Chapitre 21 - Car c'est ce qu'ils font

Par Keina
Notes de l’auteur : Bonjour ! Ça fait longtemps que je n'avais pas mis à jour cette fanfiction. Voici donc le chapitre 21 !

— Ianto, tu y vas en premier et tu nous fais un topo, chuchota Kat. Sois prudent !

Le Gallois acquiesça en silence. Malgré l’absence de ses ailes, qui avait fait jaser l’équipe lorsqu’il s’était présenté à eux pour la première fois, ses acolytes avaient vite appris à lui faire confiance. Non seulement il maîtrisait maintenant parfaitement ses capacités d’empathie, donnant à son équipe un temps d’avance sur leurs opposants, mais son imperméabilité aux balles et aux coups faisait de lui un parfait éclaireur. Ses acolytes… ça lui faisait drôle de les appeler ainsi, ces gens qu’il ne connaissait pas quelques semaines auparavant. Il y avait Ruben, l’espion froid originaire de Biélorussie, Élodie, un tout petit bout de femme experte en arts martiaux, Cahill, qui agissait d’abord et réfléchissait ensuite, et enfin Kat qui menait l’équipe avec fermeté.

Un peu plus tôt, à cause d’une incertitude sur la direction prise par le Collectionneur et ses collaborateurs lors de leur fuite, l’expédition s’était séparée en deux groupes. Jane et Beve étaient parties avec Manuella et deux autres agents en direction d’un hangar de banlieue qui abritait possiblement un réseau de trafiquants d’artefacts magiques. Ianto était resté avec Kat et son équipe pour explorer un manoir, objet de rumeurs plus que suspectes dans le voisinage.

Il s’avança dans un couloir mal éclairé, regrettant malgré tout, comme à chaque fois, de ne pas avoir son calibre .45 ou son arme à EMP sur lui. Mais à quoi cela lui servirait-il maintenant ? Il devait accepter de ne plus être apte au combat, de ne plus être un simple soldat. D’être devenu autre chose.

Ianto se rendait compte à cet instant à quel point il appréciait le terrain et l’adrénaline que cette chasse aux pouvoirs occultes lui procurait. Lorsqu’il travaillait à Torchwood, les missions sur le terrain, destinées à superviser les combats entre supers, protéger les populations et récupérer les artefacts abandonnés, l’avaient toujours enthousiasmé. Avec Lisa, ils formaient un duo de choc, elle qui recueillait les données des combats, les zones à évacuer, les objets à récupérer, et lui qui partait en première ligne, intrépide, parfois inconscient.

Souvent inconscient.

Même lorsqu’il était devenu l’assistant personnel d’Yvonne, il avait continué à jouer les gardes du corps et à sécuriser les lieux où elle se rendait, pour y collecter tel ou tel artefact trop dangereux et important pour être confié à des petites mains.

Oui, ça lui manquait. Pourtant, il appréciait la compagnie d’Angie et d’Andy, et comprenait les raisons pour lesquels ils avaient choisi tous deux de se retirer du service actif.

(Cependant, si Angie lui avait expliqué clairement, c’était plus confus pour Andy. Il avait fait partie du service actif pendant de nombreuses années, se battant aux côtés des précédentes Reines Noires, et son retrait datait de peu. Une histoire d’amour qui avait mal tourné, avait compris Ianto – encore.)

Allait-il lui aussi être touché par cette malédiction, et rentrer au Royaume, plein de désillusions, après avoir goûté à l’action ?

Non, non, non. Cette fois-ci, il avait envie, plus que tout, d’être utile à quelque chose – à quelqu’un…

Il se concentra, laissant les émotions extérieures immerger son esprit. D’abord, ceux de son équipe prirent de l’ascendant – appréhension, excitation, peur, impatience, adrénaline – mais il s’efforça de les reléguer à l’arrière de sa pensée pour se focaliser sur les traces de sentiments qu’il percevait à quelques pas devant lui.

Peur panique faim soif désespoir honte regrets espoir incrédulité stress pitié foi DÉTRESSE

La sensation le frappa de plein fouet, tordant son estomac d’un sentiment d’urgence absolue. Il envoya à Kat un message télépathique pour lui demander de faire patienter l’équipe. Puis, laissant ses camarades derrière lui, il se précipita vers l’escalier qui descendait au plus profond d’une cave insalubre, rongée de moisissures. Quoiqu’il y ait en bas, il sentait confusément qu’il devait l’affronter seul. Il ouvrit une autre porte (faim terreur désespoir souffrance), dévala un nouvel escalier. Sautant les dernières marches (abandon torpeur angoisse dégoût), il atterrit sur un sol de terre battue. Une arcade basse donnait sur un couloir éclairé d’un néon. Au fond, à travers un battant entrouvert, les torrents d’émotions le percutèrent à nouveau.

TERREUR AGONIE ANGOISSE HONTE SOIF ABATTEMENT RÉSILIENCE

Il frissonna. Dans son esprit, Kat lui exhorta d’attendre les renforts, il ne pouvait pas affronter ça tout seul, ce n’était pas son rôle, et puis… Derrière cette mise en garde, il y avait autre chose, il le savait. Une forme de protection. Kat n’avait pas envie qu’il voit ce qui se tramait derrière cette porte, car elle n’était pas sûre qu’il le supporterait. Mais il le supporterait, n’est-ce pas ? C’était comme un appel silencieux, quelque chose qu’il avait besoin de découvrir, seul, sans témoin. Ignorant les mises en garde de sa cheffe d’équipe, Ianto traversa le couloir et pénétra dans la pièce qui le terminait.

