Dans les jours qui suivirent, Amilyn m'envoya un message pour me demander si je serais présent à une autre soirée quelconque. Elle m'avait glissé l'information que ma mère serait présente et cette simple précision aurait pu me pousser à lui annoncer mon absence.
Puis je reçus un message de Rey à propos de cette même soirée. Enfin, elle m'annonça plutôt qu'on ne pourrait pas se voir ce week-end à cause de cet évènement.
Aussitôt, je ne pus m'empêcher de l'appeler pour simplement lui demander :
— Comment tu peux être sûre qu'on ne se verra pas ?
— Tu vas vraiment te pointer à cette soirée alors que tu n'as aucune raison d'y être ? me lança-t-elle, toujours aussi provocatrice.
— Devrais-je te rappeler que je suis un journaliste qui peut se faufiler où il veut ?
— Ça, je l'ai bien remarqué, bon gré mal gré.
Elle laissa échapper un bref rire que je rejoignis.
— Fais gaffe à toi si tu ramènes tes fesses là-bas, monsieur Solo... Je pourrais te croiser au détour des toilettes, et là, tes fesses seraient vraiment en danger.
Sa voix était terriblement sexy et je savais que si elle était à mes côtés en prononçant ses mots, nous aurions encore bravé les limites.
— Je crois que je ne m'en plaindrais pas, rétorquai-je en sortant un costume de ma penderie.
— On verra quand je te mettrai une fessée.
— Ah oui ? Tu es de ce genre-là toi ? rétorquai-je en entrant totalement dans son jeu.
— Tu as encore beaucoup de choses à découvrir à mon sujet...
— On verra ça ce soir.
Je l'entendis sourire à travers son souffle amusé. Puis elle raccrocha.
*
Dès que j'avais mis les pieds dans cette grande salle de réception, j'avais rapidement repéré de nombreuses têtes connues. En même temps, la liste des invités était souvent la même, quand bien même ils voulaient prétendre le contraire.
Je savais que je ne tarderais pas à croiser le chemin de ma mère, mais j'espérais surtout croiser celui de Rey bien plus rapidement. Je pris un peu de temps avant de la remarquer parmi la foule étant donné sa tenue un peu singulière qu'à son habitude. Une simple robe caraco noire qui lui moulait délicatement le corps. Quant à ses cheveux, elle les avait légèrement bouclés et c'était bien la première fois que je la voyais avec une telle coiffure.
Elle me remarqua à son tour et un grand sourire se dessina sur ses lèvres. Elle fit totalement abstraction de ce qui l'entourait pour s'approcher de moi. Quand elle ne fut qu'à quelques centimètres de moi, je sentis son sourire s'agrandir et ses yeux pétiller.
— Je savais que tu viendrais, me lança-t-elle, sûre d'elle.
— Tu ne pouvais pas le savoir...
— Tu ne m'aurais pas appelé pour me contredire d'une manière assez évasive. Je te connais Ben... Bien plus que tu ne le crois.
— J'en doute fortement.
Surtout parce qu'elle ne connaissait pas mes réelles intentions lors de notre rencontre.
Son regard se plongea un instant dans le mien et aucun d'entre nous n'osa prononcer le moindre mot, puis elle déposa un bref baiser sur mes lèvres. Aucun d'entre nous ne craignait se faire remarquer. Après tout, on était d'accord sur ces points : on était un couple et on s'était déjà affichés.
— La prochaine fois, peut-être que je devrais t'inviter de moi-même, me dit-elle toujours aussi souriante.
— Ou peut-être que je pourrais t'inviter moi aussi...
— On verra...
Elle s'empara de mon bras et se colla contre moi. C'était une douce affection, probablement trop intime pour beaucoup de personnes présentes, mais ça n'avait aucune importance en soi.
Dire que je n'étais venu que pour la croiser... Je ne savais même pas quoi en penser. Je me sentais extrêmement proche d'elle, mais je serais incapable de définir mes sentiments pour elle. Pour Armie, c'était probablement évident que j'étais fou amoureux d'elle. Mais de mon côté, je n'en savais rien. Il était évident que je ne devais pas me tracasser pour ça, sauf que c'était impossible.
Au moins, l'avoir dans mes bras quelques instants, comme si nous étions notre petite bulle avait quelque chose de réconfortant d'une certaine manière.
