Chapitre 22 : Chantage, vengeance et affrontement final.

[ 1 ]

Kouji avait passé en revue plus d'une heure de bande vidéo. Il réprima un bâillement alors que la vidéo tournait au ralenti, pour être sûr de ne rien manquer. Il avait utilisé un logiciel de retouche vidéo pour zoomer sur Hye-ji qui se trouvait en arrière-plan. Ce n'était pas très net, mais à un moment, on la voyait sortir une boîte de son sac, tapoter sur l'écran de son téléphone, puis se pencher sous la table. Quelques secondes après, elle s'était redressée en hurlant aux cafards. C'était évident que c'était elle qui avait lâché ces bestioles dans le restaurant. Ce qui laissait penser que le cheveu trouvé dans son plat et son intoxication alimentaire étaient aussi de son fait.

Min-jun et Yerin lui avaient rendu visite à l'hôpital. Ils lui avaient montré la vidéo incriminante et lui avaient demandé de s'expliquer. Hye-ji était devenue blanche comme un linge. Elle avait vraiment l'air malade. On aurait dit qu'elle allait se remettre à vomir.

— Je... je... je ne sais pas de quoi vous parlez ! Ça ne prouve rien ! J'ai amené ce tupperware pour ramener les restes chez moi et je me suis penchée sous la table parce que j'avais fait tomber un truc. C'est là que j'ai vu ces cafards dégoûtants sortir de derrière le mur.

— Arrête de mentir ! gronda Yerin avec colère. Il n'y a jamais eu de cafards dans ce restaurant. C'est toi qui les a apportés et qui les a lâchés dans la salle.

Hye-ji pinça les lèvres en détournant le regard. Elle fixait la fenêtre et refusait obstinément de parler.

— On sait que c'était pas ton idée, dit alors Min-jun sur un ton calme mais ferme. Si tu nous balance les noms de ceux qui t'ont demandé de faire ça, on te laissera tranquille.

Une lueur d'effroi passa dans le regard de Hye-ji. Elle tourna vivement la tête vers Min-jun.

— Personne ne m'a demandé de faire quoi que ce soit ! répliqua-t-elle avec affolement. C'était mon idée ! J'ai fait ça toute seule !

— Donc tu admets que c'était toi ? fit Yerin en lui lançant un regard appuyé.

— Et alors ? Vous avez d'autres preuves à part ça ? J'admets que les cafards c'était moi, mais vous croyez vraiment que je me suis empoisonnée toute seule juste ?

Min-jun se pencha vers Yerin pour lui glisser quelques mots à l'oreille.

— Elle ne va rien nous dire de plus, murmura-t-il en jetant un regard furtif en direction de Hye-ji. On devrait y aller.

Son amie acquiesça. Elle se tourna vers sa grande rivale. Elle avait de la peine pour elle.

— Si tu ne veux rien nous dire, on ne peut pas t'aider, fit-elle en poussant un soupir attristé. Tant pis. On trouvera un autre moyen de découvrir la vérité.

Les deux camarades avaient laissé la jeune fille seule avec ses pensées sombres. Hye-ji serra les dents en réprimant ses larmes. Elle n'aurait jamais dû rencontrer Noh Su-ji. Elle n'aurait jamais dû accepter son offre. C'était à cause d'elle qu'elle s'était retrouvée dans cette situation. Elle et Kwon Hyeon-seok. Ses aînés l'avaient piégée. Ils l'avaient invitée pour passer la soirée avec eux à la salle de karaoké. Ils l'avaient forcée à boire et ils avaient versé un truc bizarre dans son verre.

Ils avaient profité de sa vulnérabilité pour prendre des photos de son corps à moitié dénudé. Sur une des photos, Kwon Hyeon-seok avait même glissé une main dans son soutien gorge. Il avait flouté son visage, mais pas celui de Hye-ji. Le pire, c'est qu'ils avaient pris ces photos avec son propre portable avant de les transférer sur leur téléphone. Ils la faisaient chanter pour qu'elle fasse le sale boulot à leur place.

