Chapitre 21 : Hans

Par Zoju
Notes de l’auteur : Pour ce chapitre, je vous conseillerai The Dreams That Stuff Is Made Of du film The Theory of Everything. A première vue, cette musique parait assez gaie, mais je trouve qu'elle va bien avec ce chapitre. J'ai hésité avec la musique Maria Altman du film Woman in gold, mais je la trouve plus triste. Bonne lecture :-)

Je me sens nauséeux. Elena, sur le même ton neutre et détaché que d’habitude, vient de m’apprendre un des secrets les mieux gardés de notre base. Je tente de réprimer tant bien que mal un haut-le-cœur. Depuis 6 ans, voire peut-être plus, on mène ces expériences dans la plus grande confidentialité. Je pense à Anna. Elle doit être morte à l’heure qu’il est. Comment expliquer son silence sinon ? Cela voudrait dire que tout ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui n’a servi à rien. Nikolaï avait raison depuis le début. Une rage sourde monte en moi. Elle a souffert le martyre avant de se faire assassiner. Je jette un coup d’œil à Elena. Je suis peut-être assis à côté de son meurtrier. Des larmes de tristesse et de colère se mettent à couler sur mes joues. Elena remarque mon état.

- Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Tu as sans doute tué quelqu’un qui m’est cher.

Je regrette ce ton un peu trop brusque qui sort. Ma collègue ne semble pas le relever et se contente de me demander :

- C’est cet ami dont tu m’avais parlé ?

- En fait, c’est ma sœur, avoué-je dans un souffle.

À ce moment-là, le regard d’Elena fuit le mien et je remarque les tremblements de ses mains qu’elle tente de contenir en se tordant les doigts. Je m’attends à ce qu’elle s’exprime, mais rien ne sort. Le silence s’éternise, plus malaisant qu’autre chose, entrecoupé de temps à autre par un sanglot qui m’échappe. Alors que je suis au plus mal, ma collègue pose prudemment sa paume sur mon dos et commence à le frotter en faisant des ronds. Les minutes s’écoulent, puis d’une voix calme, elle me dit :

- Lorsque j’étais petite et que quelque chose me faisait de la peine, ma mère d’adoption effectuait ce geste de réconfort pour apaiser mes pleurs. Je ne tiens pas à m’excuser. Je ne la connais pas et cela ne serait qu’hypocrisie. De plus, j’ignore si je l’ai tuée. Tu peux me détester, mais cela ne fait rien. Je savais les risques de cette déclaration. Je te demanderai seulement de maintenir ta promesse et de ne rien dire aux autres soldats.

Je me frotte les yeux, mais cela n’endigue en rien le flot de larmes qui continue à se déverser sur ma peau.

- Comment pourrais-je t’en vouloir ? dis-je d’une voix étouffée. Tu n’es pas responsable de ce qui t’arrive. La seule personne qui doit regretter, c’est moi. J’ai voulu savoir…

Ma gorge se serre et je dois patienter un moment avant de pouvoir à nouveau aligner deux mots.

- J’ai voulu savoir, répété-je. J’ai eu ce que je réclamais. C’est juste que je me sens tellement perdu. Cela fait des années que je la cherche.

La main d’Elena se contracte sur ma veste avant de reprendre son mouvement qui, je dois l’avouer, m’apaise quelque peu. Ma collègue m’invite d’une voix douce que je ne lui connais pas, mais que j’apprécie :

- Parle-moi d’elle.

Comme Elena l’avait fait avec moi, je lui relate tout, que ce soit les bons ou les mauvais moments. Cela me réconforte plus que je ne l’aurais imaginé. Je me remémore le jour de Noël où Anna m’avait réveillé avec de la neige dans le cou. Je me souviens de son sourire bienveillant lorsque je lui racontais ma journée ou encore les matinées d’hiver où l’on se serrait les uns contre les autres pour se réchauffer. Enfin, je me rappelle son regard et son geste d’adieux, avant son départ pour la base militaire. Ces yeux qui me fixaient avec espoir pour un meilleur avenir. Tout cela est gravé dans mon cœur. Mes larmes redoublent et je répète inlassablement le prénom de ma sœur. À partir d’aujourd’hui, je dois faire mon deuil, mais il me reste une chose à accomplir pour ne plus avoir de remords et cette chose est de mettre fin à ce « Projet 66 » comme le nomme Elena. Pour y arriver, je me débrouillerai seul. Nikolaï ne doit rien savoir. C’est peut-être égoïste, mais je veux le protéger. Je comprends maintenant le sentiment d’Elena vis-à-vis de Luna. Voyant que je me suis calmé, la jeune femme retire doucement sa main et me sourit.

- Cela devait être une personne fantastique.

- Elle l’était.

- Tu vas le dire à ton frère ?

