J’aimerais allumer une flamme pour nous éclairer, mais Karan m’a conseillé de ne pas le faire, sauf si je veux épuiser ma réserve d'énergie, qui n’est déjà pas très grande. C'est sans doute pour ça que je commence à être fatiguée comme ça.
“Cette boule de feu était très puissante” expliqua l’ombre.
Dans le noir, sans que Rafael ne me voit, j’hoche la tête.
Nous avançons à tâtons dans la caverne sombre et humide, lentement et sûrement. En revanche, je ne sais pas du tout si c'est la bonne direction. Il est clair que nous ne sommes plus du tout près de Neir, après tout ce périple. C'est impossible qu’il y ait des cavernes souterraines comme celles-ci sous les marais, pas vrai ?
“Nausicaa, on arrive au bout du chemin.”
Tu n’es pas sérieuse. Une montée de claustrophobie me fait frissonner. Le passage est bloqué ?
“Non. Vous devez nager.”
Je soupire.
– Rafael, j’espère que tu n’as pas peur de l’eau, je marmonne.
– Oui… mais pourquoi ?
Je me concentre et une flammèche apparaît au-dessus de ma paume. Le rouquin ne dit rien, mais je sens qu’il est méfiant.
– Ne t’en fais pas, celle-ci ne va pas exploser.
– Ta marque s'est beaucoup étendue, depuis que nous sommes arrivés chez les sirènes.
– …Je sais.
La flamme vacille et baisse en luminosité, preuve que mon énergie s'épuise. Je repère rapidement où nous pouvons plonger, puis je saisit la main de Rafael juste avant que la lueur du feu disparaisse. Nous plongeons ensuite dans l’eau glacée, dans le noir et dans l’inconnu.
Je bats des pieds le plus fort possible, mais j’ai l’impression que je ne vais jamais réussir à sortir de l’eau. Je n’ai presque plus d’air. Je ne vois rien, mais je continue à avancer. Pas pour longtemps cependant ; je suis en train de faiblir. Rafael a lâché ma main, mais je crois le sentir nager derrière moi. Tout commence à s’illuminer autour de moi. je vois des taches blanches et mon crâne commence à me faire mal. Est-ce que je devrais laisser tomber ?
Mon cerveau est embrumé. Lentement, je ralentis. Puis je me laisse couler, à bout d’oxygène et de force.
Tout est blanc autour de moi. Une personne se tient devant moi. Je devine aussitôt qui c’est, et ce malgré la longue distance qui nous sépare. C’est Orinn.
– Il semblerait que j’ai, enfin, tu aies assez d’énergie pour qu’on puisse se parler, fait-elle remarquer.
Je peux voir à quoi elle ressemble, même de loin. Elle a un visage rond, des yeux noisettes, pétillants et des cheveux blonds, semblables aux miens, coupés au carré. Elle porte une simple tunique blanche retenue par une ceinture de cuir.
– Où sommes-nous ? je demande.
– Je ne sais pas réellement, à vrai dire.
Je peux voir un sourire peiné se dessiner sur son visage.
– Je pense pouvoir dire que c'est une sorte de représentation de ton âme. Comme nous partageons en quelque sorte la même, nous pouvons communiquer plus simplement ainsi. Cet endroit, c’est ton petit monde. Tu peux y faire ce que tu veux de la manière que tu veux. Tu décides des évènements qui s’y déroulent.
Je fronce les sourcils, pas sûre de bien comprendre.
– Ce n’est pas grave, continue Orinn. Maintenant que tu es là, je vais pouvoir répondre à tes questions, n’est-ce pas ?
Vraiment ? Mais j’en ai tellement que je ne vais pas savoir par laquelle commencer. Cependant, une question simple me vient à l’esprit :
– Qui es-tu ?
– Je m'appelle Orinn. J'étais une générale de l'armée du royaume, au service de Tinsarell l’immortelle.
– Tinsarell était la première reine du pays, pas vrai ? Mais pourquoi immortelle ? Elle est morte non ?
