vos informations corroborent nos théories.
— Chavez-vous qui nous cherchons ?! s’exclama Lyne la bouche encore pleine.
Une grimace traversa le visage d’Annelle.
— Probablement pas comme vous l’espérez. Nous n’avons ni nom ni description. Seulement un sobriquet que lui donnent nos agents, Mascarade. C’est un peu mélodramatique, mais c’est un bon résumé.
Elle arrêta là son explication, sans se soucier de son auditoire avide, et prit un sablé dans la boite. Elle le cassa en deux, en offrit une partie à Lyne, qui venait de finir le sien, et mangea l’autre silencieusement. Devant la manœuvre et le visage frustré de son équipière, Soreth sentit ses lèvres se plisser. L’espionne estimait que la patience était la plus grande des vertus, et elle avait une manière bien à elle de l’enseigner.
Une fois son biscuit terminé, elle but la moitié d’un verre d’eau en ignorant le regard impératif de sa voisine, puis s’essuya méticuleusement les mains avant de poursuivre.
— Le premier rapport que nous avons au sujet de Mascarade remonte à une quinzaine d’années. À l’époque, l’agent s’était contenté d’évoquer un commanditaire brutal aux méthodes expéditives. D’autres ont ensuite fait des comptes rendus similaires, mais nous considérions alors chaque référence comme des personnes différentes. Après tout, Hauteroche regorge de brutes impatientes. Les mentions sont toutefois devenues de plus en plus fréquentes depuis quelques années, se regroupant par thèmes, complices et objectifs. Aujourd’hui, nous sommes persuadés qu’il s’agit d’une seule et même personne.
Annelle marqua une nouvelle pause pour terminer son verre d’eau, puis reprit.
— Nous savons que Mascarade entretient des liens étroits avec la pègre, mais pas ce qu’il ou elle en retire. Ses sbires ne l’ont en plus jamais vu, et la plupart sont de toute façon trop effrayés pour dire quoi que ce soit. Nous lui imputons cependant la disparition de plusieurs chefs de la ville, ainsi que la prolifération de la contrebande et du mercenariat. Nous estimons aussi que plusieurs bandes l’ont rallié récemment, sans arriver à en obtenir le compte exact.
— C’est maigre, grimaça Soreth de plus en plus intrigué, mais nous allons peut-être vous permettre d’y voir plus clair. Je te ferai parvenir dans l’après-midi une flèche à l’empennage rouge, que nous avons trouvé à la fois chez les pillards de la caravane et les bandits de Brevois. Si nous ne nous trompons pas et que Mascarade utilise le même fournisseur pour ses troupes, vous pourrez peut-être en retrouver la trace.
Un sourire de gratitude s’étira sur le visage d’Annelle.
— Vous êtes arrivé depuis une journée et vous avez déjà une piste à m’offrir ! Ce ne sont pas des biscuits que j’aurai dû vous amener, mais une tarte toute entière. Je vais mettre des agents là-dessus. Je vous tiendrai au courant de leurs découvertes.
— Et sinon, l’interrogea Lyne en pleine réflexion, avez-vous plus d’information sur les problèmes récents de Hauteroche ? Nous pensons que l’attaque des silos et les meurtres du quartier centre lui sont imputables.
— Nous savons que les familles des gardes ont elles aussi disparu, mais cela ne nous avance guère. Elles pourraient autant s’être enfuies avec eux qu’avoir été éliminées. Quant aux assassinats, l’enquête piétine. Le fait que le capitaine Tolvan s’occupe de l’affaire a rassuré le peuple, mais lui, cela lui vaut surtout des cheveux blancs. Les soldats n’ont pas réussi à retrouver les corps des victimes ou les objets volés, et prient surtout leurs ancêtres pour que l’histoire ne se répète pas. Si votre intuition est bonne, ils vont être déçus. Cependant, même si la violence des crimes correspond avec ce que nous connaissons de Mascarade, nous n’avons trouvé aucun lien entre les morts et la pègre. Cela pourrait-être une affaire distincte.
Soreth hocha la tête, trop de suppositions pouvaient s’avérer dangereuses, mais sa partenaire n’était pas du même avis.
— Quoi qu’il ou elle essaye de faire, cette ordure ne laisserait jamais une autre bande mettre son plan en péril. Même si nous ne les comprenons pas encore, je suis sûr que les attaques en font partie.
— Il est vrai que perdre le contrôle n’est pas son genre, acquiesça Annelle avant de ranger sa boite de biscuits et d’ajouter, j’aimerais continuer à discuter avec vous, mais je suis attendu au cercle des marchands. Avec un peu de chance, nous y aurons quelques idées pour améliorer l’état de la ville.
— Merci pour ton aide, conclut le prince. Si tu as besoin de quoi que ce soit, fais-nous signe.
