Dans les appartements du Dauphin,
Le Dauphin la conduisit jusqu'à un petit cabinet étroit et luxueusement meublé. Il y avait un candélabre avec des bougies allumées qui jetaient de pâles lumières sur les tableaux aux murs puants la peinture fraîche.
Monseigneur la lâcha et se dirigea vers une belle console marquetée et tira un tiroir. Il sortit une petite boîte en velours qu'il amena à Édith et l'ouvrit devant elle. Dedans, il y avait un très beau et grand saphir d'un bleu saisissant, profond, insondable, cependant ce n'était pas « la larme de l'Océan ».
Édith crut que c'était un présent, gage des sentiments que le Dauphin nourrissait à son égard et s'apprêtait à le refuser poliment car le cadeau était inestimable, et elle, petite fille de marquis de province, ne le méritait pas ; mais le Dauphin parla avant elle.
— C'est le Grand Saphir de mon père, il a enfin accepté que je l'étudie ! C'est une pierre d'une grande rareté. Tenez, regardez celui-ci, dit-il en allant en chercher un autre, c'est un présent qu'il m'a offert. C'est un joyau sans prix qui porte le nom de « larme de l'Océan » parce qu'il a été taillé pour chanter les louages de l'immensité bleue. Je le chéris du fond du cœur et je voulais vous le montrer pour vous témoigner mon amitié et ma confiance en vous. Et aussi parce que vous m'avez fait part de votre curiosité de voir de vrais joyaux, pas de la verroterie, lança-t-il d'un ton léger.
Édith fit un pas en arrière, bouleversée. Tout-à-coup la tête lui tournait et un vertige la saisit de plein fouet qu'il s'en fallut de peu qu'elle ne perde l'équilibre. Monseigneur décela son trouble, s'empressa de lui venir en aide et la soutint de justesse.
— Mademoiselle de Montgey ? Vous vous sentez mal ? Des sels, avez-vous des sels ?
— Non, tout va bien, je vous remercie, il n'y a nul lieu de s'inquiéter.
— Mais vous avez soudainement pâlie et flanché...
Édith se mordit les lèvres et baissa la tête, ses yeux lui piquaient et elle ne voulait pas pleurer devant le Dauphin.
— Ai-je dit quelque chose qui ne fallait pas ? reprit Louis de France, inquiet.
— Non... Non Monseigneur... c'est moi... je... oh Monseigneur j'ai si honte...
— Honte de quoi ? lui demanda-t-il en lui prenant les mains.
Il la regardait avec inquiétude et la pressait par ses yeux fixés sur elle de bien vouloir s'ouvrir sur la cause de son malaise.
Édith osa avec grande à peine relever la tête et soutenir son regard, elle avait si honte et les paroles de Val-Griffon résonnaient si fort dans sa tête : « Je crois que vous vous trompez au sujet de certaines « certitudes », mademoiselle de Montgey. » « Vous ne méritez pas de vous tromper [...] en confondant deux choses à la nuance faible et pourtant immense. » Ces paroles tournaient, tournaient, tournaient dans son esprit et jointes ensemble, elles formaient un écho aussi funeste que ridicule ! Comment était-elle tombée dans le panneau !
Comble d'ironie, Val-Griffon avait tenté de l'avertir pour la protéger d'une cuisante déception et humiliation !
Dieu qu'elle se sentait sotte !
— Mademoiselle de Montgey ?
— Pardon... C'est que je... je croyais que... ce rendez-vous... ici... à l'écart de tous... vous et moi... j'ai été crédule...
Le Dauphin ouvrit la bouche et la referma. Tout dans son expression traduisait son embarras et surtout son navrement, il avait de la peine pour elle parce qu'il ne partageait pas les mêmes sentiments.
— Je... je suis sincèrement contrit mademoiselle de Montgey... je... j'ai pour vous de forts sentiments il est vrai, mais des sentiments de d'amitié seulement. Je vous estime mademoiselle de Montgey... toutefois pas de la même manière que vous. Mes démonstrations à votre égard ne sont que la manifestation de ma complicité avec vous... Je suis désolé si je vous ai fait croire à autre chose...
Ces excuses furent la goutte de trop, des larmes coulaient sur ses joues et Édith ne voulait pas prolonger ce calvaire. Les mots du Dauphin la mettait au supplice, elle se sentait tellement stupide qu'elle s'excusa à brûle-pourpoint et s'enfuit à toute jambe.
Par égard pour elle, Monseigneur la laissa partir, triste d'avoir peut-être perdu une personne qu'il considérait comme une véritable amie et soudain, sa solitude lui parut insoutenable au milieu d'un luxe pompeux et froid : inhumain et inanimé.
De son côté, Édith enfilait les pièces sans chercher à savoir où elle allait, si elle se perdait, si elle allait débouler en pleine médianoche, dans les communs, sur des échafaudages dangereux. Elle courrait, les larmes dévalant ses joues et son esprit hurlait : « Alors tout cela n'était que mensonge ? » et son cœur criait : « À l'aide... je crois que je l'aime ! »
Alors qu'elle allait ouvrir en grand les portes d'une salle sombre et vide, deux mains la saisirent et la retournèrent contre la paroi de bois.
— Lâchez-moi rustre ! Lâchez-moi ! cria-t-elle la voix étranglée de sanglots.
— C'est moi ! Mademoiselle de Montgey, c'est moi !
« Val-Griffon ! »
Sa présence lui parut impossible et pourtant il la tenait et l'empêchait de partir.
— Lâchez-moi ! Je n'ai pas envie de vous voir ! Vous et vos sarcasmes, vous pouvez vous rhabiller !
— Il vous l'a dit, n'est-ce pas ? la coupa-t-il brusquement mais sans violence. Vos certitudes sont éboulées...
À la mention de l'incident avec Monseigneur, Édith se rebiffa, s'agita, lui donna des coups de pieds, des coups de poings, et se maudit de ne pas pouvoir retenir ses larmes devant lui ! Val-Griffon avait plus de force qu'elle et il la maîtrisa sans trop de difficultés contre la porte, cependant il ne la blessait pas par sa poigne et Édith finit par capituler. Sa tristesse toute souveraine de son âme et cœur était trop grande et, vulnérable, blessée, elle baissa les armes en même temps qu'elle baissait les bras.
Un long silence s'installa entre eux et contre toute-attente, Charles la prit dans les bras et la serra fort contre lui. Édith tressaillis, étonnée par son geste mais ne le repoussa pas, au mépris de la confusion qu'elle ressentait pour lui, quelque chose de puissant en elle désirait son réconfort : pire en avait besoin.
La tête contre sa belle cravate de dentelle, Édith crut entendre un bruit, comme un murmure fantomatique ou juste la voix de Val-Griffon qui se parlait à lui-même et se disait, remué : « Je lui avais pourtant dis que cela finirait comme ça ! »