Ce n'est pas fini
(Camille, Liliane, Henry)
Assise à l’arrière de la voiture, Camille contemplait les rayons du soleil qui pleuvaient sur le pare-brise. Les paupières mi-closes, son père caressait la joue de sa femme concentrée sur la route. Une main sur le volant, l’autre sur le changement de vitesse, Liliane s’efforçait de se détendre.
Elle se répétait mentalement les conseils prodigués par l’équipe médicale dans la façon d’aborder sa fille. Pour se rassurer, elle jetait de temps en temps, une oeillade sur le sac déposé entre les jambes de son mari. Il contenait quelques brochures, deux livres et surtout le traitement de Camille.
Armel était resté à la maison, agrippé au canapé, impatient de vite retrouver sa grande soeur.
Dès son entrée dans le living, elle fut accueillie sous un déluge de rires et d’étreintes de la part de son frère. Salem suivit et lui manifesta son bonheur à coups de miaulements et ronronnements. A nouveau réunis tous les trois, ils foncèrent dans le jardin pour y jouer comme des fous. De « cache-cache » à « chat perché », où Salem excellait, en passant par des séances de chatouilles, ils étaient presque à bout de souffle.
Leurs élans furent interrompus par l’appel de Liliane qui venait de servir le plat préféré de Camille: du poulet au vin blanc mijoté dans le four. Elle ne se souvenait plus de la dernière fois où sa mère avait fait la cuisine. C’était généralement des repas livrés ou préparés.
La table avait été joliment dressée, par leur père, dans des couleurs rougeoyantes, leur plus beau service la décorait et des bougies parfumées complétaient cette ambiance très conviviale et chaleureuse. Il s’était également occupé des patates douces pendant que sa complice préparait le dessert de son fils: un bavarois aux fruits rouges.
Les enfants se regardèrent, puis fixèrent leurs parents avec étonnement. Armel s’empressa de s’asseoir, l’eau à la bouche. Camille réprimait son émotion en se mordant les lèvres.
Liliane avait compris qu’elle devait remplir son rôle de mère et réalisait que faire la cuisine avec et pour les personnes qu’on aime est un geste fort ! Elle ne changeait pas non, elle se transformait. Et quand un se transforme, tout se transforme.
Le repas et les conversations animées terminés, Camille voulait encourager sa mère et la remercier. Elle prononça ce mot magique qui fit déglutir et tressaillir Liliane. Ce mot qu’elle n’avait plus entendu depuis trop longtemps : Maman. Un « merci, maman », son sourire dans le sien, pesant de sincérité. Tout le monde fut témoin de ce moment, y compris Salem qui slalomait entre les jambes de son humain.
Chacun prit l’initiative de débarrasser la table et de remplir le lave-vaisselle quand Liliane proposa aux « garçons » de se charger des lessives pendant qu’elle s’occuperait de tout ranger avec sa fille. Elles n’échangèrent aucun mot.
Hormis les mots tendres, la parole n’est utile que dans l’ignorance. Or, elles savaient qu’il était simplement bon d’être là toutes les deux.
Quand Camille fut enfin dans sa chambre, son esprit fit l’inventaire de ce qui l’entourait. Tout était resté en état sauf qu’il y faisait propre. Une sensation de malaise creusa son estomac. Il était de toute urgence de réorganiser les lieux en même temps que ses pensées. Elle ne pourrait plus évoluer dans ce qui avait été son tombeau. Changer la couleur des murs, la disposition des meubles, en remplacer certains, revoir la déco, était primordial. En attendant, elle occuperait la chambre d’amis trop petite pour s’y installer à long terme.
Etendue de tout son long dans un bain presque bouillant, elle restait immobile et comptait les secondes qui séparaient chaque goutte libérée par le robinet. L’une d’entre elles tomba au ralenti et elle se sentit projetée à l’intérieure de la petite bulle, le temps d’un battement de cil.
Enfermée dans la goutte se trouvait l’image d’une tombe, celle de Sonia…
Quelques minutes plus tard, Camille était habillée, un parapluie à la main et sortit de chez elle. Sa famille fut surprise de cet accessoire vu qu’il faisait un temps radieux et la météo ne prévoyait pas de changement. Liliane lança un regard inquiet à son mari. Il posa sa main sur la sienne et, confiant, fit un signe de la tête l’invitant à se rasséréner. Laissons Camille un peu tranquille.