Elle avait fait tout ce qu'on exigeait d'elle. Noh Su-ji lui avait même fait ingérer du poulet avarié. Elle lui avait dit d'attendre les premiers symptômes de la gastro, puis de se rendre au restaurant et se goinfrer de poulet jusqu'à s'en rendre malade. En échange, elle lui avait promis de supprimer les photos et de lui verser une belle somme pour la dédommager.

Il lui restait une dernière mission avant d'être libérée de son calvaire. Elle devait attirer Yerin et Min-ji jusqu'au repaire du gang des perles. Sa camarade et rivale était déjà en train de fourrer son nez dans cette affaire. Ce serait facile de lui tendre un piège. Trop facile.

[ 2 ]

Hye-ji avait contacté Yerin via son compte Instagram. "Si tu veux que je te dise la vérité, viens me voir avec Min-ji. Je vous dirai tout. J'ai même des preuves. Venez seules ou je ne vous dirai rien." Elle lui avait donné rendez-vous au noraebang près de l'école. Samedi à 18h. Salle 21. Hye-ji croisait les doigts pour que les deux filles mordent à l'hameçon. Si elles ne venaient pas, elle était foutue.

Yerin avait retenu la leçon après sa mésaventure avec le Dr Ahn. Elle avait montré le message à Jong-goo et Min-jun. C'était leur chance de découvrir qui se cachait derrière tout ça.

— Moi aussi j'ai reçu un message, dit Jong-goo en sortant un papier de sa poche. J'ai trouvé ça dans mon casier. Kwon Hyeon-seok m'a défié en combat singulier. Il veut que je le retrouve au parc, derrière l'école. Samedi à 18h. Mais ça sent le piège. Il m'a aussi demandé de venir seul.

— Qu'est-ce qu'on fait alors ? demanda Min-jun.

— Je m'inquiète pour Hye-ji, fit Yerin qui avait trop de compassion pour son propre bien. Je crois que quelqu'un la menace. Elle avait vraiment l'air effrayée à l'hôpital quand on lui a demandé qui était derrière tout ça. Si on n'y va pas, elle pourrait avoir des ennuis.

— Yerin, mon adorable et bien trop gentille Yerin, fit Jong-goo sur le ton de la moquerie en lui jetant un regard empreint de pitié face à l'altruisme naïf de son amie. Tu ne peux pas aider tout le monde, et il y a des gens qui ne méritent pas qu'on les aide. Hye-ji s'est mise dans la merde toute seule. Je ne vais pas te laisser prendre un tel risque pour elle.

— Je sais... mais je me sens quand même mal pour elle. C'est à cause de ses mauvaises fréquentations, elle a été influencée par les membres du gang des perles, mais même si c'est une peste, elle n'aurait jamais fait un truc aussi grave par pure méchanceté. Elle a mis sa propre santé en danger. Elle n'aurait jamais eu le courage de faire ça toute seule.

— Dans ce cas, Min-jun et moi on va y aller. On va aller au noraebang et on va péter la gueule à tous les connards qui se trouvent là-bas. Je peux poser un lapin à Kwon, ce n'est pas un problème. Y a peu de chances qu'il soit vraiment là-bas de toute façon. Toi et Min-ji, vous allez rester à la maison.

[ 3 ]

C'était un piège dans un piège dans un piège. Kwon Hyeon-seok avait appris des erreurs de ses aînés. Il avait observé Kim Jong-goo et ses amis pendant plusieurs mois, il avait analysé leur façon de penser, de réagir et de prendre des décisions. Les deux filles étaient le maillon faible de la chaîne, mais Jong-goo et Min-jun compensaient doublement cette faiblesse. Elles se reposaient sur eux et leur faisaient entièrement confiance pour assurer leur protection et régler les problèmes les plus épineux. Qu'ils le fassent intelligemment ou par la force brute, ils trouvaient toujours une solution.

Face à de tels adversaires, il ne fallait pas s'amuser à jouer aux plus malins comme l'avaient fait Ahn Gi-eun et Cho Do-yun. Il fallait mettre sa fierté de côté, ravaler son orgueil, et frapper vite, fort et sans hésitation. Brouiller les pistes pour déstabiliser leurs ennemis, puis miser sur l'effet de surprise et l'imprévisibilité. Ils ne devaient pas les voir venir. Et avec le plan de Kwon Hyeon-seok, ils avaient créé suffisamment d'angles morts pour les prendre en traître.

