Depuis Samhain, les jours s’étaient enchaînés, si bien que l’hiver s’installait déjà. La température ambiante avait sacrément chuté. Thalion n’en pouvait plus d’entendre les toussotements horripilants ou les reniflements dégoûtants des élèves qui ne semblaient pas connaître la fonction d’un mouchoir. Il mettait un point d’honneur à s’éloigner le plus possible de ces camarades de classe-là. Hors de question qu’on lui refile des microbes. Il avait d’autres choses plus importantes à faire que de tomber malade. Des recherches sur la bibliothèque secrète, par exemple.
— J’en peux plus ! se plaignit Eris avant de s’étaler sur la table où se trouvait de multiples grimoires éparpillés.
— Tu es déjà à bout ? Ça ne fait pas longtemps qu’on a commencé pourtant, lança Thalion sans prendre la peine de lever les yeux de sa lecture.
— Pas longtemps ? Ça fait au moins deux heures qu’on a le nez plongé dans les livres ! Je fais une overdose !
— Moi qui pensais que tous les intellos adoraient les livres…
Thalion ricana tandis qu’Eris roula des yeux. Il savait que la magérienne n’était pas le genre de personne capable de rester assise sur une chaise à écumer les pages pendant des heures, surtout quand le sujet des recherches n’était pas bien passionnant. C’est aussi pour ça qu’il ne s’était pas pressé pour leur parler de ces séances d’investigation. C’était une tâche longue et ennuyante, mais nécessaire pour récupérer le plus d’informations possibles. Lorsque Thalion leur avait partagé ses ambitions et avoué avoir déjà entamé les recherches, Eris l’avait accusé de vouloir encore une fois se débrouiller seul et Nohan l’avait interprété à tort comme un manque de confiance. Le maudit avait passé l’après-midi à les démentir.
Trouver la bibliothèque n’était qu’un désir insensé et égoïste de sa part, mais Eris et Nohan n’hésitèrent pas à le rejoindre dans sa quête, raison pour laquelle ils profitaient ensemble de leur temps libre avant leur prochain cours pour avancer dans les recherches. Ils avaient trouvé une petite table dans un coin de la bibliothèque de l’académie sur laquelle s’installer. Les livres s’empilaient à mesure que le temps passait. Heureusement, peu d’élèves fréquentaient l’Antre du savoir à cette heure-là. À part quelques regards curieux, ils n’avaient pas à se méfier des oreilles indiscrètes.
Eris se redressa pour le toiser.
— Quel cliché ! Tous les bons élèves n’aiment pas nécessairement lire. Et les livres ne me sont pas utiles. Mon talent suffit, répliqua-t-elle avec arrogance.
— Quel talent ? Celui d’être toujours plus agaçante chaque jour ?
— Non, celui de rendre infertile un mec en un instant, rétorqua-t-elle avec un sourire diabolique. Tu veux que je te montre ?
— Sans façon, merci. Je tiens à mes bijoux de famille.
— T’es sûr ? Parce que je doute que ça te soit utile puisque n’importe qui préfère crever plutôt que de se retrouver dans le même lit qu’un corbeau !
— Vous arrêtez de vous chamailler, oui ? les réprimanda Nohan en détachant le regard de son livre. Corvus, ne l’assomme pas avec ce grimoire.
Eris ricana lorsqu’il reposa la brique de papier sur la table en grommelant.
— Je voulais juste lui remettre les idées en place…
— Eh bien, fais-le en silence. Je n’ai pas envie que Le Dragon se ramène.
— Si elle se ramenait, on pourrait peut-être lui poser des questions, suggéra Thalion. Les recherches ne nous apprennent pas grand-chose, on pourrait…
— C’est hors de question, répondit-il sans même le laisser finir. Elle apparaît uniquement lorsqu’on fait des bêtises, et vu ta situation, ce n’est pas la chose à faire.
— Oui, mais si c’est quelqu’un d’autre qui cause des problèmes…
Son regard dériva vers Camille un peu plus loin qui faisait la cour à Roxanne. Tous les deux étaient assis dans des poufs aussi duveteux que des nuages qui flottaient quelques centimètres au-dessus du sol. Depuis que le magérien tentait sérieusement de la séduire, il rentrait tard au dortoir et ne se préoccupait plus du tout de lui, pour le plus grand plaisir de Thalion. Il accueillait avec soulagement cette ère de paix.
