Chapitre 21 : Hadjira - Sépulture

Hadjira discutait avec un prêtre de Mâat sur l'emploi du temps de l'audience qui allait se tenir dans l’après-midi. Des détails ne lui plaisaient pas.

Quelques crues auparavant, c'était pharaon, ou Aïcha, qui s'occupaient de cela mais Hadjira avait demandé à le faire et personne ne le lui avait refusé.

Aïcha entra dans la pièce en marchant très doucement, comme si elle voulait être invisible et fit un geste discret à Hadjira pour qu'elle la rejoigne dans l'ombre.

Hadjira comprit en s'approchant que quelque chose n'allait pas. Aïcha était blanche comme neige. Elle tremblait. Elle dut attendre d'être en mesure de parler avant de murmurer d'une voix toute fine :

- Pharaon est mort.

Hadjira, qui un instant cru avoir mal compris, souffla :

- Pardon ? Tu peux répéter ? Je n'ai pas…

- Dféjaï vient d'être tué, par un assassin, un mercenaire. C'est évident que c'est Akram qui l'a commandité mais nul ne pourra le prouver.

Akram était le fils aîné de Tiyi et il était également le fils aîné de pharaon qui n'avait eu que des filles de ses autres femmes avant lui.

- Akram ? répéta Hadjira. Pourquoi ?

- Parce que cet enfant est un abruti mais surtout, c'est un arriviste. Au dernier conseil des ministres, Djéfaï a fait entendre qu'il ne comptait pas laisser Akram devenir pharaon et qu'il allait réfléchir à désigner un autre successeur. Ça ne fait aucun doute : ce sale noble vient de commanditer le meurtre de son propre père.

Hadjira ne parvenait pas à comprendre. Elle souffla :

- Pharaon est mort… Mais enfin, Aïcha, c'est un dieu. Les dieux ne meurent pas.

Aïcha mit un clignement d’œil avant de réagir tant la phrase la choqua.

- Hadjira, Dféjaï n'a jamais été un dieu. Tu le sais. Je t'avais expliqué à ton arrivée. On lui donnait ce titre pour le forcer à être le garant de l'harmonie, de l'ordre et de la justice mais il ne l'était pas vraiment.

Sauf que lui l'était vraiment, pensa Hadjira.

- Il ne peut pas être mort. Où est-il ?

- Auprès des embaumeurs, lui apprit Aïcha. Il faut vite s'occuper de son corps sans quoi son âme ne pourra pas renaître. On l'a lavé et maintenant, on retire les organes principaux de son corps pour les mettre dans les vases canopes.

- Je veux le voir, dit Hadjira, prenant enfin conscience du décès de son époux.

- Tu ne peux pas. Les embaumeurs s'en occupent. Tu n'as pas le droit d'assister aux rituels sacrés. Seuls les prêtres le peuvent. Après l'avoir vidé, ils forceront le corps à sécher et mettront de l'huile sur son corps. Alors seulement, tu pourras le voir.

- Où sera-t-il enterré ? Djéfaï n'a jamais fait construire de mausolée !

- L'embaumement prendra soixante jours, dit Aïcha. Akram, en tant que nouveau pharaon, se devra de donner une sépulture digne à son prédécesseur. Il lui fera construire un petit mausolée au milieu de désert. C'est une honte. Djéfaï mériterait un palais. Il a offert à l’Égypte plus que n'importe quel pharaon. En soixante jours, que peut-on construire ? C'est ridicule.

Hadjira se sentit vide. Elle n'avait jamais aimé Djéfaï mais son absence la rendit pourtant terriblement malheureuse. Surtout, elle ne comprenait pas comment une telle chose était possible.

Djéfaï était un dieu. C'était Osiris, venu sur la terre des vivants pour aider les égyptiens. Avait-il décidé qu'il était temps de passer la main, qu'il en avait fait assez, qu'il devait partir pour laisser les égyptiens prendre leur sort en main ? Si c'était le cas, alors il leur laissait le pire pharaon qui soit.

Une phase de la lune fut suffisante à Akram pour mettre fin à la moitié des traités de commerce et les remplacer par des déclarations de guerre. La nourriture du peuple fut réquisitionnée pour nourrir les soldats et les paysans durent eux-mêmes prendre les armes. L'éducation, qui avait été une mesure phare de Djéfaï, fut abandonnée et à nouveau réservée seulement à une très haute élite. Même la possibilité pour les personnes du peuple nées le même jour que pharaon d'accéder à l'éducation fut supprimée.

Deux lune après le décès de Djéfaï, son corps embaumé fut emmené dans le désert, où Akram avait décidé de l'enterrer de la façon la plus digne qu'il entendait, à savoir un simple trou creusé dans le sol, le nom de pharaon écrit sur une plaque de marbre posé par-dessus. C'était une grave offense mais rien ne pouvait être fait. Akram était le nouveau pharaon. Il était le nouveau Mâat et sa parole devait être respectée.

