Surielle commençait à s’orienter dans les couloirs. Finalement, c’était une question de logique. Et puis, il y avait suffisamment de monde pour qu’elle demande son chemin. Certes, la tablette confiée par Esbeth lui était précieuse, mais elle refusait de s’en servir trop souvent. Elle ne connaissait pas encore grand-monde, alors elle s’assurait de remercier chacun poliment en mémorisant leurs noms.
C’était étrange de constater qu’elle n’était pas plus considérée comme une étrangère dans l’Empire ou dans la Fédération.
Personne ne commentait la couleur de ses ailes ici. En fait, personne n’y prêtait trop attention.
Et c’était un réel soulagement.
Arriverait-elle un jour à les aimer autant qu’Alistair portait son rouge avec suffisance ?
Plusieurs hommes la dépassèrent ; Surielle ne s’en offusqua pas. De temps à autre le sol tremblait, témoin des combats de titans qui se déroulaient à la surface et dans les cieux d’Iwar. Le Commandeur devait s’y trouver, aux côtés de son dragon de pierre. Elle s’était attendue à ce qu’il soit présent au repas, mais seule Dame Esbeth l’avait accueillie. Surielle avait pu poser toutes ses questions, et serait bien restée davantage si elle n’avait pas eu ce rendez-vous avec le prêtre d’Orssanc.
Rayad lui avait expliqué qu’ils étaient coincés ici tant que la flotte des Stolisters maitrisait le ciel. Dès qu’elle serait détruite, ou contrainte de se replier, ils pourraient utiliser leurs rares vaisseaux pour rallier leurs troupes et porter une attaque sur Druus et tenter de reprendre l’avantage en ralliant les armées impériales, pour le moment dispersées.
Leur système de communication était un atout, avait découvert Surielle. Il fallait se montrer prudents pour que leurs communications ne soient pas interceptées par les Stolisters, raison pour laquelle des experts cryptaient leurs données, mais Rayad lui avait appris qu’ils avaient réussi à contacter chacune des neuf Familles. Trois Seigneurs étaient présents sur Iwar, et les mondes de Bereth et Meren avaient envoyé des représentants pour afficher leur bonne foi. Ciryatan, le monde dédié à Orssanc, était considéré définitivement acquis à la cause des Stolisters, et ils attendaient toujours des nouvelles d’Aranel. Des combats s’y livraient, si l’on en croyait les rumeurs, mais les Stolisters maintenaient un blocus en orbite et brouillaient toutes les communications. D’après Rayad, c’était sur Aranel que les Stolisters concentraient maintenant leurs efforts.
Arian détruite, Anwa dévastée, Ciryatan dans leur giron… Aranel pourrait bien être la quatrième planète à tomber aux mains des Stolisters. Une perspective qui dévastait le jeune prince. A ce rythme, que resterait-il de son Empire ? Surielle en avait le coeur serré. Elle espérait que cette soirée lui donne de nouveaux indices sur l’Éveillé.
C’était vraiment un autre univers. Surielle continuait d’être étonnée par les techniques les plus basiques. Ils avaient inventé tant de choses pour se faciliter la vie ! Pourquoi les douze Royaumes n’avaient-ils pas profité de la paix pour approfondir ce côté innovant ?
Là aussi, il y avait matière à creuser.
Arrivée à destination, Surielle laissa là ses pensées et posa la main sur la plaque, ne s’étonnant même plus de voir la porte s’effacer dans un sifflement. La pièce ressemblait à un réfectoire, avec plusieurs tables séparées par des panneaux pour donner une impression d’intimité. Le prêtre d’Orssanc était déjà là, et lui fit signe. L’estomac noué, Surielle s’approcha.
— Bonjour, Surielle, salua-t-il avec un sourire.
— Bonjour, répondit-elle.
-– Prends place, je t’en prie, l’invita-t-il.
Surielle s’installa. La cafétéria était l’un des rares lieux communautaires du repaire, mais les banquettes se révélaient très inconfortables pour des ailés.
Évidemment, il ne pouvait le savoir ; alors elle cala ses ailes du mieux qu’elle put.
-– Veux-tu boire quelque chose ?
-– Je n’y connais rien, avoua Surielle. Choisissez pour moi. Quelque chose de simple.
-– Très bien.
