Elian s’éveilla dans un lit d’une chambre simple sans décoration. Dolandar méditait sur le sol à côté d’elle. Il ouvrit les yeux dès qu’elle se releva, preuve qu’il la surveillait de près.
- Tu es plus pâle que la neige. Je vais te faire porter à manger et à boire.
Dolandar ouvrit la porte, discuta avec un homme dans le couloir puis la referma. Il s’assit sur le lit près d’elle puis lança :
- Tu cherches à connecter des évènements.
Ce n’était pas une question mais Elian acquiesça tout de même de la tête.
- Ça ne me fait pas plaisir, pas du tout même, que mes doutes se confirment.
- Qu’est-ce que c’est, l’anneau d’Elgarath ?
Elian se tourna vers Dolandar et serra les dents.
- Le gars qui veut te tuer cherche également ce truc alors pour te protéger, je dois savoir ce dont il s’agit.
- Une bague symbolique au sein de la famille royale de Falathon. Elle date de quelques siècles lorsqu’un roi a fait brûler vive sa femme pour sorcellerie.
- Charmante famille.
- Elle l’a maudit pour ça et la malédiction s’est avérée fonctionnelle, prouvant ainsi que, en effet, c’était bien une sorcière.
Dolandar grimaça.
- Ce n’était peut-être pas une raison pour la brûler vive.
- Bref, la fille du roi a traversé le monde pour trouver un moyen d’annuler la malédiction. Elle est revenue avec un anneau qui lui a permis de contourner le mauvais sort. Elle s’appelait Elgarath. Depuis, à chaque mariage royal, la femme doit porter l’anneau comme… commémoration, en quelque sorte.
- Mais il ne sert plus à rien, comprit Dolandar.
Un homme entra avec de quoi se restaurer puis ressortit. Elian mangeait tout en parlant.
- C’est pire que ça. L’anneau est… maudit en quelque sorte. Quiconque le porte… se sent mal et meurt jeune de fatigue intense. C’est compliqué à expliquer.
- Pourquoi quiconque voudrait d’une merde pareille ?
- Je ne sais pas, dit Elian.
- Tu sais où est cet anneau ? demanda Dolandar.
Elian soupira. Cela, elle ne pouvait pas le lui révéler.
- Laellia Eldwen en est la gardienne. Je lui ai appris tout ce que je sais sur les meilleures manières de dissimuler un objet. Elle est à la hauteur.
Dolandar hocha la tête. Elian sentit son ventre se serrer. Elle venait de mentir à son protecteur sur une information sensible la concernant. Elle n’avait pas le choix. Elle n’avait plus confiance en personne. Le danger pouvait venir de partout.
- Je suis épuisée, indiqua-t-elle avant de se coucher, sous le regard dégoûté de Dolandar.
Elle fut réveillée par son protecteur.
- Elian, ça fait deux jours que nous sommes là. Ceïlan et Theorlingas vont craindre le pire. Il faut les rejoindre.
Elian, encore embrumée, hocha la tête. Elle se leva, avala un bol de jus de fruit et quelques abricots puis suivit Dolandar dans les couloirs derrière un assassin leur servant de guide. Arrivée devant la cour menant à l’extérieur, Elian se figea tandis que Dolandar avançait sans se rendre compte que sa reine ne le suivait plus. Il stoppa lorsqu’il s’aperçut de son arrêt.
- Elian, tu viens ?
Elle ne bougea pas. Arnaud apparut près d’elle.
- Il va falloir l’affronter, le monde réel.
- Je sais, dit Elian en pleurant.
- Donne tes bras.
Elian se tourna vers le maître de la guilde des assassins et obéit sans crainte. Il retira ses bras d’archer et en plaça deux nouveaux. Le cuir vert et bleu était sculpté d’entrelacs.
- Les autres juraient trop avec ta tenue, indiqua Arnaud. Ceux-là passeront inaperçus. De plus, désormais, tu as les deux mains. C’est plus pratique quand même !
- Merci, Arnaud, dit Elian en testant son nouvel équipement.
- Prends ça aussi, dit-il en lui tendant une ceinture tenant un fourreau de cuir noir contenant une dague et deux couteaux de lancer. Ton matériel fait peine à voir. Je me fiche que la reine d’Irin soit mal équipée mais un de mes assassins, certainement pas. J’ai un certain standing à tenir, figure-toi !
Elian rit. L’arme parfaitement équilibrée s’ajusta naturellement à sa main.
- Bon courage, murmura le maître de la guilde des assassins. Tu vas y arriver. Tu es forte.
- Lui aussi, répondit Elian avant de rejoindre Dolandar malgré la terreur enlisant chacun de ses pas.
Aucun mot ne fut échangé entre les deux elfes durant tout le trajet les menant au palais royal. Ils furent accueillis en grande pompe lors d’une cérémonie très ennuyeuse. Enfin, Elian put, collée par Dolandar, parler en privé avec Brian lui même protégé par Ceïlan.
- Ma femme est morte, annonça Brian de brut en blanc.
- Tu viens de devenir père de deux adorables petites filles, le contra Ceïlan.
La mort en couche d’une femme à Irin était toujours pleurée mais si elle avait permis la naissance de deux filles, alors la fête aurait duré plusieurs lunes.
- Toutes mes condoléances, dit Elian. Je suis navrée que rien n’ait pu…
- Ceïlan peut te soigner du métal noir mais pas ma femme d’un accouchement ? gronda Brian. Peut-être qu’il n’y a pas mis tout son cœur parce que ce n’est qu’une humaine.
- Ceïlan ne m’a pas guérie, chuchota Elian à l’oreille de Brian. Je tiens à peine debout. J’ai régulièrement des crises. En réalité, Brian, je suis à l’agonie.
Elian se recula pour permettre à Brian de digérer l’information.
- Pourquoi ? Pourquoi ?
Il regarda autour de lui.
- J’aimerais un endroit privé, dit Elian, un vrai, me permettant de me passer de nos deux protecteurs. Je voudrais te parler, à toi, et seulement à toi.
Dolandar et Ceïlan tiquèrent. Leur reine souhaitait s’entretenir seule avec le roi des humains de Falathon, sans eux. Elle ne les incluait pas dans son cercle de confiance. Ils grincèrent des dents. Brian hocha la tête et fit signe à Elian de le suivre. Les trois elfes parcoururent de nombreux escaliers pour finir sous terre, dans ce qui ressemblait aux fondations du château. Là, se trouvaient des geôles.
- Elles sont toutes vides, indiqua Brian. On ne s’en sert plus. Il n’y a qu’une seule entrée. Nos gardiens peuvent se poster là. Nous irons plus loin en avant afin d’être tranquilles.