Hadjira fut présente à l'enterrement mais pas Aïcha, qui ne s'en était pas sentie capable. À chaque instant, Hadjira s'était attendue à voir s'ouvrir le sarcophage et à voir Djéfaï en sortir, bien vivant. Après tout, n'était-il pas immortel ?

Rien de tel ne se produisit. L'enterrement fut sobre et rapide. Le rituel habituel avait été suivi à la lettre mais une fois terminé, seule une simple plaque de marbre témoignait de la présence en ce lieu d'un grand pharaon.

Hadjira avait le cœur gros lorsqu'elle retourna vers le char devant la ramener au palais. Akram monta avec elle, ce qui n'était pas chose banale.

- Auriez-vous à me parler, pharaon ? dit Hadjira, en faisant exprès de parler la première, ce qui était normalement interdit.

- Tout à fait. Vous avez été une très bonne reine. Le peuple vous aime beaucoup, commença Akram.

- Je n'ai fait que suivre les ordres de mon mari, répliqua Hadjira, cherchant volontairement à mettre pharaon en colère.

Akram resta parfaitement calme et stoïque. Il continua :

- Vous vous êtes toujours occupée de rendre la justice avec mon père. Vous gériez les emplois du temps des audiences et étiez assise aux côtés de pharaon pendant les tribunaux.

Hadjira eut soudain peur qu'il ne lui retire cette occupation. C'était son droit. Normalement, seuls pharaon et sa reine pouvaient rendre justice. Si, en plus de renoncer à vivre avec les siens et à avoir une famille, elle devait renoncer à son rôle de prêtresse du bien, alors sa vie ne serait plus rien.

- Rendre la justice m'ennuie, annonça Akram. J'aimerais donc que vous vous en occupiez désormais seule. Je peux compter sur vous, n'est-ce pas ?

- Naturellement, dit Hadjira, ravie de la tournure que prenaient les évènements.

- Parfait. Ce rôle sera donc le vôtre.

Akram fit signe au char de s'arrêter. Il monta dans le sien, délaissant Hadjira pour rentrer seul et à pleine vitesse au palais. Akram était jeune. Il aimait la vitesse, le danger, l'adrénaline, le pouvoir, tout ce qui faisait de lui un mauvais choix pour régner. Hadjira soupira. Au moins, la justice serait bien rendue. Elle en était heureuse.

Hadjira déchanta rapidement. En effet, maintenant qu'elle était seule aux commandes, elle devait non seulement trouver les coupables, mais également choisir les peines. Ce fut désormais elle qui condamna à l'amputation d'un membre, à l'ablation des yeux ou à mort les coupables, et cela la rendit malade.

Aïcha s'en rendit compte et un soir très frais, devant un feu apaisant, elle annonça :

- Tu sais, Hadjira, maintenant que Djéfaï nous a quittés, tu as le droit d'être heureuse. Tu peux prendre un homme. Tu en as le droit. Personne ne t'en voudra.

- Je ne peux pas le trahir, dit Hadjira. Je suis sa femme.

- Il est mort ! insista Aïcha. Tu ne peux pas trahir un mort !

- Il n'est pas mort, annonça posément Hadjira. Les dieux ne peuvent pas mourir.

Aïcha secoua la tête.

- Jamais je ne te comprendrai, dit Aïcha. Je te connais pourtant depuis longtemps maintenant. Tu n'es même pas égyptienne. Vivre ici t'aurait-il convaincue à ce point ? Djéfaï avait un don, un sixième sens qui lui permettait de tout voir. Il avait un esprit brillant qui lui assurait de trouver la bonne solution, quelque soit le problème, mais il n'était pas un dieu.

- Je te laisse penser ce que tu veux. Ne m'empêche pas de faire de même, demanda Hadjira.

- Dans une lune, ça sera l'anniversaire des dix crues de la mort de Djéfaï. J'ai demandé l'autorisation à Akram de me rendre sur sa tombe. Il n'a pas caché son déplaisir mais a accepté sur les conseils de sa mère. Tiyi, c'est elle qui gouverne, tout le monde le sait. Quand elle est arrivée dans le harem, elle a immédiatement tenu à avoir un enfant et semblait ravie qu'il s'agisse d'un fils. Sur le moment, je n'avais pas compris, d'autant que je venais juste d'arriver. Maintenant, je comprends. Elle avait tout prévu, des crues en avance. Ceci dit, heureusement que Tiyi gouverne car Akram est un vrai idiot. Donc, elle m'a accordé le droit de visiter la tombe de l'homme que j'ai aimé. M'accompagneras-tu ? Peut-être qu'en voyant sa sépulture encore une fois, tu prendras conscience de la triste réalité de sa mort.

