- Quelle est ta volonté, Narhem ? demanda Mohamed Ibn Abdel.
Narhem garda le silence. Premier conseil depuis sa montée sur le trône. Devait-il attaquer fort dès le départ ou prendre son temps et faire les choses en douceur ? Il n’en pouvait plus d’attendre, de constater les injustices quotidiennes, de ronger son frein.
Il secoua la tête. Il avait le pouvoir et personne ne pourrait plus le lui retirer. Il ne comptait pas recommencer les erreurs du passé en jouant de la musique, mangeant, buvant, baisant, se prélassant au théâtre ou devant un tournoi de chevalier. Non, il serait un vrai roi, à la tête d’un pays qui deviendrait bientôt fort, puissant, juste et équitable. Naturellement, cela ne se ferait pas en un an, ni deux, ni même trente mais il avait l’éternité devant lui.
- Je refuse que l’accession à un poste se fasse selon la naissance. Seul le mérite devra le permettre. Un enfant de cordonnier ne prendra pas la place de son père juste parce qu’il a son sang. Il devra prouver son mérite et sa valeur devant des experts en ce domaine. N’importe qui pourra alors prétendre à n’importe quel poste, quelque soit son origine, son sexe, son âge, sa couleur de peau, ses cheveux, sa taille, son poids, son rang social…
Le conseil se crispa. Cela impliquait également que leur poste, normalement seulement accessible à la noblesse, s’ouvrait à tous.
- Comment comptes-tu réaliser un tel miracle ? demanda poliment l’actuel ministre des armées.
- En commençant par te demander de sortir. Tu es clairement incompétent pour ce poste. Rentre chez toi et trouve ce pour quoi tu es doué. Je ne doute pas que tu sois plein de qualités et de compétences, que tu sois un homme fort, intelligent et généreux. Ce poste-là ne te convient juste pas et nul autre que toi ne peut savoir ce à quoi tu es destiné.
Le ministre des armées allait parler mais Narhem le coupa :
- Sors, maintenant et en silence.
Le noble serra les dents, se leva et quitta la salle en tremblant de rage. Narhem fixa un autre membre de l’assemblée avant de confirmer :
- Toi aussi.
Le noble se leva et rejoignit son collègue dans le couloir.
- Je sors aussi je suppose ? proposa un autre membre de l’assemblée.
- En effet, confirma Narhem.
- D’autres doivent-ils nous quitter ? demanda le grand intendant.
- Penses-tu mériter ta place ? interrogea Narhem. Es-tu doué pour ce que tu fais ? Ce poste te plaît-il ?
- Oui aux trois questions.
- Alors reste, mon ami, reste.
Les autres membres du conseil sourirent. Ils étaient heureux de pouvoir rester sur leur chaise.
- Qui va décider qui mérite un poste ou non ? Tu ne peux pas être partout à la fois ! rappela l’amiral de la flotte.
- Et surtout, je ne suis pas capable de déterminer si un apprenti ferait un bon cordonnier ou non. Je pourrais peut-être le faire pour un tonnelier et encore… Les techniques ont dû beaucoup changer depuis que j’ai quitté cette branche.
- Tu dois pouvoir estimer qui est un bon combattant, dit l’intendant en souriant.
- Probablement, oui, mais je ne souhaite pas passer mes journées à regarder des hommes se battre pour vérifier lesquels méritent ou non tel ou tel poste dans l’armée. Je suis roi. Il me faut déléguer.
- À qui ? Comment savoir qui peut choisir ? Selon quels critères ? Pourquoi les gens adhéreraient-ils à cette façon de penser ?
- Parce qu’elle leur rapportera de l’argent, indiqua Narhem.
- Comment ça ? grogna le grand intendant, jamais prêt à lâcher un centime sans une excellente raison.
- Cinq niveaux permettront d’obtenir un salaire. Chaque compétence sera ainsi valorisée et reconnue à sa juste valeur, donnant envie à tous et chacun de se surpasser.
- Je ne comprends pas, indiqua l’intendant.
- Le contenu exact sera à ajuster, discuter, débattre, argumenter, mais cela ressemblera en gros à ça : chaque niveau sera composé de deux compétences, une mentale et l’autre productrice. La compétence mentale de niveau 1 sera de savoir comprendre et se faire comprendre en ruyem, même de manière imparfaite.
- Non, s’opposa le haut juge. Cela amènerait tous les peuples du royaume à vouloir apprendre le ruyem.
- C’est le but, confirma Narhem en souriant. Une langue unique afin de permettre la transmission du savoir, mais également le commerce, les échanges…
- Le peuple s’y opposera, prévint le haut juge. Ils désirent garder leur langue locale.
- Je les y encourage ! précisa Narhem. Je ne veux surtout pas éliminer les coutumes et croyances internes à chaque région. Je veux un pays uni autour d’une langue commune permettant la transmission de lois communes. Chaque village peut garder ses fêtes internes, ses danses, ses chants, ses convictions.
- Les msumbis pourraient en profiter pour tenter de sortir de leur exil et… commença le haut juge.
- L’inaction est l’acceptation. Aucune modification des règles liées à ce bannissement ne sera entreprise. Aucun changement quant à la façon de gérer les msumbis n’est prévu.
Chaque membre du conseil sourit en hochant la tête.
- Une maîtrise basique du ruyem, répéta l’amiral de la flotte. Le côté productif ?
- Maîtriser basiquement un quelconque savoir-faire utile au royaume, indiqua Narhem. C’est volontairement vaste mais très mal tourné. Il faudra revoir la formulation.
- Cordonnier, tonnelier, paysan, éleveur, commença l’intendant.