Elian hocha la tête.
- Je vous ordonne de rester là et de tout faire pour ne pas entendre ma conversation avec Sa Majesté Brian Eldwen, c’est clair ?
Ceïlan et Dolandar hochèrent la tête. Les deux chefs s’éloignèrent.
- Pourquoi un tel subterfuge ? Pourquoi faire croire que Ceïlan t’a soignée ?
- Pour que notre adversaire ne tente pas de s’en prendre à toi de cette manière. À quoi bon si c’est voué à l’échec ?
- Notre adversaire ? Mais de qui parles-tu ? Que crains-tu ? Les elfes noirs sont partis. Les orcs aussi. La paix est de retour. Tu es… sur tes gardes, en permanence. J’avoue ne pas comprendre.
- Qui a réuni les tribus orcs ? Qui les a amenés à déraciner des arbres pour réaliser une trouée ? Qui est cet allié des elfes noirs qui veut ma mort ?
Elian sortit de son aumônière la mise à prix. Brian pâlit en la parcourant.
- Laellia m’avait prévenu mais le montant est … ahurissant ! Le royaume de Falathon ne serait pas capable de débloquer une telle somme. C’est inimaginable. Pourquoi en vouloir à ce point à la comtesse d’Anargh ? Non pas que je te dénigre, mais la plupart des nobles ne savent même qui est chargé de ce comté sudiste. J’ai cherché. J’ai interrogé des gens. Impossible de connaître le commanditaire.
- Ça sera d’autant plus difficile maintenant que le sceau de la mort s’est éloigné de moi. Les assassins ne me chercheront plus. Je m’en suis assurée.
- Cela n’implique pas que tu sois hors de danger. Les officiels ne te courent plus après. Des individuels, des brigands, des mercenaires, en revanche… Avec une telle somme, il peut acheter à peu près n’importe qui. Pourquoi toi ?
- Ce n’est pas la comtesse d’Arnagh qu’il a en ligne de mire… pas seulement disons. Cet homme, qui qu’il soit, est le même que celui qui a tenté de s’approprier l’anneau d’Elgarath peu avant ton mariage.
- Qu’en sais-tu ?
- Je le sais, c’est tout. Il est là, actif, agissant dans l’ombre, fantôme insaisissable. Il porte sur lui, dans une simple bourse, le montant de ma prime, en pierres précieuses.
- Impossible ! C’est du délire ! Ta blessure t’a rendue paranoïaque ! Tu as vécu des évènements traumatisants, je comprends mais je t’assure, tout va bien maintenant.
- Non, ça ne va pas. Trop de questions restent sans réponse. Si on ne sait pas pourquoi les orcs ont agi de la sorte, cela pourra se reproduire n’importe quand. D’autres trouées pourraient apparaître.
- Et les nobles veilleront…
- Comme le duc de Phalté le faisait ? Le fantôme ne s’arrête devant rien. Il dispose d’une quantité d’argent hallucinante lui permettant de corrompre à peu près n’importe qui. À quel point es-tu sûr de la loyauté de tes sujets ? Les miens se sont retournés contre mon prédécesseur et ont désobéi à un ordre direct de sa part.
- Le soutien des elfes a été crucial, répliqua Brian.
- Ça ne fait pas moins d’eux des traîtres, contra Elian.
Brian grimaça.
- Un mariage royal devait avoir lieu le mois dernier, dit Brian. Laellia a été déclarée souffrante. En apprenant ton arrivée prochaine, j’ai fait savoir que Ceïlan soignait Laellia et qu’elle serait bientôt en mesure de se rendre au mariage auquel sa présence était cruciale, sans que personne ne sache trop pourquoi.
- Parfait. J’amènerai l’anneau là-bas, ne t’inquiète pas.
- Tu crois que ces protections sont encore nécessaires ? Je veux dire… À quoi bon récupérer une babiole comme celle-là, maudite qui plus est ? Quel intérêt peut-il y avoir à empêcher des unions royales ?
- Tout le monde sait que Laellia est la gardienne de l’anneau.
- Ça n’a jamais été dit officiellement donc tout le monde est au courant, oui.
- Le château a-t-il été fouillé ? Laellia a-t-elle été victime d’une agression ?
- Pas à ma connaissance, dit Brian.
- Mène-moi à sa chambre.
Brian hocha la tête et les deux souverains remontèrent, collés par leur escorte elfique.
- Bien le bonjour, Laellia, dit Elian en enlaçant son amie au lit. Tu te sens mieux ?
- Oui, merci, beaucoup mieux grâce aux bons soins de Ceïlan. Merci de nous avoir amené votre meilleur guérisseur, Majesté.
- Je t’avais dit que j’étais reine d’Irin, répliqua Elian et les deux jeunes femmes rirent. J’ai besoin que tu restes silencieuse. Tu ne dis rien et tu restes stoïque, d’accord ?
Laellia hocha la tête. Elian observa la chambre sans rien toucher. Après un long moment, elle annonça :
- Cette chambre a été fouillée. Ils sont mauvais, ceux qui ont fait ça. Ils ont laissé partout des traces de leur passage et n’ont regardé que les endroits évidents.
- Fouillée ? répéta Laellia. Pourquoi ?
- Silencieuse, tu te souviens ?
Laellia referma la bouche avec un geste d’excuses. Elian toucha les murs, manipula la porte ouverte et la caressa partout sous le regard surpris des badauds qui se promenaient dans le palais. Elle tapota le parquet, les murs, les montants du lit à baldaquin. Après un temps interminable, elle annonça d’une voix forte :
- Bravo, Laellia. Tu as remarquablement mis mes conseils en pratique. Je ne sais pas du tout où tu l’as mis.
- Tu y mets une énergie considérable, murmura Brian à son oreille. Tu le crains tant que ça ?
Elian ne répondit rien.
- Elian, que s’est-il passé ce jour-là sous les murailles ? interrogea Laellia.
- J’ai donné le trône à Saelim et il a ramené les elfes noirs chez eux. Il semblerait que j’ai misé sur le bon cheval.
- Pourquoi la flèche ?
Elian plissa les yeux.
- Parce que la fidélité de chacun ne semble pas aussi claire qu’elle n’y paraît. Je dirais qu’il y a des dissensions au sein des elfes noirs et que la montée au pouvoir de Saelim, d’une manière aussi peu honorable, n’a pas plu à tous.
- La raison peut très bien aussi être d’ordre financière, fit remarquer Brian.
- C’est possible. Des elfes noirs vénaux, ça doit bien exister.
- Financier ? Pourquoi ? demanda Ceïlan.
