Domaine Dourgrenad – Brocéliande
Noémie reprenait lentement conscience, la tête tourbillonnante et le corps douloureux. Elle était allongée sur le sol froid d'une sorte de grotte. Autour d'elle, des petites créatures semblables à des serpents ou à d'énormes limaces étaient collées à ses genoux nus, provoquant un mélange d'effroi et de dégoût chez elle.
— AHH ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Lâchez-moi !
Elle essaya de se relever et de se débattre, mais en vain, car elle était dos à la cavité et sentit les aspérités rocheuses lui griffer le dos. Les créatures recouvraient ses jambes de la cheville aux genoux et semblaient accrochées comme des sangsues.
Alors que Noémie essayait désespérément de se dégager, une silhouette assez grande se dessina à l'entrée de la grotte, attirant son regard.
La personne se rapprocha d'elle d'un pas glissant, à la fois rapide et calme. C'était un homme magnifique au teint pâle et aux cheveux noirs. Elle fut momentanément absorbée par cette vision, puis les gesticulations serpentines contre sa peau la ramenèrent à la réalité, lui provoquant un haut-le-cœur.
— Aidez-moi s'il vous plaît ! Je n'arrive pas à les enlever. Demanda Noémie les yeux brouillés de larmes.
Elle sentit une main lui saisir le poignet pour l'attirer et s'y agrippa de toutes ses forces, se retrouvant debout, puis tenta de chasser les bestioles en gigottant ses jambes.
— Ne leur fais pas de mal, les dihandrik sont inoffensives, la rassura l'homme d'une voix suave.
— Vous, qui es-tu, c'est quoi cet endroit ? Demanda Noémie alors que ses jambes peinaient à la porter.
— Je suis Calys, et nous sommes dans l'une des grottes cachées de notre royaume. Je t'ai retrouvée près de l'embouchure du fleuve, sur le rivage en train de te noyer. Je t'ai sauvée.
— Sauvée ? Mais... ces créatures ?
— Elles se nourrissent simplement des restes de sang et ont de grandes propriétés curatives. Elles sont courantes par ici.
— Merci de m'avoir sauvée, mais est-ce qu'elles pourraient me lâcher ? Je crois que je vais vomir sinon, frissonna Noémie.
Il se mit à rire, et Noémie, attirée par le son incroyablement doux et grave, leva les yeux vers lui alors qu'il chassait gentiment les créatures.
Noémie était hypnotisée ; jamais elle n'avait vu un homme d'une telle beauté. De près, elle admira ses yeux vert émeraude, ses longs cheveux qui semblaient liquides avec des reflets bleutés, ainsi que son teint presque translucide, impeccable, iréel. Sa tenue, un mélange de tissus et d'une matière semblable à du cuir lustré, épousait son corps sans entraver ses mouvements gracieux.
Il lui demanda son nom et lui posa d'autres questions auxquelles elle répondit automatiquement, sans réfléchir, la tête encore dans le brouillard.
Après l'avoir aidée à retirer toutes les dihandriks et constatant qu'elle n'était pas stable, il la souleva dans ses bras comme une princesse. Elle balbutia des excuses, mortifiée et il sourit en l'emmenant vers une autre lieu située à quelques minutes de marche.
Noémie n'osa plus rien dire. Trop épuisée physiquement et émotionnellement pour réagir, elle se contenta de le fixer. Peut-être que c'en était fini d'elle, que c'était la vie de l'au delà ou alors elle nageait en plein délire. Sinon, comment se retrouverait-elle dans les bras d'un homme d'une beauté si incroyable, entourée de serpents-sangsues guérisseurs ?
Une fois installés dans une grotte à flanc de falaise, sculptée à la manière des habitats troglodytes, il poussa une sorte de sifflement et demanda quelque chose à une personne qu'elle ne pouvait pas voir. Puis, il s'installa près d'elle et prit une de ses mains entre les siennes. Elles étaient fraîches et elle sentit la faim l'assaillir.
"Est-ce que l'on a faim quand on est mort ?" Se demanda-t-elle.
Calys resta silencieux un moment, observant les réactions de Noémie avec un calme apparent ce qui la mettait mal à l'aise.
C'était elle la silencieuse qui écoutait les autres, elle n'avait pas l'habitude d'entendre l'absence de bruit et de se faire scruter.
En plus, Noémie ne s'était jamais retrouvée seule avec un garçon, sauf une fois où un flirt de vacances l'avait bécoté à la plage, mais toutes les conditions étaient respectées pour émousser sa timidité : le soleil couchant, un prétendant qui faisait le premier pas et surtout la pinte de bière pour lui donner du courage.