Roxanne remarqua que leur petit groupe l’observait. Elle adressa un sourire timide à Nohan qui fit de même. Depuis leur réconciliation, les deux amis d’enfance discutaient ensemble de temps à autre. Même si leur relation en avait pâti, ils s’entendaient toujours. D’ailleurs, Nohan avait compris que, si Roxanne repoussait autant Camille, c’était essentiellement par principe moral, à cause de ses actes. Thalion éprouvait un certain respect pour elle, elle n’était pas dénuée d’éthique et son attachement pour Nohan était sincère. Mais ce dernier, en découvrant qu’elle n’était pas aussi insensible que ça au magérien, avait insisté pour lui donner sa bénédiction, ne lui souhaitant rien d’autre que du bonheur. Thalion le soupçonnait d’en profiter pour qu’elle se détache de lui et puisse s’investir dans une autre relation que la leur. Camille avait de la chance que Nohan ne soit pas du genre rancunier et leur permette de vivre leur histoire. Thalion, lui, n’en aurait jamais été capable. Il l’aurait pris comme une trahison.
Quand Camille croisa son regard, il lui adressa son majeur avec un large sourire. Un grognement agacé s’échappa de la gorge de Thalion. Un sortilège « Gueule-toujours » et il ferait moins le malin.
— Oublie, intervint Eris en devinant ce qui lui traversait l’esprit. Le Dragon n’est pas stupide. Elle comprendrait tout rapidement.
— D’accord, j’ai compris, renonça-t-il. Mais on a fait le tour des livres disponibles. On n’apprendra rien de plus à ce stade.
Un silence pensif s’installa. Thalion se doutait que la tâche ne serait pas facile. Ce n’était pas pour rien qu’elle était secrète et que personne ne l’avait jamais trouvé. Tout de même, elle n’était mentionnée nulle part. Il n’y avait aucune preuve de son existence, si bien qu’il commençait à croire que…
— Peut-être qu’elle n’a jamais existé, souffla Nohan en complétant sa pensée. Une bibliothèque capable de réaliser tous les désirs… C’est bien le genre de rumeur qui naîtrait dans une école de magériens. Un simple rêve de la part des élèves.
— Toi qui es d’ordinaire si optimiste… releva Eris en se balançant sur sa chaise.
— On ne peut simplement pas exclure cette hypothèse. Je… suis d’avis à ce que Corvus se contente des entraînements. Peut-être que tu finiras par avoir un déclic et…
Thalion comprenait le point de vue de Nohan. S’en contenter en espérant qu’un beau jour les choses s’arrangent serait plus raisonnable, moins risqué. Mais c’était utopique car ça n’arriverait pas. Les entraînements donnaient des résultats, mais au prix de douloureux efforts, et ne guérissait pas la source du problème. Les limites s’en feraient bientôt sentir. Pour faire exploser ce plafond de verre qui persistait, Thalion devait tester ce qui n’avait jamais été tenté auparavant. Il voulait utiliser librement sa magie sans ces migraines qui lui gâchaient la vie, et rien ne l’empêcherait d’y parvenir.
— Nohan, répondit calmement Thalion. Je suis au pied du mur. Tu l’as bien vu avec le duel. Si ce n’est pas Camille, quelqu’un d’autre viendra me chercher des noises à un moment ou un autre. Mon signe me met en danger, je dois être capable de me défendre. Les moyens conventionnels n’arrivent ni à déterminer la cause de mon mal, ni à m’en soulager. La bibliothèque secrète est ma seule option.
— Et la potion de Madame Delacroix ? Elle ne marche pas du tout ? demanda Nohan avec espoir.
Thalion et Eris soufflèrent à l’unisson, mais pour deux raisons différentes. Lui était frustré de boire chaque jour une gorgée de la mixture sans en voir de véritables effets. Elle était simplement…
— Vous avez vraiment cru que ça fonctionnerait ? récrimina-t-elle avec dédain. Je vous ai dit dès le début que c’était inutile. Et louche.
