chapitre 21 : Enora

Par Maric

Explications

Zark me prend le bras et ouvre un passage où il m’entraîne avant que j’aie pu faire un geste.

Je me retrouve dans une pièce ronde aux pierres apparentes sur lesquelles sont accrochées des tentures que je regarde à peine, choquée par ce changement brusque d’environnement. Il me dirige vers un salon et me fait assoir dans un fauteuil. Il avance un autre fauteuil en face de moi et y prend place. Son visage est impénétrable et ses yeux sont deux lacs aux eaux calmes. Je me détends.

  • Ici nous serons tranquilles pour ce que je veux faire, loin de la colère de Yëlan.

Mes nouvelles capacités me permettent de sentir la turbulence qui l’agite sans troubler son visage. Je sens aussi une grande déception qui me perturbe mais également de la compréhension. Cet homme ne me fera jamais de mal, c’est une certitude.

  • Ne bouge pas et laisses-moi te montrer.

Il pose ses mains sur mes tempes et tout s’efface autour de moi. Sur le film qui défile dans ma psyché je vois… je comprends enfin !

Je vois la recherche des corps dont le cerveau ne répond plus mais dont l’enveloppe n’a pas été trop abimée. J’aperçois les auras qui sont envoyées pour vérifier que les âmes ne sont pas autour des corps. Une fois certains que celle-ci est bien partie et juste avant que les machines ne soient débranchées, je vis la naissance des sentinelles dans leur nouveau corps.

C’est un processus très long ! De nombreux agents sur terre cherchent les malheureuses victimes. Il faut qu’elles soient sans familles et qu’elles ressemblent un minimum à leur corps Tyl-Arien car je ressens les difficultés d’adaptation à cette nouvelle enveloppe, la culpabilité de l’habiter alors que le vrai propriétaire est mort. Je ressens leur souffrance lorsqu’il faut remettre en marche ce corps, leur découragement parfois, mais leur ténacité née d’une conviction que leur mission est essentielle pour leur monde. Ça peut prendre des années avant qu’une sentinelle ne trouve un corps.

Dans le manoir, c’est Sally qui est arrivée la première, puis Yaël et enfin Roland. Les Loups sont arrivés en même temps que Yaël, ils avaient réussi la symbiose juste au moment où celui-ci a trouvé son corps.

Je suis envahie par la honte et le remord d’avoir jugé uniquement guidée par des émotions à fleur de peau. Sans plus de réflexion.

  • Mais que deviennent leur corps quand ils viennent ici ?
     
  • Leur corps terrien est en stase en ce moment, c’est-à-dire qu’ils sont en hibernation, surveillés par le mage qui les maintient dans une vie ralentie.

Je m’affale dans le fauteuil, le cœur au bord des lèvres, je ferme les yeux d’où coule une larme. Roland me pardonnera parce qu’il comprend pourquoi j’ai réagi ainsi… Mais Yaël… Mon cœur est broyé par la douleur et la culpabilité. Jamais il ne me pardonnera ce qu’il considère comme une trahison à ma promesse de lui faire confiance.

  • Ne crois pas ça Enora, il mettra du temps, c’est sûr, mais je vous ai vue sur la toile, ce qu’il y a entre vous est profond, il comprendra… et pardonnera parce qu’il ne pourra pas faire autrement.

Zark me prend les mains et son regard compatissant me fait encore plus mal. Il baise ma main respectueusement me sourit et referme sa psyché.

  • Je vous demande pardon Zark, j’aurais dû savoir que jamais, ni vous ni eux, n’auriez pu tuer un homme pour s’approprier son corps.

Zark passe une main paternelle sur mes cheveux et se penche vers moi pour souligner ses paroles.

  • Il n’y a rien à pardonner, jeune fille, ne dit-on pas que l’erreur est humaine ? Je comprends ce que tu as ressenti.

Je le remercie d’un pauvre sourire et prends une grande inspiration. Ce que je dois faire est très clair mais j’ai peur.

