Chapitre 22 : Rhazek

Par Talharr

Rhazek :

Une lueur pâle filtrait sous la porte du bureau de son père.

Rhazek inspira. Lentement. Une dernière fois.

Je vais devenir le roi le plus puissant de la Terre de Talharr.

    — Rhazek ? appela une voix grave, de l’autre côté.

Il se figea. Son prénom, dans cette voix-là, suffit à faire vaciller tout son courage. Un mot. Et la détermination s’éroda.

    — Oui… c’est moi, père, répondit-il en poussant la porte.

La pièce sentait le cuir et le vin fort. Des trophées de chasse et des lames rouillées s’alignaient sur les murs. Rhazlir III était assis derrière une grande table, un gobelet à la main, les yeux rivés sur son fils avec cette même dureté glaciale qu’il lui réservait toujours.

    — Tu viens me voir à cette heure ?

    — Je… je voulais parler des derniers jeux de l’arène, improvisa Rhazek, la gorge sèche.

Le seigneur de Mahldryl arqua un sourcil.

    — Ça ne pouvait pas attendre demain ?

    — Non… j’avais des questions importantes auxquelles j’ai du mal à répondre.

Il pensa soudain à ce que l’un des prisonniers avait dit sur le peuple d’Alkasrim. Cette peur que son père n’avait pas su cacher en entendant ce nom.

    — Tu ferais mieux de ne pas gaspiller mon temps, dit Rhazlir, posant son gobelet avec lenteur.

Rhazek s’approcha, se planta devant lui. Il le regarda droit dans les yeux. Le moment approchait.

    — Qu’attends-tu ? Je te demande de ne pas faire perdre mon temps mais tu es là pantelant et muet, s’impatienta Rhazlir III.

    — Désolé, père. Un des condamnés a parlé du peuple d’Alkasrim… Qui sont-ils ?

Un silence. Pesant. Puis, la voix de Rhazlir, plus tranchante :

    — Ce sont des rats. Ils ont survécu en rampant dans l’ombre. Mais tu leur as montré qu’ils ne seront jamais en sécurité.

    — S’ils sont encore là, il faut les traquer. Les serviteurs de Talharr doivent disparaître, affirma Rhazek, retrouvant un peu de souffle.

Mais cette fois, son père pâlit légèrement. Une ombre passa sur ses traits.

Soudain Rhazek se rendit compte de sa bêtise.

Tant pis, il n’en a plus pour longtemps.

    — Qui t’a parlé d’eux ? Je veux une réponse claire !

    — Je l’ai découvert par moi-même. Pourquoi… est-ce que vous les craignez autant ?

Rhazlir III se leva lentement. La tension était montée d’un cran.

    — Ce peuple n’est pas comme nous. Les Alkasrims sont depuis toujours une force puissante au service de Talharr. Ne les sous-estime pas parce qu’ils ont été vaincus une fois. Il a fallu une armée grande comme Mahldryl pour les vaincre. Et encore… ce fut de justesse. Et nous ignorons combien d’entre eux ont survécu.

   — Ce ne sont que des hommes. Comme nous. Vous l’avez prouvé en les envoyant dans l’arène. Et leurs cris n’avaient rien d’exceptionnel, dit Rhazek.

   — Tu ne sais donc toujours pas voir ce qu’il faut répondit Rhazlir, la voix plus grave. Ils ne craignent pas la mort. Ils se battent jusqu’à la dernière goutte de sang. Tu ne les as pas écoutés...

Rhazek sentit une chaleur étrange monter en lui. Un mélange de peur… et de délivrance. Il sourit, nerveusement. L’heure était venue.

    — Qu’est-ce que tu trouves si amusant ? demanda son père.

    — Vous faites honte à Mahldryl. Et à Drazyl. Père.

Premier coup porté. Première fois qu’il osait lui tenir tête. Et cela… faisait du bien.

Je ne serais plus une ombre.

Plus jamais.

La chaise de Rhazlir III vola en arrière. Il se dressa comme une tempête :

    — Tu oses m’insulter ? Moi, ton père ? Seigneur de Mahldryl ?

    — Je n’ai pas peur de vous, dit Rhazek. Vous devriez vous demander qui est vraiment en sécurité. Vous… ou ces Alkasrims que vous redoutez tant.

    — Tu me menaces, maintenant ?!