Thalion leur avait fait part de la proposition de l’infirmière, et Eris voyait d’un mauvais œil cette collaboration. Elle se méfiait surtout des potions en les soupçonnant de mettre sa santé en danger. Tout le contraire de Nohan qui était ravi qu’un adulte qualifié l’aide à résoudre le problème.
— L’avantage, c’est qu’elle me rend plus détendu, remarqua Thalion.
— C’est vrai que t’as l’air vachement plus détendu en voulant m’assommer avec un grimoire, renchérit Eris avec sarcasme.
— C’est juste toi qui me mets sur les nerfs ! Et puis, le cours avec Pradel m’a fatigué.
Voir sa tête toute ratatinée trois fois par semaine était un véritable supplice. Thalion craignait à chaque fois qu’une démence soudaine le pousse à le découper en rondelle, persuadé de sauver le monde en le supprimant. Repenser à la première séance lui donnait des frissons. Le magérien ne se souvenait plus le nombre de fois où il avait songé à faire demi-tour, l’estomac noué par l’angoisse. Dès qu’il avait mis les pieds dans la salle, sa voix glaçante avait retenti pour prononcer ces mots : « Les Ombres viennent jusqu’aux corbeaux pour nourrir leur désir de vengeance et de puissance. Ton cœur ne connaît que la haine et la rancœur. Tu es condamné ». C’était moins violent que la première fois – à moins qu’il se soit simplement habitué depuis – mais toujours aussi durs. Malgré tout, M. Pradel était contraint d’obéir et de lui apprendre comment se prémunir des Ombres. Suivre un cours dispensé à contrecœur par un professeur qui considérait son élève comme une cause perdue était plus que déprimant, sans parler de ce qu’il lui demandait de faire. Le temps ne s’était jamais écoulé aussi lentement que dans ces moments-là. Un véritable cauchemar.
— Il t’a encore demandé de chanter une berceuse pour invoquer Prucia ? l’interrogea Nohan en tentant vainement de dissimuler son amusement.
— Oui, soupira-t-il, exaspéré. Ce vieux crouton veut absolument que la déesse de la pureté me purifie avant chaque séance ! Et après, il me demande de tracer encore et toujours les mêmes runes de protection.
— Des berceuses ! Par les dieux, je donnerais chère pour t’entendre chanter une comptine pour enfant. Tu dois avoir une voix si douce, se moqua Eris en l’imaginant sans doute au milieu d’un cercle d’invocation en chantant brille, brille jolie étoile.
Lui, vivant, jamais personne ne l’entendrait pousser la chansonnette. En plus, il chantait comme un basilicoq. La nuit dernière, il avait rêvé que les runes le poursuivaient pour le forcer à chanter la comptine. Même pendant son sommeil, il n’avait pas la paix !
— Au moins, les Ombres ne sont plus venues te voir, donc finalement, c’est un mal pour un bien, non ? relativisa Nohan.
— C’est vrai, reconnut Thalion, mais je ne leur ai pas non plus donné l’opportunité de revenir.
— Dans tous les cas, c’est une bonne chose. Ça veut dire que tu n’es pas d’assez mauvaise humeur pour faire appel à elles.
— Être simplement de mauvais poil ne suffit pas, tu sais ? maugréa-t-il.
— Excuse-moi mais quand tu te réveilles le matin, tu es d’une humeur massacrante. Tu as la tête d’une personne qui veut réduire à néant l’espèce humaine. Donc je pense que si, te concernant, être de mauvaise humeur suffit.
— Nohan, tu oublies qu’il est toujours de mauvaise humeur, intervint Eris.
— C’est vrai, c’est juste…
— Son caractère de merde, clamèrent-ils en chœur avant de s’esclaffer.
Thalion les fusilla du regard. Ces insolents n’en manquaient pas une pour le charrier.
— Vous savez, je suis contente que vous vous soyez réconcilier, avoua Eris, passant du coq à l’âne. Toi, Corvus, on a l’habitude, mais Nohan qui tire la gueule, c’est démoralisant.
Ce dernier rit nerveusement en passant sa main derrière sa nuque, embarrassé d’avoir montré cette facette de lui. Thalion gratta son nez pour masquer sa gêne. Il ne savait pas s’il devait acquiescer ou s’offusquer. Il choisit de changer de sujet, d’autant plus que Nohan commençait à bafouiller des excuses. Il saisit sa feuille noircie de notes.