- Je préfère éviter, en tout cas pour le moment. Il n’en a pas l’air, mais Nikolaï est quelqu’un d’assez incontrôlable.

- On n’en a pas l’impression. Je suis désolé de ce qui est arrivé à ta famille. Sincèrement.

- Tu n’y es pour rien. Et puis si tu l’as effectivement tuée, je devrais plutôt te remercier.

- Et pourquoi ?

- Tu as mis fin à ses souffrances.

- À t’entendre, on dirait que je suis devenue la sauveuse.

Je souris tristement.

- Je n’irais pas jusque-là.

Mon interlocutrice se rembrunit.

- De toute façon, ce qui est fait est fait.

Elena regarde sa main, songeuse. Sa blessure est toujours là, mais cela n’a plus l’air de lui poser un problème. On va devoir reprendre l’entrainement. Ma collègue semble avoir lu dans mes pensées lorsqu’elle me déclare :

- Tu sais, je comprendrais que tu ne souhaites plus me côtoyer. Après tout ce que j’ai fait, je ne mérite pas… 

- Je t’arrête tout de suite. Tu n’es pas celle qui a imaginé ce programme. Tu n’en es qu’un maillon. Peu importe l’avis des autres, je ne te laisserai pas tomber.

- Tu ne m’as jamais appréciée. Pourquoi vouloir maintenant me soutenir ? Après ce que je viens de te raconter, tu devrais plutôt me fuir.

- Écoute, je ne sais pas si tu me crois, mais j’aimerais vraiment t’aider.

Ma collègue soupire.

- Tu risques de le regretter.

- Et alors, c’est mon choix.     

- Je le répète, mais fais attention. Me côtoyer est loin d’être sans danger.

- Tu parles de ton caractère.

Elle me regarde amusée avant que son expression s’assombrisse à nouveau.

- Entre autres, mais une personne l’est beaucoup plus.

- C’est… 

- Pas de nom. En te révélant la vérité, je les ai trahis. Désormais, il faudra se montrer particulièrement prudent.  

En disant ces mots, elle lorgne l’entrée de la salle, néanmoins constatant que rien ne bouge, elle reporte son attention sur moi. Je me tais. Toutefois, je trouve que c’est un peu tard pour prendre autant de précautions, mais elle a raison, mieux vaut s’arrêter là. Elena descend les gradins. Je la suis. Lorsque nous sommes en bas. Elle met ses mains derrière le dos et se balance d’un pied à l’autre.

- Donc si j’ai bien compris, cela ne te dérange pas que nous maintenions nos entrainements ensemble ? demande-t-elle prudemment.

- J’ai promis au maréchal de t’apprendre à tirer. De plus, je veux lui prouver que je sais enseigner.

- Ah, me répond-elle.

J’ai comme l’impression qu’elle semble déçue par ma justification. Je continue quelque peu gêné :

- Et puis ta compagnie n’est pas aussi désagréable que je le croyais.

Je me tourne vers ma collègue. Elle enroule pensivement une mèche de cheveux qui dépasse de son chignon autour de son doigt.

- Tant mieux alors, dit-elle d’une petite voix.

Elle avale sa salive et reprend avec un peu plus d’assurance :

- Donc, à demain, prof. 

- Demain 6 h 30 sans faute.

- J’y serai.

Elena s’apprête à s’éloigner, mais avant qu’elle ne file, je lui attrape le bras. Je m’empresse de la relâcher en bafouillant une excuse lorsque je me rappelle sa réaction lors de notre première séance. Ma collègue me fixe sans comprendre dans l’attente de la suite. Depuis qu’elle m’a raconté son histoire, j’en veux à ma lâcheté d’il y a six ans quand j’ai été incapable de voir la détresse qui l’envahissait. Je refuse que cela se reproduise à nouveau.

- Si jamais, tu as quelque chose qui te tracasse, même si c’est une banalité, tu sais où me trouver. Je te promets que je t’écouterai, lui dis-je.

- Ce n’est pas la peine, affirme-t-elle, un sourire quelque peu maladroit.

- Ne garde plus ce genre de poids sur tes épaules. N’oublie pas que tu n’es pas seule. Tu peux me faire confiance.

- J’essayerai, mais je ne te garantis rien.

- Cela me suffit pour le moment.

De nouveau, le silence s’installe entre nous, avant qu’Elena m’avoue :  

- Tu sais, Hans, je t’en ai voulu de m’avoir forcé la main. J’ignore combien de fois je t’ai maudit pour ça.

Elle se mord la lèvre inférieure puis reprend :

- Mais finalement, c’est toi qui avais raison. Ce secret est bien trop lourd à porter seul. Tu viens de m’alléger d’un poids. Rien que pour ça, je te dis merci.

