Chapitre 21 : Erzic

Par Talharr

Erzic :

Rhazek entra le premier dans le dôme. Sa présence suffisait à détourner l’attention des rares gardes encore éveillés. Erzic, lui, resta dissimulé dans l’ombre d’un mur. Qu’un étranger soit vu aux côtés du jeune seigneur avant et après le meurtre du roi de Mahldryl serait une erreur trop grossière. Il devait rester un fantôme.

Lorsque Rhazek fut hors de vue, Erzic avança prudemment. Le dôme se dressait devant lui, silhouette massive et froide, encadrée par trois tours qu’il contemplait pour la première fois. À l’extérieur, les murs couleur sable donnaient une illusion de chaleur. Au milieu la maison où le destin de la Terre de Talharr allait basculer. Mais à l’intérieur… tout n’était que silence et pierre.

Un silence de mort, brisé seulement par les pas des patrouilles.

Les trois tours et les murailles qui les reliaient formaient le décor qu’il avait si souvent rêvé.

Erzic inspira lentement. Un endroit parfait pour lui. Un lieu où la faiblesse n’avait pas sa place. Un lieu pour les ambitieux. Pour les impitoyables.

La conquête de Drazyl sera le début. Ensuite, le monde. Et je le livrerai à Malkar. Je serai récompensé comme nul autre ne l’a jamais été.

Des pas précipités le tirèrent de ses pensées. Il dégaina sans réfléchir. L’échec n’avait pas de place dans son destin. S’il devait massacrer tous ceux qui entraveraient sa route, il le ferait.

Mais ce n’était que Rhazek :

    — Vous en avez mis du temps, grogna Erzic.

    — Et vous vous attendiez à une autre visite ? répondit Rhazek en désignant l’épée nue.

    — Mieux vaut être prêt à toute éventualité.

Rhazek haussa les sourcils :

    — Il n’y a pas de gardes autour et dans la maison. On va entrer en même temps. Vous vous souvenez de l’endroit où se trouve l’entrée du sous-sol ?

    — Je ne suis pas un idiot ! s’emporta-t-il.

    — Moins fort, vous voulez notre mort ou quoi ? je ne disais pas cela pour vous insulter mais pour m’assurer que vous allez réussir votre partie du plan, répondit calmement Rhazek.

Erzic ne répondit pas. Cet enfant avait le don de l’exaspérer.

Ils atteignirent la porte de la maison centrale. Rhazek leva un doigt devant sa bouche.

Qu’il continue de jouer au petit chef… Il apprendra vite qui commande réellement.

La porte grinça longuement à l’ouverture. Le bruit résonna dans tout le dôme, aussi lourd que le destin qu’ils venaient d’invoquer.

Le même bruit se répercuta quand elle se ferma derrière eux.

La maison était imprégnée de la même énergie que l’intérieur du dôme.

À l’intérieur, la pénombre était percée par de rares torches. Ils longèrent les murs, prudents, jusqu’à ce que Rhazek s’arrête net et fit signe à Erzic de patienter. Ce dernier obtempéra malgré lui. Le jeune seigneur connaissait les lieux. Mieux valait suivre sa stratégie, pour l’instant.

Rhazek disparut par une porte entrouverte. Il revint quelques instants plus tard.

    — C’est libre. On passe ici, mais nos chemins se séparent maintenant. Prenez le couloir à droite, il mène aux sous-sols.

Erzic avança sans un mot.

    — Traitez-la correctement, dit Rhazek avant qu’il ne franchisse le seuil. Pas de pitié, mais… pas d’humiliation non plus.

Je ferai ce qu’il faut.

Le jeune seigneur partit de son côté. Dans l’esprit d’Erzic, une seule pensée tournait en boucle : Rhazek allait-il vraiment oser ? Le tuer, son propre père ? Peu importe ce qu’il lui avait fait subir, ce n’était pas rien.

Et cette mère qu’il prétendait mépriser… Il ne voulait pourtant pas sa mort. Qu’en serait-il du père ?

Mais le doute était un luxe qu’il ne pouvait plus se permettre.

Erzic atteignit la porte du sous-sol. Il descendit les marches, une torche en main, ses pas résonnant dans le couloir étroit et humide. Des ombres dansaient autour de lui, tordues, distordues.

Ça ne s’arrête donc jamais ? pensa-t-il, ayant déjà marché de longues minutes.

Il descendit encore. Plus bas. Toujours plus bas. L’air se faisait moisi, poisseux. Des gouttes d’eau tombaient, s’écrasant sur la pierre. Et soudain, un autre bruit. Léger. Métallique.

Des chaînes.

Il n’était plus seul.

Le bruit se répéta, métallique, glaçant. Erzic avança lentement, torche en main, jusqu’à une cellule plus vaste que les autres. Une silhouette droite s’y dessinait. Elle se tenait debout, fière malgré les ombres, les fers, les années. Ses yeux verts brillaient dans la pénombre, pareils à des éclairs prêts à frapper. Sa chevelure n’avait rien perdue de son éclat.