— Bon, récapitulons les informations rassemblées. La bibliothèque de l’académie a été fondée par le premier directeur, Oryn Mézon, qui voulait créer un lieu pour accueillir tous les savoirs du monde et les rendre accessibles aux élèves. Les successeurs du directeur ont continué de nourrir la collection de livres dans cette perspective jusqu’à ce qu’elle soit reconnue mondialement.
— Le frère jumeau d’Oryn, Shayn, est un explorateur qui a consacré sa vie à la recherche de lieux mythiques. Poète à ses heures perdues, il a financé certains de ses voyages par le chant et a été l’un des plus gros contributeurs de la bibliothèque à sa création, poursuivit Eris. C’est lui qui a rassemblé des connaissances uniques grâce à ses nombreux voyages. Il était un fervent fidèle de Divithrum, et partageait les mêmes aspirations que son frère.
— On dit aussi qu’une dispute a éclaté entre les deux frères, et qu’ils en sont venus à se battre. La folie les aurait envahis au point d’utiliser des sorts ayant entraîné de lourdes conséquences. Oryn aurait perdu la vue après avoir reçu des projectiles dans les yeux, et Shayn, la parole à cause d’une attaque au niveau des cordes vocales. Le directeur raconte que lui et son jumeau n’ont fait que payer le prix de leur déraison, conclut Nohan.
— Ça me paraît étrange comme histoire, marmonna la magérienne.
— C’est vrai. Mais de nombreux témoins affirment que les propos de Shayn commençaient effectivement à perdre pied avec la réalité. Certains racontent même qu’il est en réalité devenu muet suite à une punition divine pour avoir déblatéré trop de propos incohérents.
Ces informations, bien qu’intéressantes, ne leur apprenaient rien sur la bibliothèque cachée. Thalion avait même perdu du temps à lire la biographie des différents directeurs dans l’espoir de trouver quelques choses. Le magérien soupira.
— Arrêtons-nous là pour aujourd’hui. Nos cours d’option vont commencer. On ferait mieux d’y aller. On poursuivra les recherches ce week-end.
— Enfin ! s’exclama la magérienne en se levant brusquement, trop heureuse de mettre fin à cette séance de torture.
L’astronomie faisait partie des cours préférés de Thalion, avec ceux d’alchimie. En plus de lui donner d’excellentes notes, M. Glavin était un jeune professeur passionné et cordial avec lui. Il était petit, mais possédait un grand cœur. Ses cheveux touffus frémissaient quand il parlait avec enthousiasme, et ses yeux scintillaient. Il aimait sa matière et ça se ressentait. Mais c’était peut-être ce que Thalion pouvait lui reprocher. Le professeur aimait trop l’astronomie. Et un astronome en particulier récoltait toute son admiration.
— Ah ! La voilà. Observez bien l’étoile d’Ulia, visible uniquement pendant cinq minutes lors du solstice d’été.
M. Glavin pointa du doigt l’astre qui venait d’apparaître sur le ciel étoilé au-dessus de leurs têtes. Grâce à ce plafond magique, l’enseignant leur montrait l’univers sous tous ses angles, à la période qu’il souhaitait. L’absence de fenêtres, les lumières éteintes et les murs noirs renforçaient l’éclat du ciel. C’était loin d’être aussi impressionnant que dans la salle d’Astrémi, mais les élèves qui ne l’avaient jamais vue avaient tous la bouche grande ouverte.
— Encore une fois, elle a été découverte par Marius Connor. Il paraît qu’il l’a trouvée lorsqu’il voulait montrer à son fils la nuée d’argent, un phénomène tout aussi rare. Vous confirmez, M. Connor ?
Tous les regards se braquèrent sur lui. C’était d’autant plus flagrant de par sa position au fond de la classe. Thalion résista à l’envie de leur adresser son majeur qui le démangeait terriblement. Tant qu’ils y étaient, ils voulaient aussi que le magérien raconte toute son enfance avec son père ? Sérieusement, ça faisait au moins cinq fois en quinze minutes que le professeur lui posait ce genre de question. Il ne pouvait pas se contenter de faire cours sans l’obliger à intervenir d’une façon ou d’une autre ? Thalion n’était pas là pour parler de lui ni animer le cours.