    — Notre peuple a besoin d’un seigneur qui redonnera sa gloire à tout Drazyl. Et ce ne sera pas vous.

Rhazek sentait son courage se décupler. Il n’y avait plus de possibilité de faire marche arrière. Malkar était de son côté.

Rhazlir III éclata de rire, dur et amer, en contournant la table.

    — C’est donc ça… Une trahison. Tu veux prendre ma place ? Toi ? Un petit pleurnichard, à qui j’ai tout donné ? Ma force, mon courage…

    — Votre courage ? A vous terrer ici, comme un lâche ? Ce n’est pas ça, le courage.

    — Assez ! hurla Rhazlir en se jetant sur lui.

Mais Rhazek était prêt. Il esquiva l’attaque de justesse. Une seconde plus tard, son épée était sortie, lame brillante dans la lumière vacillante.

    — Arrêtez. C’est terminé.

Rhazlir III s’arrêta net. Son sourire n’avait plus rien d’humain.

    — C’est donc comme ça que je vais mourir ? Assassiné par mon propre fils.

Un long silence s’installa.

Puis, soudain, Rhazlir III fit volte-face, revint derrière son bureau et en tira une longue épée.

    — Voyons maintenant lequel d’entre nous mérite de gouverner, lança-t-il.

Rhazek n’eut pas le temps de réagir. Il aurait dû frapper avant. À présent, ils étaient à armes égales — et il connaissait trop bien la réputation de son père, lame en main.

Je n’ai aucune chance.

Ils se firent face un long moment, tournant lentement, guettant la moindre faille.
Rhazlir fut le premier à bondir, jambe fléchie, posture solide. Rhazek l’imita, en défense, conscient que son père le surpassait en force.

Le choc métallique éclata dans la pièce. Rhazek recula de plusieurs pas, le bras engourdi par l’impact. Il repoussa tant bien que mal l’assaut, le souffle court.

Si je ne passe pas à l’offensive, je suis perdu…

Alors il changea de stratégie. Rhazek attaqua, tournoya, feinta. Sa lame glissa sous la garde de son père, entailla ses côtes.

Un grognement.

Une traînée de sang.

Pour la première fois, il vit la douleur dans les yeux de Rhazlir III.

Ils se remirent en garde. Son père saignait, mais son regard n’exprimait qu’une chose : une rage brute, dévorante.

Je peux gagner.

Je dois gagner.

Il reprit l’offensive. Plus léger, plus rapide. Il tourna autour de lui, le toucha encore. Et encore. Sans blesser mortellement, mais assez pour affaiblir.

Mais la fatigue s’installa. Son bras devint lourd. Sa respiration, erratique. Face à lui, Rhazlir III, ensanglanté mais debout, esquissa un sourire.

    — Tu penses me vaincre avec ta danse ? C’est Krast qui t’a appris ça ? Ridicule.

Rhazek resta figé. Son épée était couverte de sang. Pourtant, son père tenait encore debout, inflexible.

    — Je vais te donner ta dernière leçon !

Une masse surgit sur lui. Rhazek n’eut pas la force d’esquiver.
Son corps vola, heurta un mur. Un choc brutal. Le souffle coupé.

Tout était flou. Une silhouette s’approchait. L’acier brillait dans la pénombre.

    — Je t’ai pourtant appris que la force est la loi de notre terre ! gronda Rhazlir III.

Rhazek tenta de se relever. Ses membres refusaient d’obéir. Il gémit, tomba. Sa lame avait roulé loin de lui.

Comment ai-je pu être aussi idiot ? Erzic… je te maudis.

Sa vision se stabilisait. Son père était au-dessus de lui, prêt à l’achever.

    — Je suis désolé… Père… Vous êtes l’homme le plus fort de Drazyl…

    — Même à l’instant de ta mort, tu pleurniches. Comment ai-je pu engendrer une chose pareille ? Ta mère, sans doute, ricana Rhazlir III.

    — Je suis votre seul héritier… Qui prendra votre place si je meurs ?

Un instant, Rhazlir hésita. Son épée resta levée.

    — Je préfère qu’une autre famille hérite de mon trône, plutôt que de te voir y monter… Toi. Faible. Déloyal.

Je croyais que vous m’aideriez dans ma tâche… pria-t-il à Malkar.