Autour du cimetière : des prairies, des cultures et une allée boisée pour bien l’isoler des nuisances de la ville. Elle aperçut les hauts murs et les croix qui les dépassaient grandir à mesure qu’elle avançait. La porte de fer forgé passée, Camille longea une haie de thuya, quelques tombes en rénovation et la pelouse bien tondue, petit espace qui attendait ses prochains convives. A côté, un parc bordé de bancs et de fleurs autorisées à être cueillies pour adoucir les pierres.
Une fois parvenue devant la dernière demeure de Sonia, éclaboussée par le soleil, elle fut frappée par le nombre titanesque de bouquets, de cartes et d’ours en peluches déposés par ses amies et les élèves du lycée. Par contre, ce qui manquait c’était la présence de sa mère.
Camille s’assura de ne pas être observée. Personne aux alentours, elle s’agenouilla et ouvrit le parapluie au-dessus d’elle. Après une dizaine de secondes, elle entendit les premières gouttes s’abattre sur la toile multicolore. Le vent s’était levé, le tonnerre se réveillait, des éclairs se persécutaient et le sol devint vite boueux.
Camille ne bougeait pas. Le menton collé au col de son tee-shirt, les paupières couchées et la gorge serrée. Elle éprouvait toutes les peines dans son recueillement, sans cesse interpellée par les titres des journaux de ce matin. On y donnait des nouvelles sur l’avancée de cette affaire bien triste : une jeune fille retrouvée assassinée dans une petite grotte bien cachée du bois du Chacrin. A présent, dénommé : le bois du Chagrin. Ils ne parlaient pas de suspects et l’enquête semblait tourner en rond.
Et s’il recommençait ? Peut-être n’en était-il pas à sa première fois. Elle ne pouvait pas ne rien faire, maintenant libre de ses mouvements. Elle pourrait peut-être sauver quelqu’un d’autre, de cette manière. Camille se redressa décidée à aller frapper à la porte du numéro 13.
Au coin de la rue des Lys, Henry venait de rentrer ses pots de fleurs, avait pris un petit repas et fumé son meilleur cigare. Ses quelques vêtements étaient regroupés, soigneusement repassés et pliés sur la table de la cuisine: deux salopettes, deux bérets, quatre tee-shirt, deux chemises, deux jeans et cinq slips.
Il prit son journal qu’il lut entièrement pour la troisième fois, de l’article qui parlait du meurtre d’une adolescente jusqu’aux petites annonces sans omettre la rubrique nécrologique.
La mort l’avait toujours terrifié, ce n’était pas tant la souffrance mais plutôt cet instant où on est conscient de mourir, du moins quand on s’en rend compte. Plus précisément, le moment où on sait que la vie est une occasion d’exister et que son mandat a expiré.
Nu, appuyé contre la porte qui donnait sur la cave, il laissa tomber sa gazette. Le carrelage lui glaçait les jambes et les pieds.
La pluie s’acharnait sur les vitres, les nuages grondaient.
Sa vie se joua à vive allure sur le plafond qu’il fixait. Son père inconnu, sa mère dépravée, ses jours enfermé dans la malle, les heures de soulagement dans la grange, la jeune fille près de la rivière, ses appétits sexuels démesurés et incontrôlables, les soirées passées à contempler les allées et venues des voisins et leurs faits et gestes.
Plus tôt dans la journée, il s’était promené dans le parc, puis le cimetière où il s’était arrêté quelques minutes devant une tombe... Il avait jeté du pain aux canards et aux pigeons, malgré les interdictions placardées un peu partout. Il était rentré pour se détendre devant une série et avait reçu la visite de la police. Des témoins les auraient aperçus ensemble, la victime et lui. Comme quoi, personne n’est invisible…
Il avait répondu au mieux aux questions des plus simples aux plus complexes, leur avait servi du café et remarqué l’attrait particulier de l’un d’entre eux pour sa pile de linge recouverte de ses bérets, ses lunettes de soleil et ses ceintures dont celle de sa mère qu’il avait récupérée quelques minutes après l’irréparable.
Sa respiration se fit de plus en plus pénible, sa vue se brouillait, ses oreilles sifflaient, son membre viril était gagné par une intense érection, son corps était agité de spasmes, sa vessie commençait à se vider, quelqu’un frappait fortement à la porte et ses paupières se contractèrent violemment jusqu’à leur dernière image: le visage de Sonia.
