PRESENT : LE DUC NOWISE
- Monsieur le président. Je vous l’assure : je saurais prendre la situation en main. Il est temps d’étendre notre territoire et de nous débarrasser des personnes inutiles. C’est simple : il faut que notre face retourne à la lumière. Cela fait bien trop longtemps que nous sommes plongés dans l’ombre et la menace plane dans l’air. Je vous ferais, d’ailleurs, remarquer que la guilde des mercenaires est quelque peu agitée ces derniers temps. Entre kidnapping, tueries de masse et désobéissance aux ordres de l’assemblée, il serait temps de se rendre à l’évidence qu’ils sont devenus trop dangereux pour l’équilibre de notre face. Vous ne pouvez nier, monsieur le chef de l’assemblée, que le chef de la guilde, dans ses correspondances, ne cesse de nous provoquer.
- Je ne peux pas le nier. affirma l’intéressé qui écoutait attentivement le discours du Duc : Toutefois, la guilde nous est encore utile pour mener à bien certaines missions dont nous ne pouvons nous acquitter et pour amener les futurs hauts-mages et archimages au Keruen.
- Vous savez comme moi que, sur tous les jeunes mages qu’ils capturent, seule la moitié des mages puissants arrivent au Keruen.
- J’en suis conscient, et je le regrette, mais ils ont, comme nous, besoin de nouveaux mages dans leurs rangs, d’une nouvelle génération de mercenaires. Je suis prêt à passer outre si cela nous permet de maintenir une relation cordiale avec les mercenaires.
Erlein Nowise serra les poings. La corruption était-elle donc arrivée jusqu’à l’assemblée ? Le président ne disait rien. Il trouvait encore de l’intérêt à échanger avec la guilde des mercenaires alors que…
- Cet endroit regorge de mages noirs qui n’ont ni de bonnes intentions, ni d’obligation directe envers l’assemblée. S’ils venaient à disparaître, la guilde serait affaiblie, donc sous notre entier contrôle. Sans compter que ces mages noirs représentent un danger tant qu’ils ne sont pas à notre service ou bien immobilisés.
- Écoutez, Erlein. Je ne peux pas vous donner l’ordre de mener une mission de destruction de la guilde sans y réfléchir murement. Je peux vous promettre cependant que je vais faire mon possible pour trouver l’endroit où ils ont installé leur base. Sur ces mots, je conclus cette réunion de l’assemblée des neuf mages. Mesdames, messieurs, à la prochaine fois. Et n’oubliez pas votre devoir envers notre peuple et l’alliance KENP.
Les membres de l’assemblée commencèrent à se lever dans un concert de raclements de chaises et de discussions à voix basse sur les idées défendues par le Duc Nowise. Erlein se dépêcha de sortir de la pièce et confia son manteau de membre de l’assemblée à la domestique qu’il employait en ce moment pour remplacer Jio. Il n’était pas de bonne humeur. L’assemblée tardait trop à prendre sa décision et, il avait beau avoir retrouvé Soö, il n’avait plus aucune nouvelle de son autre fils, ce bâtard qu’il avait ordonné de surveiller. Ses coéquipiers, sur la face magique comme sur la face sciento-magique, avaient perdu sa trace. Et ce n’était pas bon du tout. Si jamais ils se retrouvaient, se réunissaient… Il eut un léger sursaut en sentant le vent froid de l’extérieur lui fouetter le visage. Ces derniers jours, la météo n’avait pas été des plus clémentes à Poralguar. Le vent et la pluie avaient assailli la ville portuaire et les habitants avaient délaissé les rues pour se terrer dans leurs maisons mansardées. La ville était silencieuse, perturbée, peut-être, par l’écho des cris d’un vendeur ambulant téméraire qui ne reculait pas face à la météo pour faire du profit. Une deuxième rafale souffla, apportant avec elle un sentiment familier. Le Duc Nowise se sentait observé. Bien sûr, il avait déjà été la cible de filatures, auparavant. Mais là, ce n’était pas la même sensation. Il y avait plus comme une tension, dans l’air. Ou un malaise. Oui. Erlein Nowise reconnaissait ce sentiment pour l’avoir déjà éprouvé. Il n’oubliait que très peu les sensations qu’il pouvait éprouver devant les personnes qui l’intéressaient ou qui avaient marqué son existence. Il savait à présent à qui il avait à faire. Alors il s’avança, sa canne frappant le sol à un rythme régulier. Il n’allait ni trop vite, ni trop lentement. Et pourtant, sous sa peau, son cœur battait à tout rompre. Et puis cette sensation disparut, s’évapora tout à coup, comme si Erlein avait tout imaginé depuis le début. Et pourtant, lorsqu’il arriva en vue de sa demeure, la silhouette était là, sur le perron, l’attendant certainement depuis plusieurs minutes.