— Tu es en sécurité ici, Noémie. Je te promets que personne ne te fera de mal, dit-il de sa voix envoûtante qui la sortit de sa rêverie.
— Où... où suis-je exactement ? Est-ce que je suis au paradis ?demanda-t-elle.
Calys sourit et Noémie sentit ses joues s'échauffer. Elle baissa les yeux et inspira profondément, n'osant plus parler.
— Nous sommes sur les côtes du royaume de Brocéliande, près de la cité d'Ys. Un endroit sûr et préservé d'Aldaria, le domaine de Dourgrenad. La Terre, le monde que tu connais, n'est plus accessible, mais tu es bien vivante.
— Mais comment suis-je arrivée ici ? Je me souviens d'avoir entendu des voix, une bête me poursuivait, puis... je croyais m'être noyée. Je n'étais pas du tout en bord de mer, balbutia-t-elle.
— Il y a beaucoup à expliquer, répondit-il. Pour l'instant, repose-toi. Tu as traversé une épreuve difficile et tu dois reprendre des forces.
Noémie hocha la tête, ne sachant pas trop quoi penser. Elle voulait des réponses mais il se leva brusquement signant la fin de leur discussion.
Comme s'il avait perçu un bruit inaudible pour elle, il se rendit près de la porte et fit entrer une créature à la silhouette féminine.
D'apparence humaine, mais pas tout à fait, ses yeux, d'un bleu électrique, et ses oreilles légèrement pointues évoquaient les personnages des contes de fées.
Calys lui adressa quelques mots dans une langue inconnue, et la créature s'inclina légèrement avant de quitter la grotte. Se tournant à nouveau vers Noémie, Calys afficha un sourire rassurant.
— Ne t'inquiète pas, les ondines ne te feront pas de mal. As-tu faim ?
Noémie hocha faiblement la tête, encore étourdie par tout ce qui se passait autour d'elle. Elle repensa à Morgane, projetée par une créature infernale, ainsi qu'à Léa et Alice, qui avaient peut-être vécu une situation semblable à la sienne et n'étaient plus sur Terre.
Noémie se passa la main sur le visage, tentant de rassembler ses pensées. L'étrangeté de sa situation commençait à lui apparaître clairement.
Qu'est-ce qu'elle allait devenir ?
Et pourquoi la Terre n'était plus accessible ?
Est-ce qu'elle allait rester ici pour toujours ?
Elle sentit une vague d'angoisse monter jusqu'à ce que Calys revienne avec un plateau garni de fruits frais, de noix et un peu d'eau dans un verre élégant.
Il le déposa délicatement près de Noémie, qui saisit rapidement une sorte de pomme jaune d'or pour apaiser sa faim grandissante.
— Merci... encore, balbutia-t-elle, les yeux fixés sur les aliments.
Calys acquiesça en signe d'approbation et s'assit à côté d'elle, la regardant s'alimenter.
— Tu es encore blessée, est-ce que je peux te poser un dihandrik ? Je m'excuse si tout cela semble étrange pour toi, mais elles font partie de notre écosystème. Il n'y a pas de druide proche d'ici, c'est le meilleur traitement que nous avons.
— Erg... d'accord, mais reste avec moi. Je suis phobique des serpents... et ça ressemble beaucoup à ça.
Calys déposa soigneusement quelques créatures sur ses jambes allongées, qui lui faisaient un mal de chien, puis lui tendit une des pommes dorées. Le mélange entre le fruit délicieux et la présence de Calys lui faisait presque oublier la masse grouillante sur ses jambes.
— Comment suis-je arrivée ici ? répéta-t-elle finalement.
— Tu étais au bord de la noyade lorsque je t'ai trouvée. Tu as perdu beaucoup de sang. Les dihandrik t'ont sauvée. C'est rare de voir des humains encore vivants sur nos côtes. Je t'ai à peine bougée, le temps que leur salive fasse effet.
— Ok, j'ai compris. Plus d'histoires de dihandrik s'il te plaît, j'ai vraiment du mal... Dis-moi plutôt comment j'ai pu arriver dans votre monde.
Noémie ne pouvait s'empêcher de jeter de temps en temps un regard inquiet aux créatures toujours agrippées à ses jambes, mais elle se sentait progressivement moins effrayée par leur présence.
Calys sembla hésiter un instant, puis il répondit d'une voix douce.
— Notre monde est séparé du tien par une barrière qui est actuellement fluctuante. Le passage entre les deux mondes est rare, mais il arrive parfois que des humains se retrouvent sur Aldaria. Sur les côtes, nous croisons plutôt des marins, mais on dirait que les éléments sont en décalage.