Le rendez-vous avait été avancé. Le lieu avait changé. On était vendredi. Il était dix-sept heures. Assis sur les gradins du gymnase, Kwon Hyeon-seok regardait l'entraînement de gymnastique des huitièmes années. Son coach était venu échanger quelques mots avec lui.

— Alors ? T'en penses quoi ? demanda l'entraîneur en désignant d'un coup de menton les élèves, filles et garçons, qui s'entraînaient en contrebas.

— Les filles sont pas mauvaises... mais ça manque de puissance. Les mecs sont meilleurs.

— La gymnastique féminine est différente de la gymnastique masculine, fit son coach, amusé par la remarque prévisible de son élève. On leur demande d'être souples, gracieuses et élégantes. On a de bons éléments cette saison. On s'est bien classé aux sélections, je pense qu'on a une chance de remporter une médaille ou deux aux championnats régionaux.

— Sur qui vous comptez le plus ?

— Chez les garçons, toi, bien entendu. Et chez les filles... Kim Yerin ? Elle est encore jeune, mais elle est douée. C'est dommage qu'elle manque d'ambition. Elle a raté les sélections l'année dernière à cause de cette affaire avec le Dr Ahn. Elle s'est rattrapée cette année. Elle s'est classée douzième des sélections au niveau régional. Je pense qu'elle pourrait faire mieux si elle s'entraînait plus sérieusement, mais elle m'a dit qu'elle faisait juste ça pour le loisir et pour tester ses propres capacités. Remporter des médailles ne l'intéresse pas.

— Alors arrêtez de l'entraîner et virez-là de l'équipe, répliqua Hyeon-seok en esquissant une moue méprisante. Si elle ne veut pas être première, elle n'a rien à faire dans le monde de la compétition .

Son coach poussa un soupir désabusé, mais il était d'accord avec son élève. Lui et ses collègues étaient là pour repérer et former de futurs talents. Des talents capables de viser les championnats nationaux, voire les jeux olympiques, et c'était un crève-cœur de voir de jeunes gymnastes talentueux gâcher leur don de cette façon. Kwon Hyeon-seok n'était pas aussi sentimental. Kim Yerin n'était qu'une gamine immature qui ne comprenait pas les enjeux du monde réel, mais elle allait bientôt apprendre ce qu'il en coûtait de vouloir jouer dans la cour des grands.

[ 4 ]

Le gang des perles avait frappé simultanément pour séparer les quatre amis. Min-jun s'était fait alpaguer à la sortie de son cours de taekwondo par un des chefs de section et une quinzaine de ses sbires. L'affrontement était inévitable, mais ces idiots avaient commis une grave erreur : déclencher une bagarre devant un dojo. Ses camarades du taekwondo, leur maître à leur tête, les avaient tenu en respect jusqu'à l'arrivée de la police. Une partie des fauteurs de trouble avaient réussi à s'enfuir, mais Min-jun s'était assuré de capturer le chef de section pour le livrer aux autorités avec quelques-uns de ses complices les plus malchanceux.

— Qu'est-ce que tu as fait pour t'attirer tous ses ennuis ? demanda Seong Han-su, son maître de taekwondo, en s'étirant le dos alors que les voitures de patrouille embarquaient le groupe de jeunes délinquants.

— J'ai fait ce que vous m'avez appris. J'ai arrêté d'avoir peur et je suis devenu fort, mais ça ne plaît pas à tout le monde.

— Ha ha ha ! fit son maître en riant avec candeur. Comme je te comprends ! J'étais comme toi dans ma jeunesse. Je voulais juste vivre ma vie tranquille, mais y avait toujours des petits malins pour venir me chercher des noises.

De son côté, Jong-goo avait été abordé à la sortie des WC par un autre chef de section qui lui avait demandé de le suivre jusqu'au parc derrière l'école. Jong-goo jeta un coup rapide à sa montre. L'entraînement de Yerin finissait dans dix minutes. Le temps qu'elle range le matériel puis qu'elle se change, il pouvait compter vingt minutes, voire un peu plus. C'était largement suffisant pour péter les dents de tous ces rigolos et revenir juste à temps pour rentrer avec elle.