Le Duc s’approcha, observa ce mystérieux visiteur. Un coup de vent balaya les cheveux de jais de ce dernier. Il releva la tête. Ses yeux brillaient avec une ardeur peu commune, comme s’il avait longtemps attendu ce moment, et ses lèvres s’étaient retroussées en un sourire presque imperceptible. Pourtant, Erlein, lui, avait su le remarquer. Et lentement, comme dans un rêve, Erlein Nowise s’approcha. Il arriva à la hauteur de celui qui l’attendait, et murmura ces six mots à son adresse :
- Jio. Te voilà enfin de retour.
L’intéressé s’inclina. Nowise le jaugea. Cela faisait presque deux mois qu’il avait quitté le domaine. Il avait pris quelques centimètres, ses cheveux avaient poussé, ses yeux étaient si sombres qu’ils auraient pu refléter la noirceur qui l’entourait. Quelque chose avait changé. Il avait l’air maigre, épuisé. Il avait de légères traces de coups sur le visage, vestiges d’une bagarre. Oui, il avait bel et bien changé. Quelque chose de violent, de dangereux avait émergé en lui. Et le Duc ne supportait pas de voir que Soö avait touché à son jouet. Son pantin qu’il chérissait tant. Son rebelle de fils l’avait manipulé, l’avait reconstruit à sa manière et maintenant, ce n’était plus le même. Ou peut-être qu’Erlein le voyait différemment car il savait qu’il avait à faire à un mage d’ombres ? Ou mieux : parce que celui qui était son valet pouvait potentiellement être l’enfant des ombres ? L’enfant déchu qui s’était enfui face à ses responsabilités. Ce n’était pas sûr… Mais si c’était vrai… Le Duc secoua la tête. Il passa devant le jeune homme et ouvrit la porte.
- Entre. ordonna-t-il d’une voix atone : Tu as une mine affreuse, il faut qu’on s’occupe de toi.
Le jeune homme poussa un ricanement que le maître des lieux ne releva pas puis il le suivit à l’intérieur du manoir.
En son absence, les lieux étaient devenus un peu plus austères, un peu plus froids, comme si ‘la demeure s’était aperçue que quelqu’un manquait. Comme si elle faisait son deuil. Les pas des deux hommes résonnaient dans le hall d’entrée. Le Duc conduisit Jio jusqu’à la chambre qu’il avait occupée avant sa disparition et qui n’avait pas changé d’un iota. Le jeune homme entra sans un mot. L’ombre de sourire qu’avait vu Nowise sur ses lèvres avait disparu. Il arborait à présent une mine grave et inquiète et se murait dans un silence malaisant. Erlein s’éclaircit la gorge.
- Je suppose que tu n’as pas envie de parler de ce qu’il s’est passé, mais sache qu’il est important que tu me donnes quelques détails pour que je puisse retrouver celui qui…
- Je n’en ferai rien.
- Pardon ?
L’adolescent braqua ses yeux sur lui.
- Excusez-moi, reprit-il : Mais je n’ai ni l’envie ni le droit d’en parler.
