L’air vibra. Frisson mordant. Décharge sous la peau. Crâne en résonance. Étau.
Son souffle était court, erratique, chaque inspiration semblant lui coûter un effort monumental. Son corps entier, tendu à l’extrême, oscillait entre l’immobilité forcée et l’envie furieuse de se lever, de renverser cette mascarade.
Réinitialisation ou vérité ?
L’ultime dilemme.
Celui qui le maintenait enchaîné ici, dans cet espace aseptisé aux murs trop blancs, aux ombres trop profondes. Une prison sans barreaux. Un cauchemar qui s’étirait, en boucle, encore et encore.
David et Renard l’observaient en silence. Deux statues de chair et d’ombre, figées sous la lumière crue qui inondait la pièce. Ni impatients, ni pressés. Ils ne cherchaient pas à le convaincre, pas même à le manipuler. Ils attendaient. Patiemment. Tranquillement. Comme on attend qu’un ressort finisse par céder sous une tension trop grande.
Ils savaient.
Il finirait par plier.
Aucune issue.
Étienne sentait leur regard s’insinuer sous sa peau, explorer ses failles, tester ses limites. Une pression sourde, oppressante, presque tangible. Chaque battement de son cœur résonnait dans sa cage thoracique, un écho funeste, s’accordant aux murs qui l’encerclaient. Une mélodie silencieuse qui chantait la fatalité.
Son destin était-il déjà écrit ?
Était-il simplement un pantin, tiré par des fils invisibles, incapable d’échapper à la main du marionnettiste ?
Il serra les mâchoires.
Ils attendaient qu’il hésite.
Qu’il doute.
Qu’il implore.
Il ne leur donnerait rien.
Son regard s’ancra. Duel muet. Brutal.
Un souffle. Une éternité.
Il brisa le silence.
— Très bien, murmura-t-il. Je veux comprendre.
Un frisson parcourut la pièce. Quelque chose venait de basculer. Un engrenage venait de tourner.
Un léger sourire étira les lèvres de Renard. Infime. Calculé. Millimétré. Comme un automate programmant sa prochaine réplique. Comme si cette réponse était une variable attendue, un paramètre déjà intégré au programme.
David, lui, resta impassible. Il croisa lentement les bras sur sa poitrine, hochant la tête avec une lenteur mécanique. Pas de surprise. Juste une résignation glaciale. Un acteur jouant un rôle qu’il connaissait par cœur.
Une scène, déjà rejouée.
Encore et encore.
Un cycle.
Depuis combien de fois ?
Depuis combien de versions de lui-même ?
Étienne sentit son estomac se contracter. Une angoisse rampante, s’insinua dans sa poitrine. Son esprit lui hurlait qu’il ne devait pas être ici.
L’instinct primal. Celui qui vous chuchote à l’oreille “Fuis.”
Celui qui vous hurle “C’est un piège.”
Son corps entier était en tension.
Une envie viscérale d’arracher ces fils, de briser cette pièce en mille morceaux.
Mais il ne bougea pas.
Son cœur battait trop vite.
Chaque pulsation, une détonation sourde dans son crâne.
Un tambour de guerre.
Et au fond de lui… une certitude effroyable.
Il venait de faire un pas de plus dans la cage.
Leur vérité sonnait faux.
Une note étrangère dans une mélodie trop parfaite.
Il y avait forcément une faille dans cette prison.
Forcément un point faible, une brèche dissimulée quelque part, une erreur qui prouverait que tout ceci n’était pas réel.
Ses doigts tremblants s’accrochèrent aux rebords du lit, les phalanges blanchies sous la tension. Il se força à respirer profondément, mais même l’air qu’il inspirait semblait vicié, lourd, l’atmosphère elle-même cherchait à l’étouffer. Une sensation désagréable d’oppression, de confinement.
Une brise glacée effleura sa nuque.
Un souffle imperceptible, fantomatique.
Un frisson descendit lentement le long de sa colonne vertébrale.
Quelqu’un d’autre était là.
Tapi dans l’ombre, hors de son champ de vision, un écho silencieux rôdait dans les recoins de cette réalité artificielle. Était-ce un simple réflexe paranoïaque ? Ou bien un instinct plus profond, plus viscéral, lui signalant une présence bien réelle ?
Renard avait affirmé que cette simulation était une tentative de réhabilitation. Un programme conçu pour le ramener à la raison.
Alors pourquoi cette sensation persistante d’être observé, même en leur absence ?
Pourquoi cette impression rampante que tout ceci était bien plus grand, bien plus complexe, bien plus sinistre que ce qu’on lui laissait entendre ?
Un pressentiment atroce lui tordit les entrailles.
L’impression qu’il était en train de toucher une vérité qu’il n’aurait jamais dû approcher.