— Non. C’était pendant qu’il était aux chiottes, répondit-il sèchement, ce qui ne sembla pas déranger le professeur.
— Quel humour, M. Connor ! Je ne serai même pas étonné que ce soit vrai vu le génie de votre père. C’était un grand homme, vous savez ?
Bien sûr que je le sais puisque c’est mon père.
— J’aurais aimé grandir avec un père tel que le vôtre, poursuivit-il sans attendre de réponse de sa part. Passer mes nuits à regarder les étoiles avec lui…
Mais c’est qu’il était vraiment fan de lui ! C’en était flippant. La prochaine fois, il allait sortir quoi ? Qu’il aurait aimé se marier avec lui ?
— Il a énormément apporté au monde de l’astronomie. On n’en fini pas de parler de lui et de ses exploits. Et de son audace, aussi. Capturer l’étoile éternelle… Le comité scientifique était enragé. Vous savez qu’elle était son excuse ? Il avait juste envie de l’offrir à son fils ! Quelle belle preuve d’amour paternelle !
Là, ça devenait extrêmement gênant. Thalion se tortillait sur sa chaise, ne sachant plus où se mettre. Même la classe se retenait de rire face à cette mise à nue embarrassante de sa vie. Le magérien réprima l’envie de faire manger à M. Glavin son étoiloscope pour qu’il se taise.
— J’espère que vous avez bien profitez de la personne exceptionnelle qu’il était.
— Oui, jusqu’à mes sept ans environ. Après, on peut difficilement profiter d’un mort.
La réponse de Thalion jeta un froid immédiat dans l’ensemble de la classe. Tout le monde était figé, comme si la température avait chuté de dix degrés. Le malaise ambiant fit ricaner Thalion. Il se délecta de voir les couleurs disparaître du visage de M. Glavin. Ce dernier se mit à bafouiller.
— Euh… Oui… En effet, c’est… Enfin…
— Vous voulez continuer de me parler du merveilleux père que j’avais ? De la chance que j’avais ? Ou peut-être allez-vous me parler de sa disparition qui a dû être extrêmement douloureuse pour vous n’est-ce pas ? s’amusa-t-il à dire pour le torturer un peu alors que des sueurs froides le parcouraient.
— Non… Non, je n’oserai pas, je…
M. Glavin déglutit en dansant un pied sur l’autre. Ses bras s’agitaient autour de lui comme s’il chassait des mouches. Ses yeux se posaient n’importe où dans la pièce circulaire, l’air de chercher une échappatoire. Thalion dû retenir un éclat de rire devant ce spectacle. Le professeur réfléchirait avant de lui refaire une réflexion de ce genre la prochaine fois.
— J… je pense qu’il est temps de passer à l’activité, finit-il par annoncer en le fuyant du regard.
Les lumières, ou plutôt les étoiles aussi grosses que la paume de sa main qui dansaient dans l’air, retrouvèrent soudainement leur éclat, éclairant la classe.
— Cette fois-ci, elle sera à faire en groupe. Mettez-vous en binôme pendant que je distribue les feuilles.
La satisfaction de Thalion s’évapora subitement pour laisser place à de l’agacement. Il serra des dents en voyant les élèves se lever un par un. Que les dieux maudissent celui qui avait eu le malheur d’inventer les travaux groupés. Cet imbécile devait être trop nul pour s’en sortir seul. Ou se sentir seul.
Sans surprise, il se retrouva seul devant la feuille blanche. Toujours assis à sa place, il balaya du regard les duos qui s’étaient formés. Tout le monde avait trouvé un partenaire. Même les plus timides s’étaient faits violence pour ne pas finir avec lui. Thalion ne leur en tenait pas rigueur. Il n’avait aucunement envie de se mettre avec un inconnu. Au final, ça arrangeait tout le monde.