Pour Jong-goo, le gang des perles avait mis le paquet. Il l'avait coincé dans un coin isolé du parc, là où il n'y avait aucune caméra de surveillance. Deux chefs de sections à la tête d'une bonne cinquantaine de mecs l'attendaient de pied ferme. Ce n'était pas une bagarre, c'était une bataille. Une bataille un peu inégale. Jong-goo fit craquer les phalanges de ses doigts. Il ne fallait pas qu'il soit en retard.

[ 5 ]

Pendant que les garçons étaient occupés à repousser leurs assaillants, Kwon Hyeon-seok s'était personnellement chargé de Yerin et Min-ji. Il avait commencé par la jeune gymnaste. Trente minutes après l'entraînement, alors que le gymnase était en train de se vider, Hyeon-seok l'avait attirée du côté des vestiaires des garçons en utilisant une des filles de son équipe. Avant qu'elle ne réalise ce qui lui arrivait, il avait planté l'aiguille dans son cou pour lui injecter une dose bien chargée de kétamine. Il avait pris des risques en se procurant cette drogue et ça lui avait coûté cher, mais ça en valait la peine.

Yerin avait perdu connaissance en moins d'une minute. Après s'être assuré qu'elle respirait encore, il l'avait ligotée et bâillonnée, puis il avait traîné son corps inanimé jusqu'aux toilettes des garçons. Il l'avait enfermée dans une des cabines et avait demandé à deux de ses camarades de garder l'entrée des WC. Il était ensuite aller attendre Min-ji à la sortie du cours d'art et lui avait fait subir le même sort.

Deux autres de ses subordonnés étaient chargés de s'occuper du gardien de nuit. Ils avaient pour ordre de glisser des somnifères dans son café lorsqu'il prendrait son poste à dix-huit heures trente. Une demi-heure plus tard, il faisait presque nuit. L'école était déserte, à l'exception de Hyeon-seok et une partie de son gang. Une trentaine de membres en tout, dont trois chefs de section qui étaient restés avec lui, juste au cas où. Noh Su-ji et Ban Min-gyu étaient également présents, ainsi que Song Hye-ji qui n'en menait pas large.

Le chef du gang des perles avait envoyé le plus gros des troupes s'occuper de Min-jun et Jong-goo. Il n'avait sélectionné que les meilleurs combattants. Il ne savait pas s'ils arriveraient à le vaincre, mais le but était de leur faire gagner du temps. Une fois qu'ils auraient sécurisé leur assurance, ils auraient de quoi faire pression sur Payback pour qu'ils cessent leurs activités.

[ 6 ]

Il n'y avait pas de temps à perdre. Kwon n'avait même pas attendu que les filles reprennent connaissance. Qu'elle soit conscientes ou non n'avait aucune importance. C'était même mieux qu'elles soient encore dans les vapes.

— Je vais commencer par elle, dit Hyeon-seok en désignant Yerin du menton.

Il se mit à genoux près de son corps inanimé pour lui retirer son blouson et déboutonner son chemisier. Elle portait un débardeur blanc en dessous qu'il retira aussi pour révéler ses sous-vêtements. Une brassière bleu ciel à pois roses. Il ne savait même pas pourquoi elle portait un soutien-gorge, car il n'y avait pas grand chose à soutenir. C'était suffisant comme ça. Elle portait un short sous sa jupe, mais ce n'était pas un problème. Les photos avaient juste besoin d'être suffisamment suggestives pour les faire chanter.

— Song Hye-ji, c'est toi qui va prendre les photos avec ton portable, tu nous les enverras après. Après ça, on supprimera les photos qu'on a prises de toi et tu pourras retourner à ta vie.