- Ou bien intendant, juge, soldat, comptable, précisa Narhem, mais également peintre, danseur, chanteur, musicien. Aucun savoir-faire ne doit être exclu. Aucune obligation de pratiquer cet art n’est requis non plus. On peut passer son niveau 1 en danse et être pêcheur. Ce n’est pas un problème. Chacun fait ce qu’il veut.
- Le niveau 2 ?
- Chaque niveau augmente la maîtrise. Le niveau 2 nécessite de parler et de se faire comprendre en ruyem de manière complète et non plus rudimentaire. Le savoir-faire doit permettre de pratiquer cette compétence en temps que métier en solitaire.
- En gros, les apprentis sont niveau 1. Les artisans niveau 2.
- C’est ça. Cela permettra à l’apprentissage d’augmenter car les apprentis commenceront à recevoir de l’argent avant même de se mettre à travailler.
- Comment ça ? grogna l’intendant voyant venir une arnaque.
- Chaque niveau rapporte de l’argent, rappela Narhem. Il conviendra de décider combien mais une base de dix pièces de bronze me semble convenable.
- Dix pièces de bronze à chaque fois qu’on passe un niveau, répéta l’intendant tout en plissant des yeux.
Il était clair qu’il comptait combien cela allait coûter au royaume.
- Dix pièces de bronze par niveau et par lune, précisa Narhem.
L’intendant s’en figea de stupeur puis s’exclama un « Quoi ? » retentissant.
- Par lune ? répéta le haut juge aussi abasourdi que le reste du conseil.
- Oui, par lune, insista Narhem. Les personnes atteignant le niveau 5 recevront donc cinquante pièces de bronze par lune de la part du royaume.
- C’est impossible, le contra l’intendant.
- Peu de gens atteindront le niveau 5, indiqua Narhem. Une grande majorité sera de niveau 2.
- Même dans ce cas, insista l’intendant. Nos fonds ne permettront jamais…
- Les impôts augmenteront, indiqua Narhem. Un quart de chaque échange monétaire reviendra au royaume.
- Un quart ? s’étrangla le haut juge.
- Ils n’accepteront jamais de payer autant, compléta l’intendant.
- Nous allons droit à la révolte… à la guerre interne, maugréa le haut juge.
- Le peuple trouve les impôts injustes parce qu’il ne voit pas leur finalité. Leur utilisation leur semble lointaine, précisa Narhem. Lorsqu’ils verront cesser les pillages, les vols, la faim. Lorsqu’ils verront arriver leur premier salaire, ils changeront d’avis.
- Si vous comptez utiliser cet argent à protéger le pays, alors je confirme : nous n’aurons pas les moyens de faire cela et de payer chacun de vos sujets.
- Nous allons développer le commerce, expliqua Narhem. Savez-vous qu’il y a des pays en dehors d’Eoxit ? Qu’ils ont à offrir mais qu’ils apprécieraient également beaucoup d’acheter nos denrées ?
- Falathon refuse d’entendre parler de nous, indiqua le haut juge. Ils nous en veulent toujours, nous appellent les « maudits ». L’idée de nous toucher ou même de devoir partager l’air avec nous les rend malades.
- Et les troliens ? demanda Narhem.
- Les ?
Tous les hommes autour de la table indiquèrent leur incompréhension.
- La Trolie nous prend un nombre incalculable de femmes à travers les montagnes et vous ignorez leur existence malgré les années… souffla Narhem, stupéfait.
- De quoi parlez-vous ?
- Du pays à l’est, de l’autre côté des montagnes.
- Les elfes noirs ? lança l’amiral. Ils ont toujours refusé tout contact avec nous. Ils nous considèrent comme… inférieurs, stupides, sans intérêt.
- J’ignorais qu’ils s’appelaient les troliens, intervint le grand intendant.
- Les troliens sont des humains, s’exclama Narhem. Les elfes noirs sont tous morts.
- Morts ? répéta l’amiral. Comment ? Pourquoi ?
- Exterminés par leur folie, leur rage, leur désir de supériorité, leur aveuglement, leur incapacité à se remettre en question, leur égo surdimensionné.
L’assemblée se lança des regards lourds et nul n’insista. Tous sentaient bien que ce sujet était sensible pour le roi.
- Les troliens, donc, finit par reprendre l’intendant. Admettons.
- Je vais nommer un diplomate… Pour l’instant, j’ignore totalement qui mettre sur ce poste. J’y réfléchirai et je donnerai ma décision d’ici la fin de la saison.
- Avez-vous la moindre idée de ce qui pourrait les intéresser ? interrogea l’intendant.
- Pas la moindre. Je ne suis pas allé dans ce pays depuis des dizaines d’années. Cela a dû bien changer.
L’assemblée frissonna. Que le roi indique aussi librement son immortalité les dérangeait visiblement. Narhem sourit. Il n’en doutait pas : cela passerait. Avec le temps, tout le monde serait au courant et accepterait la situation avec aisance.
- Vous vous êtes arrêté au niveau 2, indiqua l’amiral.
- Le niveau 3 intellectuel est la capacité à lire le ruyem et compter. Le niveau 4 l’écrire. Le niveau 5 compter, lire et écrire à la perfection.
- Peu de gens y parviendront, surtout par manque de mentor. Seuls les riches ont accès à ce genre d’éducation. Prévoyez-vous que le royaume offre…
- Le royaume n’interviendra en rien dans les entraînements permettant le passage des niveaux, ni même dans leur certification d’ailleurs. Ne vous inquiétez pas, cela se mettra en place de lui-même. Chaque rang de métier créera ses échelles de compétences. Les nobles se chargeront de tester le côté intellectuel.
- Cela leur prendra énormément de temps, souffla l’amiral.