Il se retourna pour regarder l’horloge temporelle qui occupait le centre du mur derrière lui. Elle se composait d’un cadran principal, bien plus grand que les multitudes d’horloge secondaire qui l’entouraient. De couleur bleu foncé et dorée, indiquer l’heure n’était pas sa seule fonction. Elle affichait aussi la météo : l’un des petits cadres circulaires reflétait le ciel nuageux comme à travers une fenêtre. Un autre encore annonçait les événements à ne pas louper sur l’île. En ce moment, il montrait deux picolatons en train de poursuivre un élève. Cette scène lui arracha un rire à moitié étranglé quand sa propre expérience avec ces volatiles lui revint en mémoire. Il avait l’impression que ses fesses le tiraillaient de nouveau.
L’horloge possédait d’autres fonctionnalités, mais c’était bel et bien l’heure qui intéressait le magérien. Le travail à faire était un peu long. Au vu du temps restant avant la fin du cours, le faire seul allait être un peu juste, mais pas impossible s’il se dépêchait de…
— On s’y met ? dit une douce voix à côté de lui qu’il n’identifia pas tout de suite.
Thalion réalisa qu’elle appartenait à Calysse. La jeune fille se tenait debout en froissant nerveusement la feuille dans ses mains. Discrète comme elle était, il avait oublié qu’elle suivait la même option que lui. Tout la classe la dévisageait avec des yeux ronds, y compris lui.
— Quoi ? croassa-t-elle, mal à l’aise.
Thalion se demanda si son embarras était provoqué par sa prestance légendaire ou à cause des regards posés sur elle. Les deux, sans doute.
— J’essaye de deviner ce qui te motive à te mettre en binôme avec moi. On te force ? Tu as pitié ? Sois tranquille. Pas besoin de faire de la charité avec moi.
Ses épaules se relâchèrent lorsqu’elle soupira devant son ton mordant.
— Ne te fais pas d’illusion. Je suis juste seule, et tu es la dernière personne qu’il reste.
Thalion la scruta longuement. Il était clair qu’elle avait envie de partir en courant.
— Bien, déclara-t-il en se levant. J’espère que tu t’en sors bien en astronomie. Si je finis par faire le devoir tout seul, autant que tu te casses tout de suite.
Il lui tourna le dos en se mettant en marche. Calysse le talonnait, mais il pouvait deviner qu’elle levait les yeux eu ciel.
— Si je ne te côtoyais pas de temps en temps, je penserais que tu es particulièrement désagréable avec moi.
— C’est évident que non. Tu n’es pas assez importante pour ça.
— Tu es méchant.
— Ah, vraiment ?
Elle ne répondit pas. Les deux magériens circulèrent entre les pupitres à la recherche d’un étoiloscope libre d’utilisation. Thalion évita les planètes miniatures lourdes comme des boules de bowling qui virevoltaient dans l’air et chassa d’un coup de main des nuages vaporeux.
— Mes chères étoiles, retournez à votre place, je vous prie, retentit la voix de M. Glavin du fond de la classe. Astrépikei !
Les billes scintillantes qui s’amusaient à vagabonder au plafond retrouvèrent aussitôt leur place initiale. Son attention détournée, Thalion manqua de se prendre une mini météorite dans la tête. Il ignora les gloussements de la magérienne et trouva finalement un étoiloscope disponible. Ils purent se mettre au travail. Thalion relut la consigne sur sa feuille.
— Tu as calculé la position de l’étoile ?
Calysse opina et la lui donna.
— Tu n’es donc pas incompétente, conclut-il en réglant l’étoiloscope.
— C’est censé être un compliment ?
— Non, un constat.
Thalion eut du mal à s’empêcher de ricaner devant sa moue boudeuse. Loin de s’en préoccuper, il acheva les réglages et prononça la formule pour actionner l’étoiloscope. L’instrument se positionna en quelques secondes, rivé sur le plafond magique, et lorsqu’il observa à travers la lentille, l’étoile brillait devant ses yeux.
— Je l’ai. Elle se trouve dans la constellation de la flèche du firmament.
— Je peux voir ? demanda-t-elle.
Lorsqu’elle se pencha vers la lentille, elle commit un terrible impair, une faute énorme : sa main se posa sur l’épaule du magérien.
Immédiatement, Thalion se crispa. Son regard devait en dire long sur ce qu’il pensait de ce contact indésiré parce qu’elle s’empressa de la retirer, comme si elle s’était brulée.
