Chapitre 22 : Yaël - Yëlan

Par Maric

Le garou

Nous sommes tous réunis dans le bureau de Zark. J’ai accompagné Enora dans un fauteuil, sans douceur mais calmement. Zark s’assied sur le divan, Roland et moi entourons la jeune fille tandis que mes autres compagnons s’installent autour de nous.

  • Qu’est-ce qui se passe ? je demande à Zark.

Celui-ci a un visage fermé. Il scrute la jeune-fille qui se tend sous ce regard. J’ai été très surpris, au moins autant qu’elle, par ce qu’a fait Enora. Je crois qu’elle est encore sous le choc. Elle a du boulot pour maîtriser tous ses pouvoirs, pour l’instant ils semblent être plus un poids pour elle qu’une bénédiction.

  • J’aurais préféré que l’existence de la Dame reste secrète pour l’instant, dit Zark. Mais ce qui est fait, est fait ! Il faut assumer et surtout faire preuve de prudence et qu’elle soit surveiller constamment.
     
  • Je suis désolée, c’est sorti… tout seul.

Les excuses d’Enora, m’amuseraient si je ne lui en voulais pas tant de m’avoir comparé aux ordures qui l’ont agressée. Je ne peux nier avoir été surpris et touché par ses excuses, même s’il était hors de question de le montrer. Elle est surprenante de droiture, ce qui l’essence même d’une Dame. Puis cette vague de bienveillance et d’affection propagée dans Tyl Aran, un peuple qu’elle ne connaît pas encore, m’a profondément perturbé.

Je reporte mon attention sur Zark dont les sourcils froncés montrent bien son inquiétude.

  • Magister, intervient Reólim, tranquillement, si tu nous disais ce qui te préoccupe.

L’hésitation de Zark m’interpelle, mais que se passe-t-il sur Tyl Aran ? Je me tourne vers mes compagnons qui font des va et vient dans la pièce en restant malgré tout attentif à ce qui se dit.

  • Enora, il faut que tu fasses appel à tes pouvoirs de Dame pour rester calme car les images que vous allez voir sont… difficiles. Sinon, je peux te faire sortir…
     
  • Non ! j’ai dit au peuple que leur Dame était de retour, je dois savoir.
     
  • C’est… trash, comme vous dites sur terre, reprend Zark.

Reólim se tourne vers moi un demi-sourire aux lèvres. C’est vrai que cette expression dans la bouche du Magister est plutôt savoureuse. Néanmoins la situation est visiblement moins drôle, je réprime mon propre amusement et tance mon ami qui reprend son sérieux

  • J’ai déjà vu des films d’horreur, j’aurai qu’à m’imaginer qu’il s’agit de l’un d’eux.

J’admire la naïveté et la détermination de ce bout de femme qui vient de faire une entrée chaotique dans notre monde.

Je reporte mon attention sur le Magister et attend qu’il poursuive.

  • Depuis quelques temps il y a de l’agitation dans la zone attribuée aux renégats. On ne le voit pas d’ici mais toute celle-ci est entourée d’une brume épaisse.
     
  • Comment est-ce possible ? Les Enchanteurs leur ont enlevé leurs pouvoirs !

Zark me jette un vif regard de reproche pour cette interruption intempestive. Je m’incline à la fois pour m’excuser et le laisser continuer.

  • Comme sur terre, nous surveillons les descendants et jusqu’il y a peu, nous n’avions aucun signe que l’un d’eux ait une quelconque capacité. Nous avons envoyé des Marcheurs en mission. J’attends leur rapport.

Zark nous regarde tour à tour pour s’assurer de notre attention.

  • Des agressions ont eu lieu dans plusieurs villages par des garous…

Nous sommes tous sous le choc. Mes compagnons s’insurgent et se rapprochent belliqueux. Je les calme d’un geste.