- Parce que la tête d’Elian est mise à prix et que le montant est exorbitant, annonça Dolandar.
- Quoi ? s’étrangla Theorlingas en entrant dans la pièce alors que Ceïlan montrait sa désapprobation.
- Voilà qui prouve définitivement que les murs ont des oreilles, lança Elian à Brian que l’apparition surprise de l’elfe des bois avait fait sursauter.
- Mise à prix ? Tu te promènes au sein d’un royaume humain, tranquille, alors qu’une menace de mort pèse sur toi ? s’écria Ceïlan avant de se tourner vers Brian, totalement calme et impassible. Ta meilleure amie est frappée du signe de la mort et ça ne te fait rien ?
- Je le savais déjà, précisa-t-il. Laellia me l’a dit il y a des lunes de cela.
Ceïlan, Dolandar et Theorlingas se tournèrent vers la princesse.
- Elian me l’a dit lors du chemin mouvementé entre Dalak et Tur-Anion, expliqua Laellia. Dès mon retour au palais, j’en ai parlé à Brian qui a depuis tout essayé pour retrouver trace du commanditaire, en vain.
- Ma tête n’est plus à prix, assura Elian.
- Il n’en reste pas moins que le commanditaire est là, quelque part, à l’affût, gronda Dolandar.
- Il n’y a personne, le contra Brian. Tout va bien maintenant. Ne la suivez pas sur ce chemin, s’il vous plaît. Vous l’encouragez à voir un danger là où il n’y a rien. Ce mal est derrière nous. La situation est apaisée désormais. Reste à recréer les liens et nous le ferons lors du souper, qui ne va pas tarder. Ma sœur a besoin d’intimité pour se préparer et nous rejoindre coiffée et habillée. Il en est de même pour moi. À tout à l’heure.
Les elfes quittèrent la pièce. Les échanges suivant se firent en lambë.
- D’autres informations que tu aurais omis de nous transmettre ? s’exclama Theorlingas.
- Je n’ai pas à vous tenir informés de tout, répliqua la reine. Ceïlan, ta mission a été un échec, si j’ai bien compris. La reine est morte.
- C’était inéluctable, malheureusement, annonça Ceïlan gravement. J’aide la nature. Lorsqu’elle veut tuer quelqu’un, je ne sers à rien. Je suis navré pour mon ami. Il m’en veut énormément mais je ne pouvais rien pour elle. J’accompagne la nature. Je ne lutte pas contre elle. J’accélère un processus, rien de plus. Elle devait mourir. C’était son jour.
Elian hocha la tête.
- Theorlingas, ta mission ?
- J’ai raconté un nombre incalculable de fois comment Ceïlan t’avait soignée juste en apposant ses mains sur ta blessure. Hier, j’ai entendu un groupe de serviteurs admirer les pouvoirs du guérisseur, pouvant soigner la peste d’un simple regard. Je crois que c’est un succès.
- Tu as couché avec combien de femmes pour en arriver là ?
- Tu tiens vraiment à le savoir ? répliqua Theorlingas et Elian grogna.
Elle avait vu juste et n’était pas certaine d’apprécier cela.
- En revanche, j’ai quelque chose à te montrer.
Theorlingas dirigeait le groupe depuis la sortie de la chambre de Laellia. Ceïlan savait qu’ils ne se rendaient pas à la salle à manger mais avait choisi de ne rien dire, faisant confiance au nilmocelva. Le souper ne serait pas servi avant un bon moment, permettant une promenade. Le groupe se retrouva dehors, dans un parc intérieur du palais.
- Tu vois l’oiseau, là-haut ?
Elian plissa les yeux et aperçut un point noir qui cerclait autour de la ville.
- Ce n’est pas naturel d’agir de la sorte, précisa Theorlingas. Ces rapaces ne vivent pas en ville et ne volent pas ainsi. Il fait cela tous les jours. Lorsqu’il est fatigué, il s’éloigne et est remplacé par un autre. Parfois, il descend et s’en va. Un autre prend sa place. Il y en a toujours un dans le ciel, jour et nuit.
- C’est étrange, dit Elian.
- J’en ai interrogé plusieurs, indiqua Theorlingas.
- Tu parles avec des rapaces et ils te répondent ? dit Ceïlan d’un ton sarcastique.
- Ce n’est pas parce que les plantes sont muettes que c’est le cas des animaux.
- Les plantes parlent, débile !
- Arrêtez ! dit Elian. Vous ne vous êtes toujours pas calmés, après tout ce temps ?
- J’ai l’impression que c’est pire, indiqua Dolandar.
- Ces derniers jours ont été rudes, précisa Ceïlan.
- Il a refusé de me laisser approcher la reine Yillane, se plaignit Theorlingas.
- C’était ma mission. Tu avais la tienne à remplir. Pendant que je regardais la mort en face, tu baisais dans toutes les chambres du palais. Pas trop dur ?
- Va te faire foutre, Ceïlan ! gronda Theorlingas.
Elian soupira.
- Arrêtez, maintenant, chuchota-t-elle, soudain éreintée. Theorlingas, les oiseaux, qu’ont-ils dit ?
- Ils descendent au son d’un appeau, jamais deux fois au même endroit. Ils portent des messages sur leurs pattes.
- Ils servent de pigeon ? comprit Elian. Tu as pu récupérer certains de ces messages ?
- J’avais autre chose à faire que surveiller un piaf, précisa Theorlingas.
- Je ne le vois plus, indiqua Dolandar.
Les elfes regardèrent en l’air. Le ciel vide leur répondit et soudain, l’oiseau apparut, s’éloignant du palais. Elian entendit un son puissant, vibrant, un chant d’appel irrésistible. Le rapace vint se poser sur le bras de Theorlingas. Elian en était muette d’admiration. Ceïlan boudait. Dolandar déplia délicatement le parchemin attaché à la patte du volatile et le tendit à Elian.
« Je ne sais pas. Je ne suis pas resté pour constater l’effet de la première dose. J’étais pressé. Cette fois, je le constaterai de mes yeux. Je te ferai un retour. Encore merci, Guero. » lut Elian.
- Super, continua-t-elle. Ça ne nous apprend rien. Pas de blason. L’écriture est… banale, finit Elian qui ne choisit pas son terme au hasard. Pas de fioriture, de lettres plus marquées que d’autres, pas de signe distinctif. Tu peux rattacher le message, Dolandar. Theorlingas, relâche-le ensuite. Il ne doit pas savoir qu’il y a eu interception.
Il fut fait selon sa demande.
- Tu penses que c’est lui ? demanda Dolandar.