    — N’attends pas d’honneur après ta mort. Bon voyage dans le monde des morts.

L’acier s’enfonça lentement dans sa chair. Rhazek hurla, un cri qui fit trembler les murs.
Puis soudain… l’épée s’arrêta.

Du sang. Sur son visage. Mais ce n’était pas le sien.

Que… comment ?

Le visage de son père était figé, livide. Ses yeux, écarquillés, fixaient la lame qui le transperçait. Rhazek suivit du regard le métal rouge…

Rhazlir III s’effondra sur lui. Mort.

Quelqu’un poussa le corps du père, puis tendit la main à Rhazek.

    — Erzic ? souffla-t-il, complètement déboussolé.

    — On dirait qu’on arrive juste à temps pour sauver le nouveau seigneur, répondit Erzic avec ce ton moqueur qu’il maîtrisait si bien.

Je vais devoir lui être redevable… Quelle honte.

    — Pas la peine de nous remercier. Nous n’avons fait que notre devoir, poursuivit Erzic.

    — Je ne vous dois rien…

Erzic eut ce petit rire insupportable :

    — Et c’est quoi, ce “nous” ? Vous êtes encore plus imbu de vous-même que je ne le pensais… grogna Rhazek, qui retrouvait peu à peu ses esprits.

Une silhouette apparut derrière Erzic. Des cheveux blonds, des yeux dorés. Une dague à la main, dégoulinante de sang.

Rhazek sentit un mélange étrange de soulagement et de colère. Il n’avait aucune dette envers Erzic… mais être sauvé par elle ?

Il se tourna lentement vers Erzic :

    — Ce n’est pas vous qui l’avez tué… C’est elle ?

    — En effet. Votre mère ne voulait pas vous voir mourir. Au moins, inutile de faire semblant que c’est elle la meurtrière.

Le regard de Rhazek croisa celui d’Elira :

    — Je ne veux ni votre pitié, ni quoi que ce soit venant de vous ! Ce n’est pas parce que mon père est mort que cela change votre sort. Vous ne serez pas exécutée… mais vous resterez enchaînée dans votre cellule, cracha-t-il, honteux d’avoir été sauvé par une femme qu’il considérait comme une traîtresse.

Elira baissa la tête, silencieuse. C’était sans doute mieux ainsi.

    — Allez chercher les gardes. Je reste ici avec elle, ordonna Erzic.

Rhazek hocha la tête sans répondre, encore sonné, puis sortit en direction des remparts. Il boitait légèrement, le corps meurtri, mais sa démarche gagnait en assurance à mesure qu’il avançait.

Le dôme était toujours silencieux, comme si rien ne s’était passé.

Sur les murs, les gardes faisaient leurs rondes.

    — GARDE ! À MOI ! LE SEIGNEUR EST MORT ! ASSASSINÉ ! hurla-t-il.

Des cris fusèrent. Une alerte. Une dizaine d’hommes se rassemblèrent aussitôt et le suivirent vers le bureau.

Lorsqu’ils arrivèrent, Erzic avait disparu — probablement dès qu’il les avait entendus approcher.

Elira, elle, était toujours là. Agenouillée dans le sang de son époux. La dague encore en main.

    — Mère ? fit Rhazek d’une voix étranglée, jouant son rôle devant ses hommes.

Tous pensaient qu’elle était morte depuis des années. Il était temps d’en révéler juste assez… pour que le peuple l’accepte comme nouveau seigneur.

    — Je suis désolée, mon fils… Je n’en pouvais plus. Il fallait que je me libère, dit Elira.

Joue-t-elle un rôle ? Il n’en était pas certain. Son regard… avait quelque chose de vrai. De dangereux.

Les gardes braquèrent leurs lances sur elle, pétrifiés, comme s’ils voyaient un fantôme.

    — Gardes, occupez-vous de mon père… dit Rhazek, d’un ton qu’il voulait teinté de tristesse.

    — Et pour votre… mère ? demanda l’un d’eux, hésitant.

    — Je m’en charge. Elle sera enfermée… dans un endroit d’où elle ne sortira plus jamais.

Le garde hocha la tête, sans discuter.

    — Toi ! appela Rhazek, désignant un soldat près de la porte.

    — Seigneur ?

Ça sonne bien, pensa Rhazek.