- Pas tellement, précisa Narhem. Les épreuves intellectuelles se dérouleront sur une journée par an. Une grande fête permettra aux heureux qualifiés de se réjouir. Je ne vois pas vraiment la difficulté.
- La plupart des métiers ne peuvent pas être vérifiés sur une journée. Je pense aux éleveurs ou aux agriculteurs.
- J’ai bien dit les épreuves intellectuelles. Chaque discipline créera sa propre échelle, tant en terme de compétences que de temporalité. La qualification se fera à l’issue de l’épreuve intellectuelle, à laquelle on ne peut accéder que si l’épreuve physique a été validée. D’ailleurs, ce terme est mauvais car un comptable n’a rien de physique. Il faudra trouver autre chose. Je compte sur l’aide de tout le monde.
- Donc, vous ignorez totalement le contenu des niveaux « physiques », comprit l’amiral.
- Exactement. Les cordonniers décideront pour eux, les danseurs également… Enfin bref, vous avez compris.
- Chaque année, les qualifiés seront répertoriés et leur salaire augmentera, comprit l’intendant. Cela va demander une organisation incroyable.
- Qui ne sera pas globale. Chaque région sera autonome. Il sera du ressort de chaque comte de s’occuper de répertorier et rétribuer chaque sujet. J’ai pris volontairement le noble de plus bas niveau car je souhaite que cela se fasse vraiment en local. Si le noble connaît le nom de chacun de ses sujets, c’est encore mieux. Si il faut créer un poste spécifique, avec ses propres niveaux, nous le ferons. L’expérience nous permettra d’affiner les détails.
- Vous prévoyez que le système sera opérationnel dans combien de temps ? demanda l’amiral.
- Deux générations, au moins, répondit Narhem.
- Vous voyez loin, murmura l’intendant.
- Je suis immortel. Je peux me le permettre. Ce pays a besoin d’être revu en profondeur. Cela ne peut pas se faire en une saison.
Les membres du conseil grimacèrent. Ils ne verraient peut-être jamais le rêve devenir réalité et peut-être même pas leurs enfants. Ils hochèrent la tête, quelque peu refroidis mais désireux de se montrer à la hauteur de l’énorme défi.
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Narhem en avait assez. Trois émissaires envoyés vers la Trolie et aucun ne revenait. Cela ne pouvait pas durer. Aucune missive alors que les hommes choisis l’avaient été avec prudence et précision. Le commerce extérieur et l’ouverture vers les voisins augmenterait considérablement la puissance d’Eoxit. Cette étape était essentielle.
Narhem ronchonna. Il allait devoir se déplacer lui-même. Il allait devoir traverser presque tout le continent d’ouest en est. Il avait tant à faire ici. Quitter le trône lui déplaisait énormément. Les différents corps de métier avaient toutes les peines du monde à se mettre d’accord. Narhem devait sans cesse intervenir.
S’allier avec les troliens était-il plus important ou moins que l’interne ? À contrecœur, Narhem confia la gestion des métiers et des niveaux à un groupe de discussion avant de partir en laissant le trône à un régent judicieusement sélectionné.
Il prit la route la plus rapide, les passants le saluant sur son passage, connaissant son visage par les dessins au dos de tous les documents administratifs. Narhem tenait à ce que chacun de ses sujets sache le reconnaître. De plus, chaque salle de passage de niveau devait proposer au moins trois tableaux de Narhem.
Il avança sans s’arrêter. Il ne mangeait et buvait que par politesse mais cela ne lui était plus nécessaire depuis bien longtemps. Malgré les circonstances, courir les routes lui donna le sourire. Retrouver la liberté, le vent dans les cheveux, les paysages fantastiques, les couleurs, les odeurs, il but ce moment avec délice.
Les montagnes se dressaient devant lui. La route devenait chemin. Narhem croisa de nombreuses patrouilles. Désormais, les troliens ne pouvaient plus venir chercher des femmes à Eoxit. Ils devraient se contenter des leurs. Les attaques avaient diminué, puis cessé. Désormais, les patrouilles orientales s’ennuyaient fermes.
- Rien à signaler ? demanda Narhem.
- Non, Majesté, répondit un patrouilleur.
- Vous avez vu un émissaire et son escorte passer ?
- Trois, répondit le patrouilleur.
Narhem grimaça. Ils étaient bien arrivés jusque-là. Les troliens avaient-ils osé s’attaquer aux émissaires ? Pourquoi agir de la sorte et garder les corps ? Quand on veut envoyer un message, on le fait jusqu’au bout. On ne cache pas son œuvre. Cela laissa Narhem pantois.
Narhem continua sa route, délaissant le patrouilleur. Il passa le dernier poste de garde pour commencer l’ascension du col le plus bas entre les deux royaumes, passage le plus simple. De l’autre côté, Narhem découvrit un charnier. Les trois émissaires, reconnaissables à leurs vêtements, étaient morts, leurs corps à demi dévorés par les loups. Quelques hommes d’escorte les accompagnaient. Où étaient les autres ?
Le temps avait effacé les traces. Narhem ne comprenait pas. Qu’avait-il bien pu se passer ? Il retourna au poste de garde et lança :
- J’ai besoin d’aide pour transporter des corps !
Tous les gardes, sauf un qui resta au poste de surveillance, le rejoignirent et effectuèrent l’ascension avec lui avec dévotion. Une fois en haut, Narhem désigna les corps.
- Il faut leur offrir une sépulture digne.
Les hommes hochèrent la tête. Deux s’avancèrent pour aller chercher le cadavre. L’un des deux s’écroula. L’autre se jeta sur lui, le secouant, hurlant. Narhem écarta le jeune soldat encore adolescent. Son camarade plus âgé était mort. Narhem cligna des yeux puis les leva sur le soldat vivant.