Il la laissa découvrir les lieux tandis qu’ils attendaient leur commande. Elle s’adaptait bien, pour quelqu’un qui n’était pas d’ici. Son monde était tellement différent des leurs. Évidemment, cette cafétéria n’avait pas la décoration surchargée des structures habituelles impériales. C’était peut-être mieux, pour une première immersion.
Leurs boissons arrivèrent, accompagnées d’une assiette de douceurs colorées. Surielle huma longuement sa boisson, d’un joli bleu pâle, puis s’aventura à en prendre une gorgée.
-– C’est très doux, très bon. Merci.
-– Avec plaisir, Surielle.
-– Puis-je connaitre votre nom ?
-– Il est vrai que je ne me suis pas présenté. Je suis Bothik, Prêtre d’Orssanc. Je fais partie du cercle le plus restreint, à la tête de notre religion. Depuis les évènements regrettables survenus dans le passé, nous avons décidé qu’il était dangereux de laisser tant de pouvoir dans les mains d’un seul homme.
-– Pourquoi m’avoir crue ?
-– Parce qu’Orssanc est notre déesse, Surielle. Comme Eraïm est le Dieu qui veille sur la Fédération. Peu importe qu’ils influent beaucoup ou non notre quotidien. Nombreux sont ceux qui n’ont pas la foi. Toi et moi, nous savons que leur existence dépend de nos prières. En fermant les Temples, le précédent Empereur a affaibli Orssanc. Le culte dispersé, il était bien plus facile pour les Stolisters d’infiltrer nos rangs.
-– Et d’invoquer Orhim.
Bothik acquiesça.
-– Nous avons cherché à prévenir l’Empereur, hélas, nous n’avons pas réussi à le voir avant ce jour funeste. Je nous pensais perdus, mais vous m’avez ramené l’espoir…
-– Comment ça ?
-– C’est l’Éveillé, que vous cherchez ?
Surielle sentit son cœur accélérer. Avait-il une piste ? Elle avait l’impression de piétiner. Elle hocha la tête.
-– Son côté divin a dû obligatoirement être remarqué par les Stolisters.
-– Il serait donc si visible ?
-– Ça, je ne le sais pas. Mais cela réduit le champ de vos recherches.
-– Pourquoi ?
-– Il ne sera pas présent sur les champs de bataille. Il doit être bien protégé. Gardé au secret. Donc…
-– Il serait avec leurs prêtres ?
-– Je ne sais pas s’ils les nomment ainsi, mais, c’est ma théorie. Les Prêtres d’Orssanc ont tous passés l’initiation. Je me porte garant de leur loyauté. Néanmoins, nous avons expulsé de nos rangs de nombreux adeptes des Stolisters. Ma première piste serait de commencer par Ciryatan, le Quatrième Monde, dédié à Orssanc.
-– Déjà tombé aux mains des Stolisters ?
-– En partie seulement, nuança Bothik. Ils ont certes des troupes, mais sécuriser neuf, enfin, huit, planètes, demande bien plus de moyens qu’ils ne le croient. Les prêtres d’Orssanc font de leur mieux pour protéger la population sur place et je sais comment les contacter. Je vais leur demander des informations supplémentaires, maintenant que je sais quoi chercher. Et je peux vous accompagner.
Surielle acquiesça.
-– J’avoue que je ne sais pas trop comment tout cela va se passer… J’imagine que Rayad, je veux dire, le prince Rayad, prendra une décision dès que possible.
-– Je l’espère aussi. Si l’urgence est de mise, je crains qu’il ne nous reste plus beaucoup de temps.
*****
Le temps. Pourquoi le temps leur manquait-il autant ?
Trois jours avaient passé depuis sa discussion avec Bothik, et ils étaient toujours coincés là, à attendre. Surielle aurait dû être concentrée sur sa mission, en train d’élaborer des plans pour trouver l’Éveillé. Au lieu de quoi elle se trouvait là, en train de se demander si elle pourrait voir Rayad ce soir.
L’amour était en train de lui faire tourner la tête, alors qu’elle n’avait pas le temps pour ça. Surielle soupira.
Quelle galère.
-– Surielle !
Surprise, la jeune ailée se retourna comme Shaniel lui sautait dans les bras. A son habitude, la princesse impériale était vêtue avec élégance.
-– Où étais-tu passée ? Je ne t’ai pas vue depuis au moins deux jours !
— J’étais occupée, répondit évasivement Surielle.