Le Duc ne comprenait pas, les caprices du gamin allaient bientôt commencer à l’agacer. Il retenait quelque chose en lui et, depuis qu’il était entré dans le manoir, il cherchait un moyen de l’exprimer sans y parvenir. Pourtant, il allait bien devoir parler car Nowise détestait qu’on le prenne avec des pincettes.
- Tu as quelque chose à dire Jio. Je le vois.
- L’assemblée. Elle est de mèche avec la guilde des mercenaires ?
PRESENT : JIO
Pendant une fraction de secondes après qu’il eut posé la question, Jio vit le visage de son ancien maître se décomposer. Mais le Duc reprit bien vite contenance et lui répondit avec neutralité :
-Où as-tu entendu ça ?
Où ? C’était simple : à la guilde. On le lui avait rappelé, il y a quelques semaines, mais ses soupçons dataient d’il y a plus longtemps, quand il allait bientôt avoir 15 ans. Peut-être que c’était l’une des raisons pour lesquelles il avait mis au point son plan d’évasion. Il se souvenait du our où il l’vait appris, de la bouche d’Allisen, cet homme qui n’avait jamais eu d’autre but que de l’humilier, de le briser. Il se rappelait sa réaction, la surprise, le choc qu’il avait ressenti. Il se rappelait aussi que, pendant longtemps, il avait voulu poser la question au Duc sans y parvenir.
PASSE :
Jio ne se retourna même pas lorsque son formateur entra dans les sous-sols.
- Fichez le camp, maugréa-t-il : j’ai rien à vous dire.
Il entendit le rire d’Allisen. Ce rire qui le poursuivait depuis cinq ans et qui l’insupportait.
- Tu n’en as pas marre de faire des tiennes, gamin ? Tu pourrais faire un si bon mercenaire avec le pouvoir que tu as…
- Et pourquoi mon pouvoir devrait servir à tuer des gens, à piller des maisons ?
Il gardait les yeux rivés sur le mur en face de lui pour éviter tout contact visuel avec Allisen. Cela aurait décuplé ses envies de meurtres. Il entendit l’homme s’adosser contre un mur et soupirer.
- Tu nourris encore autant de rancœur envers nous ? Après cinq ans ?
- Et comment je pourrais accepter ? Comment je pourrais renoncer à vous tenir tête alors que vous avez pris autant de plaisir à me fracasser, chaque jour, depuis toutes ces années ? Quand je vois ce que je suis devenu à cause de vous, je ne sais même plus qui je suis.
- Alors c’est ça ? répliqua Soll d’un ton ironique : Ça y est ? Tu vas me faire un grand discours pour me dire à quel point je te dégoûte ? Bah… Je t’en prie, fais-toi plaisir, si ça peut t’aider à te concentrer sur ton entraînement.
- Vous ne comprenez pas ! s’écria Jio en se retournant.
Trop tard, maintenant, pour éviter le regard de l’adulte. Allisen souriait. Petite victoire : il avait réussi à faire en sorte que son élève se retourne. Jio se laissa tomber contre le mur auquel il faisait dos, maintenant. Il croisa les bras.
- Alors vas-y, explique-moi.
- Pourquoi ? Pendant des années, je me suis posé cette question : Pourquoi ? Pourquoi moi, pourquoi si jeune ? Pourquoi vous ne me laissez pas partir, et pourquoi vous ne me tuez pas, alors que je vous rapporte tant de problèmes ? Pourquoi vous me forcez à vivre alors que je ne veux pas de cette vie ?
- Tu te poses trop de questions. Tu devrais faire comme tous tes camarades : obéir, faire profil bas. Je me demande pourquoi tu n’as toujours pas renoncé à tes rêves de liberté.
Jio poussa un rire.
- Si vous croyez que je vais courber l’échine… Jamais. Je n’ai qu’à attendre que l’assemblée des mages dévoiles vos combines. Et à ce moment, la guilde s’écroulera.
Cette fois, ce fut au tour d’Allisen de pousser un rire franc qui fit sursauter le jeune prisonnier.