- C’est de la magie ! s’écria l’adolescent. C’est de votre faute ! Sorcier !
L’adolescent sortit son épée et lui transperça le ventre. Les autres gardes s’avancèrent pour défendre le roi mais tous s’écroulèrent en franchissant le col.
- Sorcier ! répéta l’adolescent, qui partit en courant tandis que Narhem retirait l’épée ayant transpercé ses intestins.
Il observa les cadavres. « Toute personne qui te sera fidèle devra rester sur tes terres ou mourir », avait dit la magicienne noire habillée de blanc. La fidélité à la terre… Narhem venait de perdre des hommes fidèles à cause de la malédiction. Elle était donc bien réelle. Le Fenshy n’était pas la seule raison de son immortalité. La sorcière avait peut-être aussi joué un rôle.
Narhem détailla chaque mort, un par un. S’il voulait déléguer l’extérieur à des gens, il faudrait choisir des traîtres et payer des mercenaires pour les protéger. Jamais ses loyaux soldats ne pourraient sortir d’Eoxit. Ses amis seraient à jamais piégés à l’intérieur.
Narhem retourna à Bellast, une violente rage le consumant.
- Lok Ibn Mir, je te donne le titre d’émissaire d’Eoxit auprès de la Trolie, annonça Narhem au conseil suivant.
L’assemblée en eut le souffle coupé. L’heureux élu n’en revenait pas non plus.
- Ton rôle sera de créer le meilleur lien possible entre les troliens et nous, de proposer des accords commerciaux. Tu seras escorté par une dizaine d’hommes en armes qui te rejoindront à la prochaine lune au fort de Matam.
- Très mauvais choix, dit le ministre des armées dès que Lok eut disparu en sautillant de joie.
« Je sais », pensa Narhem qui serrait les poings de rage devant une telle impuissance. Il n’avait malheureusement pas le choix. Fort heureusement, Lok fut très investi dans sa mission. Certes, il se mettait une belle partie de chaque échange monétaire dans la poche et profitait de sa présence en Trolie, où il n’était pas connu, pour monter des affaires lucratives sur lesquelles il pouvait ne pas payer d’impôt. Cependant, cela permit de faire évoluer les relations entre Eoxit et la Trolie de manière forte et rapide.
Narhem put se concentrer sur l’intérieur, ravi de la tournure que prenaient les accords commerciaux. Il rendit visite à Monsieur Galmod, le coordinateur des échanges.
- Henry ! s’exclama Narhem entrant dans son office sans frapper.
- Bien le bonjour, Majesté, répondit un homme d’âge mur assis derrière un bureau, les mains salies d’encre.
- Alors, les agriculteurs se sont mis d’accord ?
- Ils ont fini par se mettre d’accord sur quatre catégories : céréales, légumes, fruits et champignons. Cela nous semble acceptable.
- Totalement, confirma Narhem. Je valide.
Jusque-là, chaque agriculteur voulait effectuer une échelle de compétences pour sa propre culture. Narhem avait demandé au groupe de discussion d’y mettre un terme et de guider chaque catégorie de métier vers un ensemble plus cohérent et harmonieux.
- Les éleveurs n’en démordent pas, maugréa Henry Galmod. On n’élève pas les cochons comme les moutons, ou les chevaux, ou les vaches, ou les poules, ou les canards… Ils sont insupportables, s’insultent et en arrivent même régulièrement aux mains.
Narhem soupira.
- Ne sois pas trop rudes avec eux. C’est difficile et nouveau, précisa le roi. Il va falloir y aller en douceur. S’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord, renvoie-les chez eux pour réfléchir et convoque-les de nouveau l’année suivante. Pendant ce temps, les niveaux seront mis en place chez les agriculteurs. Quand les éleveurs verront leurs voisins commencer à gagner un salaire, cela devrait les faire réagir.
Henry sourit et hocha la tête.
- Espérons que les forgerons réagissent également car pour le moment, hache, épée, faux, couteau, heaume, bouclier et armure sont toujours des catégories différentes.
Narhem soupira une fois de plus.
- Donnons le temps au temps, insista Narhem. Je ne m’attends pas à un succès saisonnier. Je sais que cela prendra des années… des dizaines d’années. Tu n’en verras probablement pas le bout… et ton successeur peut-être non plus. Ne te mets pas martel en tête.
Henry sourit.
- Brigand, murmura-t-il.
- Quoi brigand ?
- La dernière demande d’autorisation de métier, pouffa Henry.
Narhem rit avec lui.
- Ils ne reculent devant rien. On avait eu quoi avant ? Arnaqueur, c’est ça ?
- Il n’en démordait pas, se souvint Henry tout sourire, argumentant sur les compétences nécessaires pour vendre à un prix exorbitant un objet banal et inutile.
Les deux hommes rirent pleinement.
- Nous avons également reçu « fille de joie », tu y crois ?
Narhem devint immédiatement sérieux.
- C’est un métier, dit-il gravement.
- Quoi ? s’étrangla Galmod. Non, bien sûr que non ! Qu’est-ce que ces filles ont comme compétences ? Savoir écarter les cuisses ?
Narhem grimaça et dut user de méditation pour ne pas exploser.
- Les prostituées écoutent, rassurent, calment. Elles ne se contentent pas d’écarter les cuisses. Elles savent donner du plaisir et cela demande de l’entraînement et des connaissances. Elles savent faire preuve de retenue, de patience, de discrétion. Les meilleures sont de vraies caméléons, capables de s’adapter à toute situation, accompagnant de riches payeurs dans des soirées mondaines, tenant des conversations subtiles et raffinées. Savoir gérer un bordel, protéger les filles est un art. Si la prostitution devient illégale, les filles continueront à le faire mais sans protection. Je ne le désire pas.
