Le 08 juillet, Versailles
Une servante de la duchesse de Montpensier vint la trouver alors qu'elle admirait le plafond peint de l'antichambre et lui dit que Sont Altesse Royale Mademoiselle souhaitait la voir dans sa chambre. Édith se hâta de joindre la pièce qui était attenante à celle où elle se trouvait.
Lorsqu'elle entra, elle fit la révérence et la duchesse de Montpensier s'avança vers elle, un triste sourire sur le visage.
— Ma chère petite, lui dit-elle en lui prenant les mains, je ne sais qui a eu la bassesse de propager ses infâmes rumeurs sur vous, même si j'ai quelques candidats en tête, mais je puis vous assurer qu'en ce monde de la Cour, montrer que vous êtes touchée est le meilleur moyen pour que l'on vous abatte définitivement.
— Oui Mademoiselle, répondit faiblement Édith.
Le lendemain du premier jour du Grand Divertissement, une étrange rumeur avait envahi les couloirs et s'était propagée de bouches à oreilles jusqu'à atteindre celles de la duchesse de Montpensier, horrifiée. Le racontar était tel : Mademoiselle de Montgey qui espérait être encore plus distinguée dans l'affection de Monseigneur, avait été rejetée au moment même où elle croyait ses espoirs se réaliser.
Depuis, on la raillait ouvertement, on la regardait de travers et de haut et personne ne cherchait sa compagnie, si d'aventure on l'avait cherché un jour.
Depuis, Édith se cachait, elle demandait poliment l'autorisation à la duchesse de Montpensier de ne plus paraître aux promenades de la reine, au jeu le soir chez elle, et de ne la servir qu'en son particulier. Magnanime, la Grande Mademoiselle y avait consenti parce qu'elle avait de l'affection et de la tendresse pour cette jeune fille qui vivait son premier discrédit mondain et voulait la ménager du fiel des courtisans. Cependant, la chose n'était plus possible, la reine, qui n'avait jamais cru que son fils pût penser à prendre une favorite à son âge, appelait mademoiselle de Montgey dans son cabinet pour une entrevue.
Édith était obligée de reparaître en société.
— Sa Majesté s'inquiète à votre sujet.
Édith ravala un tressaut de surprise et se mordit les lèvres.
— Sa Majesté est trop bonne...
— Vous ne pourrez pas vous cacher éternellement, il est temps maintenant.
Édith perdit la maîtrise d'elle-même et releva brusquement la tête, les larmes aux yeux.
— Oh Mademoiselle, j'ai si peur, reparaître me terrifie... Même terrée dans mes appartements, je les entends, ces maudites rumeurs ! Les courtisans se moquent de moi ! Ils jasent ! Je ne sais si je pourrai tenir !
— Il le faudra pourtant, la reine vous a expressément mandé dans son cabinet cet après-dîner. Et vous cloîtrer ne fait que renforcer la véracité de la rumeur... si tant est quelle le soit...
Édith ne repartit rien et la Grande Mademoiselle se garda de renchérir, elle sentait que sa demoiselle de compagnie avait besoin de se remettre, avant que l'on fît place nette dans cette affaire. Elle espérait juste qu'elle ne se fût point attirée le désintérêt du Dauphin à cause de ce commérage...
À l'heure dite, Édith marcha dans les couloirs de Versailles derrière la Grande Mademoiselle comme une prisonnière vers l'échafaud et sur son passage, des bruissements s'élevaient telles des vagues prêtes à l'engloutir.
Avant de rentrer dans le cabinet de la reine situé à l'étage noble comme le reste de ses appartements, Édith prit une profonde respiration, puis elle se jeta dans la fosse aux lions avec un air neutre et une assurance factice. Ses pas donnaient l'impression d'être francs, en réalité, ses pieds glissaient dans ses mules et elle se crispait de peur de tomber. Enfin, elle fit la révérence devant les dames du palais qui la fixaient comme des aigles, quelques intimes de la reine et la reine en personne.
Tant de monde l'intimida et elle récita une prière à Dieu sur le bout des lèvres afin qu'il fût clément et ne l'abandonnât point en ce moment critique. La présence de Carlotina et d'Esperanza lui donna un mince courage pour supporter cette entrevue. Discrètement, la naine lui envoya un petit souris pour la soutenir.
Au centre, la reine se redressa sur son fauteuil, le visage rayonnant.
— Madoumoiselle de Mountgey ! Quel plaisir de vous revoir ! Cela faisait longtemps ! On m'a dit que vous avez mangé oune mauvais fruit lors de la médianoche et que vous déviez tenir le lit, je suis heureuse de vous révoir sur pied !
Madame de Montespan ricana et haussa les sourcils en jetant un regard à la reine, ensuite à la pauvre Édith qui était statufiée sur place, mortifiée de honte. La duchesse de Montpensier entra aussitôt dans le jeu de la reine pour ne pas faire tomber à l'eau toute la prévenance qu'avait eu Sa Majesté, pour écarter les rumeurs à propos de mademoiselle de Montgey et de son fils. La reine subodorait que sa rivale dans le cœur du roi n'était pas étrangère à ce ragot, aussi, la contrarier lui était un plaisir secret.
— Sa Majesté a tant de tact, dit la Grande Mademoiselle en soutenant les yeux moqueurs de la Montespan qui jubilait de ce « replâtrage » un peu grossier. Ma demoiselle de compagnie est enfin remise de son mal et peut revenir sans souci saluer Votre Majesté.