Elian sentit son ventre se serrer. Elle eut la nausée. La terreur l’envahit. Elle respira doucement pour se calmer. La probabilité pour qu’il soit effectivement présent à Tur-Anion en même temps qu’elle était infime. Son arrivée surprise ne pouvait pas avoir donné le temps à quiconque de venir. Deux jours ne permettaient pas un trajet très long. La respiration l’aida à calmer son cœur affolé.
- Je ne sais pas, admit Elian. Guero ?
- Jamais entendu parler, indiqua Ceïlan.
Theorlingas indiqua d’un geste qu’il en était de même pour lui. Ce nom ne disait strictement rien à Elian non plus.
- Donc Brian a deux jumelles, dit Elian.
- Althaïs est l’aînée, dit Ceïlan. Un foulard rouge a été passé à son poignet dès sa naissance afin de ne jamais la confondre avec sa sœur, Katherine. Tous les nobles tractionnent pour que leur jeune fils devienne écuyer au palais… afin qu’il puisse rencontrer Althaïs et que l’amour naisse. Des tonnes de demandes d’unions avec Katherine fusent. S’il est essentiel que le couple royal s’unisse par amour, il n’en est rien du reste de la famille. De ce fait, l’animation au palais est maximale.
- Facilitant les déplacements d’un monsieur tout le monde, en conclut Elian. Bien… Allons à ce souper. Je suis épuisée. M’asseoir, boire et manger me ferait du bien. Je suis censée être guérie.
Ce fut le visage grave que la délégation elfique rejoignit la salle de réception. De nombreuses femmes firent des clins d’œil à Theorlingas faisant soupirer Elian qui détestait clairement la situation.
Elian s’assit à sa table, placée sur une estrade de manière à être à la même hauteur que celle de Brian. Elle se tenait sur sa droite, en bout de table, très proche de Brian. À sa droite, Dolandar qui refusait de quitter sa protégée, puis Ceïlan et enfin Theorlingas. Cet éloignement permettait à Elian de ne pas trop remarquer les sourires échangés avec les femmes de la cour. De nombreuses personnalités vinrent saluer les elfes dans un lambë atroce. Les elfes répondirent poliment.
Laellia fit son entrée, vêtue d’une robe somptueuse. Brian fut annoncé et le roi, entièrement vêtu de noir, entra et s’assit à son siège. Le ballet des serviteurs commença. Boisson et nourriture apparurent sur les tables. Elian, perdue dans ses pensées, ne se rendait plus bien compte de son environnement.
- Elian ? appela Dolandar.
Elle sursauta.
- Quoi ?
- Brian semble attendre quelque chose, précisa Dolandar.
- Oh ! Pardon, je… J’étais dans la lune.
Elian prit son verre, sourit à Brian puis se figea.
- Ça va ? murmura Dolandar.
- J’aurais dû le prendre de l’autre main. La gauche est mal vue chez les humains. Sauf qu’à droite, j’ai mal, annonça-t-elle sans perdre son sourire figé.
Brian venait d’avaler son verre, tout comme Ceïlan qui, en temps qu’ambassadeur, connaissait les coutumes humaines. Elian changea son verre de main en se forçant à continuer de sourire malgré la douleur puis le porta à sa bouche.
- Non, dit Dolandar en le repoussant.
Les hurlements envahirent la salle. Brian et Ceïlan suffoquaient. Les deux seuls à avoir bu s’écroulèrent sur leur table. Elian lâcha son verre qui répandit son liquide rouge sur la nappe immaculée. Elle se mit à trembler tandis que les cris enflaient autour d’elle. Elle venait d’échapper, de peu, à la mort, une fois de plus. Brian gisait livide sur sa table. Quant à Ceïlan, l’amour de sa vie, il hoquetait, cherchant de l’air, tremblant de partout.
- Il est là, dans la salle, annonça Dolandar. Il a empoisonné les verres. La première dose… Un poison, du genre suffisamment puissant pour mettre en défaut le meilleur guérisseur elfique. Elian ?
La jeune femme pleurait et manquait d’air. Elle se mit à trembler convulsivement.
- Qu’est-ce qu’elle a ? hurla Dolandar au milieu des cris de terreur des humains de la salle.
- Elle fait une crise de panique ! s’exclama Theorlingas. Lui dire que son pire ennemi est dans la salle ne la rassure pas des masses.
- Je dois faire quoi ?
- Putain, je ne peux pas m’occuper de Ceïlan et d’elle en même temps ! gronda Theorlingas avant de lâcher la main du guérisseur, de pousser Dolandar et de forcer Elian à le regarder. Regarde-moi, plonge-toi dans mon regard.
Elian obéit et dans les yeux du nilmocelva, elle reçut le calme au milieu de la tempête.
- Maintenant, ferme les yeux et écoute avec ton cœur.
Dire que le chant fut merveilleux ne serait pas lui rendre honneur. La mélodie transperçait l’âme, repoussait les ombres, apaisait les angoisses. Elian se détendit d’un coup.
- Ouah ! s’exclama Dolandar. T’as calmé toute la salle !
- Je ne visais pas la salle, répliqua Theorlingas.
En effet, les hurlements avaient cessé. Chacun reprenait contenance. Un certain ordre apparut. Le chaos disparut. L’intendant donna ses ordres aux serviteurs qui l’écoutaient enfin. Certains nobles firent sortir dans le calme les femmes choquées.
- Comment va Ceïlan ? demanda Elian en pleurant.
- Il est vivant. Il lutte. J’ignore pour combien de temps, annonça Theorlingas.
- Brian ?
- Je ne sais pas. Je m’en fiche.
- Pas moi, répliqua Elian avant de se lever et de rejoindre l’estrade royal.
Un noble s’y trouvait déjà.
- Il est mort, annonça-t-il.
Elian fit le tour de la table, attrapa Laellia et l’amena plus loin.
- Tu dois partir, maintenant.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il ne s’arrêtera pas.
- Je n’ai pas le droit au trône. Mon sang n’est pas le bon. Les jumelles sont les seules descendantes.
- Il faut les mettre à l’abri mais toi aussi.
- Pourquoi ?
- Parce que tu es la gardienne de l’anneau d’Elgarath et qu’il le veut. Profite du chaos ambiant pour t’enfuir. Remonte le port jusqu’à la bergerie et tourne à droite. Devant un portail en fer blanc, il y a un mendiant saoule. Dis-lui que tu viens de la part d’Elian et que tu as besoin de protection. Ils te demanderont sûrement des informations en échange, donne-les leurs. Toutes. Ne négocie pas. Ta vie en dépend alors je t’en prie, lâche tout.
