Le 04 juillet,
Ça y est ! Le premier jour du Grand Divertissement était arrivé !
Pour honorer ses victoires en Franche-Comté, Sa Majesté avait décidé qu'il se déroulerait le 04, 11, 19, 28 juillet et le 18 et 31 août.
La toilette d'Édith était à se pâmer !
Sa robe était signée par un grand tailleur de Paris ! Elle se composait d'un corps de robe en V qui affinait joliment la taille, quoiqu'un peu un peu rigide, mais recouvert d'un beau brocart. Le décolleté était profond, laissant jaillir les dentelles de sa chemise à la gorge comme une délicate vague sauvage et subtile qui donnait du charme à la vêture. Des demies-manches avec les fameuses dentelles agrémentaient le tout.
Son bas de robe s'ouvrait en « rideaux de théâtre » et la jupe taillée dans un splendide brocart de Lyon, le même que son corps de robe, avait des falbalas qui lui rajoutait un air de somptuosité.
Pour la coiffure, Édith la désira telle qu'était la mode, des bouches encadrant le visage, un chignon, des rubans pour capturer la lumière et le tour était joué. Pour les bijoux, un rang de perles autour du cou. Point de bracelets, mais de beaux gants longs jusqu'aux coudes en soie crème.
Édith se présenta chez la duchesse de Montpensier et patienta dans son antichambre qu'elle fut prête. Elle tendit l'oreille car elle crut discerner la voix de Val-Griffon derrière la cloison ! Elle s'approcha et colla son oreille à la porte, c'était bien lui ! Que faisait-il avec elle ?
Elle ne put s'attarder davantage, la porte de la chambre s'ouvrit, la Grande Mademoiselle parut aussi bellement vêtue que la Lune et Édith considéra que sa robe, bien que splendide, ne fût en rien de la taille de celle -divine- de la cousine du roi. La toilette de la duchesse de Montpensier était aussi argentée que l'astre sélène, agrémentée de pretintailles argents et dorés.
— Allons-y mademoiselle de Montgey, fit-elle d'une voix irritée et inquiète en passant à son côté. Nos amis nous attendent.
Édith jeta un coup d'œil dans sa chambre, las, Val-Griffon avait disparu... Quelle étrange visite secrète...
Alceste, tragédie lyrique de monsieur Lully était jouée dans la cour de marbre et partout les courtisans affluaient. Une scène avait été construite et arrivait presque sous les premières fenêtres du château ! C'était inimaginable ! De part et d'autre de la cour, deux rangées d'arbres en pot faisaient rang d'honneur aux chanteurs, et derrière eux, couvert de fleurs, une fontaine !
Des chandelles illuminaient la cour de marbre depuis le haut jusqu'en bas et conféraient au tout un air de féerie ! Versailles était irréel !
Après Alceste, on fit médianoche, un repas pris peu après minuit, et Édith, qui n'avait point retrouvé Anne dans tout le chaos de la Cour, suivit à grand peine la duchesse de Montpensier qui conversait avec le roi, la reine et madame de Montespan. Ils parlaient du bonheur de la collation que la Cour avait prise dans le bosquet des Marais plus tôt cet après-dîner, de l'enchantement d'Alceste et de la hâte du prochain jour du Grand Divertissement.
Édith fut certainement oubliée par la Grande Mademoiselle parce que celle-ci passa dans une pièce privée avec Ses Majestés et madame de Montespan et la condamna à faire tapisserie au milieu de courtisans qui grignotaient des dragées et des fruits confits.
La demoiselle fut tirée par la manche, lorsqu'elle se retourna, elle eut le plaisir de voir Carlotina et Esperanza !
À la vue d'Édith, la petite épagneule se leva sur ses pattes arrières pour attirer son attention, faisant s'exclamer Carlotina.
— C'est une chienne qui vous aime fort Édith ! dit-elle stupéfaite.
Édith sourit et se garda de lui avouer la vraie raison de cela.
— Avez-vous goûté Alceste ? demanda-t-elle à Carlotina.
— Oui, même si je n'ai pas vu grand-chose... des personnes se sont mises devant moi. Les airs étaient très dignes toutefois.
— Oh, je suis navrée...
— Ne vous en faites pas, j'ai l'habitude, coupa-t-elle en battant l'air de sa main. Je... je suis contente que vous soyez ici, avoua-t-elle un peu gênée, cela m'a fait grand plaisir quand j'ai su votre venue.