Son cœur cogna violemment contre ses côtes.
Ses yeux parcoururent la pièce, fouillant chaque recoin, chaque ombre, cherchant le détail, l’anomalie, le bug qui prouverait qu’il ne rêvait pas.
Puis, il le vit.
Un détail infime.
Insignifiant pour n’importe qui d’autre.
Mais pas pour lui.
Une anomalie, presque imperceptible, dissimulée dans l’ombre d’un coin de la pièce : un écran.
En veille.
Sa lueur morne pulsait faiblement, comme une respiration mécanique, un battement régulier, une présence dissimulée sous la surface.
Ses pupilles se dilatèrent.
Son souffle s’arrêta.
Au début, ce n’étaient que des lignes de texte qui défilaient rapidement.
Un code dense, un enchevêtrement de caractères cryptés, illisibles pour un regard non averti.
Des chiffres.
Des instructions.
Des commandes.
Un langage qu’il ne devrait pas comprendre…
Mais qu’il reconnaissait pourtant.
Un frisson glacé.
Ce n’était pas une anomalie.
C’était une brèche.
Cachée. Étouffée.
Mais ils avaient raté quelque chose.
Une fraction de seconde avant qu’une séquence ne s’efface, il l’aperçut.
Un grain de sable dans l’engrenage parfait.
Un détail anormal dans cette symétrie millimétrée.
Un signal.
Un fragment de code corrompu.
Un message caché ?
Un bug ?
Ou pire…
Une faille.
Son regard fixa l’écran, cherchant désespérément à décrypter la ligne avant qu’elle ne disparaisse à jamais.
Mais quelqu’un avait tenté de masquer ce dysfonctionnement.
Et ça avait foiré.
Sa gorge se serra, un étau invisible l’étranglant peu à peu.
Ce n’était pas un simple artefact visuel.
Pas une coquille dans un programme trop complexe.
Une faille.
Il l’avait vue.
Ses pupilles se dilatèrent.
Son souffle se coupa.
Une brèche.
Un interstice dans cette prison parfaite.
Une anomalie que personne n’aurait dû voir.
Mais il l’avait vue.
Et ils s’en étaient rendu compte.
Son instinct l’alerta une fraction de seconde trop tard.
Un mouvement.
Silencieux.
Rasoir.
Il sentit une présence derrière lui.
Une ombre furtive qui glissait, imperceptible, comme un prédateur prêt à frapper.
Il tressaillit.
David.
Il était là.
Trop près.
Beaucoup trop près.
Il n’avait rien entendu.
Pas de pas.
Pas de souffle.
Rien.
David se tenait maintenant juste derrière lui, penché légèrement, l’observant comme une expérience sous un microscope.
Sa voix tomba doucement, trop doucement.
— Ça va ?
Un ton léger.
Trop léger.
Forcé.
Comme s’il jouait une partition pré-écrite, mesurant chaque intonation, chaque syllabe, chaque micro-expression sur le visage d’Étienne.
Un frisson lent descendit le long de sa nuque.
David savait.
Il savait qu’Étienne avait capté quelque chose.
Et il attendait qu’il le confirme.
Étienne ne répondit pas tout de suite.
Il sentait son propre cœur cogner, détonant dans sa cage thoracique.
Un battement trop fort, trop rapide.
Une trahison corporelle qu’il devait impérativement contrôler.
Ne rien laisser paraître.
Il ne pouvait pas les alerter.
Pas maintenant.
Pas tant qu’il ne savait pas exactement ce qu’il venait de voir.
Il força un sourire.
Un rictus crispé.
Mais convaincant.
Un masque qu’il enroula autour de son malaise.
— Je digère encore l’idée que je suis un psychopathe, murmura-t-il. J’ai besoin d’un moment.
Un silence s’étira.
Douloureusement long.
David ne le quittait pas des yeux.
Ses prunelles sombres étaient insondables.
Un écran noir.
Vide de toute émotion apparente.
Mais Étienne savait ce qu’il cherchait.
Une faille.
Un signe.
Un tressaillement.
Quelque chose qui trahirait sa prise de conscience.
Mais il ne lui donnerait rien.
Il soutint son regard, impassible.
Ne bougea pas.
Ne cligna presque pas.
Finalement, après une éternité, David hocha lentement la tête.
— Prends le temps qu’il te faut, dit-il.
Un murmure teinté d’ironie glacée.
Il recula de quelques pas.
Tranquillement.
Comme si de rien n’était.
Mais Étienne ne fut pas dupe.
Le piège venait de se refermer sur lui.
Il y eut un bip discret.
Un son presque inaudible.
Un simple bruit mécanique, anodin pour n’importe qui d’autre.
Mais pour Étienne…
C’était une détonation silencieuse.
Un signal.