- Mais Elian, je ne suis…
- Tais-toi, ordonna Elian. Va, maintenant ! Je vais prendre soin de tes nièces.
Laellia hocha la tête et partit.
- On va chercher les jumelles et on rentre à Irin.
- Pourquoi prendre ces enfants ? demanda Dolandar.
- Pour les protéger. Qui d’autre connaît la nature du danger qui les guette ?
- Nous devons rentrer au plus vite. Ceïlan a besoin de soutien. Les autres guérisseurs lui fourniront l’aide nécessaire.
La mort du roi venait de créer du mouvement dans le palais. Les gardes courraient en tout sens, tentant de limiter les allées et venues. Nul ne savait que faire.
Lorsque les elfes arrivèrent à la pouponnière, ce fut pour découvrir deux mercenaires sur le corps sans vie des nourricières. L’épée ensanglantée, ils se dirigeaient vers les berceaux. Dolandar dégaina et exécuta gracieusement et sans difficulté les deux hommes avant qu’Elian ait pu dire quoi que ce soit. Elle fouilla les corps mais ne trouva aucun document.
- Impossible de savoir qui les a envoyés, maugréa Elian. Partons.
Elle prit une jumelle, Dolandar la seconde tandis que Theorlingas portait Ceïlan. Elian s’écroula plus d’une fois pendant le trajet, protégeant la petite qui hurlait. Lorsqu’ils posèrent le pied à Irin, Elian perdit une nouvelle fois connaissance.
Elle s’éveilla au son du cri d’un bébé. Elle se leva d’un bond et s’écroula, prise d’un violent vertige.
- Et si tu prenais soin de toi ? proposa Theorlingas en entrant dans la pièce.
- Ceïlan ?
- Toujours inconscient. Les guérisseurs t’en parleront mieux que moi.
- Les jumelles ?
- Les nourriciers s’en occupent. Ils ronchonnent mais ils s’en occupent. Ceci dit, il y a plus urgent.
- Plus urgent ? s’exclama Elian qui ne voyait pas ce qui pouvait nécessiter davantage d’attention et de temps que son frère et les deux bébés du frère de sa meilleur amie, l’ancien roi de Falathon qui venait de se faire lâchement assassiner par empoisonnement.
Theorlingas lui fit signe de le suivre. Depuis une haute branche, il lui désigna le sol. Saelim s’y trouvait, à genoux, les mains sur la tête, des flèches braquées sur lui.
- Il est arrivé juste après nous, indiqua Theorlingas. Il veut te parler.
- Aide-moi à descendre, demanda Elian dont le bras droit ne répondait plus. Où est Dolandar ?
- Toujours à côté de toi, Majesté, répondit Dolandar en faisant sursauter Elian.
- Tu es parfait, indiqua-t-elle. Il a l’air sous bonne garde mais méfie-toi, je ne sais plus reconnaître mes alliés de mes ennemis.
- Tu me tournes le dos alors que je suis armé, dit Dolandar. Merci de me mettre dans le cercle des alliés.
Elian grimaça. Elle n’avait guère le choix. Avec l’aide de Theorlingas, elle se retrouva rapidement au sol.
Elian s’accroupit devant Saelim qui leva les yeux sur elle sans changer de position et elle ne lui proposa pas de le faire.
- Que tes nuits soient sombres, Saelim, salua-t-elle en amhric.
- Que tes nuits soient sombres, Elian, répondit-il dans la même langue.
- Que fais-tu là ?
- Les anciens sont fous, dit Saelim. Ils ont refusé de m’obéir. Le peuple s’est dressé contre moi. Ils comptent attaquer de nouveau Falathon. Ils ont l’air… fanatiques. Je ne comprends pas.
- Qui était l’archer au bout de la flèche de métal noir qui m’a blessée ?
- Je ne sais pas, précisa Saelim. Je comptais revenir, me poser et faire mon enquête. Je n’en ai pas eu le temps. Les complots ont immédiatement commencé. Je naviguais dans de la boue. Tout m’échappait. Tout glissait. Rien ne se passait comme je le voulais et au final, ces connards d’anciens ont essayé de me tuer. Au départ, ils ont fait ça à la loyale, en me défiant, à mort. Ça ne se fait pas depuis des siècles et encore moins alors que nous avons perdu autant des nôtres. J’ai dû exécuter dix de nos plus anciens membres… tous nés à L’Jor. Pourquoi ? Ils savaient qu’ils allaient perdre. Je ne comprends pas. Finalement, ils ont changé de méthode et la dernière dague visait mon dos. Je l’ai évité mais j’ai préféré partir. Un tel manque d’honneur dénote une folie jamais vue. Je suis parti vous prévenir parce que là-bas, je ne contrôle plus rien. Je ne veux pas que mon peuple soit décimé.
- Qu’attends-tu de moi, Saelim ? Je t’ai mis sur le trône. Que puis-je faire de plus ?
- La personne avec qui Khala parlait, le gourou qui fanatise nos anciens au point de les faire désobéir à leur roi, il veut ta tête. Qui est-ce ?
Elian frissonna. Ainsi, Saelim se posait exactement la même question qu’elle. Elle s’assit en tailleur devant Saelim, fit un signe à ses gardes qui relâchèrent un peu leur attention. D’un geste, elle indiqua à Saelim qu’il pouvait prendre une position plus confortable.
- Que sais-tu de lui ? demanda Elian.
- Rien, précisa Saelim. Je ne l’ai jamais vu. Il n’a pas de nom. Il est…
- Un fantôme, finit Elian.
- Un marionnettiste de talent, qui tire ses ficelles de loin, sans se mouiller, bien à l’abri derrière…
- Je ne crois pas, le coupa Elian. Il est là, partout, bien présent, mais invisible, caché derrière sa… banalité.
- Banalité ? répéta Saelim.
- Depuis combien de temps cette alliance existe-t-elle ?
- Il a orchestré la naissance de Beïlan alors depuis au moins tout ce temps.
- Orchestré la… ? Que veux-tu dire ?
- Que c’est le marionnettiste qui a amené Khala à rencontrer la reine des elfes. Il n’aurait jamais eu l’idée seul.
- Non ! Non ! Le fantôme est humain. Il ne peut pas exister depuis autant de temps !
- Elian ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Dolandar qui, ne parlant pas l’amhric, ne comprenait pas un traître mot à l’échange.
- Je parle le lambë, précisa Saelim.
- Grand bien te fasse, on continue en amhric, indiqua Elian qui demanda d’un geste à Dolandar de ne pas intervenir. J’ai obtenu sa description et il est humain. Comment peut-il ?
- C’est peut-être un groupe, une secte, une transmission de maître à apprenti. Les humains sont friands de ce genre de choses.