— Pardon, s’excusa Calysse.
— Si tu tiens à ta main, ne retente plus jamais ça, gronda-t-il.
Pendant une fraction, elle baissa des yeux. Puis, sans comprendre pourquoi, le regard désolé de la magérienne devint subitement contrarié.
— Sinon quoi ? Tu vas la cramer ?
Le mécontentement perceptible dans sa voix eut le mérite de le surprendre, et de l’amuser. En se rendant compte de sa réaction, sûrement plus spontanée que prévue, Calysse se mit à bredouiller.
— Alors ça t’arrive de sortir les griffes, dit-il, coupant court à ses bégaiements.
— C’est aussi un constat ?
— Non, un compliment.
Avec sa bouche ouverte et son regard déboussolé, Calysse paraissait on ne peut plus confuse. Le sourire narquois de Thalion la remmena à la réalité. Elle fronça des sourcils en marmonnant des mots inaudibles, avant de reporter son attention sur la feuille à compléter, stylo à la main, et les joues colorées.
— La flèche du firmament, donc ? Une constellation visible en hiver qui indique toujours le nord…
— Tu rougis, remarqua-t-il pour l’embarrasser encore plus.
— On dit qu’elle guiderait les âmes qui font appelle à son aide…
— Fais gaffe, t’es en train de m’apprécier. Ou de tomber sous mon charme, ce qui ne serait pas étonnant.
— Ta fatuité m’exaspère. Tellement qu’elle me donne envie de partir en courant.
— Tant mieux, je ne voudrais pas gâcher ton avenir à toi aussi.
Son sarcasme parvint à lui faire lever les yeux de la feuille.
— Tu m’en veux pour ce que j’ai dit ? le questionna-t-elle.
— Moi ? Absolument pas. Tu n’as fait qu’énoncer la vérité, après tout.
— Tu es rancunier. Mais je conçois que j’ai eu un jugement biaisé. Un peu trop… injuste. Comment me faire pardonner ?
— Je ne veux pas te pardonner. Mais donne ta vie pour moi et peut-être que j’y réfléchirai.
Calysse soupira longuement avant de le dévisager. Son regard était intense, mais Thalion ne cilla pas.
— Je sais ce que tu essayes de faire. Ça ne va pas marcher, assura-t-elle.
— De quoi ?
— Me repousser.
— Je ne te repousse pas, Cally. Pour ça, il faudrait déjà que tu veuilles t’approcher de moi. Et je suis une source d’ennuis à éviter, tu te souviens ? Ne l’oublie pas.
J'ai hâte d'avoir la suite concernant la bibliothèque cachée.
Pour ce qui est de la bibliothèque cachée, tu en sauras très vite plus ;)
Enfin des recherches sur la fameuse bibliothèque secrète... mais évidemment ils se heurtent à un mur, sinon ce serait trop facile. Autant j'aime beaucoup ton histoire, cet univers, le travail colossal que tu as investi dans la création de tes personnages et l'évolution de leurs relations ... autant je trouve toujours que ça traîne en longueur et qu'il faudrait que l'intrigue principale s'accélère, soit plus percutante.
On en est déjà au chapitre 22 et, en dehors de l'épisode du club de duel, il s'est finalement passé peu de choses pour Thalion. Je pense que tu gagnerais vraiment à resserrer la première partie de ton histoire et à trouver un moyen d'amener ton lecteur plus rapidement dans l'action et/ou l'avancement de leur enquête sur les Ombres et la Malédiction du Corbeau.
Une fois cela dit, j'ai bien aimé ce chapitre. Le prof d'astronomie est un sacré gaffeur, et le passage où Thalion se rapproche de Calysse est à la fois touchant et drôle. Ça résume finalement pas mal ton histoire : un univers réconfortant, des personnages attachants, des dialogues croustillants, un ton léger et humoristique qui donne immanquablement le sourire. Il ne manque vraiment que du suspense et de l'action pour sublimer le tout.
Au plaisir de découvrir la suite,
Ori'
Oui, je comprends totalement ton ressenti. il faut que je réfléchisse à une solution pour amener plus rapidement l'histoire dans l'intrigue.
