Chapitre 22 : Faux départ

Kaïna revint frapper à sa porte et cette fois, Valiente fut bien décidé à dormir avec elle. Il avait besoin de tendresse, d’une présence amicale, sans hypocrisie, sans mensonge, véritable.

Kaïna enlaça son frère, lui offrant un long câlin qui mit Valiente à terre. Sur l’épaule de sa sœur, il fondit en larmes. Elle ne dit rien, acceptant l’expression de sa peine, de sa détresse, de ses incertitudes, de ses angoisses.

Une bouffée de gratitude envahit le prince qui ne put empêcher la culpabilité de lui ronger les entrailles. Kaïna lui montrait un soutien infaillible et il n’avait rien à lui offrir en retour.

- Et si on dormait ? Tu as une tête à faire peur ! proposa Kaïna.

- On ne peut pas les laisser continuer à assassiner des mages en toute impunité !

Kaïna ne répondit rien. Elle se glissa dans le lit et Valiente l’y suivit.

- Je ne veux pas que Valdoria soit synonyme de meurtriers, pensa Valiente qui tremblait de partout.

Kaïna se blottit contre son épaule, l’enlaçant tendrement. Sa proximité ralentit les tremblements, calmant le jeune prince.

- Tu veux que je te chante quelque chose ? proposa Kaïna.

- Volontiers, répondit Valiente.

Kaïna fredonna un air doux à son oreille et le prince sombra. Le soleil l’éveilla, lui faisant découvrir un lit vide. Kaïna l’avait laissé dormir. Il bondit hors du lit en pestant.

- Tu aurais pu me réveiller ! grogna Valiente au dîner.

Ash lui avait assigné double tâche pour rattraper le manque du matin, ne lui laissant aucun temps libre avant le repas du soir.

- Tu as besoin de sommeil, répliqua Kaïna. Si tu voyais ta tête, tu dirais la même chose.

- Le roi m’a pourri.

- Il devrait se rendre compte que tu manques de sommeil.

- Il ne veut que mon bien, grogna Valiente qui n’aimait pas que quiconque ose insinuer du mal sur le roi.

- Je n’ai pas dis le contraire.

Valiente se détendit. Il avait trop tendance à voir des ennemis partout.

- Je ne peux pas prendre le trône dans ces conditions. Je ne veux pas gouverner un tas d’assassins. Je veux que Valdoria rentre dans le rang. Je veux faire la fierté de mes ancêtres.

- Tu comptes faire ça comment ?

- Je vais mettre l’empereur face à ses responsabilités. « Je jure de protéger les plus vulnérables et de garantir la sécurité de tous, en maintenant l'ordre et en prévenant les conflits. »

Kaïna fronça les sourcils à cet extrait du serment de l’empereur.

- Est-ce qu’il protège les mages ? gronda Valiente.

- Ta famille s’opposera, le prévint Kaïna.

- Qu’ils essayent ! siffla Valiente d’un ton menaçant.

Kaïna frémit. Elle n’ignorait pas les possibilités que le don de son frère impliquaient. Les membres de la famille royale avaient peur du prince et Kaïna approuvait. Elle avait déjà subi ses colères mentales et regrettait souvent de lui avoir ouvert la porte.

- L’empereur risque de ne pas apprécier que tu l’accuses de ne pas respecter son serment.

- Je ne peux pas rester sans rien faire, insista Valiente.

- Je ne te dis pas de ne pas le faire, précisa Kaïna. J’ai peur pour toi.

Valiente lui jeta un regard à la dérobée avant de redonner son attention à son assiette.

- Viens avec moi, proposa Valiente. Ta présence me sera d’un secours incommensurable.

Kaïna s’étrangla. Elle toussa sans que personne ne lui vienne en aide. Valiente s’angoissa mais finalement, la jeune femme reprit sa respiration.

- Moi ? Aller à Sylvaris ? s’exclama-t-elle une fois ses esprits en place.

- Ensemble, on est plus fort, rappela Valiente. S’il te plaît !

- On part quand ? demanda Kaïna.

- Ce soir, annonça Valiente, plus décidé que jamais.

- Tu comptes prévenir le roi ?

- Non. Il m’en empêcherait. Il connaît les agissements de notre famille et ferme les yeux. C’est un lâche.

Valiente sentit sa gorge se serrer tandis qu'il parlait, chaque mot chargé d'une détermination brûlante mais teintée d'une peur sourde. Kaïna hésita, pesant ses mots avec soin.

- Tu sais que je te soutiens, mais... as-tu pensé aux conséquences ?

Sa voix était douce mais empreinte d'une inquiétude palpable.

- Je refuse que son règne soit terni de cette façon. C’est pour lui que je fais ça. Il m’a dit ne pas avoir les moyens pour s’opposer. Je vais les lui offrir et enfin, il pourra régner vraiment.