Elle espéra que la princesse ne creuse pas trop la question. Habituée à Alistair, elle savait repérer les réponses qui ne lui convenaient pas, et Surielle n’avait pas envie de se trahir.
— Viens avec moi, proposa immédiatement Shaniel en glissant un bras sous le sien.
— Où donc ? demanda Surielle.
— Tu verras bien, dit-elle mystérieusement.
Surielle soupira de nouveau. Shaniel était adorable – et adorablement superficielle par moments – mais elle aurait dû lui dire qu’elle n’avait pas vraiment la tête à se divertir en ce moment.
— Vraiment, Shaniel, je ne crois pas que ça soit réellement nécessaire…
— Mais si, mais si…. Tu vas voir.
Shaniel l’entraina sans qu’elle ne résiste davantage. Bientôt, Surielle réalisa qu’elles parcouraient des couloirs qu’elle ne connaissait pas. Puis Shaniel pressa sa main et déverrouilla une porte.
— Voilà ma chambre ! C’est un peu petit par rapport à mes appartements du Palais, mais j’avoue que Dame Esbeth s’est surpassée.
Surielle écarquilla les yeux devant la magnificence des lieux. Le grand lit à baldaquins, les draps de soie rose, les dorures sur les miroirs… C’était presque une overdose de luxe. Comment Dame Esbeth avait-elle pu meubler cette chambre alors qu’elle rationnait impitoyablement le complexe ?
— C’est… très joli, finit par dire Surielle.
Mais Shaniel ne l’écoutait déjà plus. Elle avait traversé la pièce, ouvert les portes d’une lourde armoire.
— Nous n’avons pas vraiment la même morphologie, fit Shaniel en caressant son menton. Il va falloir que je fasse quelques retouches, mais… que dis-tu de ça ?
Surielle s’étrangla.
-– C’est totalement indécent !
-– Je vois. Tu préfères donc quelque chose de plus couvrant. Voyons, voyons… et là ? poursuivit-elle en déployant une magnifique robe en velours sombre. Elle est dos nu.
-– Que cherches-tu donc à faire, Shaniel ? Je n’ai pas besoin d’une tenue si …
-– Si belle ? Et pourquoi pas ? Tu n’es pas n’importe qui, Surielle. Tu es la fille de la Souveraine. Nos alliés doivent te percevoir ainsi. Et puis, avoue que mon frère ne résisterait pas à ton charme, avec ça.
Surielle vira au rouge pivoine.
-– Que… que…
-– Tu en perds tes mots, ma parole. À moins que…
Shaniel se rapprocha, les yeux brillants.
-–Dis-moi tout. Il s’est déclaré, c’est ça ?
La gorge nouée, Surielle se contenta de hocher la tête.
-– Je le savais ! fit Shaniel, surexcitée, un large sourire plaqué sur son visage.
Elle s’approcha, prit les mains de Surielle dans les siennes.
-– Et donc ? Tu as dit oui ? Vous êtes ensemble ?
-– Eh bien… j’imagine que plus ou moins, oui…
-– Parfait ! Oh, la tête qu’il va faire quand il te verra là-dedans… Je dois me surpasser.
— Vraiment, Shaniel, tu n’es pas obligée…
— Mais si, mais si. Ça me fait plaisir. À moins que tu ne sois pas trop femme à porter des robes ?
—C’est ça. Enfin, je veux bien faire un effort si tu penses que ça peut servir notre cause. Taka m’a prêté l’une des siennes.
Shaniel tapota son menton, réfléchit.
— Peut-on aller la chercher ?
— Je ne suis pas sûre de retrouver le chemin, avoua Surielle. Je n’ai pas l’habitude de venir par ici.
— Alors j’y vais. Tu veux bien m’attendre ici ?
Surielle acquiesça et s’assit sur le lit moelleux, oubliant de demander à Shaniel comment elle allait ouvrir une porte qui fonctionnait avec l’empreinte de sa main… Ce verrouillage était à la fois pratique et perturbant. Elle n’avait aucune idée du moyen de les forcer ou de vérifier que la sienne était bien restée fermée. Peut-être devrait-elle faire part de ses craintes à Esbeth ou Alistair. Ou même Rayad.
Le rouge monta à ses joues à la simple pensée. Non, avec Rayad, il y a avait trop peu de temps pour discuter.
Shaniel revint bientôt, se hâta de déballer son paquet, siffla d’admiration.