D’abord, il ne vit rien, n’entendit rien. Seules les émotions qu’il percevait transperçaient son abdomen et tordait ses intestins. Il tâtonna sur le mur, à sa droite, et dégotta un interrupteur qu’il enclencha en tremblant. L’unique ampoule de la pièce s’alluma en papillotant et projeta sa lumière blafarde sur les cages disposées au centre de la pièce.

Il y en avait une dizaine, de forme et de taille variée. Contre le mur, près de la porte que venait de franchir Ianto, une table avait été désertée récemment de ses occupants. Il y vit encore les reliefs de repas posés sur des assiettes de porcelaine, dont la délicatesse tranchait avec l’odeur épouvantable qui empesait l’atmosphère.

Dans chacune des cages croupissait un être qui attendait la mort en silence. D’ailleurs, le Gallois s’en apercevait seulement maintenant, celui-ci écrasait la pièce, comme si une magie diffuse camouflait les plaintes et les gémissements. Mais s’il n’y avait pas de bruit, l’odeur, elle, permettait de mesurer l’ampleur de l’horreur qu’il contemplait. Plusieurs des formes recroquevillées se redressèrent à son arrivée, et Ianto sentit l’espoir qui émanait d’elles. Soudain, l’évidence le frappa de terreur.

C’était tous des Gardiens-fés, comme lui.

Il y en avait de toutes sortes : des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, et quelques non-humains, à plumes, à écailles ou à fourrures. Tous étaient comme lui, il en avait la certitude, cela lui venait du plus profond de son cœur, de l’intérieur de ses boyaux. Et eux aussi l’avaient reconnus comme l’un des leurs, et l’avaient appelés pour les sauver.

Car ils avaient été torturés. Tous, sans exception. Certains n’avaient plus d’aile, comme lui, ou alors plus que des moignons ou des lambeaux qui pendaient lamentablement de part et d’autre du corps. Ils avaient été lacérés, frappés, affamés, saignés comme des veaux. Privés de leurs mots, on avait fait en sorte d’extraire leur sang, leurs ailes, leur peau, mais aussi tout ce qui pouvait les diminuer, physiquement et mentalement. Dans un angle de la pièce, de l’autre côté, trônait un véritable établi de la mort. Éparpillés sur le plan de travail et sur les étagères qui l’entouraient, des membranes desséchées, des lambeaux d’épiderme, des organes flottant dans du formol et même quelques membres arrachés. La bile remonta subitement dans l’œsophage de Ianto, qui déglutit difficilement. Il avait déjà contemplé une scène similaire, dans les Brecon Beacons. Dans ses rêves. Plus récemment, l’équipe de Torchwood avait été confrontée au « lamentin de l’espace » : il pouvait encore se souvenir de l’odeur de chair putréfiée qui avait tenaillée son double pendant des semaines après cet épisode. Mais, quelqu’effroyables qu’aient été ces scènes, pour lui, elles n’avaient pas vraiment été réelles.

À présent, il s’y trouvait. Dans la réalité.

Sa réalité.

D’un seul coup, sans prévenir, son estomac se souleva et il s’écroula à quatre pattes, rendant le contenu de son déjeuner à même le sol de la cave. C’est ce moment que choisit toute l’équipe pour débarquer dans son dos, investissant le lieu du carnage avec une discipline silencieuse qui indiqua à Ianto que ce n’était pas la première fois. Qu’ils savaient ce qu’ils allaient découvrir en arrivant dans la cave.

Kat s’accroupit à ses côtés et lui tapota délicatement le dos tandis qu’il s’efforçait de se redresser, tous ses membres s’entrechoquant.

Tu n’aurais pas dû affronter ça tout seul ! lui asséna-t-elle par message télépathique, avec une inflexion plus inquiète qu’énervée.

Ianto ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun son n’en sortit. Il tourna un regard interrogatif vers la rouquine.

Une bulle de silence, lui répondit-elle en esprit. Un artefact magique. Les Collectionneurs n’aiment pas… (elle hésita sur la terminologie) travailler… dans le bruit. Je vais voir pour la désactiver.

Tandis qu’il reprenait contact avec la réalité, Ianto réalisa que les autres membres de l’équipe s’étaient déjà affairés sur les cages et s’occupaient des victimes. Un trousseau de clés avait été récupéré sur la table du repas (mais quel genre de psychopathe pouvait prendre plaisir à dîner dans un service en porcelaine au cœur de cette boucherie ?), et toutes les cages étaient désormais ouvertes. Ianto s’approcha de l’une d’entre elles et tenta de projeter des émotions positives vers le premier rescapé qu’il voyait, un tout jeune homme, à peine sortie de l'adolescence lui semblait-il, aux joues émaciées et au regard éteint. Que pouvait-il faire de plus pour lui ? Il courut pour chercher la carafe encore posée sur la table et essaya de le faire boire, mais il renversa la moitié de son contenu sur le sol et il abandonna l’idée. Luttant contre les larmes, il sentit malgré tout ses yeux s’humidifier lorsqu’il perçut la gratitude, si forte, si intense, si… lumineuse, qui irradiait de la poitrine de l’inconnu.

— Pourquoi ? s’entendit-il murmurer dans un souffle. Pourquoi ces horreurs ?

Aussitôt, il réalisa que les bruits étaient revenus et que des gémissements et des paroles de réconfort emplissaient maintenant l’atmosphère de la cave, la rendant un tout petit peu plus supportable.

C’est Kat qui lui répondit, une tristesse infinie teintant sa voix grave :

— Parce que c’est ce qu’ils font. Les Collectionneurs. C’est ce qu’ils continueront à faire, si nous ne les arrêtons pas.

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