Il se souvint des paroles d'Anne : « Un bon roi ne se contente pas de régner, il change le monde. » Ces mots résonnaient comme un appel à l'action. Kaïna sourit.

- Tu feras un grand roi, lança-t-elle.

La lune les éclairait tandis qu’ils parcouraient les jardins entretenus du domaine en direction du nord. Ils ne risquaient pas de tomber sur des gardes. Les glyphes magiques se chargeaient de protéger les lieux, permettant aux résidents de vivre sereinement.

- Ça va être long, à pieds, prévint Kaïna.

- Je m’en fiche, répliqua Valiente. Ça me laissera le temps d’y réfléchir. Et puis, ça t’offrira la possibilité de faire des rencontres.

- Tu vas me lâcher la grappe avec ça ! s’exclama Kaïna dont les joues avaient rosi.

Valiente ouvrit la bouche pour répondre mais le tonnerre retentissant malgré un ciel sans nuage les fit sursauter. Ash apparut devant le couple de jeunes médusés.

- Recule, Kaïna, ordonna Ash.

- Je me rends à Sylvaris pour parler à l’empereur et tu ne peux pas m’en empêcher ! gronda Valiente, prêt à en découdre.

- Maintenant, Kaïna ! gronda Ash alors que des éclairs apparaissaient entre ses doigts.

La menace fit bondir Kaïna qui se plaça aux côtés du roi.

- Kaïna n’a pas le droit de quitter le domaine, indiqua Ash. Ordre de l’empereur.

La jeune femme baissa les yeux et sa mâchoire se mit à trembler. Nul doute qu’elle réfrénait ses larmes. Kaïna obéirait, consciente que quitter le domaine pourrait entraîner des répercussions désastreuses non seulement pour elle, mais aussi pour toute leur famille.

- Quel hypocrite ! siffla Valiente. Cet ordre-là, tu choisis d’y obéir mais pas d’autres.

Ash hésita un instant avant de répondre, ses yeux trahissant une inquiétude profonde.

- Tu n’imagines pas les conséquences si l’empereur se rend compte que Kaïna a quitté le domaine royal Valdorien, assura Ash. Elle n’ira nulle part. Ça serait trop grave.

Ash avait blêmi et sa voix tremblait. Il puait la terreur à plein nez. Valiente ne l’avait jamais vu ainsi. Il comprit que cette bataille était perdue. Il allait devoir se rendre seul à Sylvaris. Kaïna tapota sa tempe. Valiente activa sa rune.

- Je resterai avec toi, en pensées… promit Kaïna.

- Qui te protégera d’eux ?

Inutile de préciser à qui Valiente faisait référence.

- Majesté ? Me permets-tu de dormir dans la salle de musique ? interrogea Kaïna en levant les yeux sur le roi.

Ash observa la jeune femme. Il soupira et ce simple souffle trahit une peine incommensurable.

- Si tu veux, Kaïna.

- Si tu dors là-bas, je ne pourrai pas te joindre, fit remarquer Valiente.

- Je sortirai chaque soir au crépuscule, indiqua Kaïna.

- Je ne raterai ce créneau pour rien au monde. Je t’aime, ma sœur.

- Je t’aime, Val. Prends soin de toi.

Le prince hocha la tête. Kaïna s’éloigna vers les bâtiments. Le roi l’observa disparaître au milieu des arbres. Valiente sentit son cœur battre à tout rompre tandis qu'il faisait face à son père. La colère et la frustration bouillonnaient en lui, prêtes à éclater.

- Je vais voir l’empereur, annonça Valiente.

- Fais, répondit Ash d’un ton absent.

La lune projetait une lumière argentée sur les haies parfaitement taillées, créant un jeu d'ombres dansantes autour d'eux. Le parfum doux des fleurs nocturnes emplissait l'air, ajoutant une touche presque irréelle à cet échange tendu. Le roi fixa encore un long moment les arbres avant de se tourner vers son fils.

- Son accueil ne sera pas agréable.

- Je défendrai mon point de vue, avec véhémence s’il le faut, assura Valiente.

- Puisse ta mission être couronnée de succès, souffla Ash avant d’emprunter le chemin suivi par Kaïna quelques instants plus tôt.

Valiente serra les poings, se retenant de gifler le roi. Aucun encouragement amical. Pas d’empoignade ni de mains serrées. Une simple phrase froide préformatée. Le prince en eut les larmes aux yeux. Ash apprenait que son fils quittait le nid, s’envolait vers l’empereur et il ne lui transmettait aucun conseil. Valiente se sentit mal. Les larmes aux yeux, il reprit la route vers Sylvaris, seul, la gorge nouée.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez