CHAPITRE 21

CHAPITRE 21

― Vous n’êtes pas un mage, dit Sorc.
Cette remarque fit rire l’inconnu.
― Vous ne connaissez pas d’autres méchants que les mages ?
― Non, dit Sorc. Vous êtes celui que tout le monde cherche, n’est-ce pas ?
― Vous me flattez.
― Pourquoi ? Pourquoi tous ces meurtres ?
Le jeune homme réfléchit à sa réponse. Il était d’un calme provocateur. D’une sérénité que seuls arborent ceux qui ne doutent pas de leur supériorité. Il était bien jeune, se dit Sorc.
― Je n’ai pas envie de vous le dire, finit par lancer le garçon. Je ne voudrais pas que mon plan échoue.
― Quel plan ? Quel dieu êtes-vous ?
― Vous n’avez pas encore deviné ? s’étonna l’inconnu.
― Non.
― Vous n’êtes vraiment pas si bon que cela alors. Bon, tant mieux, d’une certaine façon. Je suis vraiment désolé mais vous me gênez malgré tout par vos enquêtes. Je vais devoir vous éliminer.
Le jeune homme se leva. Sorc ne recula pas d’un pas.
― M’éliminer, comme vous avez éliminé Peet ?
― Exactement. Mais en plus spectaculaire encore.

À peine avait-il finit sa phrase que son corps se déforma. Sa tête et son ventre se gonflèrent, ses doigts s’allongèrent et ses cheveux tombèrent, repoussés par une épaisse couche d’écailles.
Face à Sorc, un imposant dragon remplaçait désormais le jeune homme. Un dragon qui rugissait du plaisir d’exister.
Le corps de la sorcière réagit instantanément sans qu’elle ne le contrôle.  
Par une magie qu’elle ne connaissait pas, de ses doigts grandirent des griffes, de sa peau poussèrent des poils, de sa bouche qui s’allongeait vers l’avant sortirent des crocs.
Sorc connaissait ce corps. Il l’avait pratiqué des années durant. Il était désormais panthère et n’eût pas le temps de se demander pourquoi. 
Le dragon ouvrit grand sa gueule et en cracha du feu. Sorc se téléporta dans son dos et chargea. Il sauta, tenta de planter ses griffes dans le dos de la bête, mais les écailles étaient trop épaisses. Le dragon se retourna brusquement, envoyant Sorc valser contre l’un des murs du bâtiment.
Avant de s’écraser contre la pierre, la sorcière se téléporta de nouveau pour éviter l’impact. Elle atterrit entre deux bancs qui l’aidèrent à se stabiliser. 
Face à face et à plusieurs mètres de distance, les deux animaux se jaugèrent. 
Puis le dragon se mit à rire.
― Tu n’as pas oublié l’art de la bataille, dit-il.
― Que sais-tu de moi ? demanda Sorc.
― Que sais-je du fameux Sorc ? Rien de plus ni de moins que ce dont parlent les légendes.
― Foutaises. 
― Que veux-tu, je suis un dieu, les informations sont faciles à trouver sans même avoir à les chercher. Mais peu importe, je suis venu pour te tuer.
Le dragon ouvrit sa gueule et enflamma toute la cour d’un mouvement circulaire.
Sorc se téléporta dans les airs au-dessus de la tête de son adversaire et se laissa tomber toutes dents et griffes dehors. Mais il atterrit directement au sol, sa cible avait disparu.
D’un mouvement réflexe, la panthère plongea pour éviter un nouveau souffle de flammes venu de derrière.
Un “dieu exceptionnel” avait dit la chasseuse d’ours. Le combat était inégal. D’autant que l’esprit de Sorc était occupé par la disparition de ses deux collègues. 
Des mages, des attaques contre les sorcières, un mauvais dieu. Les relents d’un passé lointain et effroyable ressurgissaient dans l’esprit de la sorcière. Mais il lui fallait tout de même tenter, faire son travail.
― Tu ne t’en sortiras pas, dit Sorc. Même si tu me tue, il y a trop de monde après toi.
― N’essaye pas de faire ta gentille sorcière avec moi. Tu ne me “sauveras” pas. Il y a des monstres qui ne cherchent pas à se faire aider.
― Ce sont les plus fragiles.
Le dragon rit une fois de plus.
― Raconte-toi cette jolie histoire si tu le souhaites. Et meurt en y croyant.
Le dieu disparu pour réapparaître à quelques centimètres de la gueule de Sorc et lui cracher son feu directement dans la figure.
Sorc se téléporta. 

Il ne réapparut pas dans la cour, mais dans le bureau de Kinna. 
Il avait fuit. Loin de cet ennemi qu’il ne pouvait battre. 

Il lui faudrait de l’aide, ou du moins une stratégie, pensa-t-il en reprenant son souffle.
Mais il n’eût pas la trève escomptée. Car dans la pièce surgit son adversaire qui fonça sur lui, dents en avant. Sorc, toujours panthère, se jeta sur le côté pour éviter la morsure de justesse.
― Tu as cru que tu pourrais m’échapper aussi facilement ? dit le dragon. Les traces que tu laisses dans le sillage de tes sauts sont tellement grossières, je peux les sentir à des kilomètres, débutant.
Il ne fallait pas paniquer. Il fallait réfléchir. 
Sorc partit pour la lointaine campagne, tentant de gagner du temps. Le contact de l’herbe sous ses pieds et de la brise dans sa fourrure eût pour quelques instants un effet apaisant.
Mais de courte durée. Car sans surprise, son adversaire jaillit dans son dos pour relancer son attaque. 
Où aller ? Comment s’en sortir ? Comment échapper à un dieu ?
Alors que Sorc évitait une nouvelle lancée de flammes, il lui vint une idée. Une idée saugrenue, peut-être, mais une idée qui vallait le coup d’être tentée.
Il se téléporta une fois de plus.

Sorc réapparut dans son corps d’humain sur le seuil de l’église de la Bonne Mère.
Du plus vite qu’il put, il en empoigna la porte, la déverrouilla d’un sort, entra et la referma derrière lui.
Puis il patienta, le cœur battant.
Rien.
Il attendit encore un peu, vérifia qu’aucun piège ne l’attendait ni derrière ni devant lui,
mais seule sa respiration haletante venait troubler le silence du lieu.
Le dragon ne l’avait pas suivit.

La sorcière souffla de soulagement.
Elle avait fait le pari qu’un dieu ne viendrait pas combattre dans la demeure d’un autre, encore moins de l’un des plus puissants d’entre eux. Sorc lui-même n’avait pas osé se téléporter directement dans le lieu de culte, il n’était même pas certain que cela soit possible.

Ainsi ce dieu dragon si sûr de lui craignait-il tout de même la Bonne Mère. C’était un peu réconfortant.
Mais l’inconvénient était désormais d’être cloitré ici pour un temps indéterminé. Car sortir de l’église signifierait se rendre à nouveau vulnérable aux attaques du dragon.