S'ils se faisaient choper, Hye-ji porterait le chapeau. Elle serait tenue responsable de la prise des photos originales et de leur diffusion à un tiers. Kwon avait soulevé Yerin pour la faire asseoir du mieux possible. Elle commençait à revenir à elle, mais elle était encore dans le coaltar. Avant qu'elle ne reprenne totalement ses esprits, il avait pris quelques poses avec elle. Une main sur sa poitrine bourgeonnante, une autre entre ses cuisses, son visage enfoui dans son cou pour s'enivrer de son doux parfum. Tout ça, c'était du cinéma. Il se fichait de cette gamine, mais il fallait que ce soit convainquant. Noh Su-ji se prenait pour la rédactrice en chef d'un magazine érotique pendant que Su-ji prenait des clichés en esquissant une grimace de dégoût.

— Arrête de trembler comme ça ! la réprimanda Su-ji en fronçant les sourcils. C'est tout flou ! Donne-moi ça !Je vais le faire. Hyeon-seok, remonte un peu ta main entre ses cuisses. Voilà, comme ça ! C'est parfait ! Et fais-moi un beau sourire ! T'es trop sexy quand tu souris !

— Ta gueule. Dépêche-toi. Tu crois que c'est un jeu ? On n'a pas que ça à foutre. C'est bon ?

— Ouais...

Kwon lâcha Yerin qui glissa sur le sol comme une poupée de chiffon désarticulée, puis il se dirigea vers Min-ji pour un deuxième shooting des plus révoltants. Hye-ji avait envie de vomir, mais elle devait penser à elle. Ce n'était pas sa faute. C'était Kim Jong-goo qui avait provoqué le gang des perles. C'était lui le responsable.

[ 7 ]

Ces connards étaient tenaces. Ils ne voulaient pas admettre la défaite et s'agrippaient à sa jambe comme des zombies un peu trop zélés. Jong-goo dégagea son pied d'un coup sec. Il avait perdu le fil du temps. Le parc était plongé dans une lueur crépusculaire. Il jeta un coup d'œil à sa montre. Il était déjà dix-neuf heures.

— Merde. Yerin doit m'attendre.

Un des chefs de section lâcha un rire guttural qui se mua en un gargarisme sanglant. Il recracha un bout de dent avant de se retourner sur le dos. Il poussa un râle d'agonie, mais un sourire provocateur éclairait son visage tuméfié.

— Notre boulot c'était juste de te retenir ici le plus longtemps. Vu l'heure, le chef doit avoir fini ce qu'il avait à faire avec tes petites copines.

Jong-goo tourna la tête vers l'école dont la silhouette sombre se découpait contre le ciel rougeâtre. Il avait couru jusqu'à l'entrée principale, mais la grille était fermée. Le gardien de nuit était dans sa loge, avachi sur son bureau. Il dormait profondément. Il était un peu tôt pour piquer un somme. Jong-goo avait escaladé le portail pour passer de l'autre côté. Tant pis pour les caméras de sécurité qui surveillaient l'entrée, il s'en soucierait plus tard. Il s'était rendu directement là où il avait vu Yerin pour la dernière fois. Le gymnase. Au même moment, il avait reçu un appel de Min-jun.

— Y a des mecs du gang des perles qui sont venus me cueillir à la sortie du taekwondo. J'ai fait venir la police, ils ont embarqué le chef de section et quelques autres mecs de son groupe. Je suis au commissariat pour faire une déposition.

— On s'est fait avoir, répliqua Jong-goo en contenant sa colère tant bien que mal. Ces enfoirés ont kidnappé Yerin. Je crois qu'ils ont Min-ji aussi. Tout ça, c'était qu'une grosse diversion.

— Quoi ?! T'es où ?

— À l'école. Ils sont forcément encore là. Ils n'auraient pas pu faire sortir les filles de là sans se faire repérer. Ces connards ont même drogué le gardien de nuit.

— J'arrive !

— Non, c'est pas la peine. Je m'en occupe. Puisque t'es au commissariat, dis-leur d'envoyer une patrouille. Et vite. Avant que je tue quelqu'un et que je retourne en tôle.

[ 8 ]

Kwon Hyeon-seok et ses complices étaient en train de remballer quand Jong-goo avait fait irruption dans le gymnase. Il luttait contre ses pulsions meurtrières et se faisait violence pour rester concentrer sur le plus important : assurer la sécurité de Yerin et Min-ji. Casser des gueules, c'était facile, mais il devait d'abord penser à elles et aux répercussions que cela aurait. Il fallait qu'il sécurise les preuves de leurs méfaits avant de leur péter les dents.