Autour du cou, la ceinture de cuir venait de jouer son dernier acte.
Camille rentra bredouille. Il n’avait pas répondu mais elle y retournerait dès l’aube. Elle embrassa Armel qui venait de se mettre au lit et fit une halte par sa chambre pour emporter un pyjama et une tenue propre.
Au moment où elle allait passer la porte, elle se retourna et resta brièvement les yeux rivés sur le livre, à sa place, dans la bibliothèque. Elle poussa un soupir et tenta à voix haute: « Daedalus Anima ». Le livre s’exécuta et elle l’attrapa à la volée, soulagée. Installée dans la chambre d’amis, elle l’ouvrit et contempla ses pages pleines…
Quand elle releva le menton, elle fut frappée en pleine poitrine par l’appel fracassant : « Lema Sabachtani ». Pourquoi m’as-tu abandonné(e) ?
Ce n’était donc pas fini…
Le suicide en direct d'un homme à l'enfance malheureuse
la pauvre gamine n'a pu empêcher le meurtre
elle ne peux sauver le monde
qu'elle se soigne...se soigne elle
j'ai vu que les questions qui sont restées sans réponses....
le seront dans un prochain....écrit
J'ai hate !
au début j'ai eu du mal
le livre à failli...me glisser des mains
je me suis accroché
bien m'en a pris
une lecture de cette qualité
le valais bien
si tu continue
Quand tu veux, ou tu veux, littérairement parlant bien sûr!
Tu me partagerais ce qui a fait qu'il a failli glisser? Et ce qui a fait que tu es resté?
C'est important... 😊😉
je te répondrais, je prendrais le temps de le faire
de telle questions méritent qu'on y réponde !
Bien à toi
Que c'est compliqué de ne pas spoiler avec ce dernier chapitre.
Il est quasi parfait. Tout semble y être, l'émotion, l'écriture toujours aussi poétique et en même temps mélancolique. Et une fin pour presque tous les personnages (c'est là qu'il manque un truc pour moi, en fait, la fin pour deux d'entre eux me semble trop abrupte dans les chapitres précédents pour ne pas y revenir) avec une ouverture qui donne envie de se jeter sur l'épilogue.
Bref, je m'y jette donc.
On n'a pas toujours besoin de quelqu'un pour avancer. On peut le faire seul(e) même si parfois ça peut prendre plus de temps. C'est ce que j'ai aussi voulu faire passer avec Amélie...
Je ne reviendrai pas sur ta jolie écriture, toujours au rendez-vous. Tu nous offres encore de l'émotion, de belles images poétiques et tu nous tiens en haleine jusqu'à la fin. D'un côté tu nous apportes le soulagement, tout semble rentrer dans l'ordre pour Camille, de l'autre tu rebondis vers une fin qui , j'en suis certaine, nous surprendra encore.
Hâte de lire ta conclusion.
A très bientôt
Quelques suggestions :
- elle fut accueillie : peut-être préciser qu'il s'agit de Camille, comme avant c'est sa mère qui s'exprime...
- Elle apercevait : elle aperçut ?
- à mesure qu’elle marchait : avançait ? pour accentuer l'impression visuelle ?
- petit espace qui attendait / un petit parc bordé : 2 x petit
- Elle éprouvait toutes les peines dans son recueillement : à se recueillir ?
- avant de rentrer chez elle, deux maisons plus loin : cela donne l'impression qu'elle renonce à aller frapper à la porte. Suggestion : elle rentrerait chez elle plus tard ou après ou quelque chose du genre ?
quel plaisir de te retrouver ici et de lire ton précieux commentaire!!! Je te remercie pour cela et tes suggestions judicieuses! Je ferai les "corrections" :-)
A très bientôt
Voici donc le dernier chapitre de ce long voyage aux multiples facettes, parfois poétique, parfois étrange et angoissant.
J'ai l'impression de sortir d'un long rêve (cauchemar ?) et suis curieux de l'épilogue.
Tu as su me faire passer par différentes émotions tout au long de cette lecture, pour ça bravo.
Je vais lire l'épilogue de ce pas (=
A bientôt !
merci pour m'avoir suivie jusqu'ici :-)
Ravie d'avoir "gagné" mon pari :-)
Bien à toi