— Par Orssanc ! Ta cousine t’a gâtée. Regarde-moi ça !
Sur un tissu d’un profond bleu nuit, des fils d’argent scintillaient, dessinant d’éphémères constellations.
— La couleur s’accordera parfaitement à tes ailes, ajouta la princesse. Par contre, tu devrais vraiment manger un peu plus. Tu es fine comme une brindille.
— Je suis comme je suis, rétorqua Surielle. Je ne changerai pas pour ton frère.
Shaniel gloussa.
— Tu as raison. Habille-toi ! Et permets-moi de te maquiller. J’ai tellement hâte de voir la tête de mon frère ! Ce soir, tu vas tous les éblouir.
Avec un soupir résigné, Surielle commença à se déshabiller.
— Crois-tu vraiment qu’un changement de tenue poussera les Seigneurs à changer d’avis sur mes propos ?
Shaniel hocha la tête.
— Les apparences, ma chère, les apparences. Avec cette robe, ton maintien que tu vas automatiquement ajuster, ils vont arrêter de te voir comme une simple jeune fille. Face à ton élégance, ils ne pourront pas oublier que tu es la fille de la Souveraine des douze Royaumes. Tu es censée être mon égale en terme d’étiquette.
— Sauf que je n’ai aucun pouvoir. C’est le Durckma Jodörm qui prendra la tête de la Fédération quand ma mère décidera qu’il est prêt.
— Et qui t’empêchera de le conseiller ?
— Non. Pas de politique. Je ne sais peut-être pas encore ce que je veux faire, mais je sais ce dont je ne veux pas. Et toi, comptes-tu t’impliquer ?
Shaniel pinça les lèvres, avant d’aider Surielle à passer la robe.
— Mon avenir dans l’Empire passe par le mariage.
— Le mariage ? Mais…
— Les femmes ont une place importante si elles le désirent, coupa Shaniel. Tous les mondes impériaux n’obéissent pourtant pas aux mêmes règles. Sur Anwa, une femme appartient à son mari. Sur Nienna, elles sont les égales de leurs époux. Quant à la famille impériale… Je vais être la soeur de l’Empereur, donc, mon futur époux sera soit l’un de nos alliés, soit un récalcitrant à faire rentrer dans le rang.
Surielle frémit.
— Comment peux-tu accepter ça ?
— Le devoir passe avant tout, Surielle. J’aurais cru que toi, entre toutes, tu le comprendrais.
La jeune ailée se sentit mortifiée. Shaniel avait raison sur tous les points. Elle avait oublié que sous une apparence superficielle, la princesse cachait un esprit aiguisé.
— Je l’ai toujours su, reprit Shaniel. En naissant princesse impériale, mon statut m’a été imposé. Alors je m’amuse, tant que je le peux encore. La réalité me rattrapera bien assez tôt.
— Je te pensais plus libre que ça.
— Tu l’es davantage que moi, parce que tu n’hérites pas du titre de ta mère. Note que je pourrai tout à fait me marier par amour… mais quelqu’un issu du bas peuple affaiblirait notre lignée aux yeux de la noblesse. Nous ne pouvons pas nous le permettre.
Avec un pincement au coeur, Surielle songea à l’étrange relation en train de se nouer entre Rayad et elle. Rayad n’était rien de moins que le futur Empereur. Quel avenir avait-elle avec lui ?
C’était déjà trop tard, chuchota une petite voix dans son esprit. Son coeur accélérait dès qu’il se rapprochait d’elle et elle se languissait déjà de ses bras.
— Pour Rayad c’est différent, poursuivit Shaniel. Et puis, tu renforcerais notre alliance avec la Fédération, quelque part.
La remarque blessa Surielle.
— Je refuse d’être un pion dans vos manigances !
— Voile-toi la face si tu préfères. Mon frère est amoureux de toi, ça crève les yeux. Je comprends que tu veuilles du temps pour te faire à l’idée, mais si tu tiens à lui autant qu’il tient à toi, il te faudra choisir. La Fédération, ou l’Empire.
Surielle lutta pour refouler les larmes qui montaient soudain à ses yeux. Elle avait refusé de se projeter dans l’avenir pour éviter de réfléchir à cette question. L’Éveillé, c’était à l’Éveillé qu’elle devrait être en train de penser, et pas à Rayad !