- Nous les traquerons. Cela cessera ! promit Galmod.
- Et les viols augmenteront drastiquement car les clients en manque ne se mettront pas la bite sous le bras. Ils iront prendre leur plaisir ailleurs, sans payer et sans s’assurer du consentement.
Galmod grimaça.
- Je vais transmettre aux autres vos désirs, promit Henry.
- Parfait. En parlant d’eux, les membres du groupe de réflexion ont-ils trouvé une solution pour les marchands ?
- Nous avons une proposition à vous faire, annonça Henry en faisant la moue.
- Elle ne va pas me plaire ? supposa Narhem.
Henry grimaça.
- Marchand n’est pas un métier à proprement parler, commença Henry. Je veux dire… Tout le monde vend quelque chose, du paysan au cordonnier en passant par le tanneur. Même le danseur vend quelque chose ! Sa capacité à danser !
Narhem hocha la tête. Il était d’accord avec ces affirmations.
- Nous vous proposons donc que marchand ne soit pas un métier, avec cinq niveaux et des compétences, mais un droit, obtenu après avoir prouvé ses savoirs.
- Développe, proposa Narhem.
- Il nous a semblé qu’un niveau deux minimum était requis pour obtenir le droit de vente.
- Cela me semble correct, indiqua Narhem.
- En revanche, il n’est en aucun cas suffisant. Nous ne souhaitons pas que quiconque perde de l’argent en vendant sa production. Il convient donc de s’assurer que chacun comprenne ce que signifie « un quart des revenus revient au royaume » et adapte ses prix en conséquence, tout en prenant également en compte son revenu lui permettant de vivre. Les prix ne doivent ni être trop faibles, ni trop forts. Ces notions d’économie de base devront être connues pour obtenir le précieux droit de vente. Nous souhaitons que les futurs vendeurs aient intégré le principe des taxes au royaume, leur fonctionnement mais également leur but, leur utilité.
- Je trouve ça très bien. Par contre…
- Oui, Majesté ?
- Une fois le droit de vente obtenu, n’importe qui peut vendre n’importe quoi ?
- Euh… oui, pourquoi ?
Narhem réfléchit puis annonça :
- Il va falloir dissocier les deux. Ce que tu proposes est parfait. Ne change rien. Tu peux lancer la procédure. Je suis très content du travail effectué. Je vais de mon côté me rendre auprès du chancelier afin de légiférer car il est hors de question que tout et n’importe quoi puisse être vendu, acheté… ou même possédé.
- J’avoue ne pas comprendre, indiqua Henry. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de vendre quelque chose ?
- Parce que cette chose ne t’appartient pas, par exemple.
- Pourquoi irai-je vendre les biens de mon voisin ? s’étonna Henry.
- Irais-tu demander à être reconnu légalement en temps qu’arnaqueur ?
Henry rit en réponse.
- Non, en effet…
- Tu es trop honnête, ricana Narhem.
Henry sourit en retour. Narhem alla trouver le chancelier qui réfléchit pour finalement proposer trois contraintes :
« La vente d’objets volés est interdite. »
Le chancelier avait estimé que l’achat, en revanche, ne devait pas être puni, l’acheteur ne pouvant vérifier la provenance de la moindre pomme ou du moindre bout de tissu qu’il achète. Naturellement, si l’acheteur était un revendeur, il devrait faire preuve de prudence, de méfiance et réaliser toutes les vérifications nécessaires afin de s’assurer que la marchandise appartenait bien au vendeur.
« La vente et l’achat de sorcellerie sont interdits. »
La magie devait être condamnée, pourchassée. Nul ne devait l’encourager, que ce soit en la pratiquant ou en l’utilisant. La difficulté résidait maintenant entre les mains des médecins, à qui revenaient la tâche ardue de faire la différence entre une potion magique à base de jus de lézard ou de bave de crapauds et un onguent médicinal à base de plantes ou de venin animal.
« La vente, l’achat ou la possession d’être humain sont interdits. »
Narhem avait acquiescé, tout en sachant qu’aucun juge ne condamnerait jamais quiconque par rapport à cette loi, l’esclavage n’existant pas à Eoxit.
Les échanges continuèrent ainsi pendant de nombreuses années, chaque corps de métier apprenant doucement. Les éleveurs et les forgerons, tout comme toutes les autres castes, finirent par ployer devant le royaume et finalement, Narhem fut satisfait. Cela n’était peut-être pas aussi bien que L’Jor mais cela se tenait. Il pouvait souffler un peu.
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- Je vous remercie, mais je vais devoir refuser votre aimable proposition, annonça Julia.
Narhem observa la jeune servante s’éloigner après avoir effectué une révérence rapide. Elle venait vraiment de refuser de le rejoindre dans sa couche. Narhem en fut choqué. C’était le troisième refus consécutif qu’il essuyait.
Depuis qu’Eoxit tournait, Narhem se permettait de ne plus s’y consacrer jour et nuit. Dès la lune haute, il invitait des femmes à le rejoindre. Les premières avaient volontiers accepté mais voilà qu’elles se mettaient à rejeter poliment ses propositions.
L’honneur de Narhem était de notoriété publique. Ces femmes savaient qu’elles avaient bien sûr le droit de refuser mais Narhem ne comprenait pas pourquoi elles le faisaient.
- Les femmes parlent, murmura une voix féminine dans son dos.
Narhem ne sursauta pas car il avait perçu sa présence. Il ignorait cependant qu’elle était là pour lui.
- Et que disent-elles ? interrogea Narhem en se tournant vers son interlocutrice, pour découvrir une femme âgée, habillée de couleurs vives, très bien peignée, subtilement maquillée portant de nombreux bijoux de pierres précieuses.
- Que tu es nul au lit, dit la femme en souriant.