— Et Aldaria, c'est quoi ? Tu parlais de Brocéliande et d'ondines. Tout ça vient du folklore breton... demanda Noémie en essayant de comprendre ce qu'il lui expliquait.
— Nos deux mondes se superposent. Ici vivent des êtres mystiques, des créatures régies par la magie. Votre folklore est inspiré de rencontres entre des Aldariens et des humains. Comme toute histoire ça a été interprété, tu vas reconnaître certaines choses mais ça ne sera pas forcément exact.
— Qu'est-ce qu'il va m'arriver maintenant ? demanda-t-elle enfin, la voix légèrement tremblante.
— Pour l'instant, tu dois te reposer et te rétablir. Tu es en sécurité ici, lui répondit-il ses yeux verts briants d'une lueur rassurante.
Noémie hocha la tête, se doutant qu'il n'allait pas lui promettre de la ramener sur Terre. Il avait dit lui-même que traverser la barrière était rare. Elle se blottit contre le côté frais de la grotte, les dihandrik toujours près d'elle, et ferma les yeux, laissant les événements incroyables de la journée la submerger.
Calys et quelques ondines discrètes veillèrent sur elle avec une attention constante. Ils lui apportaient plus de nourriture, principalement des végétaux, des coquillages ou des petits poissons, et elle s'assoupit à plusieurs reprises comme si elle avait pris des sédatifs. Peut-être que les dihandriks avaient cet effet, Calys lui avait parlé de propriétés médicales incroyables. Elle avait pu prendre un bain chaud dans une baignoire creusée à même la roche. Le lieu, quoique isolé, était plutôt luxueux.
Chaque fois qu'elle se réveillait ou avait besoin de quelque chose, Calys était présent. C'était à la fois perturbant d'avoir un homme, ou du moins une créature à l'apparence d'homme, qui lui apportait une attention constante, et en même temps, elle était flattée par cette sollicitude. Habituellement, c'était elle qui se souciait des besoins des autres. Elle était douée pour lire l'atmosphère afin que les choses se passent bien.
Depuis toute petite, elle, son frère et ses parents avaient une relation difficile. Son frère avait eu un accident en primaire et ses parents s'étaient beaucoup investis dans sa guérison pour qu'il récupère toutes ses facultés cognitives. Après plusieurs années où elle avait vécu un peu à l'écart, s'autogérant et aidant comme elle le pouvait ses parents et son frère, sa mère avait subitement changé d'attitude. Elle avait délaissé son frère pour rapporter toute son attention sur elle et sa réussite scolaire.
Elle surprenait souvent sa mère en larmes parce qu'elle ne savait pas comment s'y prendre avec « son fils », et Noémie était tiraillée entre son frère et ses parents. Elle devait être présente pour lui, puisque ses parents le laissaient « vivre » sans plus rien espérer de sa part. Et elle devait montrer qu'elle réussissait sa vie, ses études, qu'elle n'était pas un échec pour ses parents.
Elle espérait qu'une fois ses études terminées, un travail et son indépendance acquise, elle pourrait sortir de cette spirale néfaste et que sa mère serait plus apaisée.
Toute l'attention qu'elle recevait de Calys la rendait à la fois triste et lui faisait du bien. Mais elle voulait quand même des réponses.
— Calys ?
Calys posa sa main sur la sienne. Ses doigts étaient frais et apaisants, et Noémie sentit un frisson lui parcourir la colonne vertébrale.
— Oui ?
— Pourquoi es-tu aussi attentionné envers moi ? Est-ce que c'est ton travail de t'occuper des autres, es-tu une sorte de médecin ?
— Je suis un gardien des côtes et de la cité d'Ys. Donc non, mon travail n'est pas pacifique, je suis un combattant.
— Et donc ? Pourquoi suis-je encore ici, un soigneur pourrait s'occuper de moi.
— Je t'ai trouvé, c'est à moi de prendre soin de toi. Je ne laisserai pas ce privilège à un autre Brocéliandin, répondit-il presque courroussé.
Noémie eut un mouvement de recul, sa réponse était étrange et perturbante. Elle réalisait qu'elle ne s'adressait pas à un humain et ne savait pas ce qu'il voulait d'elle en réalité.
Est-ce qu'elle était sa prisonnière ?
Est-ce qu'il se sentait responsable d'elle car elle était sur son territoire ?
Ou encore, est-ce que ses attentions étaient signe d'un intérêt tout autre ?
Elle déglutit, cherchant les mots pour l'interroger alors qu'il continuait de la scruter en silence.
— Tes propos portent à confusion, Calys, je ne sais pas quoi penser de l'intérêt que tu me porte.