Jong-goo aussi savait prendre des photos avec son téléphone et filmer des scènes de crime. Il ne s'était pas fait prier. Il avait photographié tous ceux qui se trouvaient dans le gymnase ce soir-là en les aveuglant avec son flash, puis il avait lancé l'enregistreur vocal sur son téléphone. Juste au cas où ses ennemis auraient une confession à faire.

— T'es pas armé, nota Kwon Hyeon-seok en le jaugeant du regard, les mains dans les poches. Et t'as pas l'air trop amoché non plus... J'aurais dû t'envoyer plus de gars.

Dans le dos du chef de gang, Jong-goo aperçut ses deux amies allongées par terre, leur corps à moitié dénudé. Kwon Hyeon-seok ne s'était pas donné la peine de les rhabiller, ni même de couvrir leur corps avec un blouson.

— Qu'est-ce que tu leur as fait ? demanda Jong-goo, l'air sombre.

— Oh, ça ? fit le lycéen en jetant un regard indifférent en direction de ses deux victimes. Rien de bien méchant. Je ne suis pas comme ce pervers de Ahn Gi-eun. Je ne prends aucun plaisir à faire ce genre de choses, mais parfois, il faut savoir se salir les mains. C'est ça, la vie. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même. Tu n'aurais pas dû interférer avec nos affaires. Fallait pas toucher au gang des perles. Tu m'as attaqué le premier donc c'est normal que je te rende la pareille, non ? On a pris quelques photos, en guise d'assurance. Si tu arrêtes tes conneries et que tu mets fin à Payback, je les garderai pour moi. Sinon, elles seront publiées en ligne. Noh Su-ji et Ban Min-gyu viennent de rentrer à la fac. Ils diffuseront les photos auprès de tous les étudiants. Tu veux que tes deux copines deviennent les filles les plus populaires du campus avant même d'avoir terminé le collège ?

— Tu parles trop. Tu dis que tu n'es pas comme Ahn Gi-eun, mais tu es exactement comme lui. Vous adorez vous écouter parler et vous racontez que des conneries. Pourquoi tu me révèles tous tes plans ? Tu crois que tu peux me faire chanter avec ça ? J'admets juste une chose. C'est de ma faute. Moi aussi, j'ai été trop arrogant. Je n'aurais pas dû essayer de me servir de vous. J'aurai dû vous anéantir dès le début. Tant pis pour mon business plan. Vous êtes trop casse-couilles à gérer.

— C'est ta chance. Si tu nous bats, ce sera la fin du gang des perles et tu pourras récupérer les photos.

— Parfait ! C'est ce que je comptais faire de toute façon !

— Tu crois en être capable ? Je ne suis pas tout seul et les mecs qui sont avec moi sont plus forts que ceux que tu as affrontés tout à l'heure.

Jong-goo comptait sur Min-jun pour envoyer les flics le plus rapidement possible. En attendant, il devait mettre la main sur ces photos. Kwon Hyeon-seok était resté en retrait avec Ban Min-gyu et les trois chefs de section, pendant que les petites frappes se jetaient sur lui. Pas d'armes. Une vraie baston d'écoliers. Un jeu d'enfant.

Pendant que Jong-goo se battait, Yerin était peu à peu revenue à elle. Elle se traîna jusqu'à Min-ji, sans se soucier de sa propre nudité. Elle couvrit son amie avec son blouson qui gisait à côté d'elle, puis la secoua doucement par l'épaule.

— Min-ji, fit-elle d'une voix inquiète. Min-ji. Réveille-toi.

Son amie poussa un gémissement plaintif en portant la main à sa tête, son crâne fendu par une douleur lancinante. Sa vision était encore trouble. Elle avait la nausée.

— Yerin... qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Je ne sais pas... mais je crois que c'est le gang des perles... mais ça va aller. Jong-goo est là.