— Je suis venue ici pour trouver l’Éveillé, Shaniel. Pas pour suivre ton frère.
— Parfois, on peut joindre l’utile à l’agréable, rétorqua la princesse.
Elle aida Surielle à se relever, la fit tourner sur elle-même.
— Tu es splendide, approuva-t-elle, ravie. Et nous avons encore un peu de temps. J’imagine que tu vas préférer un maquillage léger ?
— Oui. N’y vois nulle offense mais je n’aime pas être surchargée de couleurs. J’ai assez à faire avec mes ailes.
Surielle pouffa.
— Je respecterai tes goûts, n’aie crainte.
*****
Alistair glissa un doigt dans son col, cherchant à desserrer cet étau qui lui comprimait la gorge. Orssanc qu’il détestait sa tenue officielle ! Ce col rigide était insupportable.
— Détends-toi, Alistair, ce n’est qu’un repas.
— Un repas où plusieurs Seigneurs et des alliés potentiels seront présents. Je ne peux pas te faire défaut.
Rayad s’approcha, posa une main sur l’épaule de son ami, croisa son regard.
— Tu as toute ma confiance, Alistair, dit-il doucement. Je pensais que tu le savais.
— Comment vas-tu les convaincre ?
— Ce n’est pas le but premier de ce diner, tu sais. Je veux les observer, comprendre ce qui les fait hésiter. Apparaitre aussi serein que possible face à la situation. Dès que nous en saurons un peu plus sur l’Éveillé, dès que le ciel nous sera plus propice… nous pourrons agir.
— Je croyais que Surielle en avait discuté avec le Prêtre Bothik ?
Rayad opina du chef.
— Je sais qu’ils discutent des lieux potentiels et cherchent à vérifier les rares informations que nous avons réussi à dénicher. C’est frustrant d’être ainsi dans l’attente.
— Je sais, répondit Alistair d’une voix sourde. Et j’aimerai tellement pouvoir être aux côtés de mon père… il est le seul à prendre tous les risques, et moi, je suis coincé là, si inutile…
Ses poings se serrèrent face à son impuissance.
— Ça va aller, Alistair. Ton père mérite sa réputation.
Alistair hocha la tête, consulta son chrono.
— Le retard est l’apanage des rois, mais je sais que tu préfères être à l’heure. Auquel cas, nous devons y aller.
Rayad lissa une dernière fois sa veste.
— Tu as raison. Allons-y.
Rayad quitta sa chambre, Alistair sur ses talons, emprunta machinalement les couloirs qui lui permettraient de rejoindre la salle principale, qui se transformait en salle à manger le soir. Le chemin, il ne connaissait par cœur. Une fois à gauche, deux fois à droite, tout droit, encore à gauche…
Rayad pila net, si bien qu’Alistair, lui aussi plongé dans ses pensées, manqua de le percuter. Un juron lui échappa, puis il remarqua les yeux ronds de son ami.
En face d’eux, Shaniel et Surielle. La princesse arborait un large sourire, et Surielle… Alistair comprenait parfaitement le trouble de Rayad. Jamais ils ne l’avaient vue mise en valeur avec autant d’élégance.
Shaniel lui avait trouvé une robe digne de son rang, dans un tissu bleu nuit si sombre qu’il en paraissait presque noir. Pourtant, le tissage révélait des fils d’argents qui la faisaient scintiller à chacun de ses pas. Son maquillage était léger, juste de quoi rehausser son regard bleu-acier, et Shaniel avait remonté ses cheveux à l’aide d’une barrette en argent. Les ailes orangées étaient comme un écrin pour sa beauté et Alistair comprenait parfaitement que Rayad en perde la tête.
Shaniel n’était pas en reste, bien sûr, même si dans un style totalement différent. Sur sa peau sombre, le blanc était lumineux, pur, et une ceinture de rubis dessinait sa taille. Si Surielle était fine, Shaniel était toute en rondeurs, et savait parfaitement où attirer le regard. Son décolleté à lui seul s’assurait que personne ne resterait indifférent à ses charmes.
La gorge sèche, Alistair avait parfaitement conscience qu’ils se montraient tous les deux fort impolis à rester plantés là, mais aucune réaction cohérente ne parvenait à son cerveau.
— Qu’est-ce que je te disais, Surielle, murmura Shaniel à son oreille. C’est dans la poche !