Ce bref équilibre fut mis en péril lorsque j'aperçus Amilyn en compagnie de ma mère. Rey sentit immédiatement mon inquiétude et leva son regard vers moi.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Ma mère. Elle est là.
— Tu ne t'entends pas avec ta mère ? s'étonna-t-elle en se détachant de moi.
— C'est compliqué...
Elle fronça des sourcils, curieuse d'en apprendre plus, sans poser la moindre question.
Amilyn finit par me remarquer et prévint ma mère. Celle-ci leva son regard vers moi. Un regard peiné et un sourire douloureux se dessinèrent sur son visage. J'aurais terriblement voulu éviter ce genre d'interactions pour le moment, mais peut-être qu'il fallait bien passer par là...
Je me tournai un instant vers Rey et repensai à la tragédie qu'était sa famille. En fait, elle n'en avait même pas. Et je me sentais d'autant plus coupable par rapport à ma situation.
Ma mère se rapprocha de moi et à chacun de ses pas, mon cœur se resserra. Rey prit ma main dans la sienne en espérant pouvoir calmer mes angoisses passagères.
— Ben... Je ne pensais pas que tu viendrais, lança ma mère, la voix tremblante et l'air triste.
Elle ne savait pas comment m'aborder et moi non plus. Je pris quelques secondes avant de la prendre dans mes bras. Elle se retenait de pleurer sur mon épaule et ce fut d'autant plus visible lorsque je la relâchai.
Je me tournai un bref instant vers Rey. Elle était à la fois assez perturbée et touchée par notre interaction. Ma mère posa un regard bienveillant sur elle et j'eus l'impression que ça l'émut bien plus que prévu.
— Maman, je te présente Rey... ma copine. Rey, voici ma mère, Leia.
Toutes les deux furent ravies d'être présentées, sans que je sache exactement pourquoi.
— Rey, j'ai vraiment hâte de faire ta connaissance. J'ai déjà entendu parler de ton travail sur internet et de ton association Résistance. C'est vraiment très beau ce que tu fais et je suis ravie que mon fils ait trouvé une personne aussi formidable que toi.
Rey était extrêmement gênée par ces propos, mais une plutôt bonne gêne. Elle ne s'attendait vraiment pas à recevoir autant de compliments aussi soudainement. Elle la remercia timidement et son regard se posa sur moi, comme pour trouver un moyen de calmer ses émotions un peu trop envahissantes.
Puis ma mère revint vers moi, toujours le même air peiné sur le visage. Nous ne nous étions pas vus depuis bien longtemps — trop longtemps. Je m'étais éloigné d'elle et malgré ses tentatives de reprendre contact, j'avais persisté à garder cette distance. Sauf ce soir.
— Ça fait si longtemps, dit-elle d'une faible voix.
— Je sais... Depuis sa mort.
Des années s'étaient écoulées depuis cet accident et j'avais presque fini par l'oublier, parce que c'était ainsi que je pouvais passer à autre chose. Du moins, je le croyais.
Rey, craignant d'être de trop dans cette discussion, s'éloigna un instant pour rejoindre d'autres connaissances.
— Tu n'y es pour rien Ben.
— Bien sûr que si ! Si je n'avais pas été égoïste, mon père serait encore en vie actuellement...
Ma mère secoua sa tête et jamais je n'avais vu un tel air désapprobateur dans son regard. Elle posa sa main sur ma joue et je pris une longue inspiration à ce simple contact.
— C'était un accident Ben et tu n'étais pas sur les lieux. Peu importe ce que tu aurais pu faire ou ne pas faire, tu n'aurais pas pu sauver ton père.
— Bien sûr que si... Ce soir-là, j'ai eu envie de le voir pour lui parler d'un truc personnel. Je me suis arrêté de travailler uniquement pour ça, pour quelques pensées et une envie de le voir. Il a accepté de venir en urgence et ça lui a coûté la vie. Tout ça parce que j'étais égoïste et que j'aurais mieux fait de travailler !
— C'était un accident, un accident où la personne en face était fautive, complètement ivre. N'importe qui aurait pu être là à la place de Han. Et ce n'est pas en continuant de travailler que tu l'aurais sauvé...