Narhem grimaça. Le tutoiement ne le dérangeait pas, pas plus que l’honnêteté de cette femme. Le contenu du message était simplement difficile à entendre.
- Je ne comprends pas. J’ai eu de nombreuses femmes dans…
- Certaines sont revenues ? Le nombre importe peu. As-tu vu une de tes conquêtes en redemander ?
- En dehors de ma femme, tu veux dire ?
- J’ignorais que tu es marié.
- C’était il y a une éternité, précisa Narhem.
- Alors oui, en dehors de ta femme… mariage arrangé ?
Narhem hocha la tête. Elle sourit puis lui lança un regard indiquant qu’elle attendait une réponse à sa question de départ. Narhem se plongea dans ses souvenirs puis secoua la tête. Il devait l’admettre : aucune femme n’avait demandé à revenir.
- Je suis Armelle. Si tu veux, je peux t’apprendre. Il n’est jamais trop tard.
Narhem la regarda avec suspicion.
- Pourquoi ferais-tu cela ?
- Notre roi ne peut pas avoir une aussi mauvaise réputation au lit. L’image de notre royaume y perd sérieusement.
- Qui es-tu, Armelle ?
- Tenancière d’un bordel en ville. Je suis niveau 5. Il paraît que tu as défendu ardemment les prostituées, leur permettant de devenir une caste, là où les autres voulaient nous mettre dans la même case que les hors la loi et les brigands, c’est vrai ?
Narhem hocha solennellement la tête.
- Notre caste t’est redevable. Je te suis redevable. Laisse-moi t’apprendre.
- Soit, répondit-il.
- Alors rendez-vous aux soieries merveilleuses au prochain crépuscule, dit Armelle avant de s’éclipser après une légère révérence.
Narhem fit la moue. Il se rendit aux cuisines, se remplit un verre de vin rouge et l’avala d’une traite. Son corps régénérateur le priva du plaisir de se saouler. Il aurait pu boire tous les alcools les plus forts de la réserve sans ressentir le moindre effet. Il avait perdu le droit de boire pour oublier. Il reposa son verre et sortit en secouant la tête. Il avait besoin de se vider l’esprit. Il réveilla le meilleur soldat et peu après, ils combattaient. Sept combattants furent nécessaires pour que Narhem se sente enfin mieux. Il voulait baiser mais les femmes ne voulaient pas.
Le soleil se levait. Narhem se rendit au conseil du matin. Il tint des réunions, lut des parchemins, prit de nombreuses décisions. Il observa la course du soleil, la trouvant soudainement très lente. Il ne pouvait le nier. Il attendait le crépuscule avec impatience. Il rencontra cinq gouverneurs, trois experts et l’ambassadeur trolien.
Enfin, le soleil descendit sur l’horizon et Narhem put s’éclipser vers la ville. Les passants le reconnaissaient tous. Le roi se promenait sans escorte. À quoi bon quand on est immortel et que tout le monde le sait ? Il demanda plusieurs fois son chemin et personne ne sembla le juger pour sa destination. La prostitution était légale et banale à Eoxit.
- Narhem, lança Armelle qui l’attendait dans le hall entourée de très jolies femmes peu habillées.
- Apprends-moi, dit-il, totalement envahi par l’impatience.
Armelle sourit.
- Avec plaisir. Suis-moi.
Armelle l’amena dans différentes pièces, observant les agissements, lui prêtant une cagoule afin qu’il ne soit pas reconnu.
- Allons manger, indiqua Armelle en sortant d’une pièce où Narhem avait vu un homme faire jouir une femme en utilisant seulement sa langue et ses doigts.
- Je n’ai pas faim, répliqua Narhem.
- Tu n’as jamais faim, rappela Armelle. Moi, en revanche… De plus, un bon repas délie les langues aussi bien qu’un bon orgasme. Tu ferais bien de t’en souvenir.
Narhem grommela. Il connaissait l’importance de la nourriture et usait souvent de ce stratagème pour arriver à ses fins, se forçant à manger afin d’attirer l’autre à se ranger de son avis.
- Saurais-je donner du plaisir aux femmes avant la fin de la journée ? interrogea Narhem, impatient, tandis qu’Armelle dégustait une tourte au pigeon.
- Pourquoi te limiter aux femmes ? répliqua Armelle malicieusement.
Narhem rougit avant se reprendre. Après tout, la tenancière n’avait pas tort. Vivre avec les elfes noirs l’avait-il rendu prude ?
- Il n’y a aucun mode d’emploi. Aucune connaissance ne te permettra de donner du plaisir à n’importe quelle femme. Je peux t’enseigner les généralités mais chaque personne est différente. La plupart des hommes jouissent très fort avec un doigt dans le cul mais certains…
- Je refuse qu’on me touche là, annonça Narhem immédiatement.
« Cul à orc », malgré les décennies, la blessure était toujours profonde.
- C’est… dommage… Tu te prives d’un immense plaisir mais je comprends et c’est ce que j’essaye de t’expliquer : chacun est différent. Il convient de trouver ce qui plaît à l’autre. Si ton partenaire te dit ce qu’il veut, c’est facile. Certaines personnes savent ce qu’elles veulent mais n’osent pas le dire, par peur, par honte. D’autres encore ignorent ce dont elles ont besoin pour prendre du plaisir. Je vais t’apprendre à reconnaître les gestes, les soupirs, les mouvements, les respirations, les gémissements, les tressauts.
- Ainsi, je pourrais donner à chacun en fonction de ses besoins.
- Et enfin, les femmes n’auront plus besoin de simuler pour que tu termines vite parce qu’elles en ont marre de se faire simplement limer.