    — Elira. Cela fait bien longtemps, dit-il d’un ton posé.

    — Erzic… Je m’attendais à ta venue, répondit-elle. Tu veux que je devienne une meurtrière après m’avoir fait enfermer dans ce royaume maudit ?

Sa voix tremblait, mais ses mots étaient acérés.

    — Je n’ai fait que servir mon maître. Comme tu aurais dû le faire. Souhaites-tu aujourd’hui te repentir… et rejoindre enfin tes frères et sœurs dans notre cause ?

Elira rit. Un rire sec, trop brutal pour son corps fatigué. Elle toussa, mais ses yeux ne quittèrent pas ceux d’Erzic :

     — Jamais plus je ne servirai un dieu qui ne rêve que de destruction. Je protège ce monde… et ceux que j’aime.

    — L’amour… Encore cette faiblesse absurde, cracha-t-il. Tu n’as donc rien appris.

    — Au contraire. J’ai tout compris, murmura-t-elle, un sourire discret aux lèvres.

Tu ne souriras plus longtemps, pensa Erzic.

     — J’avoue… Je m’attendais à te trouver brisée. Mais tu es plus forte que je ne l’aurais cru. Tant mieux. Tu souffriras davantage lorsque l’Hirondelle et ta fille tomberont.

Un éclair de haine pur passa dans les yeux d’Elira :

    — Elles vous détruiront. Toutes les deux. Unies. Vous ne pourrez rien contre elles.

    — Nous n’en aurons pas besoin. Nous sommes sur le point de capturer l’Hirondelle. Une fois entre nos mains, le Loup échouera.

Elira recula lentement et s’assit sur le lit de pierre.

    — Ne t’inquiète pas pour ta fille. Elle viendra plus tard. Tu vivras assez longtemps pour voir… ta rédemption.

    — Je serai morte avant, dit-elle d’un ton sec.

Erzic se mit à rire doucement.

    — Tu es toujours aussi naïve. Tu n’as pas consulté les visions ? Ton état ne te le permet pas, je suppose… Dommage. Laisse-moi te dire ce qui est en train de se produire.

Il marqua une pause. Observa son visage se raidir. Savoura chaque infime crispation.

    — Ton fils va tuer ton merveilleux mari. Rhazek deviendra roi de Drazyl, puis des Terres de Talharr. Grâce à moi. Et sa première exigence… a été de te garder en vie.

Le regard d’Elira devint de glace :

    — Qu’est-ce que tu attends de moi ? demanda-t-elle.

    — C’est bien, tu comprends vite. Nous avons besoin d’un coupable. Quelqu’un que tout accuse. Ce sera toi. Tu avoueras avoir tué le seigneur de Mahldryl. Cela protégera Rhazek… et achèvera ton humiliation.

Un silence.

Puis :

    — D’accord. Je serai la meurtrière de mon mari.

Sans trembler. Sans détour. Erzic eut un léger sourire. Elle croit encore pouvoir le sauver, pensa-t-il. Pitoyable.

Il sortit la clé qu’un homme de confiance avait volée un peu plus tôt. Le métal grinça dans la serrure. La porte s’ouvrit.

Elira tendit les poignets. Erzic ôta les menottes sans un mot. Elle ne pourrait rien tenter contre lui. Pas dans cet état.

Affaiblie, boitillante, elle sortit lentement de sa cellule. Pourtant, ce fut elle qui prit les devants, sans attendre.

    — Bien. Allons couronner ton fils, sourit Erzic.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Brutus Valnuit
Posté le 31/07/2025
Très bon chapitre. La mère est plus que ce que j'imaginais. Je me doutais que Erzic et elle se connaissaient. La salle du dôme est bien décrite et le silence de l'action très bien ressenti.
J'aime ces ambiances de couloirs, la nuit où un meurtre se prépare.
Talharr
Posté le 31/07/2025
Hé oui, Elira a un rôle a jouer :)
merci c'est des moments de tension sympa à écrire. Un peu dans ton style avec Rauk (même si bien moins glauque je pense ahaa)
Scribilix
Posté le 23/07/2025
Salut,
Chapitre intéréssant, la mère de Rhazek est plus ce qu'elle semble etre. En tous cas je comprends pas pourquoi elle a souhaité se marier avec le roi de Drazyl qui est une vraie ordure.
Sur la forme un tout petit détail.
- Il était à sa place ici. Un lieu où la faiblesse n’avait pas sa place. (j'aurais choisi une autre formule genre il se sentait chez lui ici afin d'éviter la répétition).
Je continue ;)
Talharr
Posté le 23/07/2025
Hello,
Elira la femme que tout le monde pensait déjà morte ;)
Pour le mariage, je ne dis rien, mais il y aura des explications :)

Merci pour la phrase, en effet elle est pas très jolie comme ça ahaa
Vous lisez