  • Les loups-garous nous ont toujours soutenus, rétorque Reólim, ils vivent tranquilles dans leur forêt et font du troc avec les humains…
     
  • J’ai dit Garou ! je n’ai pas parlé des loups.

Zark a élevé la voix pour nous faire taire. Je jette un bref coup d’œil à Enora qui est perdue. Ses yeux agrandis montrent à la fois sa surprise et un peu son incrédulité. Zark a sans doute vu la même chose dans les yeux de la jeune fille car il poursuit pour elle :

  • Notre monde est peuplé de créatures que tu connais par vos légendes terriennes. Les Fae - il désigne Nalia d’un geste – les loups-garous, et d’autres dont tu n’as jamais entendu parler. Il s’agit dans ce cas précis d’une créature créée à partir d’un humain et d’un loup-garou ce qui est strictement interdit car elles se révèlent violente et ne peuvent maîtriser leurs pulsions. Nous avons réussi à un capturer une lors de la dernière agression parce qu’au comble de son excitation elle a diffusée, trop tard pour sauver la victime, mais ses pensées ont permis d’alerter le mage du village.

Zark nous explique qu’il a aussitôt envoyé une escouade qui est arrivée alors que la créature sortait de chez sa victime, ils ont lancé un filet d’argent pour maîtriser la bête qui, sous la douleur, a laissé la place à l’homme.

  • Vous en avez fait quoi ? Vous l’avez tuée ?

Enora crispe ses doigts sur le fauteuil et Reólim pose une main rassurante sur son épaule. Je lui jette un regard noir qu’il ignore superbement « tu vas t’en prendre une ! ». Il sourit à ma menace « quand tu veux, grand chef ! ». Son ironie me fait grincer des dents.

  • Yëlan, Reólim ! je peux continuer ?

Nous nous inclinons tous les deux penaud sous le regard soupçonneux de la jeune fille.

  • Non ! nous l’avons enchaînée dans un cachot et j’ai ramené la bête pour piocher des informations dans son esprit. J’ai donc assisté au meurtre et aux disgressions qui l’accompagnaient. C’est cela que je vais vous montrer pour que vous preniez la mesure de la menace qui pèse sur les villages.

Il nous fait signe de nous assoir. Je m’installe au pied du fauteuil d’Enora comme Reólim, et nos compagnons prennent place autour de nous. Zark demande à Enora de fermer les yeux et de faire le vide. J’ai l’habitude de ce type de rapport qui va plus vite que des mots. J’attends les premières images. Je sais que je vais me retrouver dans la tête de ce monstre. Je m’inquiète pour la jeune fille pour qui cette expérience est une première qui risque fort de la traumatiser.

Dès que les images nous parviennent, j’entends son hoquet et sens sa main se crisper sur mon épaule. Oubliant ma rancœur, je la prends dans la mienne et demande à mon ami de faire de même de son côté pour qu’elle ait un point d’ancrage dans la réalité.

***

La lune argentait, de ses rayons, le bosquet où l’homme s’était réfugié après avoir été éjecté du portail, à l’orée de la forêt. Il sentait les rayons de l’astre le pénétrer telle une lame de couteau, provocant brûlure et douleur. Il leva les yeux vers l’astre avec une envie folle de crier son agonie. Il sentit la rage l’envahir et la métamorphose s’enclencha, à l’abri des humains. Son squelette s’allongea, s’épaissit. Son visage s’étira en un museau pourvu de crocs longs et tranchants, ses bras s’agrandirent et des griffes acérées prolongèrent ses doigts crochus en armes mortelles. Ses jambes à demi-fléchies s’ancrèrent dans le sol grâce aux griffes de ses pattes qui cliquetaient sur les quelques pierres qu’il rencontrait. Son corps fini sa transformation en se recouvrant de poils aussi noirs que la nuit. Il tourna ses yeux rouges vers le village. Une brume carmin avait envahi son esprit dans lequel ne subsistait plus aucun sentiment humain. Seule une soif de sang, de destruction, l’animait tandis qu’il s’approchait des habitations aussi silencieux qu’un prédateur. « Je ne dois pas grogner » cette phrase se répétait à l’infini dans son cerveau atrophié. « Arrête de parler ! arrête ! sang ! si je tue la voix se taira… »

La créature huma les effluves qui montaient vers elle. Le village dormait tranquille, en confiance dans cette contrée où la violence était jugulée.