— Oui, toutefois, elle ferait mieux de se tenir loin de certains fruits point assez mûrs si vous voulez mon conseil, persifla madame de Montespan l'air de rien.
— Madame, coupa la reine avec autorité sans pour autant lever la voix, notre chère petite madoumoiselle dé Montgey est enfin guérie, profitons-en pour loui souhaiter un bon retour parmi nous.
— Certes, Votre Majesté, fit-elle. Ce sera un bon retour si elle ne se montre pas trop gourmande à l'avenir...
La duchesse de Montpensier ouvrit son éventail avec une certaine rudesse, manifestant son agacement et la marquise de Montespan se tut, non moins contente.
La conversation dura et mademoiselle de Montgey fut autorisée à se retirer, son devoir de paraître chez la reine était accompli. La demoiselle ne se fit point prier et partit, trop heureuse d'échapper aux regards suspicieux des dames et surtout de la Montespan, lionne sous un visage d'ange.
En traversant le Grand Appartement de la reine, elle atteignit une belle terrasse ouverte au dallage noir et blanc, qui donnait une vue sans commune mesure sur les jardins en construction. Étant déserte, Édith s'avança jusqu'à la balustrade, y appuya ses coudes et soupira. Feindre d'être inatteignable était un travail hors d'haleine, et pour la première fois qu'elle était arrivée à la Cour, elle se sentait seule, terriblement seule...
Anne était de nouveau retenue à Paris, Val-Griffon avait disparu de son sillage, Monseigneur...
— Mademoiselle de Montgey ?
Édith se retourna et découvrit le Dauphin, mal à l'aise, un livre à la main, son précepteur Bossuet derrière lui, le regard sévère. Sans même qu'il ouvre la bouche, Édith entendit les reproches qu'il lui adressait !
— Mademoiselle de Montgey ? répéta Monseigneur.
Édith se reprit sur le champ et se plia en une révérence sans oser croiser ses yeux tristes.
— Monseigneur, dit-elle simplement.
Encouragé par cette réponse, il fit signe à Bossuet de l'attendre au bout de la terrasse, il ne serait pas long. Il s'approcha d'Édith sans la regarder car il percevait son mésaise et fixa son attention sur le bassin de Latone, droit devant eux.
— Je voulais vous dire que je regrette ce qui s'est passé dans mon cabinet...
— Monseigneur n'a nul reproche à se faire, je suis la seule fautive... je connais peu la gent masculine et j'ai pris des vessies pour des lanternes...
Cette expression fit sourire le Dauphin mais son visage demeura éteint, son teint était terne, des cernes se voyaient sous ses paupières, le tracas et la peine mangeaient ses traits.
— Si j'avais su vous exprimer ma camaraderie plus clairement, aucun quiproquo ne nous auraient éloignés et aucune rumeur ne ternirait votre image. Croyez-moi, j'en suis sincèrement navré. Je ne sais pas comment cela s'est ébruité mais si je l'apprends, je lui ferai savoir mon mécontentement !
— Nul besoin, Monseigneur, il n'y a qu'une personne qui était dans la confidence...
— Vous faites mention à Val-Griffon, n'est-ce pas ?
Édith serra la mâchoire et répondit un « oui » à peine articulé. Elle avait de la colère contre Charles. Elle ne le comprenait point, une fois il l'insultait, une fois il la troublait, l'autre fois il l'avertissait, la consolait et disparaissait comme si rien n'était survenu !
— Détrompez-vous, il a été la voix de la sagesse dans cette affaire.
Édith ne put s'empêcher d'émettre un rire de désapprobation, un brin moqueur.
— Je vous assure. Dès le début de notre rapprochement, il ne cessait de me prévenir qu'accorder trop ouvertement de l'amitié à une jeune fille inexpérimentée des usages du monde était dangereux. Il m'avait avoué qu'il croyait que vous nourrissiez une affection à mon égard... et il avait raison... J'aurais été bien avisé de l'écouter.
Au bout de la terrasse, Bossuet s'impatientait et tournait en rond en tapant du pied. Monseigneur l'ignora et se concentra vers Édith.
— Je ne sais à quel point je vous ai blessé et je n'ai pas les mots pour vous réconforter mais sachez que mon amitié pour vous est intacte. Vous avez un allié ici et un ami en ma personne.
Édith eut chaud au cœur d'entendre cela et sentit un poids s'ôter en elle. Le Dauphin la salua pour rompre leur entrevue, cependant elle l'arrêta et osa lui poser une question qui lui brûlait les lèvres.
— Avez-vous des nouvelles de Val-Griffon ?
Le Dauphin montra des signes de contrariété et son visage se ferma.
— Non. Nous nous sommes... éloignés. Il a rejoint son père dans la suite de madame de Montespan.
Édith fut douchée par cette réponse. Val-Griffon chez la pire ennemie de sa maîtresse ! Encore un éclatant signe de tromperie de ce terrible personnage envoûtant ! Par tous les Saints qui était-il à la fin et à quoi jouait-il !
Elle allait lui poser une autre question quand Bossuet arriva, ne supportant plus de faire le planton comme un suisse(1) et ordonna au Dauphin de le suivre séance tenante !
GLOSSAIRE :
(1) Domestique qui gardait les portes et les ouvrait aux visiteurs.