Narhem grimaça. L’honnêteté d’Armelle était parfois difficile à accepter. Cependant, il ne pouvait nier qu’elle avait raison. Armelle se montra à la hauteur. Narhem eut une nouvelle arme à disposition.
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Narhem satisfit de nombreuses personnes, hommes ou femmes. Rapidement, les volontaires furent nombreux. Invité à tous les bals, il en venait à devoir refuser des propositions pour pouvoir discuter ou danser un peu.
- Vous aimez les belles femmes, annonça le duc de Thillya, hôte de cette soirée magnifique hors de prix.
Des danseurs, des acrobates, des montreurs d’ours et des cracheurs de feu, le duc avait dépensé sans compter. Narhem s’était laissé entendre que les fêtes du duc proposaient toujours une telle somptuosité.
- J’apprécie les beaux corps, répondit Narhem sans préciser le sexe ni ce que cela signifiait.
Après tout, la beauté était une notion très subjective. Taille, poids, couleur de cheveux, d’yeux, sexe, âge, chacun appréciait selon ses propres critères et il était difficile de mettre dix personnes d’accord.
- Je peux vous proposer une femme à la beauté incomparable. Qu’en dites-vous ?
- Incomparable, répéta Narhem, très peu convaincu.
- Quand vous y aurez goûté, vous ne pourrez plus vous en passer. Elle hantera vos nuits et vos jours, promit le duc.
Narhem n’y croyait absolument pas. Des femmes, il en avait beaucoup croisé. Il en avait même aimé, pour son plus grand désespoir car son immortalité l’obligeait à les voir mourir. Que le duc puisse supposer qu’un simple corps puisse subsister à jamais dans son esprit lui semblait totalement ridicule. Il accepta tout de même, plus par curiosité qu’envie sexuelle.
La pauvre créature était attachée nue, livrée aux regards et caresses perverses d’une dizaine de nobles qui s’en donnaient à cœur joie. Blonde aux yeux bleus, la peau blanche, ses oreilles se terminant en pointe annonçaient son appartenance au peuple des elfes des bois.
Narhem la trouva magnifique, avec ses seins en poire, ses hanches bien marquées, ses lèvres sexuelles visibles sous ses poils blonds. Une formidable érection le saisit et il sut que le duc avait raison : cette vision allait le hanter pendant des années, voire pour l’éternité.
Narhem savait que les elfes des bois existaient à Eoxit. Une milice interne les traquait car les sauvages, souvent dépouillés de leur habitat naturel, volaient ou pillaient les fermes reculées. Une partie de l’argent du royaume servait à protéger le peuple contre ces attaques. En revanche, à la connaissance de Narhem, les seuls elfes retrouvés – et tués – étaient des hommes.
Narhem comprit. Les miliciens trouvaient des femmes mais au lieu de les tuer, ils les vendaient contre une fortune aux plus riches Eoxans. Narhem en eut la nausée. Son érection ne faiblit pas mais il grogna de rage. Des têtes allaient tomber.
L’elfe ne criait pas malgré les viols, les coups, les claques retentissantes. Un coup de fouet la fit hurler et les hommes acclamèrent bruyamment le son chantant. Narhem en eut les larmes aux yeux.
- Magnifique, n’est-ce pas ? Un spécimen rare obtenu à force de tractations et contre presque toute ma fortune mais cela en valait la peine. Savez-vous que les elfes sont presque immortelles ? Vous voyez les marques du fouet ? Demain, elles auront disparu. Nul besoin de leur donner à boire ou à manger. Enfin, elles ne tombent jamais malades. Ce sont les esclaves les plus faciles à…
Le duc tomba au sol, égorgé par les mains d’un Narhem bouillant de rage. Il détestait coucher sans consentement mutuel mais là, c’était bien pire. L’esclavage, il l’avait connu mais au moins ses bourreaux prenaient-ils soin de lui. Cette pauvre fille ne recevait que douleur, souffrance, maltraitance, sans fin, sans répit, sans pitié.
- Vous êtes des porcs, gronda Narhem.
La moitié de l’assemblée dégaina. L’autre chercha un moyen de sortir sans se faire transpercer par une lame. La scène se termina dans un bain de sang dont seul Narhem ressortit indemne.
Il détacha la femme qui s’écroula au sol. Il l’observa. S’il la laissait partir, elle serait reprise par d’autres hommes, remise en esclavage un peu plus loin. Ceux-là n’étaient certainement pas les seuls. Soudain, il s’en voulut d’avoir agi aussi vite et sur le coup de la colère. Morts, aucun d’eux ne pouvait plus lui fournir d’informations.
Il observa le corps nu, offert, impuissant. S’il décidait de la prendre, elle ne pourrait rien. Le duc la disait magnifique. Il était en dessous de la réalité. Malgré la torture, elle resplendissait. Qui pouvait résister à une telle merveille ?
Narhem s’accroupit et approcha la main de l’épaule, passa sa main au dessus des cheveux blonds soyeux sans les toucher, tremblant, le souffle court. Il crevait d’envie de la baiser de toutes les manières possibles. Son esprit imagina mille positions, mille façons de l’utiliser, de profiter d’un corps aussi merveilleux. Il secoua la tête pour chasser ses pensées perverses. Il ne fallait pas. Il ne devait pas.
La femme leva un rapide coup d’œil vers lui avant de baisser humblement le regard en se mettant à trembler. Narhem hocha la tête. Bien sûr qu’elle avait peur de lui : il venait de tuer une dizaine d’hommes devant elle non sans se faire transpercer de plusieurs lames sans subir le moindre dommage.
- Assieds-toi, s’il te plaît, murmura Narhem.
La femme le regarda, cligna plusieurs fois des yeux puis baissa le regard sans changer de position.
- Tu ne comprends pas le ruyem, n’est-ce pas ?