Elle avait raison. C'était évident. Mais aucune part de moi ne voulait l'entendre pour le moment. Malheureusement, c'était également la raison pour laquelle je m'étais totalement fermé à tout ces derniers temps.
— De toute manière, tu ne pourras pas changer les choses, peu importe à quel point tu le souhaites. Et tu ne sauras jamais toutes les autres possibilités si tu avais juste changé un petit élément...
— Peut-être bien.
Elle se voulait rassurante, mais je n'arrivais pas à m'y faire. En même temps, ça faisait partie de mes habitudes. Néanmoins, je n'avais pas envie de poursuivre ce genre de conversations, surtout avec ma mère que je n'avais pas vue depuis bien longtemps. Malheureusement, je devais reconnaître qu'elle me manquait...
Elle sembla comprendre que je n'étais pas prêt à changer d'avis pour le moment et l'accepta. Au moins, on s'adressait la parole, ce qui était tellement plus par rapport à ces derniers mois, voire années.
Elle m'adressa un simple sourire comme pour jauger de mon état d'esprit. Je lui rendis ce sourire, un peu timidement. Suite à ça, elle prit la parole, toujours un brin hésitante :
— Ça fait depuis longtemps avec Rey ?
— Pas vraiment... Non. C'est assez récent.
J'aperçus rapidement Rey parmi la foule et le regard de ma mère suivit le mien, comme si ça l'apaisait. En même temps, je ne lui avais jamais présenté quelqu'un. J'avais l'impression d'avoir soudainement chamboulé bien trop d'habitudes d'un coup.
Je croisai les bras dans une longue inspiration puis annonçai à ma mère que je l'abandonnai pour le moment. Peut-être que j'étais en train de fuir, mais chaque chose en son temps...
Je revins rapidement auprès de Rey qui s'était attardée sur le buffet présent, une coupe de champagne à la main.
— Tu viens trinquer avec moi ? s'enquit-elle un sourire en coin.
— Peut-être bien...
Je m'emparai d'un verre et on trinqua ensemble. Son regard se plongea un instant dans le fond de son verre, l'air songeur.
— Est-ce que ça va avec ta mère ? finit-elle par oser me demander d'une voix timide.
— Plus ou moins... Je pense surtout qu'on ait besoin de temps.
— Ta mère a l'air... adorable.
En prononçant ces mots, je vis les larmes lui monter aux yeux. Malheureusement, elle venait de se prendre toute sa solitude dans la tronche et elle peinait à le supporter.
— Couleur ?
— On n'est pas dans un truc sexuel, y a pas besoin de demander maintenant, riposta-t-elle aussitôt en fronçant des sourcils.
— Y a pas besoin que ce soit sexuel pour que je te demande si ça va pas et si je n'ai pas de réponse, je considère que ça ne va pas.
Elle prit une longue inspiration avant de me répondre :
— Orange.
— Tu veux en parler ou qu'on évite le sujet ?
— En vrai, je connais à peine ta mère, mais en quelques secondes, elle a fait mille fois plus que toutes les personnes qui auraient dû être des parents pour moi.
En voyant qu'elle était sur le point de craquer, je la pris dans mes bras. Elle respirait lourdement et essayait tant bien que mal de garder son calme, probablement pour ne pas foutre en l'air son maquillage.
— Je suis désolé Rey que tu n'aies pas eu une famille aimante et présente... Je suis vraiment désolé.
— Ce n'est pas de ta faute, marmonna-t-elle la tête posée contre mon torse.
Alors, je compris soudainement sa bienveillance exubérante sur les réseaux sociaux. Elle savait ce que ça faisait de n'avoir rien pour se raccrocher, elle savait ce que c'était de se sentir incomprise. Du coup, au lieu de le faire payer au monde entier, elle essayait de faire changer les choses à son échelle.
On pouvait se ressembler sur ce point, on avait tous les deux besoin de faire entendre notre voix. Sauf qu'elle, elle ne s'était pas renfermée sur elle-même. Je le savais déjà que j'avais un problème avec ça, mais je ne pensais pas que ça serait à ce point aussi ancré... Et elle aussi se rendait compte que ses problèmes faisaient partie d'elle depuis bien longtemps.
Étrangement, nous étions en train de briser ces sales habitudes à deux...