— Le plaisir est partagé, soyez-en assurée. Qu'il me presse d'être le 11 juillet pour découvrir ce que nous prépare Sa Majesté !
Carlotina riota et confessa qu'elle aussi !
La naine de la reine fut appelée par la comtesse de Soissons qui venait de la part de la souveraine, elle était mandée auprès d'elle. Carlotina fut déçue de quitter si vite Édith mais se plia au désir de Sa Majesté. Seule Esperanza demeura avec elle, Édith lui permit de sauter dans ses bras et la demoiselle se retira dans un coin, près d'une fenêtre, écartée de la foule.
Personne ne s'aperçut de son retrait car les courtisans étaient occupés à remplir leur panse, à disperser ragots et politesses, tandis que peu à peu, l'antichambre se vidait.
« Esperanza, que je suis heureuse de te revoir ! »
« Moi aussi ! Oh que j'ai été prise d'un grand bonheur quand j'ai appris ta présence au château ! Il faudra que tu viennes à l'heure où la reine sort en promenade, j'y suis toujours ! »
« Ahahah j'essaierai, promis ! répondit-elle en lui faisant des papouilles, puis demanda doucement. Dis Esperanza, qui est le chevalier de Rohan ?
« Un gentilhomme de grande naissance. Il a longtemps été l'ami de Sa Majesté dans sa jeunesse et un bon guerrier, mais sa propension à semer des dettes, sa vantardise, son implication dans la fuite de la duchesse de Mazarin(1) du domicile conjugal, ont agacé le roi. Il se murmure même qu'il a essayé de séduire la Montespan, plus belle que Vénus. »
« Je comprends que Sa Majesté ne peut plus le sentir... » murmura Édith en se mordillant les lèvres.
Ces informations ne la rassuraient pas... Le duo Rohan-Sanloi n'était peut-être pas inoffensif...
« Est-il banni de la Cour ? »
« Nenni, il est reçu, cependant il ne doit pas faire un nouveau faux-pas, cela lui serait fatal. Il a été déchu de la charge de Grand Veneur en 1669 et pour ce qui est de son poste de colonel des gardes du roi... Je crois qu'il ne l'est plus, mais je n'en suis pas certaine... »
Un raclement de gorge derrière elle la fit sursauter !
Édith se retourna et découvrit le Dauphin accompagné de Val-Griffon qui se tenait à trois pas derrière lui. Édith le dévora du regard malgré elle car sa tenue, quoique moins luxueuse que Monseigneur, était de toute beauté. Elle devait bien l'avouer, elle le trouvait particulièrement séduisant...
Elle se hâta de concentrer son regard sur le Dauphin et lui offrit son sourire le plus sincère. Édith était ravie de le revoir, même fébrile, et sentit en elle des sentiments s'éveiller pour Monseigneur, même si plus elle pensait qu'elle s'entichait du fils du roi, plus une ombre planait sur cette certitude en son esprit.
— Je vois mademoiselle de Montgey que vous avez encore volé Esperanza à la reine, plaisanta le Dauphin.
— Oui, répondit-elle en riotant, Esperanza m'adore et je l'adore encore plus !
— Passez-vous une bonne soirée ?
— À vrai dire depuis que je fais le pied de grue pour attendre Mademoiselle, je m'ennuie terriblement !
— Voilà qui est triste, lui souffla-t-il à l'oreille quand il se pencha pour caresser la petite épagneule.
Édith frémit, sentit une joie inconnue au cœur et sourit d'une manière niaise... Derrière Monseigneur, Val-Griffon serrait les dents.
— Je crois que j'ai la solution pour vous. Je vais aller transmettre à Mademoiselle votre lassitude par mademoiselle des Œillets(2), la demoiselle de compagnie de madame de Montespan, elle saura trouver le chemin de votre libération.
— Oh c'est fort aimable à vous, dit-elle en rougissant de plaisir, et je n'ai pas le cœur de refuser, l'attente m'use.
— Parfait ! En ce cas... puis-je... puis-je vous inviter... j'aimerais vous montrer quelque chose dans mon cabinet... demanda le Dauphin un peu mal à l'aise.
Édith s'empourpra et retint un petit hoquet tant elle fut attrapée par la demande de Monseigneur ! S'éclipser en soirée sans chaperon pour rejoindre un garçon... Cela avait tout du rendez-vous galant ou du scandale...