- Pas un seul, plusieurs, comprit Elian.
Voilà que le danger se démultipliait. Chaque découverte empirait la situation.
- Pourquoi les anciens suivent-ils cette petite voix ? demanda Elian.
- Je ne sais pas mais le marionnettiste a tenu parole. Il nous a promis des armes et elles étaient exactement au lieu dit dans la quantité annoncée.
- Quelles armes ? demanda Elian.
- Le métal noir, dit-il.
- Je ne comprends pas, admit Elian.
- Nous ne possédions pas de telles armes, expliqua Saelim. Nous n’avons quasiment pas d’armes, en fait. Il n’y a pas de mine à Dalak. Non pas que nos montagnes soient exemptes de métal ! Il y en a sûrement. Nous n’avons simplement ni le matériel ni les compétences pour l’extraire. De ce fait, nos outils sont en pierre, la seule matière à disposition. Nous sommes montés vers Falathon à vide, sans rien, avec juste une carte et une croix. À l’emplacement indiqué, il y avait une cache remplie d’armes de métal noir : épées, dagues, couteaux, pointes de flèches.
- Où se trouvait cette cache ?
- À l’est de Falathon, non loin du lac Lynia.
- Le fantôme possède des armes de métal noir par milliers ?
Saelim hocha la tête et Elian pâlit. La situation empirait.
- L’un de vous a-t-il contacté les tribus orcs pour les unifier et coordonner votre attaque avec la leur ?
- Pas à ma connaissance, dit Saelim. Les anciens parlent parfois des orcs, ces bêtes loyales et fidèles qui rendaient des services admirables. Pour ma part, je n’en ai jamais vu. Ils existent encore ?
- Bien sûr. Ils pillent les troupeaux de moutons des falathens depuis toujours. Ils vivent sur les côtés océaniques, à l’ouest du continent.
- Les terres sombres nous séparent d’eux. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas les contacter. La traversée est impossible. La douleur est insupportable, la mort inéluctable.
Elian hocha la tête. Elle comprenait parfaitement.
- C’est un groupe organisé avec des contacts partout, des armes, de l’argent. Qui sont-ils ?
- Je ne sais pas, maugréa Saelim.
- Theorlingas ? appela Elian.
L’elfe s’approcha et s’accroupit près de sa reine.
- Le rapace t’a-t-il dit, par hasard, où il allait porter son message ?
- Dans le nord, au delà des montagnes.
- Dans le royaume maudit ? s’exclama Elian.
- Le royaume maudit ? répéta Theorlingas.
- C’est ainsi que les falathens appellent cet endroit. Comment le nommez-vous ?
- Chez nous, répondit Theorlingas. Enfin ça l’était avant que les humains ne nous en chassent, exterminant les nôtres, nous obligeant à trouver refuge dans cette forêt.
Ceïlan lui avait dit que les elfes avaient été chassés de chez eux par les humains mais elle ignorait qu’ils venaient du nord, par delà les grandes montagnes. Elle comprit qu’elle avait encore beaucoup à apprendre.
- C’est grand là-bas ? demanda Elian.
- Immense, parait-il, répondit Theorlingas. Rares sont ceux encore en vie pour pouvoir en parler.
- Cet endroit doit avoir un gouvernement, une société, des règles, des groupes d’influence.
- Bien sûr, répondit Saelim en lambë. Ce sont des humains, avec des règles humaines… un roi, des nobles, des bourgeois, des paysans…
- Qu’en sais-tu ? s’exclama Elian, surprise qu’il puisse en savoir autant sur un pays aussi éloigné de Dalak.
- Nous sommes passés par là, répondit Saelim. Les vieux en parlent parfois.
- Passés par là ?
- Lorsque les Tewagi en provenance de L’Jor cherchaient les femmes, ils ne savaient pas où aller alors ils ont commencé là-haut… pour finalement les retrouver au sud.
- L’Jor ? Cela fait deux fois que tu prononces ce mot. Que signifie-t-il ?
- C’est l’endroit où nous vivions avant de nous en faire chasser par des humains l’ayant rebaptisé la Trolie.
- Les humains ont dépossédé tous les elfes de leurs terres.
- C’est la loi de la nature. Les meilleurs survivent.
- Les humains ne sont pas meilleurs, siffla Elian.
- Ils sont partout. Nous sommes quelques milliers. Ils gagnent, en conclut Saelim. C’est douloureux, mais c’est vrai.
- Que cherchent les fantômes ?
- Notre destruction définitive ? proposa Saelim. À mes yeux, ces attaques ne sont qu’un suicide collectif.
- Ils promettent des terres aux anciens, c’est ça ?
- Je suppose, dit Saelim. Notre lieu de vie est pourri, tu le sais ? Le royaume de Falathon n’est pas pour nous déplaire. Sincèrement, quand Khala nous a envoyé le prendre en nous disant que ça serait facile, le bonheur m’a envahi. Les premières percées, les champs, la nourriture, la viande… C’était fantastique. Je n’ai jamais mangé autant de toute ma vie, Elian, que pendant ces quelques semaines sur Falathon. Mais… les morts sous les remparts… Je n’ai pas trouvé ça facile… Nous sommes quelques milliers… Les humains peuvent perdre mille, deux mille, trois mille, dix mille hommes et s’en foutre totalement. Nous perdrons… toujours… Combien de temps leur faut-il pour créer dix mille bébés ? Et nous ? C’est perdu d’avance.
Elian serra les dents. Les elfes des bois n’avaient pas perdu une âme et chaque perte aurait été une catastrophe. Elle imaginait sans peine ce que pouvait ressentir Saelim. Elian se leva et annonça :
- Surveillez-le de près mais offrez-lui à boire et à manger, de la viande si possible.
- Merci, Elian, dit Saelim.
La reine se leva.
- Je veux voir Ceïlan.
On la mena au maître botaniste. Ceïlan reposait sur un lit de feuilles. La mine sereine, il semblait se reposer.
- Comment ça se passe ?
- Il est stable, annonça un guérisseur. Ça n’empire pas, ça ne s’améliore pas.
- Nous craignons de ne jamais pouvoir le sortir de cette transe, précisa un autre guérisseur tandis que les autres grondèrent. Quoi ? s’exclama-t-il. Au moins, je suis honnête.
- Un peu de tact, de diplomatie ? proposa un autre.
- Je préfère que vous alliez droit au but, précisa Elian. Merci de votre franchise. Pouvons-nous faire quoi que ce soit pour aider ?
- Malheureusement, non, dit le premier.
- Sans savoir ce qu’il a ingéré, nous sommes aveugles, précisa le second.