- Alors tu attendais que l’assemblée vienne te sauver ? Ha ha, comme c’est drôle ! Je n’ai jamais rien entendu d’aussi naïf !
Jio fronça les sourcils, il ne comprenait pas. Pourquoi Allisen riait-il ? Qu’avait-il dit ?
- Tu sais, reprit le mercenaire, tu n’as rien à espérer de la part de l’assemblée : Elle travaille avec la guilde.
- Comment ?
La question n’en était pas vraiment une. Jio avait très bien entendu. Seulement, il n’arrivait pas à y croire. Et pourtant… Allisen avait beau être un monstre de violence, ce n’était pas un menteur. Alors comment… Pourquoi ?
- Tu aurais dû t’en douter, petit. continua Allisen : Franchement. A ton avis : qui fait le sale boulot dans leur alliance ? Qui s’est occupé d’éliminer d’éventuels nuisibles ? Qui a fait disparaître les petites tribus qui s’opposaient à l’alliance KENP ? Tu pensais vraiment qu’ils allaient employer leurs illustres soldats pour ces basses besognes ? Non. Evidemment : ils relèguent ces tâches aux mercenaires. En vérité, ils se fichent de nos activités tant qu’elles ne viennent pas perturber les leurs.
Le silence qui s’ensuivit était plein de sens. Jio réfléchissait, se rendait compte, détestait Allisen plus encore. Et ce dernier l’observait, une lueur amuse dans le regard. Quand enfin il reprit parole, l’adolescent cracha une phrase, la jetant presque en dehors de lui.
- Si l’assemblée est aussi contre moi, alors je me battrai seul. Et je te jure que je réussirai à m’enfuir avant d’avoir 16 ans.
- oh mais tu peux me jurer ce que tu veux. commença Allisen.
Et il était déjà sorti des cachots quand il lança :
- En attendant, il faudrait déjà que tu réussisses à sortir de ta cellule.
PRESENT : LE DUC NOWISE
- Alors ? Où ? répéta le Duc avec plus d’agressivité qu’il ne l’aurait voulu.
Jio se détourna de lui pour marcher jusqu’à la fenêtre de sa chambre.
- Ça ne change rien, non ? Dites-moi juste la vérité. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de toute façon ?
Il ne pouvait rien y faire, c’était sûr. Et il y avait une telle résignation dans sa voix, une totale absence d’agressivité, de colère. Le Duc se demandait ce que pensait son protégé.
- Tu dois déjà connaître la réponse à ta question.
Le garçon se retourna, soupira.
- Alors j’avais raison. Je peux vous poser une autre question ? Adhérez-vous aux pratiques de l’assemblée ?
Aucune réponse. Erlein Nowise se sentit honteux. Il repoussa ce sentiment et posa une question à son tour, pour ne pas y penser.
- Et moi, je peux te poser une question ? Pourquoi tu m’as caché tes origines ? Ta magie, ta capture par la guilde…
Il vit son interlocuteur serrer les dents. Jio ne s’attendait certainement pas à cette question. Erlein sourit. Bien. Il commençait à reprendre son territoire, à se réapproprier son cher pantin. Jio répondit.
- Je n’avais plus rien à faire avec mon passé.
Nouveau silence. Jio ouvrit la fenêtre, un coup de vent balaya la pièce, soulevant les rideaux. Dehors, le soleil disparaissait. Le ciel se parait de sa toison sanglante. Quels crimes a commis cet enfant ? pensa le Duc en observant l’horizon rougeoyant. Puis il jeta un dernier regard à son valet, et sortit de la pièce sans plus parler.
Comme d'habitude, tes transitions entre les différents personnages et leur passé sont vraiment très bien faites. Tu sais parfaitement quand les placer et à quel moment cela accentuera les paroles et les actes des personnages.
Sache aussi que je suis vraiment désolé des retards que je prends, et que je ne vais pas pouvoir lire ton histoire pendant un moi. Je suis dégouté mais ça me met surtout mal pour toi.
Bref bravo et désolé.