  • Viens, Je vais te montrer une partie de notre monde

Le portail que nous franchissons nous amène sur une terrasse en haut du palais perché sur un promontoire. La vue qui s’offre à moi est à couper le souffle, l’astre lunaire est une balle blanche dans l’azur du ciel et la douce chaleur du soleil caresse ma peau. Nous sommes en hauteur et les jardins du palais s’étendent à nos pieds. Des massifs fleuris font des tâches colorées le long des allées et des fontaines jaillissent des flèches d’eau chantantes qui retombent en cascades dans les bassins.

Au-delà des jardins, la ville en elle-même, s’étale comme des pétales autour du palais. Des portes translucides donnent accès aux différents quartiers. La lumière du soleil se réverbère sur leurs parois en une infinité de couleurs.

Un fleuve serpente aux abords de la ville, sa surface miroite et renvoie des éclats de soleil. Des embarcations chamarrées dont les voiles chatoient se balancent doucement. De l’autre côté de ce fleuve s’étend une immense forêt. A l’opposé les champs et bosquets sont des taches brunes, vertes, rouges qui moutonnent sous un léger vent. Se confondant presque avec l’horizon un pic rocheux émerge comme un doigt pointé vers le ciel, probablement le sommet d’une montagne.

  • C’est magnifique, dis-je les yeux perdus dans cet espace où n’existe ni building, ni automobile, ni pollution. Le silence n’est interrompu que par les chants des oiseaux qui volètent dans les arbres. L’air est pur et la légère brise embaume les parfums de toutes ces fleurs aux mille nuances qui illuminent les jardins.

Je m’arrache difficilement à la beauté lumineuse de cette vue. Pendant que j’admirais ce monde, j’ai retrouvé mon sang froid et mon esprit est clair. Je brûle d’impatience de retrouver ses yeux bleu-nuit même si c’est pour y lire ma sanction. Je soupire et me tourne vers Zark qui lui-même s’est retourné. Une porte vient de s’ouvrir au bout de la terrasse et trois hommes et deux femmes s’approchent. Ils portent la même tenue que Roland et Yaël.

Ils s’arrêtent à quelques pas de moi et me fixent avec une attention qui me rend perplexe. Je me redresse et secoue mes cheveux pour me détendre ma nuque sous cette inspection. Puis un sourire étire leurs lèvres à mon grand étonnement. Mais qu’est-ce…

Ils plient le genou devant moi, dans un ensemble parfait. Un sourire entendu étire le coin de mes lèvres. Je crois que j’ai deviné.

  • Ma Dame !

J’étouffe un rire et leur fait signe de se relever.

  • Alors, qui est qui ? je leur demande amusée.

Le plus grand, cheveux châtain relevé en chignon, les yeux noisette et un visage sérieux au menton carré s’avance. Je note sans m’y attarder, pour ne pas le gêner, la grande balafre qui traverse sa joue droite de l’œil jusqu’au menton.

  • Je suis Orion, Ma Dame.

Je m’en serais doutée, Orion le sérieux me présente ses compagnons Vigo et Natan, les deux frères blonds aux yeux bleus qui se ressemblent comme des jumeaux. Nalia est une belle rousse assez grande aux yeux d’un bleu translucide étonnant, ses longues tresses ne cachent pas ses oreilles allongées en pointe, sa silhouette bien que gracile dégage une grande force. Lira est brune aux cheveux châtains frisés et aux yeux noisette.

Comme leurs deux compagnons qui ne sont pas présents, ils dégagent l’assurance des guerriers que je devine en eux et une certaine grâce. Il manque également Sira qui est au repos mais qui va mieux me précise Zark.

Je les admire en cet instant où je les découvre « dans leur corps » d’avoir accepté la mission d’investir des loups même si je ne doute pas de leur affection… non de leur amour pour l’animal.

  • Je suis heureuse de vous re-rencontrer, leur dis-je en souriant

Sourire que je perds aussitôt, lorsqu’ils s’écartent pour laisser passer Yaël et Roland

Je regarde Zark et passe, à mon étonnement, sur un canal privé. « Leur avez-vous parlé de notre conversation ? », mon inquiétude se lit sur mon visage, je suis fébrile et je tente de cacher mes mains qui tremblent. Il hoche négativement la tête en fixant les deux hommes qui se sont arrêtés près de lui.