Surielle se prit à sourire. Elle n’avait pas l’assurance de son amie, pourtant elle devait s’avouer qu’il était plaisant d’attirer ainsi les regards autrement que par la couleur de ses ailes.
Shaniel claqua des doigts.
— Et si vous vous conduisiez convenablement, par Orssanc !
Alistair se ressaisit, avant de se plier dans un salut formel.
— Vous êtes très en beauté ce soir, mesdames, susurra-il avec un brin d’ironie qui n’échappa pas à Shaniel.
— Tu es un incorrigible charmeur, Alistair, répondit Shaniel en se suspendant à son bras. Allez, Rayad, avance !
Le jeune prince s’obligea à détacher son regard de Surielle, haussa un sourcil interrogateur à l’adresse de sa sœur, avant d’offrir son bras à la jeune femme.
— Tant de galanterie ne te ressemble pas, souffla-t-elle.
— J’avoue qu’impressionner les Seigneurs me plait, rétorqua-t-il, ravi de la sensation de sa main sur son bras.
Elle se crispa légèrement tandis qu’ils abordaient les derniers mètres.
— Vas-tu leur dire ?
— Je pensais que tu préfèrerais que nous restions discrets pour le moment ?
Surielle hocha la tête.
— Très bien. Je me réserve le droit d’être poli et courtois, alors.
— Je me demande si tu tiendras toute la soirée, glissa-t-elle à son oreille.
Rayad frissonna à son tour. Par Orssanc, avec cette robe elle semblait être entrée dans un nouveau rôle.
Rester concentré serait vraiment difficile.
Comme l’avait prévu Shaniel, les deux jeunes filles ne passèrent pas inaperçues. Des Seigneurs qui avaient ignoré Surielle jusqu’à présent vinrent la saluer et la complimenter. Elle s’efforça de ne pas s’offusquer de leur soudain changement d’attitude et resta méfiante. Eux aussi pourraient considérer intéressante une alliance entre leur famille et la Fédération…
Ils la traitaient avec bien plus de respect que la dernière fois. Parce qu’elle avait passé une robe ou parce que sa tenue leur avait rappelé qu’elle était la fille de leur Souveraine, et que son rang était presque l’égal de celui de Rayad ou Shaniel ? Elle n’était pas sûre d’apprécier la première idée.
Ce soir, Rayad préféra écouter les préoccupations de chacun. Evan s’inquiétait des répercussions de la destruction de sa planète ; la sécurité de sa fille était une priorité pour lui.
Jahyr avait réussi à récupérer une partie du réseau du Maitre-Espion Fayaïs, et joint à ses propres informateurs, il pensait avoir une vision réaliste de ce qui les attendait. Son épouse Yssa n’était pas présente ; elle était restée sur Nienna, pour s’occuper des négociations avec les Stolisters, qu’elle faisait trainer avec tact. Elle jouait à la perfection sur le tableau de la veuve éplorée, pleurant son cher mari disparu. La confiance qui régnait entre les deux époux, leur parfaite entente, avait toujours stupéfié Rayad.
Bothik, le Prêtre d’Orssanc, aurait aimé leur faire comprendre l’importance d’Orssanc dans leur combat ; hélas, il s’était résigné à ce que Surielle soit la clé. Au moins le prince Rayad semblait convaincu.
La belle-famille d’Evan aurait dû être là pour représenter le Deuxième Monde, Anwa ; malheureusement, ils avaient péri lors de l’attaque aérienne des Stolisters qui avaient dévasté la planète. Ireth, son épouse, avait encore du mal à se remettre du choc.
Le Troisième Monde, Meren, était encore intact, d’après leurs informations. Nul doute que les Stolisters lorgnaient sur leurs chantiers spatiaux. Jahyr n’avait aucune nouvelle du Seigneur Gordred, mais Rayad était persuadé qu’il se rangerait à leurs côtés.
Restaient Bereth et Aranel, deux planètes importantes dont peu de nouvelles étaient connus. Le Commandeur espérait détruire une partie de la flotte des Stolisters lors de leur siège sur Iwar, pour qu’ils puissent ensuite rallier la Dame Anka de Bereth. La planète abritait la plupart des garnisons de l’armée impériale ; ces troupes seraient un atout contre les Stolisters, mais Rayad craignait qu’ils aient déjà été attaqués en raison de leur valeur stratégique. Combattre leurs propres soldats… il espérait ne pas y être confronté.