- Avoir la formule du poison aiderait ? demanda Elian.
- Sans aucun doute, confirma le premier, sauf que nul ne sait de quoi il était constitué. Il nous faudrait la liste des ingrédients, les quantités exactes, le mode de mélange, de distillation…
- La formule, répéta Elian avant de s’éloigner.
Les guérisseurs restèrent un instant figés devant le départ aussi brutal de la reine puis reprirent leur soutien envers leur confrère.
- Tu m’accompagnes dans le nord ? demanda Elian à Saelim en amhric tandis que ce dernier se sustentait d’un lapin près d’un feu qu’il ne faisait aucun doute qu’il avait allumé lui-même sous le regard furieux des gardes.
- Pourquoi veux-tu y aller ?
- Je reviens à peine de Tur-Anion, indiqua-t-elle. Les marionnettistes viennent d’assassiner le roi de Falathon. Ceïlan a été touché par un poison. Nos guérisseurs ont besoin de la formule pour le soigner. Je pense que Guero, un allié de nos ennemis, possède la formule de la merde qui tue mon frère. Je veux aller la chercher et si possible, trouver des informations sur les fantômes.
- Ton frère, répéta Saelim en souriant.
Son usage avait de quoi surprendre. Les elfes ne savaient généralement pas qui étaient leurs parents. Aucun mot en lambë ne permettait de désigner des êtres du même sang.
- J’ai mal utilisé ce terme ? supposa Elian dont l’amhric n’était pas parfait.
- Disons qu’il ne désigne pas la même chose chez nous mais j’ai compris ce que tu sous-entendais. Notre société est formée de castes. Mes frères sont les Tewagi, les combattants. Le sang n’a pas d’importance pour nous. Les femmes vivent recluses et jettent les garçons dehors dès qu’ils sont sevrés. Le peu d’entre nous qui ont des souvenirs des palais de coton revoient des femmes unies dans le soin aux enfants. Aucun ne saurait dire quelle femme l’a mis au monde. Nous sommes unis par notre rôle.
- Rôle ? répéta Elian.
- Il y a la caste des pêcheurs, celle des cuisiniers, celles des bateleurs, celle des bâtisseurs…
- Tewagi, combattant, répéta Elian. Votre peuple gagne le pouvoir par le combat. Tu fais partie de la caste des dirigeants.
- En quelque sorte, oui.
Elian se figea puis murmura :
- Khala était donc ton frère.
Saelim hocha la tête.
- J’ai tué ton frère, en conclut Elian et Saelim acquiesça. Super…
- Il aurait fallu que je le tue pour devenir roi. S’entre-tuer entre membres d’une même caste est courant. C’est même rare de vouloir changer de caste donc les fratricides sont les meurtres les plus répandus.
Elian ferma les yeux. Elle se demanda soudain entre les manières des humains, celles des elfes des bois et celles des elfes noirs, laquelle était la pire ? Elle secoua la tête, incapable de choisir.
- Bref, tu viens avec moi ?
- Pourquoi y vas-tu toi-même ?
- Parce que je n’ai pas confiance en eux, indiqua Elian en désignant le vide derrière elle.
Saelim grimaça.
- Parce que tu as confiance en ton peuple, peut-être ?
Saelim ricana nerveusement avant de soupirer. Il pouvait difficilement contrer cela.
- Bon, tu viens ou pas ?
- Pourquoi est-ce que tu me proposes ?
- Parce que nous avons tous les deux intérêt à y aller, moi pour la formule, et toi pour trouver des informations sur les fantômes. Et puis, tu as mieux à faire ?
Saelim ricana de nouveau.
- Qui vient ?
- Dolandar et Theorlingas.
- Pourquoi ces deux-là ?
- Dolandar parce qu’il me protège.
- Tu lui fais confiance.
- Non, mais il en sait énormément sur moi. Je préfère l’avoir sous le nez. C’est plus facile pour le surveiller.
- Et Theorlingas ?
- Parce que j’ai besoin de lui. Il sera notre boussole.
- Ah…
- Tu viens ?
- Oui, volontiers. On part quand ?
- Maintenant, dit Elian.
Saelim soupira, se leva, jeta de la terre sur le feu pour l’éteindre puis suivit la reine qui se tourna vers Dolandar et annonça en lambë :
- Je pars. Theorlingas et Dolandar m’accompagnent. Les guérisseurs soutiennent Ceïlan de leur mieux. Les elfes des bois surveillent les elfes noirs et évitent les combats. Si les elfes noirs remontent vers le royaume de Falathon, celui-ci devra être prévenu. J’ignore qui prévenir. Ça sera à l’elfe en question de trouver le responsable en charge… un membre de la famille royale sans aucun doute. Probablement Armand Thorolf, d’ailleurs, c’est le cousin d’Yillane.
- On va où ? s’exclama Dolandar.
- Je ne sais pas dans combien de temps je reviens. Prenez soin de vous. Si le royaume de Falathon appelle à l’aide, vous répondez présents ! Est-ce clair ?
Quelques « oui » tombèrent des arbres. Elian hocha la tête, satisfaite.
- On y va.
- Maintenant ? s’exclama Dolandar. Elian ! Tu n’as même pas mangé ou bu !
- Je le ferai en chemin. On y va.
- Où ça ? s’écria Dolandar.
Saelim suivit.
- Il vient, lui ? s’étrangla Dolandar en désignant l’elfe noir.
- Oui, répondit Elian sans rajouter quoi que ce soit.
Ils sortirent de la forêt et montèrent plein nord.
- Tu ne veux vraiment pas nous dire où on va ? demanda Theorlingas.
- Je ne connais pas notre destination. Je compte sur toi pour nous l’indiquer.
- Moi ? s’étrangla Theorlingas. Par quel miracle ?
- Suis les rapaces. Trouve-nous Guero, ordonna Elian d’une voix douce mais ferme.
Theorlingas s’arrêta, stupéfait, puis reprit la route un peu en arrière.
- Tu lui mets un sacré poids sur les épaules, fit remarquer Saelim.
- Il en est capable. Il ne me décevra pas. C’est notre seule chance de guérir Ceïlan. Il faut qu’on réussisse.
- Tu es en état de faire ça ? demanda Saelim.
Elian lui lança un regard noir. Il grogna :
- Je suis en chemin pour un pays inconnu peuplé de gens inconnus aux intentions inconnues mais clairement malveillantes. Je m’assure de la solidité de mon équipe, si tu me permets.
Elian s’adoucit.