Comme on dit, je prends mon courage à deux mains et avance vers Roland qui me retourne un regard indéchiffrable.

J’entends les murmures surpris de la meute – c’est ainsi que je continue à l’appeler - lorsque je ploie le genou devant lui. D’un geste vif, il m’empêche d’aller jusqu’au bout, choqué !

  • Roland, je suis profondément navrée d’avoir pu te penser capable, une seconde, d’un acte aussi horrible. J’espère que tu pourras me pardonner…
     
  • Ma Dame, il n’y a rien à pardonner, après ce que tu as vécu en si peu de temps, je comprends que tu en sois arrivé à cette conclusion, même si elle m’a blessé.

Le silence s’est installé autour de nous, j’imagine que la meute a été mise au courant de mes accusations. Roland, le regard douloureux, prend ma main et pose dessus un baiser d’un infini respect qui me réchauffe le cœur.

  • Je ne le mérite pas, je murmure en levant ver lui un visage contrit.
     
  • Je saurai bien trouver quelque chose pour me venger, reprend-il avec cette fois un petit sourire malicieux.

Je lui rends son sourire soulagée et aspire une goulée d’air avant de me tourner vers Yaël. Lui, ça va être une tout autre affaire. Je redoute de l’affronter. Lui me laissera me prosterner devant lui, c’est sûr.

Craintive, le cœur dans la gorge, je plie un genou devant lui et réitère mes excuses en y mettant toute la douleur que j’ai de l’avoir trahi, d’une certaine manière. Ses yeux glacials daignent se baisser vers moi.

  • J’aurais laissé Enora se traîner à mes pieds jusqu’à la fin des temps, dit-il les dents serrées, la voix rauque, mais la Dame n’a pas à faire ça.
     
  • La Dame ne t’aurait jamais accusé d’une telle horreur ! Alors arrête de m’appeler ainsi, je ne suis pas elle, malheureusement.

« Pas encore, mais ça viendra » Je le regarde surpris, je ne lis pas ma rédemption dans ses yeux sombres, mais il m’a parlé… en privé. Je vais ramer, c’est sûr, mais une lueur d’espoir ranime le feu dans mon cœur et mon corps.

Zark m’entoure les épaules de ses bras puissants. Je l’ai senti me soutenir derrière moi alors que je faisais amende honorable. La meute se rapproche du parapet. Nous sommes tous tournés vers la ville et ses environs. Je me repais de la vue tout en sentant la présence de Yaël à mon côté. Roland est près de lui et je sens que ça discute sec !

  • Enora, toutes les créatures de ce monde humaine ou non, tout ce qui est vivant, arbres, fleurs, montagne, rivière… tout cela est Ton Peuple.

Je sens peser sur mes épaules une grande responsabilité, je jette un coup d’œil vers Nalia perdue également dans la beauté de son monde et je ne peux m’empêcher de l’interroger « Qu’es-tu, Nalia ? ». Je la vois sourire et reçois sa réponse grave « Une Fae, ma Dame ! ». A la fois agacée par ce titre et émerveillée par sa nature, un sourire étire mes lèvres.

Une houle d’affection pour ce monde grandit en moi, elle enfle dans mes entrailles sans que je puisse la combattre et se dilate jusqu’à l’explosion qui me tend en arrière. Des milliers de particules d’affection s’envolent dans l’air et vont se déposer sur chaque être ou chose vivante. J’ai informé mon peuple que sa Dame est de retour.

  • Par tous les Dieux, s’exclame Zark, qu’as-tu fait ?

Je les regarde tous, maîtrisant leur émotion… et leur inquiétude.

  • Ce n’est pas moi… enfin si mais… c’était plus fort que moi, je bégaie encore sous le choc de ce que je viens de faire.

Zark rameute d’un signe toute la troupe et ouvre un portail. Sans douceur, Yaël me prend le bras et avant que j’aie pu protester, nous nous retrouvons tous dans le bureau où nous étions peu de temps auparavant Zark et moi.

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