[ 9 ]

Jong-goo était venu à bout du menu fretin et des trois chefs de section, mais il était à bout de force. Il avait épuisé toute son énergie à courir à droite et à gauche pour prendre tous ces mecs les uns après les autres, parfois trois ou quatre en même temps. Il étira ses reins douloureux en jetant sa tête en arrière pour prendre une profonde inspiration. Il se préparait à y retourner lorsqu'une voix retentit derrière lui.

— J'ai reçu ton message ! J'arrive pas trop tard, j'espère ?

— Putain ! fit Jong-goo en se tournant vers son ami. T'as fait plus vite que les flics. Les forces de l'ordre dans ce pays, c'est vraiment une honte...

— Va faire une pause, dit Gun en tapotant amicalement l'épaule de son acolyte. Je vois que tu m'as pas laissé grand chose... Ils sont forts au moins ?

— Aucune idée... Désolé s'ils sont pas à ton goût, mais c'est pas le moment de faire la fine bouche.

— T'es qui toi ? lança Kwon Hyeon-seok en jetant un regard méfiant dans leur direction. T'es pas d'ici.

Ban Min-gyu se pencha vers lui pour lui murmurer quelque chose à l'oreille.

— Je crois que c'est le mec qui était avec Kim Jong-goo quand ils ont défoncé nos gars la dernière fois. Un brun aux bras tatoués avec des lunettes de soleil qui fait du kung fu.

— C'est pas du kung fu ! s'exclama Gun qui avait l'ouïe fine. C'est du karaté. Et pas n'importe lequel ! Je vais vous montrer la beauté et la puissance du Kyokushinkai.

Il retira ses lunettes qu'il rangea dans la poche intérieur de sa veste. Dans la pénombre, on distinguait à peine ses yeux ténébreux. Tous ses sens en éveil, il avait braqué son regard sur Kwon Hyeon-seok et Ban Min-gyu. Il n'attendait pas grand-chose d'eux, mais il espérait qu'ils tiendraient assez longtemps pour satisfaire sa soif de combat.

Le chef du gang des perles et son second l'avaient attaqué en même temps, mais ils ne faisaient que se relayer pour économiser leur énergie tout en essayant de le prendre par surprise. Ce qu'ils ne savaient pas, c'était que dans cet état de concentration extrême, Gun était parfaitement imperturbable. Il bloquait chacune de leurs attaques qu'il voyait venir à des kilomètres à la ronde et répliquait avec des coups puissants et précis. Ces deux sous-merdes n'avaient pas fait long feu. Il n'avait absolument rien ressenti en les affrontant. Pas même un petit frisson de plaisir. C'était décevant. Très décevant.

Pendant ce temps, Jong-goo avait rejoint les filles. Avant toute chose, il avait ramassé le blouson de Yerin qu'il lui avait passé autour des épaules. Il l'avait boutonné de haut en bas pour couvrir son corps, puis il avait ramassé ses vêtements qui traînaient par terre.

— Ça va ? demanda-t-il en lui tendant son chemisier et son débardeur.

— Oui, fit-elle en hochant la tête. Enfin, je crois...

— Les photos, qui c'est qui les a prises ?

— Quelles photos ? demanda Yerin, l'air confus.

L'esprit embrumé par la drogue, elle ne réalisait pas encore la situation dans laquelle elle se trouvait, mais la réalité commençait peu à peu à se frayer un chemin dans son esprit. Jong-goo avait accroché un mouvement du coin de l'œil. Song Hye-ji avait caché son téléphone dans son dos lorsqu'il avait évoqué les photos. Il s'avança vers elle d'un pas déterminé, l'air menaçant.

— Ton téléphone, ordonna-t-il en tendant la main. Donne-le moi.

Elle secoua frénétiquement la tête. Elle regarda en direction de Noh Su-ji, mais la jeune fille s'était précipitée aux côtés de ses deux camarades qui venaient de tomber sous les coups de Gun.

— C'est fini, Song Hye-ji, dit Jong-goo froidement. Ces imbéciles ne vont pas t'aider. Donne-moi ton téléphone avant que je me fâche.