    — Va chercher Prasto. Dis-lui que le seigneur est mort et qu’un conseil doit être convoqué d’urgence.

    — Oui, seigneur !

Le garde fila aussitôt. Les autres commençaient à envelopper le corps de Rhazlir.

On dirait bien que vous n’étiez pas si fort, père. Bon voyage dans le royaume des morts.

    — Mère. Suivez-moi. Vous allez payer pour votre haute trahison ! lança-t-il d’une voix forte, pour que tous les soldats entendent.

Elira ne répondit pas. Elle se releva lentement et le suivit, en silence.

Dans les couloirs, Rhazek jeta un regard autour de lui. Il faudrait revoir la décoration. Peut-être quelque chose de plus… macabre.

Ils descendirent les escaliers vers les sous-sols. L’écho des gouttes d’eau résonnait, toujours aussi agaçant.

Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu devant cette cellule. Et, étrangement, il aurait préféré ne jamais la revoir.

    — Ce que j’ai dit devant Erzic est vrai. Mais pour votre… aide, vous recevrez de quoi manger. Un peu de confort. C’est tout. Vous mourrez ici. Quoi qu’il arrive.

    — Merci, mon fils, dit-elle, avec ce ton doux qui sonnait presque affectueux… ou venimeux.

Ces mots… le firent frissonner. Elle semblait si faible, et pourtant si redoutable.

Je ne dois pas me laisser avoir. Elle reste une traîtresse. Quoi qu’elle fasse.

Il tourna les talons sans un mot de plus.

Déjà, il pensait au conseil. À son couronnement.

Nous avons réussi. Drazyl sera mien. Puis la Terre de Talharr. Mon règne ne fait que commencer.

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Brutus Valnuit
Posté le 31/07/2025
Quelle scène étrange et palpitante ! Le duel père fils !
La fébrilité de Rhazek était prévisible et très bien amenée. Le Père fort et supérieur en force et en mots !
Je me doute que la mère aura un rôle dans le futur.
Talharr
Posté le 31/07/2025
Le duel ne pouvait se dérouler autrement sinon Rhazek serait un super vilain ahaa
Merci encore pour la scène :)

Et pour Elira on est pas au bout de nos surprises ;)
Brutus Valnuit
Posté le 31/07/2025
c'est passionnant ! Pour tout te dire, je me suis mis à écrire mes propres histoires car j'en avait marre des histoires de Fantasy bancales et mal écrites.
Mais la tienne est super et me réconcilie avec le genre !!
Talharr
Posté le 31/07/2025
Wow ! J'écris vraiment depuis peu et j'ai toujours aimé les histoires de fantasy mais d'un coup j'ai eu un monde en tête, des personnages et j'avais envie de les faire vivre, comme toi tu as voulu le faire :)

Donc un grand merci pour ton message et ravi de te faire réconcilier avec ce genre :)
En espérant que la suite ne te contredise pas ahaa :)
Scribilix
Posté le 23/07/2025
Re,
Honnêtement, super chapitre, bravo, j'ai adoré la mise en scène et le retournement final avec Elira qui sauve la mise à son fils. Même si je m'attendais un peu à ce scénario, c'est bien amené et le combat entre le père et le fils est génial.

Peut-être que j'aurais accordé un peu plus d'importance à Elira qui semble rester en retrait même à la fin, n'adressant qu'à peine la parole à son fils.

Sur la forme, un petit point :

- ses yeux vrillant son fils (tu avais déjà la même expression dans le chapitre précédent, mais je ne crois pas que l'expression s'utilise de cette façon).

En tous cas, encore bravo pour ce chapitre et au plaisir de lire la suite,

Scrib.
Talharr
Posté le 23/07/2025
Re :)
Un grand merci pour ton retour sur ce chapitre :)))
Oui qu'Elira le sauve, on s'y attend même si ça aurait pu Erzic aha
Les combats en singulier sont ceux sur lesquels j'apporte une grande importance pour que la tension et le combat soient parfaits. Et ton retour me ravi aha

Oui pour Elira j'ai hésité à lui mettre plus de paroles. Je vais essayer de rajouter une ou deux lignes subtilement pour pas qu'elle prenne trop de places non plus.

Et merci pour l'expression, je l'ai mal utilisé, je vais changer ça :)

Encore merci et à plus :)

Talharr
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