Aranel, à côté, avait une importance moindre. Le Sixième Monde abritait les mines d’où étaient extraits les cristaux Kloris, qui donnaient les meilleures lames de l’Empire, d’un noir sombre qui rappelait l’obsidienne. Rayad s’inquiétait que le Seigneur Daiso s’imagine passer en dernier dans leurs priorités, et rejoigne de facto les Stolisters.
Cette fois, Surielle était à côté de Rayad, dont Alistair occupait l’autre flanc. Le repas était frugal, comparé à la cuisine dont lui avait parlé Shaniel, mais le cuisinier avait fait des miracles avec le peu qu’ils avaient.
Et de toute manière, Surielle s’intéressait peu à son assiette. Elle prenait garde à surveiller ses gestes, pourtant, pleinement consciente des rumeurs qui pourraient bientôt courir sur son compte. L’oeil perçant des Seigneurs serait capable de la percer à jour, si elle se montrait imprudente.
Une nouvelle fois, elle se demanda si elle n’avait pas été faible d’accepter la proposition de Rayad. Le devoir passait avant tout, lui aurait rappelé son père.
Et son devoir était de trouver l’Éveillé, de le ramener auprès d’Eraïm pour sauver Orssanc.
Que faisait-elle là, à sourire et battre des cils, alors qu’elle aurait déjà dû être partie ?
Ils étaient si peu nombreux, songea Rayad.
Et s’ils échouaient ?
Était-ce cette peur qui l’avait poussée auprès de Surielle ? Avait-il craint de la perdre, une fois sa mission accomplie ? Il devait admettre que sa sœur avait accompli une prouesse. Cette robe lui allait à merveille ; son imagination s’emballait dès qu’il posait les yeux sur elle.
Heureusement qu’il n’avait pas à trop réfléchir ce soir.
Pourtant, la soirée restait importante. Rayad avait parfaitement conscience que son jeune âge était une faiblesse aux yeux de tous ces Seigneurs, pour la plupart bien plus âgés que lui, et qui lorgnaient sur la possibilité de récupérer le pouvoir impérial. Il devait à tout prix fédérer autour de lui. Alistair serait un soutien sur lequel il pouvait compter ; comment rassembler les autres ? Comment se faire reconnaitre auprès du peuple ? Il tenait à une cérémonie en bonne et due forme, devant le Temple d’Orssanc de Draakam, la capitale de Druus, pour respecter tous les codes de la légitimité.
Jahyr lui avait confirmé que les Stolisters le donnaient mort. Ils avaient déjà lancé leur campagne pour démentir cette rumeur, mais Rayad savait que ce ne serait pas suffisant. Il devait se montrer, rallier ses gens.
Ce serait la seule solution pour vaincre.
*****
Elle espérait que cette soirée lui donne de nouveaux indices sur l’Éveillé.
→ donnerait
Surielle continuait d’être étonnée par les techniques les plus basiques. Ils avaient inventé tant de choses pour se faciliter la vie !
→ Quelques exemples ? La fermeture éclair ? Le crayon à papier ?
Non, avec Rayad, il y a avait trop peu de temps pour discuter.
→ Il faut revoir cette phrase. En l’état, elle ne veut rien dire.
Surielle lutta pour refouler les larmes qui montaient soudain à ses yeux.
→ la phrase serait plus jolie en : « Surielle lutta pour refouler les larmes qui lui montaient soudain aux yeux. »
— Je pensais que tu préfèrerais que nous restions discrets pour le moment ?
→ Le point d’interrogation final est de trop.
peu de nouvelles étaient connus.
→ connues
Était-ce cette peur qui l’avait poussée auprès de Surielle ?
→ l’avait poussé
J’aime bien la romance entre Rayad et Surielle qui allège un peu l’athmosphère.
Bien vu pour rajouter des exemples, ça aiderait à visualiser et à l'immersion. Le potentiel commercial qui se perd entre les 2 nations est quand même énorme quand on y songe ^^
La reformulation est plus jolie, j'avoue ^^
Le point d'interrogation pour moi est là pour montrer qu'il s'interroge parce que ce n'est pas encore une certitude ? mais c'est peut-être mal exprimé aussi.
J'avais hésité à les mettre ensemble, je trouvais ça presque trop rapide, mais d'un autre côté pourquoi toujours attendre des plombes ? ^^