Pourquoi le comprendrait-elle ? Les elfes noirs avaient leur propre langue. Ceux-là devaient bien en parler une aussi.
- Je ne connais pas ta langue, dit-il en ruyem, conscient qu’elle ne le comprenait pas. J’aimerais te venir en aide. Je… ne sais pas bien… quoi faire… admit-il.
La libérer ne servirait à rien. La garder ne serait que la faire passer d’un mal à un autre. Ces créatures forestières avaient besoin d’espace. Les Eoxans fuyant les terres sombres des siècles auparavant les avaient exterminés, envahissant leurs terres.
Une immense nostalgie envahit Narhem tandis qu’il revoyait les vieux du village chanter à la taverne, ces chansons à boire sur les elfes sublimes, calmes et belles, perdues, effrayées, fuyantes.
Dans son village, elles étaient considérées comme des créatures légendaires, aussi douces que terribles. Certains contes narraient leurs talents de dresseurs et comment des nuées de rats ou de sauterelles avaient soudain envahi le campement.
Rien n’avait empêché la prise de pouvoir par les Eoxans, bien mieux armés et tellement plus nombreux. Les elfes avaient-ils fui, jusqu’à se noyer dans l’océan ? Probablement pas. Certains subsistaient, traqués, se cachant, survivants dans les forêts et les bois, ombres silencieuses terrifiées.
Narhem eut envie de pleurer. Les elfes des bois étaient les victimes d’un mal dont ils n’étaient pas coupables. La magie faisait des ravages dont les conséquences courraient encore. Comment rétablir le bien ? Comment réparer l’injustice ?
- Tu accepterais de me suivre ? demanda-t-il en lui tendant la main.
Elle se renferma brusquement, se protégeant le visage, terrifiée, pensant clairement qu’il allait la frapper.
- Je ne te veux aucun mal, assura-t-il en mettant ses deux mains, paumes ouvertes, devant lui.
La créature ne changea en rien son attitude, restant tremblante. Narhem soupira. Il n’avait pas le choix. Pour s’assurer sa coopération, il allait devoir l’attacher et l’emmener de force. Où ça ? « Dans ta chambre », lui susurra la voix de son désir. Narhem la repoussa. En attendant mieux, l’immense terrain d’un domaine à l’abandon ferait l’affaire. Cela ne devrait pas être trop difficile à trouver.
Narhem se retourna pour attraper une corde. Le mouvement de retour fut impossible, son cou refusant de lui obéir. Tranché net par une dague. Les nerfs coupés, il ne put empêcher la créature de le larder de coups de couteaux, encore, et encore, et encore. Finalement, elle lâcha l’arme et l’ange blond s’enfuit.
La guérison serait bientôt terminée, sentit Narhem après un long moment d’attente, seul au milieu des cadavres. Il entendit des bruits de pas, des exclamations, des cris, des appels à la garde. Narhem fut en mesure de se redresser.
- Majesté ! s’écria un homme en s’approchant. Que s’est-il passé ? Quel carnage ! C’est atroce ! Qui vous a attaqué ?
- Je ne sais pas, mentit Narhem. Tout s’est passé tellement vite…
- Quelle horreur ! finit l’homme en tendant son bras à son roi pour l’aider à se relever.
Narhem accepta l’assistance, sa faiblesse l’éloignant de toute culpabilité. Une enquête fut ouverte. Elle ne donna jamais rien.
J'ai eu un peu la même impression avec le passage sur la politique : beaucoup de détails sur les difficultés qu'il a à mettre en place le système des elfes noirs, enfin bon, peut-être que ce sera important pour la suite.
Par contre j'ai beaucoup aimé le passage avec la femme elfe (et le dilemme "elle est très belle" vs "ça se fait pas de violer"). Donc les elfes des bois ont déjà perdu leur territoire, et Narhem ne semble pas impliqué là-dedans (à moins que les elfes des bois soient d'anciens eoshens, sauvés par Bintou, reconvertis en elfes des bois par je ne sais quel procédé magique, puis la forêt magique créée par Bintou a été détruite ou alors les elfes en ont été chassés).
Le fait que Narhem soit devenu roi d'Eoxit et que Eoxit soit désigné explicitement comme le royaume maudit de Fmachin confirme mes soupçons, et à présent, je mettrais mes cheveux à couper (oui bon, je ne m'engage pas trop non plus) que c'est lui qui a commandité l'assassinat d'Elian. Parce qu'elle est sa fille conçue par erreur avec Ariane ? Probablement pas, tout compte fait, parce qu'Elian est plus jeune que Ceïlan et que Ceïlan est visiblement né après l'installation à Irid.
Et sinon j'ai une autre hypothèse sur pourquoi il veut l'anneau : c'est un anneau qui brise les malédictions, et la malédiction lancée par Bintou implique non seulement l'immortalité de Narhem, mais aussi que ses fidèles ne peuvent pas sortir du royaume.
J’ai retiré le passage sexuel trop détaillé. Laisser le lecteur imaginer convient en effet davantage au lectorat visé, tu as totalement raison.
Pour la politique, je veux montrer que Narhem est exigeant mais avec bienveillance. Il ne gouverne pas en tyran. Je ne vois pas comment le montrer autrement.
Fais gaffe à tes cheveux quand même !
Donc finalement, Narhem ne voudrait pas l’anneau pour mourir mais pour permettre à ses fidèles de quitter Eoxit. Merci de me transmettre tes idées !
les clients en manquent ne se mettront pas la bite sous le bras => en manque
Ravie qu'en seconde lecture, ce chapitre te plaise. Je serais curieuse de savoir si, en suivant ce point de vue, on finit par être aussi agacé par Elian que Narhem peut l'être ;)