— Je te fais peur ?
— Pas du tout, tu as été très gentil avec moi.
— Est-ce que tu n'aimes que les humains, je te repousse ?
— N..non ! Tu es très séduisant. Je ne savais même pas qu'il existait autre chose que notre monde. Mais on regarde toutes des films avec des romances fantastiques avec des loups garou ou des vampires sur Terre...
Calys fit une sorte de sifflement contrarié et Noémie sursauta de peur d'avoir fait une gaffe.
— Je suis un ondin ! Et mes propos sont tout à fait ce que tu penses. J'essaie de te courtiser.
Noémie le fixa un instant, éberluée et éclata de rire, un vrai, tonitruant qu'elle n'arrivait pas à juguler. Entre deux soubresauts, elle reprit la main de Calys.
— Excuse-moi, je ne me moque pas. Je n'ai rien contre les ondins. Mais le terme « courtiser» est très très vieux, on ne l'utilise plus du tout maintenant. On dit plutôt « est-ce que tu veux sortir avec moi ?»
— Oui, je veux sortir avec toi.
Noémie était hilare. C'était vraiment trop étrange de voir Calys dire ça, comme s'il ne comprenait pas la portée de ses mots. Il semblait contrarié et l'attira vers lui.
— Est-ce que tu te moques de moi ou ton rire est-il une bonne chose ?
D'un coup, d'aussi près, Noémie avait perdu son rire et ses moyens, se sentant sous l'emprise d'un prédateur. Le Calys calme et attentionné avait disparu. Elle chuchota, comme pour ne pas agacer une bête sauvage :
— C'est une bonne chose...
Calys la souleva sur ses genoux avec une facilité déconcertante et l'enlaça avant l'embrasser dans le cou. D'abord figée dans ses bras et par le contact de ses lèvres fraîches et inquisitrices, elle s'attendrit dans son étreinte.
Son cœur battait à tout rompre et l'absence de timidité de Calys l'enveloppait comme une couverture confortable, addictive, rassurante.
Elle ne sentait plus la douleur, la peur, la faim et ses sens s'émoussaient.
Un inconnu dans un monde inconnu la serrait dans ses bras comme si sa vie en dépendait et l'espace d'un instant, elle se demanda si c'était si terrible que ça.
Puis elle repensa à ses amies, à sa famille, à son frère et culpabilisa d'avoir laissé son esprit vagabonder.
L'émotion monta d'une traite et elle s'en voulut terriblement.
Noémie ne su pas combien de temps ils restèrent comme ça. La seule chose dont elle se souvint, fut la douceur des lèvres de Calys dans son cou et le goût du sel provenant des larmes qui baignaient son visage.
C'est difficile à définir mais il y a quelque chose qui me dérange un peu dans ce chapitre. J'ai un peu l'impression que finalement les trois rencontres des trois filles sont trop similaires. Je ne ressens pas vraiment le côté timide et cartésien de Noémie qui aurait pu la distinguer des autres. De l'incrédulité quant à ce nouveau monde: est-ce un rêve? Un délire venant d'un traumatisme cérébral? ; sa répugnance pour les dihandrik est touchante, mais pourrait s'accompagner d'un besoin de savoir comment ça marche; carrément dire qu'elle n'avait aucune expérience avec des garçons plutôt qu'une expérience limitée; la voir plus paniquée, plus "pleurnicharde", ne pas accepter les avances de Calys aussi "facilement".
Je suis sûrement biaisé par la vision que j'ai d'elle et j'ai du mal à définir ce qui ne va pas, à mon goût, mais en tout cas, ce personnage reste le tien et je n'ai pas grand chose à redire sur la narration, attention juste à ne pas réinclure la narration dans les dialogues et on sera bon!
Alors, j'ai repris ce chapitre avec les idées soumises.
Je ne change pas le fond de son histoire avec Calys, mais je pense que les détails sur les inquiétudes de Noémie, son côté qui n'ose pas (mais pas sainte nitouche) et insister sur son état emotionnel devraient rendre le chapitre plus intéressant.
Effectivement, le côté pragmatique c'est Léa ( et j'ai remis des détails subtils à ce sujet dans le chapitre de Léa et d'Alice).
Noémie c'est plutôt celle qui pense aux autres avant elle, régie par l'émotionnel, dont la timidité et les complexes la pousse à s'effacer de peur de décevoir. Elle se sent responsable de son frère et tente de devenir une personne meilleur (de son point de vue, car les autres la trouve adorable et bourrée de soft skill qui font que sans elle, l'harmonie n'est jamais totale).
J'espère que cette version du chapitre sera plus appréciée.