— Merci à vous deux surtout ! Vos renseignements tombent à point nommé.
L’espionne marqua une pause, hésitant à en dire plus, puis reprit avec inquiétude.
— Je sais que cela ne vous empêchera pas de fouiller de votre côté, mais soyez très prudents. Mascarade a déjà tué trois des nôtres. Je ne voudrais pas que soyez les prochains.
Les prétoriens hochèrent silencieusement la tête. Annelle avait doublement raison. Ils ne reculeraient pas maintenant qu’ils étaient sûrs qu’ils cherchaient au bon endroit, et ils allaient devoir prendre davantage de précautions. Ils venaient d’entrer sur le territoire de leur adversaire. Il ne leur ferait aucun cadeau.
Ils escortèrent peu après la maîtresse-espionne au hall principal, où elle prit congé d’eux. Ils échangèrent ensuite un regard troublé, dans lequel se mêlaient les souvenirs de Brevois et l’inquiétude des pistes qu’ils avaient évoqués, puis Soreth se força à sourire et son amie l’imita. Ils retournèrent alors au cabinet royal, où Lyne posa une multitude de questions au sujet d’Annelle. Bien décidé à chasser leur morosité, le prince lui parla de leurs nombreuses traversées des égouts, provoquant des grimaces faussement horrifiées, des commerçants corrompus qu’elle l’avait envoyé voler, ce qui la fit ricaner, et des cours de danse qu’il avait pris pour mieux s’intégrer dans la haute société, qui lui valurent une demande de démonstration assortie de la promesse de ne pas en rire. Ils durent cependant remettre cette dernière à plus tard lorsque Trisron les rejoignit pour déjeuner.
L’après-midi fut bien plus monotone que la matinée. Assit derrière son bureau, Trisron à sa droite et sa partenaire à sa gauche, Soreth vit défiler une suite interminable de nobles et de marchands en quête d’accords, de faveurs, ou simplement de reconnaissance. S’il écoutait attentivement les discussions politiques et les nouvelles de la cité, il perdait sa concentration lorsque les sujets l’intéressaient moins et ressassait les informations qu’Annelle leur avait apportées. Il comprenait l’avantage pour la pègre de revendre les pierres d’Eff et les calix qu’ils avaient obtenus à Brevois, mais massacrer des bourgeois de Hauteroche ressemblait à un suicide. On surnommait le capitaine Tolvan « le chien de guerre ». Il ne lâcherait l’affaire qu’une fois les coupables trouvés, dut-il pour cela interroger un à un les habitants de la ville. Pour agir ainsi, Mascarade était soit inconscient, soit trop puissant pour craindre la fureur de l’individu le plus dangereux de Hauteroche.
— Alors, qu’en pensez-vous ?
Subitement tiré de ses réflexions, Soreth détailla le jeune homme blanc qui lui parlait. Il se souvenait vaguement qu’il était le fils d’un marchand valéen, mais n’avait aucune idée de ce qu’il venait faire ici. Décontenancé, il se redressa sur son siège et croisa les mains en prenant un air sérieux.
— Je crois que c’est un sujet qui mérite notre intérêt. Nous allons l’étudier, et nous vous tiendrons informé de notre décision.
Un sourire s’étira sur le visage de son interlocuteur, laissant le prince supposer qu’il avait répondu correctement ou, au moins, qu’il avait gardé le commerçant satisfait. Sa concentration revenue, il lui fit signe de poursuivre ses explications et tendit une oreille attentive, espérant découvrir à quelle idée il venait de donner sa bénédiction.
Lorsque la ronde des audiences se termina, l’après-midi touchait à sa fin. Trisron adressa un hochement de tête aux prétoriens, satisfait de la journée, puis sortit en annonçant qu’il allait se préparer pour l’anniversaire de Darsham. À nouveau seul avec sa partenaire, Soreth se détendit sur son fauteuil et se tourna vers elle.
— Te sens-tu prête pour ton premier événement mondain ?
Lyne grimaça en croisant les bras.
— Pas vraiment. Je ne même suis pas sûr de mon rôle là-bas…
— Eh bien, tu pourrais jouer les protectrices idéales et me suivre toute la soirée, mais cela serait moins intéressant que si tu te mêlais à la foule pour discuter. Entre les bourgeois, les militaires et les diplomates, il y aura bien des gens pour venir voir si ton statut peut leur être utile.
— Cela devrait être dans mes cordes, opina Lyne avant de jeter un coup œil ennuyé à son accoutrement, même si avec cette cotte de mailles je pourrais avoir « roturière » d’écrit sur le front que cela n’y changerait rien. Personne ne voudra me parler.
Le prince sourit en contemplant l’armure lustrée avec soin et hocha la tête. La cotte pouvait briller autant qu’elle le pouvait, elle n’équivaudrait jamais aux vêtements luxueux qu’allaient porter les invités du conseiller.