– Elle l’est, en effet. Elle est décédée il y a un peu plus de trois cent ans. Elle n'était pas réellement immortelle, c'était un surnom que les gens lui donnaient.
– Pourquoi j’ai hérité de tes pouvoirs ?
– Parce que tu es celle que mon âme a choisie pour être son refuge.
Pourtant, j'ai l’impression que sa réponse n’est pas complète. Pourquoi moi alors même que je n’ai pas beaucoup d'énergie magique ? Ce choix est-il un hasard ?
Cependant, je décide de ne pas trop m'attarder dessus pour le moment. Je me contente de conserver l’information dans un petit coin de mon esprit.
– Pourquoi…, non, comment es-tu morte ?
– Cela revient à peu près à la même chose, en vérité… J’ai été exécutée, vois-tu. Parce que j’aimais une fille et que j’en étais une.
– Azarielle, pas vrai ? je souffle d’une petite voix.
Le visage d’Orinn se voile soudain de tristesse. Je ne suis pas sûre qu’elle veuille en parler maintenant, alors je retiens ma curiosité. Autant ne pas la froisser pour obtenir plus de réponses.
Cependant, tout autour de moi commence à s’assombrir. Enfin, “tout” est un grand mot pour définir ce vide. Mais Orinn est en train de partir, et avec elle, les réponses pour lesquelles je devrais encore patienter.
– On dirait que tu es sur le point de te réveiller, Nausicaa. Dans ce cas, je te dis à bientôt.
Avant même que je ne puisse protester, j’ai rouvert les yeux. Je pousse un soupir déçu et découragé. Mes paupières sont plissées à cause de la lumière du soleil. Est-ce le matin ou le soir ? Je n'en ai honnêtement aucune idée. Où suis-je ? Qui m’a sortie de l’eau ? Et Rafael, où est-il ?
Je tente de me relever, ou au moins de m'asseoir, mais je suis prise d’une violente quinte de toux qui met quelques dizaines de secondes à se calmer. Puis en face de moi, j'aperçois deux yeux perçants qui m’observent, juste au niveau de la mer qui fait des va-et-vient sur la plage. C'est une sirène. C’est sans doute elle qui m’a sauvée.
Mais la panique m'envahit. Je ne vois pas Rafael autour de moi. Alors j’appelle son nom plusieurs, l’inquiétude montant de plus en plus dans ma voix.
– Hé, je suis juste là, il n'y a aucun problème.
Une main se pose doucement sur mon épaule. Rafael me sourit, l'air penaud.
– Désolé de m'être éloigné, mais cette sirène me mettait mal à l’aise.
– Et donc tu m’as laissé seule avec elle ?
– C’est vrai que vu comme ça… Pardon.
– Ne t’en fais pas, je souris. Tout va bien.
Puis je me dirige près des vagues et m'accroupis au bord de l'écume.
– Excusez-moi ? Est-ce que vous auriez l’amabilité de nous guider jusqu’à la caverne où vous vivez ? Votre reine nous attend.
En vérité, je suis sûre qu'elle pense qu’on est mort.
– Je suis là pour cela, en effet. Suivez-moi, s’il vous plaît.
– Quoi ? gémit Rafael. Encore dans l’eau ?
La sirène acquiesce, puis plonge. Je me précipite dans la mer, à sa poursuite.
– Dépêche-toi ! je crie à mon compagnon.
Je nage le plus vite possible dans le courant que crée la sirène avec sa nageoire. Rafael est normalement juste devant. Et après quelques minutes, nous sommes à nouveau dans le chemin à moitié-rempli d’eau qui mène à la salle de la chute d’eau.
Notre guide, d’une courte durée, nous laisse seuls devant l’entrée. Sans même attendre Rafael, j’entre dans la pièce. Et pour la deuxième fois, je me retrouve devant la cascade qui me sépare de la reine.
– Approche, fille aux cheveux d’argent.