L'attrait était irrésistible et Édith opina du chef un petit sourire sur les lèvres. Le Dauphin retrouva sa confiance, lui offrit un franc sourire en réponse, et lui dit de se glisser par la porte qu'il lui désigna du regard dans vingt minutes, Charles l'attendrait pour la guider. Celui-ci pinça la bouche mais n'objecta rien.
Édith coula un coup d'œil discret au Dauphin quand il s'éloigna avec Val-Griffon qui lui jeta un regard indéchiffrable. Ses yeux ne traduisaient aucune moquerie, ils étaient graves.
Édith frissonna et se fustigea d'accorder de l'attention à ce freluquet beau à damner une sainte même s'ils avaient fait la paix !
Les vingts minutes lui parurent une éternité et malheureusement pour elle, Esperanza était partie avec la duchesse de Richelieu, la première dame d'honneur, venue lui annoncer qu'elle était libre de rejoindre ses quartiers et qui avait emporté la petite chienne auprès de la reine.
Enfin, c'était le moment de filer en douce ! Elle rasa les murs pour atteindre la fameuse porte, l'esprit en ébullition. Elle prit soin de ne pas faire trop de bruit quand elle l'ouvrit et redouta qu'elle grince, attirant l'attention des derniers courtisans zélés qui conversaient librement dans l'antichambre. Fort heureusement, le grincement s'il fut bel et bien présent, avait été camouflé par les voix et par une patrouille de gardes des Cent-Suisses qui était arrivée pile au bon moment !
Édith s'empressa de refermer la porte derrière elle et s'adossa pour contre sa paroi lambrissée pour respirer ! Ça y est sa réputation ne tenait qu'à un fil ! Et si quelqu'un l'avait vu partir !
— Détendez-vous, personne ne vous regardait, fit une voix dans l'ombre d'une seconde antichambre.
Des bougies à la cire se consumaient sur des candélabres plongeant la pièce dans une semi obscurité.
— Val-Griffon, vous m'avait fait peur ! repartit-elle tout de go, la main sur le cœur.
— Je ne savais pas que nous étions intimes, mademoiselle de Montgey ?
Édith se reprit et passa outre la remarque en lui demandant de la conduire à Monseigneur.
Elle avait dit cela avec une sorte de fierté dans la voix et cela fit arquer un sourcil à Charles, qui la dévisageait d'un air peu convaincu, une chandelle à la main.
— Bien. Suivez-moi en ce cas.
Le trajet fut silencieux jusqu'à une porte close devant laquelle, Charles s'immobilisa et resta pensif.
— Je crois... je crois que vous vous trompez au sujet de certaines « certitudes », mademoiselle de Montgey.
Édith l'examina comme s'il était fol !
— Auriez-vous perdu la raison ? Vous l'avez dit vous-même nous ne sommes pas intimes ! Comment pourriez-vous alors avoir une opinion sur mes certitudes ! Et d'abord quelles certitudes !
Val-Griffon se pencha vers elle, Édith fit un pas en arrière, la scène ardente du jardin du Logis du Roi hantaient ses rêves et ses journées et sentir qu'il était trop proche d'elle physiquement la mettait dans tous ses états.
Même si Édith avait reculé, Charles ne s'était pas redressé, au contraire, leurs yeux étaient pour la première fois à la même hauteur et à cette distante indécente, elle réentendait son cœur battre dans sa poitrine si fort qu'il l'étourdissait !
— Vous ne méritez pas de vous tromper dans vos certitudes, mademoiselle de Montgey, en confondant deux choses à la nuance faible et pourtant immense.
Édith voulut rétorquer pour demander une clarté dans sa réponse, car Ventre-Saint-Gris, il parlait en énigmes ! Mais la porte s'ouvrit et le Dauphin apparut. Val-Griffon se redressa vitement et s'éloigna d'Édith et la demoiselle s'éclaircit la voix.
Tout heureux de la trouver devant ses appartements comme prévue, Monseigneur la prit par le poignet et l'attira à l'intérieur ! Édith fut enlevée aux griffes du Griffon qui ne les suivit pas et partit dans une direction opposée.
GLOSSAIRE :
(1) Hortense de Mancini, (1646-1699), duchesse de Mazarin, une des nièces du cardinal de Mazarin. Dans le temps de la jeunesse de Louis XIV, elle fut brièvement sa maîtresse.
(2) Claude de Vin des Œillets, dite Mademoiselle des Œillets, (vers 1637-1687).