Un vrai sourire se dessine sur ses lèvres. Cela me déstabilise et une bouffée de chaleur me monte subitement au visage. Je lui découvre une nouvelle expression qui dénote avec sa froideur et sévérité habituelle. Pour la première fois, je pourrais presque dire que je la trouve… belle. Ce n’est pas la personne rebelle que j’ai rencontrée lorsque je suis arrivé à la base, mais elle s’en rapproche. Du moins, c’est ce que j’espère.     

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Prudence
Posté le 12/12/2020
Coucou, Zoju ! Me revoilà !
Tout d'abord, je trouve que les révélations d'Elena sont très surprenantes, mais aussi un très bon point. Les seuls bémols que je soulignerais, c'est les sentiments des personnages, de Hans et d'Elena qui ne sont pas assez développés, je trouve. C'est toujours très subjectif, mais j'ai trouvé qu'il manquait une cohérence dans les réactions de Hans. Il a appris que sa soeur a sans doute été tuée par Elena, une personne qu'il commence tout juste à beaucoup apprécier. Je pense qu'il aurait été dévasté, et qu'il n'aurait plus jamais vu Elena du même regard, et qu'il aurait cherché à en savoir plus. Peut-être se serait-il complètement désintéressé d'Elena pour le savoir qu'elle détenait, il aurait ressenti de la culpabilité, de la haine, de la tristesse, du désarroi... Bref, je pense qu'il y a de quoi faire XD
Pour Elena, je trouve que c'est bien plus cohérent, mais je pense que tu aurais pu développer à fond son côté brisé, sa souffrance et l'arrivée de Hans comme un petit espoir de se sortir des abîmes qui font de sa vie un enfer.

Voilà, voilà, pour ce qui est du gros. MAIS ! Du reste, j'ai trouvé que ton style devenait plus sûr, tes descriptions m'embarquent et l'intrigue, franchement, on veut la suivre et on veut tourner les pages !
J'espère que mon commentaire n'est pas trop brutal... Ce n'est que mon avis, et je continuerai de lire la suite avec plaisir ^^
Zoju
Posté le 12/12/2020
Salut Prudence ! Contente de te retrouver par ici. Honnêtement, ne te sens surtout pas gêné d'être franche avec moi. Ton message est très intéressant et tu fais tes remarques de manière constructive et bienveillante. Ta franchise me fait très plaisir ! J'ai entamé hier une nouvelle correction de mon histoire. Je vais réfléchir à la réaction d'Hans et Elena dans ce chapitre. Je dois t'avouer que dans la première version de ce chapitre, Hans avait une réaction beaucoup plus violente envers Elena mais j'avais beau relire ce passage que j'avais écrit, je n'arrivais pas à l'apprécier. Je vais sans doute un peu accentuer les sentiments, mais ce que je souhaite avant tout montrer dans ce chapitre, c'est la confiance qui commence à émerger, malgré les révélations qu'Elena a fait à Hans. Je vais réfléchir à tout ça.

En tout cas, cela fait plaisir à lire que l'histoire te plaise et que je te donne envie de lire la suite ! Merci !
annececile
Posté le 29/04/2020
La musique va bien avec le chapitre, vivante c'est vrai, mais qui evoque nostalgie et souvenirs heureux, un peu de tristesse aussi. Que ces deux personnages, si hargneux l'un avec l'autre, decouvrent ensemble que partager, parler de ce qui vous pese, apporte un soulagement est une belle facon de les faire evoluer. Bien sur, je ne peux m'empecher de me demander si le pere d'Elena ne cherche pas justement a les rapprocher, en faisant ainsi en sorte qu'ils soient si souvent ensemble, que ce soit pour une experience, ou pour ecarter Tellin qui a pu se vanter de son intimite avec Elena avec d'autres... Je me demande aussi comment Hans peut etre persuade que sa soeur ait disparu a la suite de ces experiences? Puisqu'il y a la guerre avec ces rebelles mysterieux, elle a pu ne pas revenir d'une bataille?
Zoju
Posté le 29/04/2020
Merci pour ce commentaire 😁Pour répondre à tes questions. Je commence par la sœur d’Hans (Anna) je ne l’ai peut-être pas bien présenté, mais Anna est arrivée à la base de la même manière qu’Isis. Ce n’est pas un soldat contrairement à ses deux frères qui eux ont pris un autre chemin pour venir dans cette base. Après c’es’y ce que pense Hans, ne l’ayant trouvé nulle part ailleurs et n’ayant jamais été dans la section médicale, il a émis ses propres hypothèses. En ce qui concerne l’entraînement au tir, Hans est le meilleur en tir et c’est sans doute pour ça qu’il a été désigné par le maréchal. Les divers relations entre les personnages vont être évoqués dans les prochains chapitres ;-) En tout cas encore un tout grand merci de continuer à me lire. Cela me fait très plaisir 😁
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