« Sang ! » Ce leitmotiv entraîna la créature vers une maison où l’odeur lui indiquait qu’une seule personne y résidait. La bave coulait de sa gueule, ses membres tremblaient. On pouvait apercevoir son sexe dressé par l’excitation. « hummm, bientôt ! jouissance, elle me l’a promis ».

La créature pénétra dans la maison sans un bruit, tous ses sens à l’affut et progressa lentement accommodant sa vue à la clarté diffuse de la lune.

Elle suivit la senteur de l’homme et pénétra dans une chambre. Il dormait en ronflant bruyamment et elle savait qu’il ne pourrait pas résister à sa force. Elle ne voulait pas le tuer tout de suite. Maintenant qu’elle allait assouvir sa soif de sang, la créature avait l’esprit affuté et clair. Elle encercla le cou de ses griffes ce qui réveilla l’homme. Il bougonna, voulut se frotter le visage mais rencontra un bras puissant et velu. Il croisa alors des prunelles rouges et létales. Les yeux exorbités par la peur, il émit un vague miaulement tandis qu’il tentait de se redresser et de se dégager maladroitement de la prise qui enserrait son cou. « Mort ! sang maintenant ! ».

De son autre main la créature griffa le bras qui tentait de se dégager, lui arrachant des lambeaux de chair. Le sang gicla. L’homme hurla, son cri fut interrompu par la main qui se resserra autour de son cou jusqu’à l’étouffer « Pas de bruit elle a dit ! tais-toi ! »

La créature renifla avec gourmandise l’odeur de peur que dégageait l’homme aux abois, qui remuait dans tous les sens, donnant des coups de pieds dans le vide.

Les babines se retroussèrent sur les crocs bavant. L’homme sentit cette humidité couler sur lui. Mais il ne voyait que ces pupilles rouges qui luisaient sous le rayon de lune éclairant la pièce. La créature accrocha la peau du ventre avec ses griffes et tira des lambeaux de peau et de chair en étranglant sa victime pour étouffer ses cris. Cela dura ainsi de longues minutes, écorchant sa victime dont le sang ruisselait de toutes ses blessures. Elle lapa ce nectar, tremblant devant la terreur et les pleurs de l’homme qui perdit conscience.

L’odeur métallique du sang lui fit perdre sa maîtrise et la créature d’adonna à une orgie de violence, arrachant, déchiquetant, avec les griffes, avec les dents, se noyant dans ce geyser de sang qui s’écoulait de l’homme, dont le cœur pulsait encore alors qu’il était moribond. Elle l’éventra, plongea ses griffes dans les entrailles chaudes, les mâchouilla, jeta dans la pièce les yeux qu’elle avait sortis de leurs orbites et qui ne verraient plus la lumière du jour. Ecartant les côtes elle arracha le cœur dans un grand cri de délivrance « bon ! si bon ! ».

Haletante, poissée par tout ce sang dans lequel elle s’était vautrée, la rage reflua. « Rentrer maintenant ! ». Elle leva son regard vers les rayons de lune qui balayait la pièce où s’étalaient maintenant des lambeaux de chairs accrochés aux murs, des entrailles baignant dans les flaques carmin qui dégoulinaient des draps, réprima encore une fois son envie de hurler son cri de victoire « Pas de bruit… pas de bruit !». La créature sortit toujours aussi silencieuse et … Hurla de colère et de douleur lorsque le filet argenté l’ensevelit.

***

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