- Je t'accompagnerai volontiers. J'ai besoin d'air, de toute façon.

Hadjira regarda en l'air, les yeux dans le vague.

- Tu sembles bien pensive, dit Aïcha.

- Je pensais… maintenant que mon mari est mort, son amour est mort avec lui. Donc, plus personne ne veut m'assassiner. Je suis libre de partir d'ici.

- Tu connais trop de secrets d’État. On ne te laissera pas partir.

- Décidément, cet endroit sera ma prison toute ma vie, finit Hadjira d'une voix dépitée.

- Tu as raison et tu viens de dire à voix haute que Djéfaï est mort.

- Il est mort pour son peuple, pour le monde, mais moi, je sais qu'il est vivant.

- Je te laisse le croire, Hadjira. Si cela t'aide à te sentir mieux, je te laisse le croire.

Hadjira sourit et les deux jeunes femmes finirent la soirée en travaillant. Elles préparèrent l'emploi du temps de pharaon du lendemain, finalisant les derniers raccords.

Elles arrivèrent à temps pour l'anniversaire de la mort de Djéfaï sur sa tombe. Il avait fallu monter l'escorte, pas trop nombreuse, car Akram aurait refusé et pas trop petite non plus pour ne pas risquer les attaques de bandits. Les deux femmes avaient demandé à l'escorte de rester derrière la colline.

Ce furent seules qu'elles franchirent les derniers pas. Derrière, elles le savaient, se trouvait la tombe de Djéfaï. On était en plein milieu de nulle part. Le lieu idéal pour oublier quelqu'un. Akram avait bien choisi. Aïcha et Hadjira se tenaient la main.

Lorsqu'elles arrivèrent en haut et qu'elles virent la tombe, elles n'en revinrent pas. Ce qui était dix crues auparavant une simple plaque de marbre était aujourd'hui un splendide mausolée. Un temple, petit certes, mais suffisamment grand pour qu'on puisse tout de même entrer dedans. Les deux femmes s'approchèrent, goûtant la splendeur des sculptures sur les murs, la brillance des peintures, l'harmonie des mosaïques du sol. Elles entrèrent, absorbées par la magnificence du plafond.

L'intérieur leur coupa encore plus le souffle. On ne pouvait avancer que sur un tout petit chemin car tout le reste du temple était encombré d'objets en tout genre : des bijoux en ivoire, en bois, en argent, en bronze, en cuivre, en or et même en pierres précieuses. Une barque en ébène semblait flotter.

Des parchemins représentant des scènes de la vie de tous les jours étaient visibles. D'autres avaient été roulés et protégés dans des tubes de bois. Des statuettes avaient été posées dans un désordre apparent. Aïcha et Hadjira en eurent les larmes aux yeux.

Djéfaï avait finalement eu la sépulture qu'il méritait. Grâce à tous ces attributs, son âme poursuivrait sa route sereinement dans l'autre monde. Les dieux étaient honorés.

Au centre du mausolée se tenait, sur le sol, la plaque de marbre où le nom de Djéfaï était gravé à jamais. Les deux femmes restèrent un long moment en silence dans le mausolée.

Finalement, Aïcha souffla d'une voix douce :

- Par quel miracle ?

- Il n'y a pas de miracle, dit quelqu'un dans le dos des femmes.

Aïcha et Hadjira se tournèrent pour constater qu'un homme se tenait derrière elles. À ses vêtements, il s'agissait d'un simple paysan.

- Qui a fait cela ? demanda Hadjira en désignant le bâtiment et son contenu.

- Le peuple, répondit l'homme.

- Pourquoi ? interrogea Aïcha qui ne comprenait pas.

- Parce que notre pharaon bien-aimé était un dieu et il mérite d'être traité en tant que tel.

- Notre pharaon actuel a interdit qu'on donne à Djéfaï la moindre sépulture. Vous bravez l'interdit ! Vous risquez votre vie !

- Nous le faisons avec bonheur, répondit l'homme.

- Cela a dû vous demander des heures de travail et une très importante somme d'argent. Tous les éléments de la nature sont réunis ! Comment avez-vous fait ?

- Nous ne l'avons pas volé, si vous pensez à cela, répondit le paysan. Nous nous sommes réunis. Nous avons utilisé toutes nos ressources. Cependant, reine bien-aimée, tout n'y est pas. Nous n'avons pas pu obtenir de la soie pure.

Hadjira regarda sa ceinture que désignait le paysan de sa main. Elle la défit et la posa parmi les offrandes. Aïcha, de son côté, détacha sa ceinture et la posa, avec la dague de cuivre qui y était attachée, sur le sol. Le paysan s'inclina avant de sortir. Les deux femmes le suivirent peu après. Il n'y avait plus personne. Aïcha et Hadjira sourirent avant de rejoindre leur escorte et de retourner à Ouel Djavir.

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