— Si je te le donne, est-ce que tu vas m'aider ? demanda-t-elle avec espoir en le suppliant du regard. Ils ont pris des photos de moi aussi. Si tu me promets de les récupérer et de les supprimer, je te donnerai les photos de Yerin et de Min-ji.

— Pourquoi je t'aiderai ? Tu t'es mis dans ce merdier toute seule et tu as entraîné Yerin et Min-ji dans tes conneries. Tu mérites d'être punie comme les autres.

— Je te payerai ! Tu aimes l'argent, n'est-ce pas ? Je te donnerai tout mon argent de poche jusqu'à la fin du collège. Non. Jusqu'à la fin du lycée même. Mes parents me donnent trois cent mille wons par mois.

C'était tentant, mais il n'aimait pas la façon dont Hye-ji le regardait. Ce regard brillant d'espoir qui semblait crier victoire avant d'avoir remporté la bataille. Il voulait la faire descendre de son piédestal et la ramener à la réalité.

— Pour toi, je vais faire une exception. Je ne veux pas de ton argent. Je ne négocie pas avec ceux qui s'en prennent à ma famille et à mes amis. Si tu veux faire une bonne action, tu devrais tout avouer à la police. Et rembourser les pertes que tu as causé au restaurant des parents de Min-ji. C'est elle que tu devrais dédommager.

Elle avait beau le supplier en pleurant toutes les larmes de son corps, Jong-goo ne ressentait aucune sympathie pour elle. Il l'avait maîtrisée et lui avait pris le téléphone de force. Une preuve de plus à livrer à la police quand elle se serait décidée à faire son travail. Quand on parlait du loup...

[ 10 ]

Min-jun les avait rejoint accompagné de la police et de son professeur de taekwondo. Ils avaient mis plus de temps que prévu. Le commissaire ne pouvait pas ordonner une intervention dans l'enceinte de l'école sans l'autorisation du responsable de l'établissement, en l'occurrence le principal, qu'ils avaient eu du mal à joindre. Celui-ci n'avait pas été très coopératif et il avait exigé un mandat de perquisition. À croire qu'il avait des choses à cacher, lui aussi. Min-jun avait contacté ses parents, qui avaient eux-mêmes contacté un procureur qu'ils connaissaient bien. Il avait aussitôt émis le mandat en question qu'il avait faxé au commissaire de police.

Après tout ce foin, la police s'était enfin bougé le cul, mais le commissariat n'avait envoyé que deux voitures de patrouilles avec quatre pauvres agents qui devaient passer plus de temps à mettre des PV et à gérer des mecs bourrés sur la voie publique qu'à démanteler des gangs juvéniles. Une fois sur place, ils avaient trouvé le gardien endormi dans sa loge. Ils avaient dû forcer le portail pour entrer, ce qui leur avait pris un peu de temps.

En arrivant sur la scène du crime, les agents s'étaient rapidement sentis dépassés par les événements. C'était le chaos. Ils avaient dégainé leur matraque en ordonnant aux jeunes de ne pas bouger, mais la plupart d'entre eux n'étaient même plus capables de se relever. Ils avaient demandé du renfort. On leur avait envoyé des vans pour embarquer tout le monde au poste et tirer cette histoire au clair.

La nuit avait été longue et compliquée. Les policiers avaient interrogé tous les élèves un par un, mais ces délinquants récalcitrants qui niaient obstinément tous les faits leur donnaient du fil à retordre. Le commissariat avait été pris d'assaut par une flopée de parents indignés, sans parler du défilé d'avocats prétentieux qui voulaient leur apprendre à faire leur métier. Les gosses riches, c'était une vraie plaie.

Finalement, les victimes et les principaux responsables de ce bourbier avaient trouvé un accord à l'amiable. La situation était délicate pour M. Kim. Ils connaissaient bien le père de Ban Min-gyu et celui de Noh Su-ji. Le premier était le procureur de la République qui avait retenu les charges d'agression à l'arme blanche contre Jong-goo, et le deuxième était le juge qui avait présidé son procès et l'avait fait condamner à trois mois de détention à la demande de M. Kim. Ils étaient tous les trois dans le même bateau. Un bateau qui risquait de prendre l'eau s'ils ne réglaient pas toute cette affaire discrètement.

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