Malgré tout, je suis contente que tu ais pris plaisir à lire ce chapitre. C'est vrai que ça résume pas mal mon histoire !
Merci pour ton commentaire, j'espère que la suite continuera de te plaire !
À un moment tu dis « Et pourtant ils avaient lu l’intégralité des livres disponibles à ce sujet ». J’ai peut-être mal compris, mais ça donne l’impression qu’il existe des livres parlant de la bibliothèque secrète, alors que plus haut tu dis qu’il n’en est fait mention nulle part. Je ne suis pas certaine d’avoir bien comprit du coup ^^'
Tiens donc, Cally s’apprêterait-elle à rejoindre le groupe de Thalion ? C'est qu'ils sont mignons tous les deux ! J’ai hâte de voir ça !
NB : Quel gaffeur ce prof !
Je vois, je voulais simplement dire qu'il avait lu tout les livres sur la bibliothèque de l'académie vue quelle est plus ou moins lié à la bibliothèque secrète mais je ne l'ai peut-être pas bien expliquer, je vais essayer d'éclaircir ça dans ce cas.
Tu verras bien ce qu'il en est par la suite ;)
NB : Vraiment ! Il est pas très malin
D'accord ! C'est peut-être juste moi qui me suis emmêlé les pinceaux ^^'
Justement, je me jette sur la suite dès que j'ai un peu de temps !!
quelle galère pour trouver cette bibliotheque secrete qui peut etre n'existe meme pas. mystère. Et en meme temps si elle est secrete c'est qu'elle est difficile à trouver. et tant mieux.
J'ai comme l'impression (peut etre que je me trompe ) que d'avoir attrapé l'étoile éternelle est peut etre une raison à la disparition des parents???
J'aime bien le dialogue entre le prof et Thalion. C'est clair un prof comme ça meme gentil est super embarassan et irritant.. Je comprends à 100% la réaction de Thalion.
Et moi je mise sur une romance entre Thalion et Calysse.....:-)
Voilou
Vive la suite!!
Ah, je ne pensais pas que ça pouvait donner cette impression ! A la base ça avait seulement pour but d’être touchant mais tu verras par toi même ce qu’il en est…
J’essaye de faire varier un peu le profil des prof, celui la est un de ceux qui mettent les élèves mal à l’aise, parfois même dans le vouloir !
Ah ah, ils seraient mignons ensemble c’est vrai.. ;)
Merci beaucoup pour ton commentaire et à bientôt !
La vie poursuit tranquillement sont cours à Poudlard (honte à moi, j'ai oublié le nom de l'école. ) les cours succèdent aux cours, l'automne s'efface peu à peu et l'hivers approche. Les discussions restent les mêmes, Thalion reste lui-même et il tente de se faire une nouvelle amie en lui lançant des piques et des punchline... Est-ce la meilleure façon de se faire des amis? mystère, il y a longtemps que je n'ai plus 16 ans.
Sinon, le décors s'efface, les personnages sont étrangement statiques, on s'y fait après 22 chapitre.
Sinon, l'expression c'est "pousser la chansonnette" et pas "pousser la chanson". ;)
Voilà, chapitre suivant dans une semaine. :)
C’est aussi possible que je n’ai pas mentionné le nom de l’académie Divithrum depuis longtemps, je vais essayer de le placer plus souvent.
Ah ça je sais pas mais en tout cas c’est la manière de communiquer de Thalion !
Ah mince, j’ai essayé de faire des efforts à ce niveau pourtant :/ je vais essaye de retravailler ça.
Merci pour la correction, je vais modifier ça !
Merci pour ton commentaire, à la semaine prochaine !
On découvre d'ailleurs de plus en plus la mentalité et la profondeur de celui-ci au fil des chapitres, ce qui rend le personnage très attachant.
C'est sans lien avec ce chapitre, mais dans le prologue, les deux premiers enfants mentionnés à obtenir leur signe sont bien Nohan et Éric, non ?
Bonne continuation.
J’ai vraiment essayé de faire un protagoniste assez complexe qui se dévoile et évolue au fil des chapitres. Tant mieux si ça le rend attachant !
Et oui, les deux enfants du prologue sont bien eris et Nolan ;)
Merci beaucoup pour ton commentaire !