Ses muscles se tendirent imperceptiblement.
Un détail infime.
Mais David et Renard l’avaient vu.
Il surprit un échange de regards furtif entre les deux hommes.
Un contact bref.
Mais chargé de sous-entendus.
Un battement d’yeux.
Un instant suspendu.
Puis…
À peine un murmure.
Un son étrangement fluide, comme un ordre déjà anticipé.
Quelque chose que son esprit n’aurait pas dû capter.
Quelque chose qu’il n’était pas censé comprendre.
Et pourtant…
Un frisson sinistre lui mordit la nuque.
Il avait compris.
Et cette fois, il était trop tard.
Une phrase, chuchotée dans un souffle.
À peine un murmure.
Un secret glissé juste sous le seuil de la conscience, comme si les mots eux-mêmes craignaient de franchir la barrière du silence.
— La faille se referme.
Son estomac se contracta violemment.
Un pincement glacial lui noua les entrailles.
Une sensation instinctive, préhistorique.
Un avertissement.
Un autre murmure.
Plus lent.
Plus mesuré.
— Laisse-lui du temps.
Un battement de cœur plus tard.
Un laps infime, presque imperceptible, juste assez long pour que son cerveau assimile la phrase précédente.
Puis, une dernière note.
Un coup de grâce.
— On ne peut pas le laisser trop loin cette fois.
Cette fois.
Deux mots.
Un frisson absolu remonta le long de sa colonne vertébrale, s’enroulant autour comme un serpent de glace.
Cette fois.
Son sang se figea.
Son esprit tourna à toute vitesse, cherchant une logique, un repère, une explication.
Cette fois.
Depuis combien de temps étaient-ils là ?
Depuis combien de fois répétaient-ils cette scène sans qu’il s’en souvienne ?
Un vertige violent le prit.
Tout vacilla.
L’espace sembla se resserrer autour de lui, se tordre comme un écran mal calibré, trop lumineux, trop parfait.
Quelque chose n’avait jamais été réel.
Il serra les poings, tentant de maîtriser le tremblement imperceptible qui menaçait de trahir son trouble.
Il ne devait rien laisser paraître.
Pas maintenant.
Mais il le savait.
Ils l’avaient déjà vu.
Le doute insidieux s’infiltra en lui.
Rampant.
Silencieux.
Comme un ver s’enfonçant sous la peau, creusant dans son esprit comme une maladie invisible.
Ils ne cherchaient pas seulement à lui faire accepter une vérité.
Ils avaient besoin de lui.
Mais pourquoi ?
L’autre patient
Un picotement lui traversa la nuque.
Lent.
Profond.
Quelqu’un l’observait.
Ce n’était pas Renard.
Ce n’était pas David.
Ce regard était autre.
Différent.
Plus profond.
Plus ancien.
Un frisson lancinant courut sous sa peau, se faufilant jusqu’à ses doigts crispés.
Il ne voulait pas tourner la tête.
Quelque chose en lui le suppliait de ne pas le faire.
De ne pas voir.
De ne pas comprendre.
Mais c’était déjà trop tard.
Lentement.
Trop lentement.
Comme un automate dont les mouvements sont dictés par une force extérieure, il pivota.
Et il le vit.
L’homme.
Allongé dans un lit identique au sien.
Attaché de la même manière.
Branché aux mêmes électrodes.
Sous la même lumière blafarde.
Enfermé dans le même espace aseptisé.
Mais éveillé.
Pas dans le brouillard.
Pas dans l’oubli.
Éveillé. Lucide.
Trop lucide.
Ses pupilles étaient vides.
Ou trop pleines.
Comme s’il avait déjà vu l’horreur et avait cessé de lutter.
Le prisonnier ne remuait pas.
Il ne se débattait pas.
Il n’essayait pas de parler.
Il attendait.
Un écho.
Un signal.
Un puzzle qui prenait forme.
Les regards se croisèrent.
Un choc.
Un vertige brutal le projeta hors de lui-même.
Un courant froid remonta dans sa poitrine.
Cet homme le connaissait.
Pas un doute. Et ce qu’il savait… Étienne ne voulait même pas l’imaginer.
Il sentit sa gorge se serrer.
Une terreur sourde s’insinua dans ses os.
Le sol se déroba sous lui.
Il n’arrivait plus à respirer.
Une expression imperceptible traversa les traits du prisonnier.
Un éclair de reconnaissance fugace.
Un avertissement silencieux.
Un complice ?
Un ennemi ?
Ou un autre comme lui ?
Piégé dans ce jeu tordu.
Forcé à jouer un rôle qu’il n’avait jamais choisi.
Son cœur cogna contre ses côtes.
Cet homme savait.
Étienne devait le forcer à parler.
Avant qu’ils ne l’effacent.