— Tu mets tellement d’entrain à nettoyer ton matériel que j’ai honte de te forcer à le laisser derrière toi, dit-il en se levant, mais je me suis permis d’anticiper ce problème.
Il se dirigea vers un épais sac en toile de jute, qu’un domestique avait rangé dans un coin du cabinet au cours de l’après-midi, le souleva avec difficulté, et revint le poser sur le bureau devant sa partenaire intriguée. Il y plongea ensuite la main, un air malicieux sur le visage, et en ressortit un magnifique canon d’avant-bras en argent.
Lyne lui adressa un regard stupéfait, puis attrapa timidement la pièce d’équipement. Ses doigts glissèrent sur le kraken qui y était ciselé, et elle murmura d’une voix impressionnée.
— Il est superbe. N’est-il pas semblable à ceux que possèdent les gardes royaux ?
— Tu es ma protectrice depuis presque un mois. Je trouvais dommage que tu n’aies jamais eu l’occasion de mettre une armure officielle.
— Comment cela, demanda la prétorienne sans détacher ses yeux de la protection, est-ce qu’elle est vraiment pour moi ?
— Eh bien, s’amusa Soreth en sortant d’autres pièces, même si j’adore ces armures on ne me laisse jamais les utiliser. Je comptais sur toi pour me venger. Comme elle provient des réserves de l’ambassade, elle ne sera pas aussi agréable à porter que si elle était faite sur mesure, mais elle devrait faire l’affaire d’ici notre retour à Lonvois.
Cette fois, Lyne releva la tête et adressa un sourire incrédule à son ami. Il répondit à l’identique, ravi de voir ses prunelles briller d’excitation.
Chaque armure nécessitait deux mois de travail aux forgerons du château. Comme elles étaient fabriquées dans des creusets hors de prix en orichalque, leur structure était bien plus résistante que leur homologue standard, et il fallait une dizaine de coups de marteau de guerre pour les ébrécher. Cela avait entraîné de nombreuses légendes au sujet de militaires morts alors que leurs cuirasses étaient encore intactes, mais ces dernières n’en demeuraient pas moins les meilleures protections du continent.
Pendant que la prétorienne détaillait son nouveau plastron, sur lequel était gravé le blason du royaume, Soreth reprit.
— J’espérais que cela te plaise. Tu m’avais raconté que tu en rêvais depuis longtemps.
— Depuis que je suis entré dans l’armée, acquiesça son amie avec entrain, mais je ne pensais pas que cela se réaliserait un jour. Merci ! Merci beaucoup !
— Ce n’est rien, déclara le prince en sentant la chaleur lui monter aux joues, merci à toi d’avoir accepté de nous rejoindre.
Il passa une main dans ses cheveux, soulagé que Lyne ne lui accorde pas plus d’attention, et entreprit de ranger les documents qui traînaient sur son secrétaire pour cacher sa gêne. Voir des gens heureux lui faisait toujours plaisir, mais il n’y avait bien que lorsqu’il s’agissait de la prétorienne que son cœur battait aussi vite. Tout en s’efforçant de masquer son trouble, il fit glisser la clef du bureau vers la guerrière occupée.
— Je te laisse fermer. Je dois aller me changer.
— Ne veux-tu pas que nous remontions ensemble ?
— Non ! Enfin, prends ton temps. Je dois passer chez… la coiffeuse. Cela ne sera pas très intéressant.
Lyne cessa de contempler les cuissardes argentées de sa nouvelle armure, tourna les yeux en direction de son ami, et l’observa avec un étrange sourire pendant qu’il terminait de ranger ses affaires.
— Retrouvons-nous devant ta chambre alors.
— Oui ! Cela sera parfait. À tout de suite.
Rassuré de s’en être sorti sans gaffer, Soreth adressa un signe de tête à son équipière, se retenant par là même de se perdre à nouveau dans son regard, et quitta le cabinet royal en se demandant si la coiffeuse de l’ambassade accepterait de le recevoir en urgence.
Tu sais que je suis un peu moins fan des chapitres où il y a beaucoup de discussion, mais j'ai bien aimé le personnage de l'espionne qui cuisine des biscuits !
Puis je m'attendais à ce que Soreth propose une robe de bal à Lyne, suis-je bête, alors j'ai été positivement surpris par l'histoire de l'armure de la garde royale et l'attitude de Soreth !
A bientôt pour la suite !
Désolé d'avance du coup ^^' la répartition des dialogues ne fait pas partie de ce dont je suis le plus fier avec ce roman...
C'est tout de même bien si tu apprécies Annelle. Ainsi que le petit clin d’œil à se célèbre cliché de la robe :P
À bientôt !