- Honnêtement, Saelim, je doute d’être jamais mieux que ça, dit Elian en amhric. Le métal noir restera à jamais en moi, en fond, une blessure jamais refermée, prête à surgir. Elle pompe mon énergie, m’oblige à la repousser sans cesse. C’est… épuisant, physiquement et psychologiquement. Je ne peux pas m’arrêter de vivre à cause d’elle. J’ai la sensation… que ça ne partira jamais. Je dois apprendre à faire avec.
- Ce n’est pas une raison pour voler au devant du danger, répliqua Saelim.
- Comment donner ma confiance ? cingla Elian amère. Qui sont les gentils ? Où sont les méchants ? Mon propre frère, le roi des elfes des bois, m’a enlevée, torturée et j’ai fini une lame sous la gorge, prête à être égorgée sous les remparts de Tur-Anion. Je vais à un banquet chez mes alliés et je me retrouve à deux doigts de mourir empoisonnée. Je me promène dans la nature et j’échappe par chance à la lame d’un assassin payé plus que tout l’or du royaume pour attenter à ma vie. Le monde entier est une menace. Tes propres sujets t’ont attaqué. Tu te crois plus en sécurité que moi ?
- Non, admit-il, mais moi, je n’ai pas une blessure handicapante qui surgit quand elle veut.
- La faute à qui ? répliqua Elian. Rappelle-moi où j’ai eu cette blessure ?
Saelim grogna et s’éloigna de quelques pas. Dolandar en profita pour se rapprocher de sa reine.
- Je n’apprécie pas vos échanges dans leur langue, indiqua-t-il. Je voudrais pouvoir savoir ce que vous vous dites. Tu ne me fais pas confiance ?
- Non, Dolandar, sincèrement, non. Es-tu capable, toi, de différencier les alliés des ennemis ?
- Tu ne peux pas vivre dans la peur permanente. Il te faut du répit.
- Un jour, peut-être, pas maintenant. Ceïlan a besoin d’aide.
- Là ! s’exclama Theorlingas et un chant puissant transperça tous les elfes du groupe.
Un rapace se posa sur le bras du nilmocelva. Dolandar décrocha le document. Elian le lut : « Nouvelle cargaison pour le début de l’hiver. La distillation prend du temps. Je m’excuse du retard. »
- C’est signé Guero. Ils en veulent davantage, comprit Elian. Nous devons agir rapidement.
- Comment comptent-ils empoisonner les elfes des bois ? interrogea Dolandar.
- Peut-être que nous ne sommes pas la cible, proposa Elian en regardant Saelim.
L’elfe noir fronça les sourcils.
- Avez-vous des guérisseurs chez vous ? demanda Elian.
- Non, indiqua Saelim.
- Comment faites-vous quand vous vous blessez avec votre propre dague de métal noir ?
- Nous mourons dans d’atroces souffrances, indiqua Saelim.
Elian fit la moue. Le rapace, alourdi de son parchemin, s’envolait sur l’ordre de Theorlingas. Une dague de lancer en plein cœur le fit s’écraser sur le sol.
- Espèce de connard ! s’exclama Theorlingas. Qu’est-ce que ce faucon avait fait de mal ?
- Je viens de les priver d’un de leur moyen de communication, annonça Saelim. Ces rapaces sont très difficiles à dresser. C’est une énorme perte pour eux.
- Elian les voulait vivants afin que personne ne se rende compte d’une interception ! précisa Dolandar d’une voix neutre.
- Je ne suis pas le sujet d’Elian. Je n’ai aucune raison de suivre ses ordres. Tâchez de vous en souvenir, indiqua Saelim avant d’aller récupérer sa dague sur le cadavre du volatile et de poursuivre sa route.
Les elfes suivirent. Theorlingas affichait une mine déconfite. La mort d’un animal aussi sublime le faisait enrager. Elian grimaça. La mission promettait d’être tumultueuse.
Le fantôme est soit une secte, soit un être humain immortel. Dans le deuxième cas, il s'agit soit de Narhem, soit de quelqu'un d'autre qui aurait acquis l'immortalité. D'autre part, on sait que le fantôme contrôle les mines de métal noir. Mais la personne qui a pris le contrôle de l'ancien territoire des elfes noirs, n'est pas Narhem (oh surprise, j'ai oublié son nom, appelons-le Jean-Jacques). Donc soit Narhem a repris le contrôle des terres des elfes noirs, soit Jean-Jacques a également été rendu immortel par Bintou qui veut venger les eoshims.
Autre hypothèse :
- Chez nous, répondit Theorlingas. Enfin ça l’était avant que les humains ne nous en chassent, exterminant les nôtres, nous obligeant à trouver refuge dans cette forêt.
Je me demande si les elfes des forêts ne seraient pas les descendants des eoshims et des femmes des elfes noirs. Ça coïnciderait avec le fait que les elfes des bois soient obsédés par la baise mais pas les elfes noirs. Par contre je ne sais pas comment leurs pouvoirs se seraient modifiés, ni comment ils seraient devenus blancs (ni comment les elfes noirs se sont reproduits... se reproduisent-ils encore ?)
Les coquilles :
Le souper ne serait pas avant un bon moment => ne serait pas servi ?
À la loyal => à la loyale
ils ont changé de méthode et la dernière dague était dans mon dos => c'est bizarre comme phrase, "la dernière dague a fini dans mon dos" ? Le but c'est bien de dire que Saelim (ou quel que soit son nom) a été vaincu en traître ?
un allié à nos ennemis => un allié de nos ennemis (sauf si c'était volontaire qu'Elian ne parle pas correctement)
Merci pour tes pensées livrées comme ça ! C’est super agréable et ça me fait beaucoup sourire de voir ton cheminement.
Merci pour les coquilles. C’est corrigé !
Très bon chapitre, tu doses bien les informations et le mystère que tu distilles, et je commence enfin à avoir une piste !
Narhem serait donc le pire ennemi d'Elian, ce qui colle puisqu'il est immortel, et ses chapitres seraient chronologiquement situés avant ceux d'Elian ? Et Khala ne serait donc pas mort dans le désert et aurait réussi à survivre ?
Tu te doutes bien que je ne vais pas répondre à tes questions. En revanche, merci beaucoup de me partager tes suppositions. Ça me permet de savoir ce que pense mon lecteur à quel moment. Je suis heureuse que tu apprécies la douce avancée du schmilblik.
Combien de chapitres restent-ils, en comptant ceux que tu vas mettre dimanche ?
Ce roman compte 66 chapitres au total.
En espérant que sa longueur ne te rebutera pas, mais que tu y verras simplement de quoi passer un excellent moment pendant longtemps ;)
Je te remercie pour cette excellente nouvelle (66 chapitres à savourer !)